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Le nombre
Les grammairiens appellent nombres les formes ou les systèmes de formes que prend un mot variable, substantif, adjectif ou verbe, suivant le nombre des personnes ou des choses que ce mot désigne, qu'il qualifie on dont il exprime l'action. C'est ainsi qu'en français on se sert : de la forme cheval, et en latin de l'une des formes equus, equum, equi, eque, equo, quand on a en vue un seul cheval; de la forme chevaux, ou des formes equi, equos, equorum, equis, quand on veut en désigner plusieurs. Chaque cas de la déclinaison, chaque personne du verbe présente ainsi une forme spéciale pour chaque nombre. En français et dans la plupart des langues indo-européennes modenes, il y e deux nombres, le singulier, qui correspond à l'unité, et le pluriel, à un nombre quelconque autre, que l'unité. Mais, dans certaines langues, il existe, en outre, un troisième nombre, correspondant au nombre deux, c'est le duel, dont l'origine est peut-être antérieure à celle du pluriel, et qui, dans les langues indo-européennes, est allé peu à peu disparaissant. 

Le singulier.
La fonction propre du singulier  est de marquer que l'on a en vue, soit un individu de l'espèce signifiée, soit l'espèce elle-même; on bien, s'il s'agit d'un verbe, que l'on a en vue l'une quelconque des trois personnes considérée seule. Le nombre étant une modification de la forme, le singulier est toujours marqué par la forme dans le substantif comme dans le verbe. Il est employé, dans toutes les langues, non seulement pour désigner un seul individu, mais aussi pour signifier un amas, une masse matérielle, ou une collection d'individus dont on n'a en vue que l'ensemble, tout en la désignant par le nom de l'individu même; par exemple en grec polemios, en latin miles, en français l'ennemi, le soldat ; c'est ce qu'on appelle le singulier collectif, dont l'usage seul détermine l'emploi. En français il est fréquent après le partitif de (du, de la); on sait aussi qu'en allemand les noms de mesures et de poids ne s'emploient qu'au singulier avec les noms de nombre, de même que le mot Mann au sens militaire. La construction grecque, suivant laquelle le verbe reste au singulier avec un sujet du pluriel neutre, est une syllepse dont l'origine est vraisemblablement dans ce que les Grecs considéraient les neutres pluriels comme des collectifs désignant une masse indéterminée. Le nom propre, par nature, ne peut avoir que la forme du singulier; c'est par une figure qu'il est employé au pluriel. 

Le duel.
On appelle duel la forme particulière que prennent les cas des mots déclinables ou les personnes du verbe pour exprimer qu'on a en vue deux objets ou une action faite ou subie par deux sujets à la fois. Le duel existe dans toutes les familles de langues, en même temps dans les substantifs et dans les verbes. Aussi haut que nous remontions dans les langues indo-européennes, le duel, déjà réduit à trois formes casuelles en sanscrit et à deux en grec, n'existe plus en latin; il est inconnu du grec éolien, du nouvel ionien, conservé seulement dans quelques formules en dorien; et en ionien attique où son emploi est très fréquent dans les premiers textes, il est allé diminuant si bien qu'il disparaît au IIe siècle des inscriptions, de la prose de la koinh, et n'existe plus du tout chez les Septante. Il est inadmissible cependant qu'il ait été superflu à l'origine, sans quoi il n'eût pas existé, et n'existerait pas encore dans certaines langues. Son origine doit même être des plus anciennes et remonter à une période où la numération n'allait pas au delà du nombre deux. Certaines langues n'ont pas encore de noms de nombre supérieurs à deux; d'autres n'ont pas de pluriel. Une d'elles exprime le nom de nombre trois par le mot prica, beaucoup. Peut-être même la racine indo-européenne du nom de nombre trois (treis, tres, tria, three) est-elle la même que celle des adverbes trans, tarâmi (sanscrit), through, au delà. En tous cas, il a dû en être des langues les plus anciennes-: l'idée de pluralité telle que nous la concevons n'existait pas. De là l'origine du duel, issu peut-être du redoublement, et affecté à désigner les objets qui se trouvaient deux par deux, soit par l'effet du hasard, soit naturellement, comme les parties du corps. De là l'antiquité des désinences du duel, l'impossibilité de les expliquer par celles du pluriel, et la disparition graduelle de ce nombre quand, après la création du pluriel, il fut devenu inutile.

Le pluriel.
Le pluriel est un des nombres que la grammaire distingue dans le langage. On peut le définir la forme que prennent les mots variables, substantifs, adjectifs ou verbes, pour marquer qu'on a en vue, soit plusieurs personnes ou plusieurs choses, soit une qualité appliquée à plusieurs personnes ou à plusieurs choses, soit une action faite ou subie par plusieurs personnes ou par plusieurs choses. Le pluriel paraît être d'origine postérieure au duel, ce qui signifie, non pas que les formes connues du pluriel soient nécessairement de création plus récente que les formes que nous connaissons du duel, mais qu'il n'y a eu de formes pourvues de la signification du pluriel qu'à une époque où existaient déjà depuis longtemps des formes, ayant celle du duel. Le pluriel existe dans toutes les langues de la famille indo-européenne : il consiste régulièrement en une forme spéciale, différente de celle du singulier par un simple changement de la terminaison, exceptionnellement en un mot distinct rattaché par le sens à un autre qui lui sert de singulier, comme vous à côté de tu, nous à côté de je et de moi.  Il est à noter qu'en anglais l'adjectif, étant invariable, n'a pas plus de pluriel que de singulier. En français moderne, l'orthographe distingue ces deux nombres partout ailleurs que dans les noms et adjectifs déjà pourvus au singulier des lettres caractéristiques du pluriels s, x, z; mais il en est autrement de l'oreille, et excepté le cas de liaison, où leur pluriel se termine par la sifflante douce z, la plupart des substantifs et adjectifs non pronominaux se prononcent toujours de la même façon. La troisième personne des verbes est souvent aussi dans le même cas (aime et aiment, aimait et aimaient, aimerait et aimeraient). C'est alors un mot voisin, généralement de nature pronominale, qui indique le nombre, comme cela arrive dans d'autres langues étrangères à la famille indo-européenne.

Il y a des substantifs qui n'ont pas de pluriel, surtout des noms abstraits; d'autres dont le pluriel n'a pas le même sens que le singulier (ciseau et ciseaux; copia, abondance, et copiae, troupes); d'autres qui n'ont que la forme du pluriel, tantôt avec le sens du pluriel (divitiae, les richesses), tantôt avec celui du singulier ('Aqenai, castra). On emploie de même le pluriel à la place du singulier : 

1° pour se désigner soi-même individuellement; c'est le pluriel dit d'importance dont se servent les écrivains dans leurs ouvrages et les personnes ayant un caractère d'autorité dans les actes et discours officiels (Nous avons ordonné et ordonnons...); 

2° pour adresser la parole à quelqu'un; c'est le pluriel dit de politesse dont on se sert, comme en bas latin et en français, pour témoigner du respect à la personne à qui l'on parle, ou comme maintenant en anglais et en hollandais, parce que l'usage du singulier à la deuxième personne tombe ou est tombé on désuétude. Le pluriel de l'article se joint en français à un nom propre du singulier pour lui donner un sens emphatique (les Thémistocle, les Turenne); et un sujet du pluriel neutre, en grec, était considéré comme l'équivalent d'un singulier, puisque l'accord se faisait en mettant le verbe à ce nombre. (Mandry Beaudouin / Paul Giqueaux).

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