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La Bastille
Aperçu Des origines à la Révolution Le 14 juillet 1789
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Le 14 juillet 1789

C'est peu de dire que la Bastille était impopulaire : elle était odieuse et exécrée quand de Launay en prit le gouvernement. Plus on avance vers la Révolution, plus on constate la répulsion qu'inspirait la sinistre forteresse, aux murailles impénétrables, aux canons braqués toujours sur la ville. On a trop répété que le peuple, en la jetant bas, a fait une besogne qui ne le regardait pas et que la Bastille n'était pas faite pour lui. Il nous semble qu'il y a là plus qu'un lieu commun : c'est encore trop méconnaître l'esprit de la population parisienne; pendant les années qui précédèrent la Révolution, chaque jour fut marqué par l'éclosion d'une idée généreuse, d'une aspiration nouvelle au progrès et à la liberté, et ces idées, ces aspirations trouvèrent aussitôt l'écho le plus spontané chez les Parisiens. N'est-il pas à leur honneur de s'être élancés si vaillamment à l'attaque d'une prison dont ils n'étaient pas menacés, et vaudrait-il mieux qu'ils n'eussent pris la Bastille que par crainte d'y être un jour enfermés? On avait lu et relu les relations de ceux qui avaient pu y échapper, celles de Linguet et de Latude surtout; on savait que derrière ces murs gémissaient des infortunés, ignorant, en 1780, que Louis XV fût mort; on était révolté en apprenant que de Launay avait déclaré « sur sa parole d'honneur et sa foi de gentilhomme » que Linguet n'était pas à la Bastille, qu'il n'y était pas resté huit jours, alors qu'on l'y retenait depuis plusieurs années. Il n'en faut pas tant pour indigner des esprits avides d'indépendance et de fraternité.

Le gouvernement lui-même le comprenait et nous en avons la plus certaine des preuves, qu'on n'a pas assez signalée. En 1784, un sieur Corbet, architecte-inspecteur de la ville de Paris, dressa le plan d'une place, appelée place de Louis XVI, à ouvrir sur l'emplacement de la Bastille, et de voies nouvelles venant aboutir à cette place. La qualité de ce personnage ne permet pas de douter qu'il n'eût reçu à, cet égard une mission officielle. Déjà, l'année précédente, M. de Breteuil avait fait disparaître la décoration, d'un symbolisme trop frappant, qui accompagnait l'horloge du château. Linguet nous en a conservé la description : 

« Qu'on imagine dit-il, deux figures enchaînées par le col, par les mains, par les pieds, par le milieu du corps; les deux bouts de ces ingénieuses guirlandes, après avoir couru tout autour du cartel, reviennent sur le devant former un noeud énorme et pour prouver qu'elles menacent également les deux sexes l'artiste, guidé par le génie du lieu ou par des ordres précis, a en grand soin de modeler un homme et une femme ». 
C'est aussi en 1783 que parurent pour la première fois ces mêmes Mémoires de Linguet : en tête du volume se trouve une estampe dont le sujet principal est une statue de Louis XVI, élevée sur les ruines de la Bastille on voit des prisonniers agenouillés aux pieds du roi et, parmi les ruines de la forteresse, est restée debout l'horloge fameuse que vient frapper la foudre. Ainsi la démolition de la Bastille était un fait admis, prévu, et qui se fût sans doute accompli fatalement, même si la Révolution n'eût pas éclaté. On s'explique d'autant mieux pourquoi ce fut le premier grand acte du régime nouveau.
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La Prise de la Bastille, le 14 juillet 1789.
La prise de Bastille, le 14 juillet 1789.
La foule en armes s'apprête à pénétrer dans l'avant-cour.
(Tableau de Jean-Pierre Houel).

Nous n'avons pas à rappeler ici les événements qui se succédèrent avec une foudroyante rapidité depuis la réunion des États généraux. L'attitude de Louis XVI révoltait davantage chaque jour la population parisienne : deux faits surtout vinrent pousser à bout son exaspération; au commencement de juillet, la ville et ses environs furent entourés d'un nombre considérable de régiments étrangers; ils campaient au Champ-de-Mars et à l'École militaire, à Charenton et à Sèvres on eut pu croire que la France était envahie et la capitale assiégée. L'autre fait fut plus grave encore : le 11 juillet, Necker recevait l'ordre de quitter le ministère. La nouvelle en fut annoncée le lendemain, dimanche, au Palais-Royal par un orateur improvisé; c'était Camille Desmoulins; les quelques paroles qu'il prononce sont accueillies avec la plus grande émotion; aussitôt la défense s'organise; de toutes parts le cri : aux armes! se fait entendre. La journée du 13 est employée à les réunir : on court à l'Arsenal, aux Invalides, à l'Hôtel de Ville, partout on trouve les dépôts vides. Besenval, le commandant des Invalides, Flesselles, le prévôt des marchands, Berthier, l'intendant de Paris, se sont donné le mot pour abuser le peuple ou lui donner des promesses illusoires; ils ne paieront que trop cher ces mensonges. Comme on peut, l'on se procure des armes, de la poudre, des balles; avant tout, il faut se défendre contre ces régiments suisses et autrichiens qui sont là aux portes de la ville et qui sont l'ennemi, on le sent. 

Un soleil radieux éclaira dès l'aube la journée du mardi 14 juillet; la nuit avait été calme; le peuple se sentait fort, il voulut attaquer. Vers dix heures du matin, un homme se présente presque seul, à la porte de la Bastille, demandant à parler au gouverneur, de Launay; il s'appelait Thuriot et fut plus tard président de la Convention; au nom du peuple, il somme de Launay de faire reculer les canons hors de leurs embrasures et de laisser libre l'accès de la forteresse; le gouverneur répond évasivement; quelques forcenés veulent pénétrer en armes; Thuriot les en empêche et se retire en déclarant qu'il va faire son rapport au peuple; en effet, les citoyens se réunissent dans leurs sections et délibèrent confusément; l'attaque de la Bastille est décidée : on eût arrêté plus facilement un torrent. Deux officiers des troupes royales, Hullin et Elie, hommes prudents et intrépides, sont désignés comme chefs de l'expédition; il était alors environ midi.
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Prise de la Bastille : plaque commémorative.
Plaque commémorativede la prise de la Bastille, à l'angle de la rue Saint-Antoine
et de la rue Jacques-Coeur.   (© Photo : Serge. Jodra, 2009).

La garnison de la forteresse se composait de quatre-vingt-deux invalides et de trente-deux suisses, ces derniers, recrue récente empruntée par le gouverneur aux régiments étrangers qui entouraient Paris. Treize pièces de canon étaient placées dans les embrasures des plates-formes, et à côté d'elles quelques munitions montées en toute hâte, des pavés, des morceaux de fer. La Bastille, on peut en juger sur la description que nous en avons faite, se défendait surtout d'elle-même par sa masse, par la série de ses ponts-levis, par ses hautes et solides tours.

« L'attaque de la Bastille, dit Michelet, ne fut nullement raisonnable. Ce fut un acte de foi. » 
C'est vers une heure que les citoyens armés et les gardes-françaises se mirent en marche à la conquête du château-fort détesté. Leur foule, grossissant à chaque pas, pénétra sans difficulté dans la première cour ou avant-cour, dont l'entrée se trouvait vers le point actuel de rencontre des rues Saint-Antoine et Jacques-Coeur. On brisa à coups de hache les chaînes du pont-levis, dit de l'avancée, livrant l'accès de la seconde cour où était situé l'hôtel du gouverneur. Les récits contradictoires fournis par les assaillants et les assiégés ne permettent pas d'affirmer de quel côté partirent les premiers coups de feu, mais le fait est peu important, et il est assuré que, dès l'entrée du peuple, une très vive fusillade s'engagea. Trois voitures de paille traînées par la foule avaient été amenées dans cette seconde cour, et bientôt l'incendie s'alluma dans les bâtiments qui s'y trouvaient. Cet incendie servit l'attaque, grâce à l'épaisse fumée qui enveloppait les assaillants et les dérobait en quelque sorte au canon et à la mousqueterie du château.

Cependant, que se passait-il dans l'intérieur de la Bastille? De Launay était un homme énergique, qui préférait la mort à la capitulation. Il se rendit aisément compte qu'il ne fallait espérer de Versailles aucun secours en temps utile et que la place ne pourrait tenir longtemps. Deux cent cinquante barils de poudre se trouvaient dans la tour de la Liberté : il s'en approche avec une mèche allumée. La Bastille allait sauter, ensevelissant sous ses ruines assiégeants et défenseurs. Deux sous-officiers dont on a conservé les noms, Becquard et Ferrand, s'élancèrent sur le gouverneur, le menaçant de mort s'il cherchait à accomplir son dessein. On voit dans quel esprit était la garnison. Un rapide conseil fut tenu où la troupe décida d'une voix unanime qu'il n'était plus possible de continuer la résistance, que les pièces de canon placées sur les tours n'étaient pas pourvues de boulets de leur calibre, que l'on manquait de vivres. De Launay fut forcé de laisser battre le rappel, et de permettre qu'on arborât, en guise de drapeau blanc, son propre mouchoir.

Ici se place un incident pathétique : une jeune personne, Mlle de Monsigny, fille d'un des officiers de la Bastille, est conduite par les assiégeants jusqu'au bord du fossé et des signes indiquent aux défenseurs de la place qu'elle va être brûlée vive, si ceux-ci ne se rendent. Cet acte de férocité n'eut pas, d'ailleurs, à s'accomplir; un vaillant citoyen, Aubin Bonnemer, réussit à entraîner et à sauver Mlle de Monsigny. Une inscription commémorative de ce fait fut rédigée l'année suivante et se lit aujourd'hui au musée de Saumur (Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris, t. 1, p. 68).

L'attaque continuait toujours, cependant, sans qu'on eût remarqué d'en bas le signal blanc qui apparaissait au sommet des tours. De Launay fit alors passer par une fente du pont-levis un morceau de papier sur lequel se lisaient ces mots, si nous en croyons une relation officielle : 

« Nous avons vingt millions de poudre et nous ferons sauter la garnison et tout le quartier si vous n'acceptez pas la capitulation. »
Un inconnu cherche à atteindre ce papier en franchissant l'espace à l'aide d'une planche, il tombe et se tue; un autre se présente et parvient à saisir l'avis. Au même moment, le pont-levis s'abaisse et les chefs de l'attaque, Elie et Hullin, pénètrent courageusement dans la place, où ils sont suivis aussitôt par une foule immense. Le siège avait duré deux heures et demie à peine. Il n'est pas douteux que des scènes sanglantes marquèrent cette invasion; les défenseurs de la Bastille furent saisis et tout d'abord fort maltraités; deux même furent pendus sur-le-champ. Quant à de Launay, on s'empara de lui tandis qu'il voulait se donner la mort à l'aide d'une canne à épée. Nous ne saurions dire avec certitude ce qui se passa quand le peuple eut pénétré tout entier dans la forteresse; aux termes de certains récits, les prisonniers, alors au nombre de sept, avaient été délivrés par la garnison dès le commencement de l'action; d'autres prétendent qu'on ne leur rendit la liberté que lorsque la Bastille eut été prise; l'un de ces prisonniers, le comte de Lorges, y était captif depuis plus de quarante ans. Les bâtiments avaient tous été envahis : la salle du Conseil livra ses archives, qu'on mit au pillage, et bon nombre de pièces furent alors dérobées par des hommes avisés qui savaient quel parti on en pouvait tirer. Le hasard fit, dit-on, retrouver un billet de Latude à Mme de Pompadour; on y lisait cette phrase : 
« Le 25 de ce mois de septembre 1760, à quatre heures du soir, il y aura cent mille heures que je souffre. » 
Hullin et Elie voulurent sauver de Launay; il s'agissait de le conduire de la Bastille à l'Hôtel de Ville, et c'était, a dit Michelet, « plus que les douze travaux d'Hercule ». Hullin se conduisit en héros : il avait remarqué que le peuple en fureur s'attaquait à de Launay, le reconnaissant à ce qu'il avait la tête découverte. Alors, il couvrit le gouverneur de son propre chapeau, et marcha ainsi tête nue, exposant sa propre vie, pour sauver celle de son prisonnier. Ce fut en vain : sur la place de Grève, à deux pas de l'Hôtel de Ville, de Launay fut massacré, décapité, et sa tête aussitôt promenée triomphalement au haut d'une pique.

Dès le lendemain, la démolition de la forteresse fut officiellement ordonnée, et les travaux furent poursuivis sans interruption jusqu'au 15 mai 1791. Ils étaient dirigés par un personnage singulier, le « patriote » Palloy, qui ne songea pas à y faire fortune, mais y chercha la gloire sans la trouver. Il distribua très libéralement une foule innombrable d'objets consacrant le souvenir de la Bastille détruite pierres encadrées ou gravées, médailles, plans du château-fort, etc.; il s'engagea à confectionner pour les quatre-vingt-trois départements, une Bastille en miniature, taillée dans une pierre provenant de l'édifice (on sait qu'il n'en fut fait qu'une douzaine de ce genre et que toutes les autres ne sont que des moulages en plâtre); sa correspondance, que possède la Bibliothèque de la ville de Paris, est très curieuse à cet égard, car elle nous montre le même Palloy réduit plus tard à la misère et adressant à Napoléon, d'abord, puis, à Louis XVIII, les plus plates suppliques. Il ne put même obtenir la concession qui lui avait été votée d'un terrain sur l'emplacement de la forteresse qu'il avait achevé de jeter bas.

La Fontaine de l'Eléphant.
La Fontaine de l'Éléphant,
Projet de décoration de la place de la Bastille proposé par Napoléon.

La plupart des matériaux de la démolition furent employés à la construction du pont de la Concorde, entrepris dans les dernières années de l'Ancien régime

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Dictionnaire Villes et monuments
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