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L'Escurial

L'Escurial, ou El Escorial ou plus exactement San Lorenzo, en Espagne. - Le 10 août 1557, pendant que les armées espagnole et française livraient la bataille sanglante de Saint-Quentin, à une dizaine de lieues de là, à Cambrai, Philippe II, entouré de ses moines, implorait le ciel et faisait voeu, en cas de victoire, d'élever à saint Laurent, le saint du jour, un couvent comme il n'y en avait pas au monde. C'est en exécution de ce voeu que, quelques années après, il faisait construire l'Escurial, au milieu d'un paysage sombre et morne, à une quarantaine de kilomètres à l'Ouest de Madrid, au pied des monts de la sierra de Guadarrama. Les travaux furent commencés le 23 avril 1563, sous la direction de l'architecte Juan de Toledo et de son adjoint, le célèbre Juan de Herrera; le premier mourut bien avant la fin de l'oeuvre et ce fut le second qui y mit la dernière main en 1584. Les plus grands artistes de l'Espagne et de l'Italie concoururent à la décoration de l'immense édifice, pour lequel on dépensa des sommes considérables. C'est assurément, après les pyramides, dit Théophile Gautier, le plus grand tas de granit qui existe sur la Terre, et les Espagnols l'ont nommé la huitième merveille du monde. Les guides énumèrent avec complaisance ses 22 cours, ses 17 cloîtres, ses 1110 fenêtres (d'autres disent 4000).
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Espagne : plais de l'Escurial
Le palais de l'Escurial (San Lorenzo).

L'édifice se dresse au milieu d'une plaine rocheuse et dénudée, tourmentée par les vents, et est, par son aspect général, en harmonie avec ce site sauvage. Sa masse énorme, aux lignes droites, en granit jaunâtre et blafard, laisse une impression de torture et d'écrasement; on voit que l'on a devant soi non un palais ou une église, mais un couvent maussade et froid. 

« La ligne est perpendiculaire, disait Achard, l'angle droit, l'architecture aride et nue, l'ornementation proscrite; de grands murs, percés d'innombrables fenêtres, ferment les cours; les arêtes plates des toits se profilent sur le ciel. Aucune fantaisie, aucun fleuron, aucune sculpture ne rompt la monotonie des ligues. On sent partout l'oeuvre d'un esprit taciturne qui avait haussé la règle au rang du devoir. »
Th. Gautier dit à peu près de même : 
« Rien n'est plus monotone à voir que ces corps de logis à six ou sept étages, sans moulures, sans pilastres, sans colonnes, avec leurs petites fenêtres écrasées qui ont l'air de trous de ruches. C'est l'idéal de la caserne et de l'hôpital; le seul mérite de tout cela est d'être en granit.»
Par un caprice, bien caractéristique de son imagination sombre et bizarre, Philippe II voulut que le monument élevé à saint Laurent rappelât par sa forme le gril sur lequel le saint avait souffert le martyre. Cette exigence, qui dut gêner plus d'une fois les conceptions de l'architecte, a été observée, mais le résultat n'en est pas sensible à l'oeil; ce n'est que sur un plan ou encore placé sur le dôme de l'église qu'on peut distinguer les lignes générales et reconnaître la figure de l'instrument du supplice. Le manche du gril est figuré par le palais et l'église qui se détachent à angle droit de l'un des côtés; les quatre pieds sont représentés par quatre tours ou pavillons séparés, de 55 mètres de hauteur, qui dominent les quatre angles; des corps de logis reliant entre eux ces pavillons forment l'encadrement et d'autres bâtiments transversaux simulent les barres du gril. C'est par suite un parallélogramme régulier de 200 mètres dans un sens sur 156 mètres dans l'autre, avec un appendice, orienté vers l'Est, qui forme le manche. L'ensemble présente un développement de 811 mètres.
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Escurial
Le palais de l'Escurial.

La façade principale de l'édifice occupe le côté qui regarde vers l'Ouest; elle est décorée de trois portails, construits avec des blocs d'une grosseur extraordinaire et dont celui du milieu est surmonté d'une grande statue en pierre de saint Laurent; de là, un vaste vestibule voûté conduit dans le Patio de los Reyes, place quadrangulaire de 62 mètres sur 36, bordée de hautes constructions à cinq étages; cette entrée ne s'ouvrait pour les rois d'Espagne et les princes de leur maison que dans deux occasions solennelles, la première fois, après leur naissance, lorsqu'on les portait à l'Escurial, la seconde lorsqu'on allait déposer leur dépouille mortelle dans le caveau funéraire.

Au fond de la cour s'élève la façade de l'église avec un beau péristyle, surmonté de six statues colossales en granit représentant six rois de Juda : à David et à Salomon le sculpteur s'est efforcé de donner la ressemblance de Charles-Quint et de Philippe II. L'église même, où l'on pénètre ensuite, est un vaste édifice, construit en granit et orné fort sobrement, avec des piliers énormes où sont taillés des escaliers tournants et qui supportent une vaste coupole terminée par une lanterne; une boule creuse en bronze de 2 mètres de diamètre, terminée par une croix, s'élève à 95 mètres du sol et domine tout cet ensemble.

L'église a 48 chapelles, avec de beaux tableaux des maîtres espagnols pour retables; la capilla mayor, décorée avec une richesse extraordinaire de marbres précieux, de statues de bronze doré, de peintures et de fresques, est une des plus belles parties de L'Escurial : la sacristie, avec des tableaux de grands maîtres et une grande toile de Claudio Coello figurant la perspective de l'église elle-même, avec de riches reliquaires, est magnifiquement décorée; il en est de même du choeur dont on admire les deux grandes orgues, les meilleures de l'Espagne, l'immense lutrin tournant sur un pivot, les précieux et énormes manuscrits de livres de chant et surtout le merveilleux Christ en marbre blanc de Benvenuto Cellini

Les nefs voûtées sont décorées aussi de belles fresques de Lucas Giordano et datant seulement du règne de Charles II. Ce qui, aux yeux des Espagnols pieux, forme la principale richesse de cette église de l'Escurial, c'est la grande quantité de reliques de saints qu'elle renferme. Une inscription placée dans le choeur en 1754 constate que ces reliques, classées en insignes, presque insignes, moindres, petites, corps entiers, têtes entières, ossements grands et petits, forment un total de 7422. 
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Escorial : la cour.
Escorial : la bibliothèque
L'Escurial, depuis la cour intérieure.
La bibliothèque de l'Escurial.
Photos : The World Factbook.

Sous l'église se trouvent les caveaux qui servent à la famille royale d'Espagne. Un large escalier, aux marches de granit, et plus bas, de marbre précieux, mène d'abord à un caveau, comme l'antichambre des morts, qu'on appelle le Pudridero; c'est là qu'on laisse les morts achever leur décomposition, avant de les descendre plus bas, soit dans la Panthéon, soit dans le caveau des infants et des reines. Le premier de ces caveaux, qui sont à droite et à gauche de l'escalier, est une pièce octogone, haute et grande, revêtue de marbres précieux et d'ornements de bronze doré, avec des niches sur les côtés, renfermant des cippes de marbre noir pour recevoir la dépouille des rois et des reines qui ont laissé succession. Vingt-six tombes sont occupées; la plus ancienne est celle de Charles-Quint. Le caveau des infants et des reines sans succession est plus simple et on compte cinquante et une niches occupées.
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Plan de I'Escurial

Plan de l'Escurial

Église : 1, Grand perron extérieur; 2, Vestibule; 3, Tour des orgues et des cloches; 4, Petites cours; 5 et 6, Nefs et bas côtés; 7, Grand dôme; 8, Reliquaires ; 9, Maître-autel; 10, Chapelles du roi et de sa cour; 11, Chapelles; 12, Panthéon des sépultures royales. 

Palais du roi : 13, Corps de garde; 14, Grande cour; 15, Cuisine du roi; 16, Offices; 17, Antichambre de la reine; 18, Antichambre du roi; 19, Cour d'honneur dite des Mascarons.

Collège : 20, Cours avec portiques; 21, Salle de récréation; 22, Réfectoire; 23, Cuisines. 

Séminaire : 24, Classe de théologie; 25, Classe de philosophie; 26, Petites classes; 27, Dortoir des enfants. 

Couvent : 28, Vestibule et Parloir; 29, Premier cloître; 30, Vestiaire; 31, cloître de l'administration; 32, cloître du cimetière; 38; Grand cloître; 31, Bosquets avec fontaine; 35, Ancienne église.

Infirmerie : 36, cloître avec fontaine; 37, Chambre des malades; 38, Cuisines; 39, Réfectoire; 40, Cour abbatiale.

Derrière l'église, l'Escurial présente une cour et au delà un autre corps important de bâtiments qui constituent le cloître inférieur et le cloître supérieur et la bibliothèque. Une cour carrée, entourée de galeries d'un joli style et avec des pavés précieux, est à remarquer dans le cloître inférieur; un grand escalier, chef-d'oeuvre de Jean-Baptiste Castello, avec de belles fresques de Giordano représentant la bataille de Saint Quentin, est peut-être ce qu'il y a de mieux au point de vue de l'art dans tout le monument. La bibliothèque des imprimés est dans une vaste salle de 52 mètres de long, décorée de belles fresques de Carducci et de Pellegrini, meublée de tables de marbre et de porphyre les volumes, au nombre de 130 000, sont généralement reliés avec luxe, et quelques-uns sont remarquables par leur rareté ou parce qu'ils ont appartenu à de grands personnages. La bibliothèque des manuscrits, qui se trouve dans une salle au-dessus, est une des plus précieuses collections de ce genre; elle renferme 4300 manuscrits arabes, persans, grecs, où Casiri, Dozy, Hartwig Derenbourg, Codera comme orientalistes, Miller et Graux comme hellénistes, ont fait d'intéressantes découvertes; on cite parmi les manuscrits curieux une bible grecque qui a appartenu à l'empereur Cantacuzène, des codes espagnols, un code arabe de 1049, un magnifique Ptolémée, un Coran précieux, rapporté dans le butin de la bataille de Lépante (Le siècle de Soliman); de riches collections de dessins, etc.

Il faut encore mentionner, parmi les corps de bâtiments de l'Escurial, le collège, un couvent de hiéronymites, le palais. Cette dernière partie de l'édifice est une suite d'appartements meublés dans le style des diverses époques, suivant le goût des divers monarques qui y ont séjourné. Des meubles précieux, de vieilles tapisseries espagnoles ou flamandes, des tableaux de toutes les époques, même des Teniers, les décorent, mais les meilleures toiles, qui autrefois en formaient un musée des plus riches, ont été heureusement réunies à celles du musée de Madrid (Prado). 

Au-dessous se trouve une chambre voûtée, aux murs épais, blanchis à la chaux, sans ornement, avec une étroite fenêtre sur les jardins, par où ne pénètre qu'un jour mesquin et triste; c'est là que vécut, dans ses dernières années, Philippe II. De ce coin sépulcral, quand la goutte l'empêchait d'aller prendre sa place accoutumée dans la stalle de l'église, il ouvrait au fond de son alcôve un volet de bois, et par une baie pratiquée dans l'épaisseur des murs il entendait le chant des moines et pouvait voir le prêtre officiant. Quant aux jardins qui s'étendent à l'Est et au Sud de l'Escurial, ils sont construits sur un terrain déclive et soutenus par des murs. 

« On y rencontre, dit encore Th. Gautier, plus d'architecture que de végétation; ce sont de grandes terrasses et des parterres de buis taillé qui représentent des dessins pareils à des ramages de vieux damas, avec quelques fontaines et des pièces d'eau verdâtre. »
L'Escurial, après Philippe II, demeura surtout un couvent, occupé par 200 hiéronymites; l'été seulement, la cour y venait passer quelques semaines et amenait un peu de vie. Elle préfèrera ensuite à ce morne séjour les frais ombrages de La Granja, de San Ildefonso ou les plages de l'Océan, et le monument n'est plus occupé que par les moines. Il attire toutefois encore le visiteur par sa vieille réputation, par son site et son architecture extraordinaires, par ce qui lui reste de richesses artistiques et littéraires. (E. Cat.).
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Dictionnaire Villes et monuments
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