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Histoire de l'enseignement musical
jusqu'en 1900
Enseignement, n. m. - Art d'instruire, d'enseigner. Avec toutes les autres branches de l'activité intellectuelle, l'Église, au moment de la chute de l'Empire romain, sauva l'enseignement musical de la destruction. Pendant tout le Moyen âge, il fut lié à l'enseignement de la langue latine, en vue du service du culte, et se donna dans les écoles épiscopales et monastiques fondées une à une dans l'Europe occidentale et sur lesquelles s'arrêta la sollicitude de Charlemagne. On y formait des chantres pour le choeur, et l'on y accueillait la jeunesse studieuse. Dans l'une des plus célèbres de ces écoles, à Saint-Gall, le moine Tutilon (mort en 915) enseignait à des jeunes gens nobles à jouer des instruments à cordes, dans une salle spéciale que l'Abbé du monastère lui avait concédée à cet effet. 

Plus encore que Tutilon, Guido d'Arezzo (mort en 1050) personnifie l'enseignement musical au Moyen âge. Ses ouvrages, qui sont ceux d'un grand pédagogue plutôt que d'un grand musicien, le montrent occupé d'éclaircir et de répandre la connaissance pratique de la musique, de découvrir les méthodes les plus expéditives, de les défendre contre les critiques et de tancer lui-même des rivaux ignorants. Le bruit de ses succès et de ses disputes le fit appeler à Rome par le Pape Jean XIX (1024-1033), qui voulut connaître les secrets de son enseignement et s'y montra entièrement favorable. On a réuni sur la tête de Guido plusieurs inventions qui ne lui appartiennent pas toutes. Son but était de former rapidement des chanteurs qui fussent en même temps bons lecteurs. Pour développer la finesse de leur oreille, il se servait du monocorde, et, pour leur faciliter la lecture de la notation neumatique, il avait imaginé la portée, composée d'abord de deux lignes marquant le fa et l'ut, qui fixaient des points de repère pour la hauteur relative de sons représentés par les neumes.

Sa gamme était de 21 sons rigoureusement diatoniques, formant deux octaves et une quinte, du sol grave au ré aigu, divisés par hexacordes selon le système de la solmisation et des muances. C'est simplement à titre de moyen mnémonique, pour graver mieux le son de chaque degré de l'hexacorde dans l'esprit de ses élèves, qu'il adopta les six syllabes ut, ré, mi, fa, sol, la, tirées d'une hymne à saint Jean-Baptiste et déjà, selon certain témoignage, employées avant lui. Il n'est pas établi non plus que l'invention de la Main, que lui attribue Sigebert de Gembloux, un siècle après sa mort, et dont lui-même ne parle pas dans ses écrits, lui appartienne réellement. Quoi qu'il en soit, ce procédé, dont parle déjà J. Cotton, successeur très rapproché de Guido, était destiné à une longue fortune et offrait de grands avantages pour l'enseignement des illettrés, à qui une habitude vite acquise faisait situer chaque degré de la gamme sur une des jointures des doigts de la main gauche, transformée en alphabet.

Guido, instituteur  zélé et ingénieux, était fondé à dire qu'il ne suivait pas « le chemin des philosophes ». Ceux-ci avaient fait place à l'enseignement de la musique dans le Quadrivium, qui embrassait l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique, et qui formait avec le Trivium, composé de la grammaire, de la rhétorique et de la dialectique, l'ensemble des connaissances, les « sept arts libéraux ». Mais la musique, telle qu'on la concevait dans ce cadre et telle que l'enseignait Jean de Muris à l'Université de Paris en 1323, était purement « spéculative », et toute remplie de calculs subtils et d'un symbolisme mystique qui la rangeaient dans le domaine scientifique. Dès lors, l'enseignement musical bifurquait, et un fossé se creusait entre la théorie et la pratique. On en mesure la largeur en comparant les traités composés du XIVe au XVIe s. Pour les maîtres accoutumés au dressage des enfants de choeur, la musique est « l'Art de bien chanter ». Ils écrivent le plus souvent dans une forme dialoguée, et sous les titres de Compendium ou de Rudiment, de petits livres concis, où ils expliquent tout juste la main guidonienne, les « déductions », les muances et les signes usuels de la notation; les plus diserts vont jusqu'à définir les consonances et donner quelques exemples d'accords et de cadences. 

C'est là visiblement le canevas sur lequel, dans la leçon orale et dans les exécutions du choeur, ils broderont des commentaires. Évidemment, l'éducation de l'oreille, tout comme celle de l'organe vocal, se faisait, ainsi que plus tard dans les écoles primaires, par hasard ou par routine. Pendant ce temps, les théoriciens de la musique spéculative s'absorbaient en calculs et s'efforçaient à réduire en figures géométriques la doctrine des proportions et la symétrie des hexacordes : c'est ainsi que, dans un temps où tout moyen de contrôle expérimental manquait encore, leur enseignement de la musique ressortissait cependant à la science pure. 

Les grands ouvrages de Zarlino (1558) et de Salinas (1577) embrassent à la fois ce point de vue et celui de la composition, dont ils traitent d'après les leçons et les productions de leurs, contemporains. C'est dans les maîtrises, auprès des contrepointistes fameux, que les étudiants musiciens, déjà instruits dans les mêmes milieux des éléments de la théorie et de la pratique du chant polyphonique, venaient apprendre l'art d'écrire. A chaque illustre maître,  ses biographes ont attribué un cortège d'élèves dont parfois la date de naissance ne s'accorde pas avec celle du décès de leur prétendu professeur. 

L'existence à Rome d'une école de composition, ouverte par le Français Claude. Goudimel et où se serait, entre autres, formé Palestrina, est également controuvée. Mais des témoignages existent pour prouver que les leçons de certains autres maîtres attiraient souvent de fort loin les jeunes compositeurs. A Venise, Adrien Willaert (mort en 1562), et plus tard Giovanni Gabrieli (mort en 1612); à Rome, Gio. Maria Nanino (mort en 1607) et, au XVIIe s., Carissimi; à Amsterdam, Sweelinck (mort en 1621) se rendirent célèbres par leur enseignement autant que par leurs ouvrages. C'est pour s'instruire sous Gabrieli que le landgrave de Hesse envoya Schütz à Venise. Lorsque la renommée de Lulli fut établie à Paris, on vit venir de l'étranger des jeunes gens, tels que l'Alsacien Muffat, l'Allemand Cousser, qui se faisaient admettre dans son orchestre pour recevoir son enseignement, et qui allaient ensuite en répandre l'esprit, par leurs oeuvres, ailleurs en Europe. 

L'enseignement instrumental avait été longtemps considéré comme celui d'un métier manuel. Les ménestriers et joueurs d'instruments, organisés en corporation depuis le XIVe s., se faisaient recevoir « maîtres » et formaient des « apprentis ». Par privilège ou par tradition, la coutume se maintint longtemps de conclure entre professeur et élève un contrat à forfait. Un document de 1617 nous montre, par exemple, l'organiste Raquet s'engageant, moyennant la somme nette de 100 livres tournois, à enseigner en 18 mois le jeu de l'orgue, du luth, le chant et « la partition de musique », à un jeune homme qui viendra deux fois chaque jour à son domicile étudier sous sa direction. 

Le régime ordinaire des amateurs était celui des leçons particulières; pour leur faciliter l'accès de la musique et « s'attirer pratique », les maîtres s'ingéniaient, comme aujourd'hui, aux simplifications. Les Leçons de clavecin, de Bemetzrieder (1771), dont le texte fut tout au moins retouché et inspiré par Diderot, et la Méthode simple pour apprendre à préluder, de Grétry (1801), montrent à quel faible niveau de talent ou de savoir on se contentait de prétendre. Rameau, en 1737, avait essayé d'ouvrir un cours de composition pour les amateurs, promettant de les « mettre au fait de la science de l'harmonie et de sa pratique » en six mois, à trois leçons de deux heures par semaine; en 1757, un certain Dupuits tenait une « école publique de musique » où se donnaient chaque jour des leçons « dans les différents genres », avec un cours de musique d'ensemble trois fois par semaine. 

Jusqu'à l'établissement de l'École royale de chant (1784), qui avait pour mission de préparer ses « sujets » pour l'Opéra, l'État ne s'occupa pas, en France, de l'enseignement musical. La fondation du Conservatoire (1795) inaugura un nouvel ordre de choses et un mouvement rapidement étendu à toutes les nations de l'Europe. Sans devenir nulle part un monopole d'État, l'enseignement musical tendit à s'organiser d'après un modèle officiel. En même temps, l'intérêt des pouvoirs publics fut attiré vers sa propagation dans les milieux populaires. L'impulsion féconde du grand pédagogue suisse Pestalozzi s'était étendue jusque dans le domaine musical, et son compatriote Hans Naegeli avait, depuis 1809, adapté ses vues au chant scolaire.

Bientôt on vit surgir de toutes parts des méthodes destinées à en faciliter la diffusion. La notation chiffrée, en faveur de laquelle avaient eu lieu, longtemps auparavant, des entreprises avortées, reparut et réussit à s'implanter en Allemagne avec Natorp, en France avec Galin et ses continuateurs, Pâris et Chevé. Elle eut pour équivalent, en Angleterre, la méthode appelée Tonic sol-fa, qui repose également sur un système de transposition et qui offre, avec les mêmes avantages de rapidité et de facilité, le même irrémédiable défaut, qui est d'acculer l'élève à une impasse d'où il ne peut sortir, pour prétendre à un niveau plus artistique, qu'en recommençant son éducation musicale par la notation ordinaire et universelle. Le dévouement de Bocquillon-Wilhem se tourna vers l'enseignement du chant en choeur. Ses efforts, parallèles à ceux de Choron, portèrent leurs fruits les plus visibles par la création de l'Orphéon. Le plan d'études fixé par l'arrêté du 18 janvier 1887, pour les écoles primaires en France, prévoyait, depuis la classe enfantine, l'enseignement de petits chants, appris par l'audition, depuis la classe élémentaire, l'enseignement de la lecture des notes, en clef de sol, depuis le cours moyen, l'exercice de la dictée et, dans le cours supérieur, la lecture en clef de fa, les éléments de la tonalité et l'exécution de morceaux à deux parties vocales. Les épreuves pour l'obtention du brevet de capacité comportent, au degré primaire, des  « questions et exercices très élémentaires de solfège », au degré supérieur, une « dictée musicale suivie de questions théoriques très simples sur le texte dicté ».

Un regard jeté sur l'état de l'enseignement musical au début du XXe s. fait apercevoir chez tous les pays d"Europe et d'Amérique l'existence de conservatoires et d'écoles publiques et privées distribuant l'instruction à un nombre chaque année plus considérable d'élèves. De cet accroissement même est né le double danger, signalé presque en tous pays, de la surproduction artistique et de son industrialisation. Cette dernière tendance a confirmé la spécialisation, favorisée, dès l'origine du Conservatoire de Paris, par des règlements qui interdisaient aux élèves de  « cumuler l'étude de deux parties instrumentales » et qui ne permettaient aux chanteurs l'accès  « d'aucune partie instrumentale », sauf, depuis 1808,  « la connaissance du clavier du forté-piano ». Ce n'est pas en France seulement qu'ont été sentis à la longue les graves inconvénients d'une formation unilatérale. Mais l'inquiétude de la critique à cette époque se porte avec plus d'acuité sur l'enseignement privé. Les constatations de Hugo Riemann en Allemagne, où, dit-il, « toute une armée de maîtres ignorants n'arrive qu'à augmenter le nombre des mauvais amateurs et à abaisser le goût », peuvent se répéter partout. (Michel Brenet).

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Dictionnaire Musiques et danses
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