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Au début
du XIIIe siècle se fit la division
des seigneurs et des cités de l'Italie
en guelfes et gibelins. Dans la marche de Vérone ,
une lutte acharnée s'engageait entre les puissantes familles des
Ezzelino de Romano et des
Este. Ferrare y fut impliquée.
Un mariage avait été projeté entre le troisième
des Torelli et Maschesella, héritière des Adelardi, afin
de réconcilier les deux familles; le marquis Azzo V d'Este enleva
l'héritière et la fit épouser par Obizzo ; les biens
des Adelardi passèrent ainsi à la maison d'Este qui
prit pied dans le Ferrarais et la marche d'Ancône; Azzo d'Este fut,
à la fin du XIIe siècle,
le personnage dirigeant de Ferrare. La lutte continua après lui;
son fils, Azzo VI, fut trois fois chassé de Ferrare par Salinguerra
Torelli qu'appuyait Ezzelino; trois fois il y entra, mais il fut définitivement
vaincu à San Bonifacio et mourut peu après (novembre 1242).
Le marquis Aldobrandino qui lui succéda
conclut avec Salinguerra un pacte aux termes duquel les deux rivaux se
partageaient le gouvernement de la ville, désignant le podesta en
commun. Mais Aldobrandino, vaincu par Ezzelino, disparut dès 1215.
Son jeune frère Azzo VII (né vers 1205, mort le 17 février
1264) fut d'abord le plus faible. Salinguerra Torelli, marié à
une soeur d'Ezzelino le Jeune, domina Ferrare jusqu'en 1240. Les bourgeois
lui étaient très favorables. Son habile politique avait beaucoup
enrichi la ville par le développement de son commerce. Mais, à
partir de 1229, la guerre reprit acharnée entre les guelfes et les
gibelins, les Este et les Romano; le mariage de
Rinaldo, fils d'Azzo VII, avec Adélaïde, fille d'Alberic de
Romano, n'amena qu'une courte trêve. Appuyé par la ligue lombarde
et par les Vénitiens, Azzo d'Este fit subir de tels dommages aux
Ferrarais qu'ils finirent par passer au parti guelfe; Hugo Ramperti ouvrit
les portes de la ville; Salinguerra fut interné à Venise,
son palais démoli, ses partisans bannis (1240). Ferrare passa sous
la domination des Vénitiens, puis d'Azzo d'Este. Celui-ci transporta
au Sud du Pô le centre de la maison d'Est ; elle semblait très
compromise; au Nord, Ezzelino lui avait enlevé ses possessions;
Rinaldo, fils d'Azzo, avait péri; son petit-fils Obizzo survivait
seul.
Mais après la mort de Frédéric
II, la maison de Romano sombra; en 1259, Ezzelino périt. Ses implacables
adversaires, les Este, triomphaient. Le jeune Obizzo
II, petit-fils d'Azzo II (né vers 1240, mort le 13 février
1293), ajouta à la seigneurie de Ferrare celle de Modène
(1288) et de Reggio. Son fils, Azzo VIII (mort le 31 janvier 1308), hérita
de ces trois seigneuries ; mais ses frères Francesco et Aldobrandino
lui disputèrent Modène et Reggio (1294), d'où les
habitants le chassèrent en 1306; il ne se maintint qu'à Ferrare.
Il désigna pour successeur Folco III, fils de son fils bâtard,
Fresco. Mais les deux oncles, Francesco et Aldobrandino, s'adressèrent
au pape et lui demandèrent l'investiture; Ferrare redevenait effectivement
un fief du saint-siège. Fresco, ne pouvant résister, céda
Ferrare aux Vénitiens et se retira à Venise
avec son fils Folco. Un podesta vénitien gouverna la ville (1308).
Elle fut reprise bientôt par les troupes pontificales, mais Clément
V la donna à Robert de Naples .
Francesco et Aldobrandino Il le combattirent, mais sans succès;
ils étaient réduits au marquisat d'Este (avec les monts Euganéens
et Rovigo). Francesco fut tué en 1312; Aldobrandino II disparaît
à la même époque. Ses trois fils, Rinaldo (mort en
1335), Obizzo III (mort en 1352) et Niccolo Ier (mort en 1346), et ceux
de Francesco Azzo et Bertoldo rentrèrent à Ferrare en 1317;
la population, exaspérée par les soldats catalans de Robert
de Naples, s'était soulevée contre eux, aidée par
le marquis d'Este et les Bolonais; elle prit
le château Tebaldo où s'étaient
réfugiés les Catalans et les massacra; le 15 août,
les trois fils d'Aldobrandino II reprenaient la seigneurie de Ferrare.
Le pape Jean XXII les excommunia et lança l'interdit sur Ferrare.
Le résultat fut de jeter les Este dans le camp gibelin.
Les marquis tentèrent vainement
de reprendre Modène .
Aldobrandino III, né en 1335, mort en 1361, fut dévoué
aux gibelins. Il obtint, en 1354, de l'empereur Charles
IV le vicariat impérial. Charles IV confirma son frère
et successeur Niccolo Il (mort le 26 mars 1388) dans la possession de Rovigo,
Adria, Comacchio, etc. Il guerroya contre les Visconti
de Milan et les Gonzague. Son frère
Alberto (mort le 30 juillet 1393) fit tuer son neveu Obizzo, fils d'Aldobrandino
III et s'allia à Jean Galéas Visconti (Milan) et à
Francesco de Gonzague (Mantoue )
; puis, en 1390, s'unit contre eux à Bologne
et à Florence. Son fils, Niccolo
III, né en 1384, mort à Milan le 26 décembre 1441,
fut placé dans sa minorité sous la protection de Venise;
avec l'aide de cette république, de Bologne et de Florence, il conserva
Ferrare contre son parent Azzo (descendant de Francesco). Il guerroya contre
Jean Galéas Visconti (1403), puis d'accord avec lui contre Ottoboni,
usurpateur de Reggio, s'empara de cette ville et de Parme
(1409). Il fit périr en 1425 sa seconde femme Parisina Malatesta
et son bâtard Ugo, convaincus d'adultère. Après de
nouvelles guerres contre Jean Galéas, il signa la paix du 7 avril
1433, conclue entre l'empereur
Sigismond et
Milan d'une part, le pape Eugène IV, Venise et Florence de l'autre.
Il devint l'ami et allié de Jean Galéas, et s'établit
à Milan, où il espérait lui succéder quand
il fut empoisonné.
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Le concile
de Ferrare
Par
bulle du 18 septembre 1437, Eugène IV avait ordonné la translation
à Ferrare du concile réuni à Bâle .
Le 10 janvier 1438, une assemblée composée de ceux qui obéirent
à cette injonction tint sa première session à Ferrare,
sous la présidence du cardinal J. Cantarini. Dans la deuxième
session, qui fut présidée parle pape lui-même (15 février),
on excommunia ceux qui s'obstinaient à siéger à Bâle.
Quand les Grecs furent arrivés, on fit une nouvelle ouverture du
concile, qui fut solennellement déclaré, de la part du pape,
de l'empereur et des pères, concile général pour la
réunion de l'Eglise grecque et de l'Eglise latine. Seize sessions,
communes avec les Grecs, furent tenues du 8 octobre 1438 au 10 janvier
1439. Elles ne produisirent aucun résultat sérieux. La peste
s'étant déclarée à Ferrare, Eugène,
d'accord avec, les Grecs, transféra le concile à Florence.
(E.-H. V.). |
Avec Niccolo et ses fils commence la période
la plus brillante de l'histoire de Ferrare et de la maison
d'Este. Cette principauté au Sud du Pô était le
pays de la paix; la cour de Ferrare pouvait rivaliser d'éclat avec
celle de Milan. Les souverains favorisaient les lettres et les arts, créaient
ou enrichissaient les écoles, l'université ,
les bibliothèques, musées. Lionello, fils de Niccolo (1441-1450),
eut pour précepteur le fameux Guarino
de Vérone. Il fut médiateur de la paix signée à
Ferrare entre Alphonse, roi d'Aragon
et de Sicile, et les Vénitiens. Son frère Borso (1451-1471)
fut un des plus magnifiques princes de la Renaissance
italienne. La splendeur de son accueil lui fit donner par l'empereur Frédéric
III le titre de duc (1452) pour les fiefs impériaux de Modène
et Reggio. Il l'obtint également pour Ferrare, fief du Saint-Siège ,
du pape Pie II qu'il avait aussi bien fêté lors de son voyage
vers le concile de Mantoue. Borso introduisit à Ferrare l'imprimerie .
A sa mort, la prospérité fut un moment troublée par
la rivalité de son frère Ercole et de Niccolo, fils de Lionello.
Appuyé par les Vénitiens, le premier l'emporta sur son neveu.
Les scènes de cette guerre civile, contrastant avec la vie luxueuse
et dissolue de la cour, frappèrent vivement l'imagination de Savonarole,
natif de Ferrare et petit-fils du médecin de Niccolo III. A peine
maître du pouvoir, Ercole revint à la vie de fêtes.
En 1482, il fut près de la ruine.
Le pape Sixte IV et Venise la complotaient
pour se partager ses Etats. La République l'accusa de lever un péage
sur les transports par le Pô du sel des salines vénitiennes
auxquelles il faisait concurrence par ses salines de Comacchio. Une flotte
vénitienne remonta le fleuve, prit Rovigo; l'armée vénitienne
occupa la Polésine; l'allié d'Ercole, le duc de Calabre ,
fut battu par les pontificaux. Ercole d'Este sut
convaincre le pape qu'il était absurde d'agrandir les Vénitiens
et obtint la paix: il continua deux ans la guerre avec Venise; par la paix
de Bagnolo il dut lui céder la Polésine avec Rovigo, Lendenara,
Badia, renoncer à son péage du Pô sur les navires vénitiens
et à l'exploitation des salines de Comacchio. Après cette
guerre, Ercole vécut en paix avec ses voisins. Sa cour était
extrêmement brillante. A coté de Boiardo,
son ministre, et de Scandiano, l'Arioste s'y
essayait. Alphonse Ier,
inférieur peut-être à Ercole, dut aux littérateurs
une plus grande renommée. Rappelons qu'il entra dans la ligue
de Cambrai ,
réoccupa les villes perdues en 1484; son artillerie écrasa
la flotte vénitienne à Polisella, sur le Pô (22 décembre
1509). Quand le pape Jules II eut traité avec Venise, le duc continua
la guerre, d'accord avec le roi de France .
Son artillerie, qui était admirablement organisée, eut une
grande part à la victoire de Ravenne (avril 1512).
Néanmoins la mort de Gaston
de Foix et les échecs consécutifs des Français
décidèrent Alphonse à
se soumettre. Il courut à Rome se faire relever de l'excommunication;
Jules Il lui réclama une grande partie des fiefs pontificaux ;
il voulait annexer Modène ,
Parme et Reggio; Léon X continua ces projets. La bataille de Marignan
les mit à néant. Le duc de Ferrare recouvra Parme, Reggio
et Modène (novembre 1516). Il resta fidèle à l'alliance
française jusqu'à l'expulsion des Français du Milanais,
mais alors il signa la paix avec l'empereur en même temps que les
Vénitiens (1523). Il conserva Rovigo. Désormais la maison
d'Este sera généralement fidèle à l'Espagne .
Dans la campagne de 1527, c'est le duc de Ferrare qui ouvrit aux bandes
du connétable de Bourbon la route de Rome.
Il entra bien dans la ligue formée ensuite, mais en 1529 il fut
le premier à se soumettre à Charles-Quint.
Celui-ci trancha alors le différend qui divisait le duc et le pape,
et le premier sortit de cette longue crise avec ses Etats intacts. La maison
d'Este n'avait rien gagné à ces guerres d'un demi-siècle
engagées par la France ,
mais elle n'y avait rien perdu.
Ferrare fut un des principaux centres de
la Renaissance ;
elle dut une renommée particulière aux littérateurs
qui y vécurent à la cour des deux Hercules (Ercole) et des
deux Alphonses; les princesses, Lucrèce
Borgia, femme d'Alphonse Ier,
Renée de France, femme d'Ercole II, eurent une grande part à
ce mouvement. Alphonse Ier ayant bâti
à Ferrare le plus beau théâtre de l'Italie ,
la ville devint le centre de l'art scénique dans la péninsule.
Ercole II (né le 4 avril 1508, duc en 1535, mort le 3 octobre 1559)
fut le fidèle serviteur de Charles-Quint;
son frère, le cardinal Hippolyte le Jeune, embrassait le parti français,
de telle sorte que la dynastie eut un pied dans chaque camp; le duc maria
sa fille Anne au duc de Guise et entra en 1556 dans la ligue formée
par Paul IV et la France ;
mais, dès le 18 mars 1558, il traitait avec l'Espagne .
Sa femme Renée, gagnée aux idées de la Réforme,
avait ouvert à Ferrare un asile à Calvin
et à Clément Marot. Elle protégea
tous les novateurs religieux de l'Italie. Mais Renée fut très
maltraitée par son époux, et, quand elle rentra en France,
le protestantisme
disparut de Ferrare. Il y avait été un moment assez développé.
Alphonse
Il, fils et successeur d'Ercole (1559-1597) est surtout connu comme
persécuteur du Tasse. Son règne marque
encore un beau moment, le dernier, de la cour de Ferrare. Elle comprenait,
outre le duc et sa femme (Lucrèce de Médicis,
puis Barbara), ses soeurs, Léonore, l'amante du Tasse, et Lucrèce,
mariée au duc Francesco d'Urbin ,
qui vivaient à Ferrare. La vie s'écoulait en fêtes
somptueuses avec des représentations dramatiques et une mise en
scène magnifique qui préparait celle du futur opéra
italien; les tournois alternaient avec les allégories, les concours
poétiques, les discussions scientifiques.
Mais l'orgueil démesuré d'Alphonse
Il l'entraînait à des dépenses écrasantes.
Il envoyait à l'empereur un corps auxiliaire de 4000 hommes, briguait
la couronne de Pologne ,
Ferrare passait pour imprenable; 27000 hommes étaient inscrits dans
la milice; le duc accablait ses sujets d'impôts; alors qu'il laissait
tomber en ruine les digues et canaux qui faisaient la sécurité
et la richesse du pays, il imposait un droit d'un dixième sur tous
les contrats, sur les entrées de marchandises, se réservait
le monopole du sel, de la farine, du pain, presque celui de la chasse;
il faisait tuer à une audience le riche Ercole Contiano pour s'emparer
de ses biens. Cette tyrannie ne devait pas peser longtemps sur Ferrare.
Alphonse, malgré son troisième mariage avec Marguerite de
Mantoue, n'avait pas de fils légitime. Il voulait transmettre sa
succession à son cousin Cesare, fils d'un bâtard d'Alphonse
Ier; l'empereur
Rodolphe accorda son consentement; mais le pape refusa. A la mort d'Alphonse
Il (27 octobre 1597), Clément VIII
déclara que tous les fiefs pontificaux de la maison
d'Este faisaient retour au Saint-siège ;
il excommunia Cesare (né en octobre 1467, mort le 14 décembre
1628), et le faible prince n'osa ou ne put résister; ses sujets,
dont la tyrannie d'Alphonse II avait lassé l'affection, ne le soutinrent
pas; sa cousine Lucrèce lui était hostile. Elle négocia
un traité par lequel Cesare renonça à Ferrare, Comacchio
et ses fiefs de Romagne (12 janvier 1598). Il se retira dans son duché
de Modène
et Reggio. A Ferrare fut installée la domination pontificale. Un
mois plus tard, Lucrèce mourut, léguant tous ses biens au
cardinal Aldobrandini; même les propriétés privées
des Este dans le Ferrarais leur échappèrent ainsi.
La prospérité de Ferrare
était finie; la tyrannie ecclésiastique fut pire que celle
d'Alphonse II; rapidement elle appauvrit
la ville et le pays. Un quartier entier, le plus riche, fut démoli
pour édifier à la place une citadelle;
une grande partie de la population émigra vers le duché de
Modène. On trouvera ailleurs ( Este
et Modène) le récit des destinées
ultérieures de la dynastie dont le nom est inséparable de
celui de Ferrare. Quant à la malheureuse cité, il y a peu
de chose à en dire. En 1735, Clément XII érigea son
évêché en archevêché. En 1796, la ville
fut prise par les Français et annexée à la République
cisalpine ,
puis au royaume d'Italie .
Au congrès de Vienne, les territoires
au Nord du Pô furent réunis au royaume lombard-vénitien,
le reste avec Ferrare restitué au pape, mais les Autrichiens
eurent le droit de garnison dans la place et l'occupèrent effectivement
jusqu'en 1859. A ce moment, lorsqu'ils furent partis, le peuple se souleva
et avec le reste de la Romagne il se réunit au royaume d'Italie.
(A.-M. B.). |
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