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Avant la découverte
des métaux, il était fait usage de pierres siliceuses, tranchantes
ou pointues, soit à la chasse, soit à la guerre, comme armes
d'attaque ou de défense. On y substitua plus tard le bronze et le
fer. Mais, malgré ces perfectionnements apportés à
la fabrication d'instruments indispensables, on continua pendant longtemps
encore à se servir des silex. C'est pourquoi l'ancienne division
historique de l'humanité, en âge de pierre, âge de bronze
et âge de fer, quelque séduisante qu'elle soit en théorie,
présente des difficultés insurmontables dans son application.
L'or
et l'argent.
Quels sont les métaux qui furent
les premiers connus? Évidemment ceux qui se rencontrent dans la
nature avec leurs propriétés physiques les plus saillantes.
L'or natif attire, par sa couleur et son éclat, non seulement l'attention
des humains, mais encore le regard de certains animaux, tels que les pies ,
les corbeaux .
Dans les langues anciennes, en hébreu,
en phénicien, le mot zahab,
or, a pour racine le verbe tzanab, briller (Exode ,
XXV). Du temps de la rédaction de la Genèse ,
et sans doute bien antérieurement à cette époque,
on faisait des coupes, des encensoirs , des candélabres , avec de
l'or pur. On sait combien l'or, non durci par un
alliage, est facile à travailler au marteau.
L'argent devait être également
connu de bonne heure; car on le trouve aussi à l'état natif,
moins souvent cependant que l'or. Son nom primitif est emprunté
à la couleur du métal : khesef, qui signifie argent
dans les langues sémitiques,
dérive du verbe khasaf, être pâle, de même
que le grec argyros vient d'argos,
blanc, d'où le mot argentum, etc.
Les plus anciennes monnaies d'or et d'argent
d'Athènes et de Rome
sont en or et en argent, presque chimiquement purs. Après rétablissement
de l'empire romain, le titre des monnaies, c'est-àdire la proportion
de leur alliage, était déterminé par des lois spéciales.
Mais bientôt ces lois firent place à la volonté des
empereurs
qui, dans un intérêt personnel, se faisaient faux monnayeurs.
Ils se flattaient de l'espoir de calmer par des largesses, l'indiscipline
de la milice prétorienne qui disposait, en souveraine, du sceptre
de l'empire. C'est ainsi qu'au Moyen âge
les rois recourront encore à l'altération des monnaies pour
se procurer les trésors nécessaires aux guerres, longues
et sanglantes, qu'ils avaient à soutenir contre leurs puissants
vassaux.
Après l'or et l'argent viennent,
dans l'ordre d'ancienneté, le plomb, l'étain, le cuivre,
le mercure, et le fer. Ces métaux existent dans la nature le plus
ordinairement à l'état de minerais. C'est-à-dire combinés
avec le soufre, l'oxygène, le phosphore et d'autres éléments
minéralisateurs, qui en altèrent complètement l'aspect.
Le
plomb et l'étain.
Le plomb et l'étain formaient une
branche importante du commerce des Phéniciens et des Carthaginois
avec l'Espagne
et les îles Britanniques qui reçurent
de la richesse de leurs mines d'étain le nom d'îles Cassitérides .
Ces deux métaux étaient employés dans l'affinage de
l'or et de l'argent. La litharge (oxyde de plomb), résultat de cet
affinage (sorte de coupellation), se nommait chrysitis lorsqu'elle
provenait de l'affinage de l'or, et argyritis quand elle provenait
de celui de l'argent (Pline, Dioscoride).
Le minium s'obtenait pendant la calcination de la galène,
nommée
molybdaena, principal minerai de plomb. Le plus beau
provenait du grillage de la céruse. Il servait, en peinture ,
comme la litharge, pour la préparation de la couleur
rouge; en médecine ,
pour la préparation des emplâtres.
Le blanc de plomb (cerusa des Romains,
psimnmythion
des Grecs) se fabriquait en grand
à Rhodes ,
à Corinthe et à Sparte.
Voici le procédé des Rhodiens : ils mettaient des sarments
dans des tonneaux de vinaigre, étendaient sur ces sarments des lames
de plomb et fermaient les tonneaux avec des couvercles. En les ouvrant
après un certain laps de temps, ils trouvaient le plomb changé
en céruse (Vitruve, VII, 12). Le produit,
ainsi obtenu, servait de fard aux dames romaines.
Dioscoride,
Pline
et Galien connaissaient les propriétés
toxiques des préparations de plomb.
L'étain, auquel Homère
donne l'épithète de brillant (Kassiterosfaeinos)
servait déjà, du temps de ce poète, à la fabrication
des boucliers et d'autres ustensiles. C'est aux Gaulois
que revient l'honneur de l'utile invention de l'étamage.
«
Les Gaulois se servaient, dit Pline, de l'étain pour recouvrir les
vases de cuivre, qui acquièrent ainsi le double avantage d'être
exempts d'une saveur désagréable et d'être préservés
d'une rouille nuisible. »
Les vases étamés des Gaulois,
vasa
incoctilia, étaient fort estimés des Romains.
Les habitants d'Alise
substituaient, dans l'étamage, l'argent à l'étain;
et les Bituriges argentaient jusqu'à leurs litières et leurs
chariots.
En faisant fondre les minerais de cuivre
avec l'étain on obtenait directement l'airain. Ce n'est que sous
la forme de cet alliage que le cuivre fut d'abord connu.
Le
bronze.
L'airain ou bronze remplaçait primitivement
le fer dans la fabrication des armes, des instruments aratoires, des outils
employés dans les arts, etc. Mais si ce fait est facile à
démontrer par l'analyse, il est extrêmement malaisé
de déterminer exactement l'époque à laquelle appartenaient
ces instruments. En traitant la limaille de cet alliage de cuivre par du
vinaigre, on obtenait l'oerugo des Romains
ou l'ios
des Grecs. Ce même nom se donnait
aussi à la matière qu'on obtenait en chauffant des clous
de bronze ou de cuivre saupoudrés de soufre dans un vase de terre,
et exposant le produit de la calcination à l'humidité. Enfin,
les Anciens appelaient tantôt oerugo, ios,
tantôt chalcanthos, chalcitis, scolecia, misy,
siry,
la matière purvérulente qui s'engendre, sous forme de taches
vertes, à la surface du cuivre ou des alliages de cuivre, exposés
à l'influence d'un air humide.
Mais si le nom était le même,
la substance à laquelle il s'appliquait était loin d'avoir
toujours la même composition : l'oerugo, préparé à
l'aide du soufre, était le sulfate
de cuivre (couperose bleue); l'oerugo obtenu au
moyen du vinaigre était l'acétate
de cuivre, et celui qui se produit naturellement était le carbonate
de cuivre (vert-de-gris). Cette distinction est importante pour l'interprétation
exacte du texte des anciens, d'autant plus que l'oerugo a longtemps été
traduit par verdet ou vert-de-gris.
Sans doute les Grecs et les Romains n'avaient
aucun moyen pour distinguer ces différentes substances entre elles.
Mais si l'analyse chimique n'était pas encore née, il n'en
était pas de même de la falsification qui, comme le mensonge,
semble dater de l'origine de l'espèce humaine.
«
On falsifie, dit Pline, l'oerugo de Rhodes avec
du marbre pilé. D'autres le sophistiquent avec de la pierre-ponce
ou de la gomme pulvérisée. Mais la fraude qui trompe le plus,
c'est celle qui se fait avec l'atramentum sutorium. »
Ainsi, il y a deux mille ans, on était
aussi habile à frauder qu'aujourd hui. Mais, si le mal est prompt
à l'attaque, on songe aussi promptement à se défendre.
Après avoir signalé la fraude, Pline indique immédiatement
le moyen de la reconnaître. Pour s'assurer si la couperose bleue
(oerugo) est mêlée avec de la couperose verte (atramentum
sutorium), il recommande d'appliquer l'oerugo sur une feuille de papyrus,
préalablement trempé dans du suc de noix de galle.
«
Sil y a, ajoute-t-il, fraude, le papier noircit aussitôt. »
Tel est le premier papier réactif dont
il soit fait mention dans l'histoire. Ce même réactif n'a
jamais cessé depuis lors de servir à déceler la présence
d'un sel de fer dans un mélange quelconque; nouvelle preuve que
le vrai levier du progrès est bien moins l'amour du bien que le
génie du mal, contre lequel on cherche à se défendre.
Le
fer.
Le fer brut, en masses non travaillées,
était probablement connu depuis la plus haute Antiquité .
L'arme de fer, dont il est parlé dans le Pentateuque
et dans le Livre de Job
(XX, 24), pouvait n'être qu'une simple massue. Quant au passage du
Lévitique
(I, 7) où il est question du partage de la victime offerte à
la Divinité, les prêtres avaient la coutume d'employer, à
cet effet, des couteaux en silex, kheref tsourinn. Enfin l'épithète
wnaiq,
qui accompagne, dans Homère (Odyssée ,
I, 18), le mot stohros,
fer, signifie à la fois noir et brillant, ce qui semble indiquer
que le fer, mentionné par le poète, était du fer météorique
ou de la sidérite.
Un fait certain, c'est que du temps d'Homère,
environ huit cent ans avant notre ère, les outils du forgeron, l'enclume,
le marteau et les tenailles, étaient en airain (Odyssée,
III, 432-434). Avec un pareil outillage il aurait été impossible
de travailler le fer. Cependant le même poète paraît
avoir connu la trempe du fer; car, à propos du cyclope
PoIyphème ,
auquel Ulysse
creva l'oeil avec un pieux pointu, il dit :
«
Et il se fit entendre un sifflement pareil à celui que produit une
hache rougie au feu et trempée dans l'eau froide; car c est-là
ce qui donne au fer la force et la dureté. »
On sait que les Grecs
attribuaient aux Cyclopes, aide-forgerons de Héphaïstos ,
la découverte du fer, et que les Chalybes - d'où vient sans
doute le nom latin de chalybs, acier - passaient pour très
habiles à travailler le fer. Sophocle
(mort en 405 avant J.-C.) comparait
dans son Ajax (v. 720) un homme dur et entêté à
du fer trempé.
Dans la Bible
il est souvent parlé aussi, au figuré, de la dureté
du fer; l'auteur des Psaumes
avait comparé un coeur insensible à une chaîne de fer;
et le prophète Isaïe désignait par domination de fer
une domination dure, tyrannique.
Que conclure de là? C'est que plus
de mille ans avant l'ère chrétienne, on employait le fer,
concurremment avec le bronze ou l'airain; le premier était sans
doute encore rare, tandis que le second était fort commun. Quoi
qu'il en soit, au commencement de l'empire romain, l'usage du fer était
déjà très répandu. On savait que les aciers
ne sont pas tous de même qualité, et qu'ils diffèrent
entre eux suivant la trempe et le minerai d'où ils proviennent.
Les espèces les plus recherchées s'appelaient stricturae,
de stringere aciem, tirer l'épée; elles provenaient
principalement des mines de fer de l'île d'Elbe. Côme ,
dans l'Italie supérieure, ainsi que les villes Bilbilis
et Turiasso en Espagne
étaient très renommées pour la trempe de leur fer.
Le fer a le défaut de se rouiller,
de s'oxyder, très promptement au contact de l'air et de l'eau. Les
anciens ne l'ignoraient pas, et ils cherchaient comme nous, à y
remédier. Le moyen dont ils se servaient le plus souvent était
une sorte de vernis, nommé antipathie; c'était un
mélange de poix liquide, de plâtre et de céruse (Pline).
La rouille et l'eau ferrée (qu'on préparait en éteignant
dans l'eau des clous rougis au feu) étaient employées, bien
avant Galien, dans le traitement des pâles
couleurs, de l'anémie et de la dysenterie.
Les
autres métaux.
Le zinc n'était pendant longtemps
connu, sous le nom de chrysocal ou d'aurikhhalque, qu'allié
avec le cuivre, et qu'à l'état d'oxyde, nommé pompholix.
L'alliage s'obtenait en chauffant la cadmie ou calamine (minerai de zinc)
avec un minerai de cuivre. Le produit blanc qui s'attachait à la
voûte des fourneaux, et qui, à cause de sa légèreté,
recevra plus tard des alchimistes le nom de
laine des philosophes, lana philosophica, était l'oxyde
de zinc (pompholix).
Les Anciens ne connaissaient l'antimoine
et l'arsenic qu'à l'état de sulfures naturels. Le stimmi
ou sulfure d'antimoine, qui s'appelait aussi stibi, stibium,
barbason,
platyophthalmon
(oeil large), albastrurn (contraction d'album astrum), était
employé dans le traitement des plaies récentes et pour noircir
les cils.
La sandaraque de Vitruve,
de Pline, de Dioscoride,
etc., était un sulfure arsenical, qui portait aussi les noms d'orpiment
(auripigmentum) et d'arsenic. On l'employait
dans la pommade épilatoire. Les Mysiens
et les Cappadociens en faisaient un commerce
spécial.
Les
«
métaux
» des Égyptiens dans la perspective alchimique
Venons-en maintenant avec plus de détails
aux connaissances qu'avaient les anciens
Egyptiens. Non pas que ceux-ci aient eu des connaissances spéciales,
ou du moins supérieures à celles de leurs voisins, mais parce
que le savoir-faire métallurgique qui s'est développé
dans la Vallée du Nil pendant plusieurs millénaires, a joué
à partir du IIIe
siècle de notre ère,
en association avec les conceptions astrologiqueset
néo-platoniciennes,
un rôle particulier dans l'élaboration de la philosophie
hermétique, elle-même socle théorique de l'art
sacré et, partant, de l'alchimie.
Sur les monuments de l'ancienne Egypte
on voit figurer les métaux, soit comme butin de guerre, soit comme
tribut des peuples vaincus; on en reconnaît l'image dans les tombeaux,
dans les chambres du trésor des temples, dans les offrandes faites
aux dieux. D'après Lepsius, les Egyptiens
distinguent dans leurs inscriptions huit produits minéraux particulièrement
précieux, qu'ils rangent dans l'ordre suivant : l'or, ou nub;
l'argent, ou hat; l'asem, ou electrum, alliage d'or
et d'argent; le chesteb, ou minéral bleu, tel que le lapis-lazuli;
le mafek, ou minéral vert, tel que l'émeraude; le
chomt,
airain, bronze, ou cuivre; le men, ou fer (d'après Lepsius);
enfin le taht, autrement dit plomb.
Les diverses matières que l'on vient
d'énumérer comprennent à la fois des métaux
véritables et des pierres précieuses, naturelles ou artificielles.
Entrons dans quelques détails : les Egyptiens
distinguent d'abord le bon or, puis l'or de roche, c.-à-d. brut,
non affiné, enfin certains alliages. L'argent se préparait
avec des degrés de pureté très inégaux. Il
était allié non seulement à l'or, dans l'électrum,
mais au plomb, dans le produit du traitement de certains minerais argentifères.
Ces degrés inégaux de pureté avaient été
remarqués de bonne heure et ils avaient donné lieu chez les
Anciens à la distinction entre l'argent sans marque, sans titre,
asemon, et l'argent pur, monétaire, dont le titre était garanti
par la marque ou effigie imprimée à sa surface. Le mot grec
asemon s'est confondu d'ailleurs avec l'asem, nom égyptien de l'électrum,
l'asem étant aussi une variété d'argent impur. Dans
l'extraction de l'argent de ses minerais, c'était d'abord l'argent
sans titre que l'on obtenait. Son impureté favorisait l'opinion
que l'on pouvait réussir à doubler le poids de l'argent par
des mélanges et des tours de main convenables. C'était en
effet l'argent sans titre que les alchimistes prétendaient fabriquer
par leurs procédés, sauf à le purifier ensuite. Dans
les Papyrus de Leyde ,
et dans les manuscrits grecs conservés à la Bibliothèque
nationale (Paris), les mots : « fabrication de l'asem », sont
synonymes de transmutation ; celle-ci était opérée
à partir du plomb, du cuivre et surtout de l'étain. C'était
aussi en colorant l'asem que l'on pensait obtenir l'or: ce qui nous ramène
à la variété d'argent brut qui contenait de l'or,
c.-a-d. à l'électrum.
L'électros, ou electrum, en égyptien
asem, alliage d'or et d'argent, se voit à côté de l'or
sur les monuments; il a été confondu à tort par quelques-uns
avec ce que nous appelons le vermeil, aujourd'hui argent doré, lequel
est seulement teint à la surface. Plus dur et plus léger
que l'or pur, cet alliage se prêtait mieux à la fabrication
des objets travaillés. Il était regardé autrefois
comme un métal du même ordre que l'or et l'argent : La planète
Jupiter
lui était consacrée à l'origine, attribution qui est
encore attestée par les auteurs du Ve
siècle de notre ère. Plus tard, l'électrum
ayant disparu de la liste des métaux, cette planète fut assignée
à l'étain. L'alliage d'or et d'argent se produit aisément
dans le traitement des minerais qui renferment les deux métaux simples.
C'était donc la substance originelle, celle dont on tirait les deux
autres par des opérations convenables, et il n'est pas surprenant
que les Anciens en aient fait un métal particulier; surtout aux
époques les plus reculées, où les procédés
de séparation étaient à peine ébauchés.
Néron
semble le premier souverain qui ait exigé de l'or fin. On conçoit
dès lors que l'électrum ait eu une composition moins bien
définie que les métaux purs et qu'il ait paru former le passage
entre les deux. Le mot d'électrum avait d'ailleurs chez les Grecs
et les Romains un double sens : celui de métal
et celui d'ambre jaune. Plus tard, le sens du mot changea et fut appliqué
au Moyen âge ,
peut-être à cause de l'analogie de la couleur, à divers
alliages jaunes et brillants, tels que certains bronzes (similor)
et le laiton lui-même
Les trois métaux précédents
présentent le fait caractéristique d'un alliage compris par
les Egyptiens dans la liste des métaux purs; association que l'airain
et le laiton ont reproduite également chez les Anciens. En outre,
cet alliage peut être obtenu du premier jet, au moyen des minerais
naturels; et il peut être reproduit par la fusion des deux métaux
composants, pris en proportion convenable. C'est donc à la fois
un métal naturel et un métal factice : ce rapprochement met
sur la trace des idées qui ont conduit les alchimistes
à tâcher de fabriquer artificiellement l'or et l'argent. En
effet, l'assimilation de l'électrum à l'or et à l'argent
explique comment ces derniers corps ont pu être envisagés
comme des alliages, susceptibles d'être reproduits par des associations
de matières et par des tours de main; comment surtout, en partant
de l'or véritable, on pouvait espérer en augmenter le poids
(diplosis) par certains mélanges, et par certaines additions
d'ingrédients, qui en laissaient subsister la nature fondamentale.
Le chesteb et le mafek vont
nous révéler des assimilations plus étendues. Ce sont
deux substances précieuses, qui accompagnent l'or et l'argent dans
les inscriptions et qui sont étroitement liées entre elles.
Ainsi, les quatre prophètes à Denderah
portent chacun un encensoir : la premier en or et en argent, le second
en chesbet (bleu), le troisième en mafek (vert), le
quatrième en tehen (jaune). Or, le chesteb et le mafek ne
désignent pas des métaux au sens moderne, mais des minéraux
colorés, dont le nom a été souvent traduit par les
mots de saphir et d'émeraude. En réalité, le nom de
chesteb ou chesbet s'applique à tout minéral bleu, naturel
ou artificiel, tel que le lapis-lazuli, les émaux bleus et leur
poudre, à base de cobalt ou de cuivre, les cendres bleues, le sulfate
de cuivre, etc. Il a servi à fabriquer des parures, des colliers;
des amulettes, des incrustations, qui existent dans nos musées.
Il personnifie la déesse multicolore, représentée
tantôt en bleu, tantôt en vert, parfois en jaune, c.-à-d.
la déesse Hathor ,
et plus tard, par assimilation, Aphrodite ,
la déesse grecque ,
et aussi Cypris, la divinité phénicienne
de Chypre ,
a donné son nom au cuivre. Les Annales
de Thoutmosis III distinguent le vrai chesbet (naturel) et le chesbet artificiel.
L'analyse des verres bleus qui constituent ce dernier, aussi bien que celle
des peintures enlevées aux monuments, ont établi que la plupart
étaient colorés par un sel de cuivre. Quelques-uns le sont
par du cobalt. Théophraste semble
même parler explicitement du bleu de cobalt, sous le nom de bleu
mâle, opposé au bleu femelle. Théophraste distingue
également le cyanos autophyès, ou bleu naturel, venu
de Scythie (lapis-lazuli) et le cyanos sceuastos, ou imitation,
fabriquée depuis l'époque d'un ancien roi d'Egypte ,
et obtenue en colorant une masse de verre avec un minerai de cuivre pris
en petite quantité. Le bleu imité devait pouvoir résister
au feu; tandis que le bleu non chauffé (apyros), c.-à-d.
le sulfate de cuivre naturel, ou plutôt
l'azurite, n'était pas durable.
Vitruve
donne encore le procédé de fabrication du bleu d'Alexandrie,
au moyen du sable, du natron et de la limaille de cuivre, mis en pâte,
puis vitrifiés au feu : recette qui se trouve dans les alchimistes
grecs, ainsi que le montrent les textes d'Olympiodore.
On rencontre ici plusieurs notions capitales
au point de vue qui nous occupe. D'abord l'assimilation d'une matière
colorée, pierre précieuse, émail, couleur vitrifiée,
avec les métaux; les uns et les autres se trouvant compris sous
une même désignation générale. Cette assimilation,
qui nous paraît étrange, s'explique à la fois par l'éclat
et la rareté qui caractérisent les deux ordres de substances,
et aussi par ce fait que leur préparation était également
effectuée au moyen du feu, à l'aide d'opérations de
voie sèche, accomplies sans doute par les mêmes ouvriers.
Remarquons également l'imitation d'un minéral naturel par
l'art, qui met en regard le produit naturel et le produit artificiel: cette
imitation offre des degrés inégaux dans les qualités
et la perfection du produit. Enfin nous y apercevons une nouvelle notion,
celle de la teinture car l'imitation du saphir naturel repose sur la coloration
d'une grande masse, incolore par elle-même, mais constituant le fond
vitrifiable, que l'on teint à l'aide d'une petite quantité
de substance colorée. Avec les émaux et les verres colorés
ainsi préparés, on reproduisait les pierres précieuses
naturelles; on recouvrait des figures, des objets en terre ou en pierre;
on incrustait les objets métalliques.
Le mafek, ou minéral vert,
désigne l'émeraude, le jaspe vert, l'émail vert, les
cendres vertes, le verre de couleur verte, etc. Il est figuré dans
les tombeaux de Thèbes ,
en monceaux précieux. De même que pour le chesbet, il y a
un mafek vrai, qui est l'émeraude ou la malachite,
et un mafek artificiel, qui représente les émaux et les verres
colorés. La couleur verte des tombeaux et des sarcophages
est formée par la poussière d'une matière vitrifiée
à base de cuivre. Le vert de cuivre, malachite ou fausse émeraude
naturelle, était appelé en grec chrysocolle, soudure d'or,
en raison de son application à cet usage (après réduction
et production d'un alliage renfermant un peu d'or et un cinquième
d'argent, d'après Pline). C'était
la base des couleurs vertes chez les anciens. Elle se trouvait, toujours
suivant Pline, dans les mines d'or et d'argent; la meilleure espèce
existait dans les mines de cuivre. On la fabriquait artificiellement, en
faisant couler de l'eau dans les puits de mine jusqu'au mois de juin et
en laissant sécher pendant les mois de juin et juillet. La théorie
chimique actuelle explique aisément cette préparation, laquelle
repose sur l'oxydation lente des sulfures métalliques. Le nom d'émeraude
était appliqué par les Grecs,
dans un sens aussi compréhensif que celui de mafek, à toute
substance verte. Il comprend non seulement le vrai béryl,
qui se trouve souvent dans la nature en grandes masses sans éclat;
mais aussi le granit vert, employé en obélisques
et sarcophages sous la vingt-sixième dynastie ( La
Basse époque );
peut-être aussi le jaspe vert. Ces minéraux ont pu servir
à tailler les grandes émeraudes de quarante coudées
de long, qui se trouvaient dans le temple d'Ammon .
C'est au contraire à une substance
vitrifiée que se rapportent les célèbres plats d'émeraudes,
regardés comme d'un prix infini, dont il est question au moment
de la chute de l'empire romain et au Moyen âge .
Ainsi, dans le trésor des rois goths, en Espagne ,
les Arabes trouvèrent une table d'émeraude, entourée
de trois rangs de perles et soutenue par 360 pieds d'or; ceci rappelle
les descriptions des Mille et une Nuits .
On a cité souvent le grand plat d'émeraude, le Sacro Catino,
pillé par les croisés à
la prise de Césarée ,
en Palestine, en 1101, et que l'on
montre encore aux touristes dans la sacristie de la cathédrale
de Gênes. Il a toute une légende.
On prétendait qu'il avait été apporté à
Salomon
par la reine de Saba .
Jésus
aurait mangé dans ce plat l'agneau pascal avec ses disciples. On
crut longtemps que c'était une véritable émeraude;
mais des doutes s'élevèrent au XVIIIe
siècle.
La Condamine avait
déjà essayé de s'en assurer par artifice, au grand
scandale des prêtres qui montraient ce monument vénérable.
Il fut transporté, en 1809,
à Paris, où l'on a constaté
que c'était simplement un verre coloré, et il retourna, en
1815, à Gênes, où il est encore. La confusion entre
une série fort diverse de substances de couleur verte explique aussi
la particularité signalée par Théophraste,
d'après lequel l'émeraude communiquerait sa couleur à
l'eau, tantôt plus, tantôt moins, et serait utile pour les
maladies des yeux. Il s'agit évidemment de sels basiques de cuivre,
en partie solubles et pouvant jouer le rôle de collyre.
Les détails qui précèdent
montrent de nouveau une même dénomination s'appliqu à
un grand nombre de substances différentes, assimilées d'ailleurs
aux métaux: les unes naturelles, ou susceptibles parfois d'être
produites dans les mines, en y provoquant certaines transformations lentes,
telle est la malachite; d'autres sont purement artificielles. On conçoit
dès lors le vague et la confusion des idées des Anciens,
ainsi que l'espérance que l'on pouvait avoir de procéder
à une imitation de plus en plus parfaite des substances minérales
et des métaux, par l'art aidé du concours du temps et des
actions naturelles.
Après le chesbet et le mafek, la
liste des métaux égyptiens se poursuit par un vrai métal,
le chomt, nom traduit, d'après Lepsius,
par cuivre, bronze, airain, et qui se reconnaît à sa couleur
rouge sur les monuments. Champollion traduisait
le même mot par fer. Cette confusion entre l'airain et le fer est
ancienne. Déjà le mot latinoes,
airain, répond au sanscritayas,
qui signifie le fer. Ici encore, les Egyptiens
comprenaient sous une même dénomination un métal pur,
le cuivre, et ses alliages, obtenus plus facilement que lui par les traitements
métallurgiques des minerais. Le cuivre pur, en effet, s'est rencontré
rarement autrefois, bien qu'il existe à l'état natif : par
exemple, dans les dépôts du lac Supérieur en Amérique ;
et bien qu'il puisse être réduit de certains minerais à
l'état pur. Mais il se prête mal à la fonte. Dans la
plupart des cas, la réduction s'opère plus aisément
sur des mélanges renfermant à la fois le cuivre et l'étain
(bronzes), parfois aussi le plomb (molybdochalque des Anciens), et le zinc
(orichalque, laitons), en diverses proportions relatives. De là,
résultent des alliages plus fusibles et doués de propriétés
particulières, qui constituent spécialement l'airain des
Anciens, le bronze des modernes. Le chomt est représenté
sur les monuments égyptiens en grosses plaques, en parallélipipèdes
fondus (briques) et en fragments bruts, non purifiés par la fusion.
On voit dans les musées des miroirs
de bronze (alliage de cuivre et d'étain), des serrures, clefs,
cuillers, clous, poignards, haches, couteaux, coupes et objets de toute
nature en bronze. Ici vient se ranger l'orichalque, mot qui semble avoir
représenté chez les Grecs
tous les alliages métalliques jaunes, rappelant l'or par leur brillant.
Il a d'abord été employé par Hésiode
et par Platon. Ce dernier parle dans son Atlantide
d'un métal précieux, devenu mythique plus tard pour Aristote,
et que, d'après Pline, on ne rencontrait
plus de son temps dans la nature. Cependant le mot se retrouve, à
l'époque de l'empire romain et dans les traités des alchimistes
grecs, pour exprimer le laiton, l'alliage des cymbales et divers autres.
Il est venu jusqu'à nous dans la dénomination défigurée
de fil d'archal. On voit encore ici la variabilité indéfinie
de propriétés des matières désignées
autrefois sous un seul et même nom. Ce sont, répétons-le,
des circonstances qu'il importe de ne pas oublier, si l'on veut comprendre
les idées des Anciens, en se plaçant dans le même ensemble
d'habitudes et de faits pratiques. Les nombreux alliages que l'on sait
fabriquer avec le cuivre, la facilité avec laquelle on en fait varier
à volonté la dureté, la ténacité, la
couleur, étaient particulièrement propres à faire
naître l'espérance de transformer le cuivre en or. De là,
ces recettes pour obtenir un bronze couleur d'or, inscrites dans les Papyrus
de Leyde
et dans d'autres manuscrits. On raconte aussi (De mirabilibus, traité
attribué à Aristote) que l'on trouva dans le trésor
des rois de Perse
un alliage semblable à l'or, qu'aucun procédé d'analyse,
sauf l'odeur, ne permettait d'en distinguer. L'odeur propre de ces alliages,
pareille à celle des métaux primitifs, avait frappées
les opérateurs. Nous rencontrons dans une vieille recette de diplosis,
où il est question d'un métal artificiel, ces mots :
«
la teinture le rend brillant et inodore. »
Ainsi, il semblait aux métallurgistes
du temps qu'il n'y eût qu'un pas à faire, un tour de main
à réaliser, une ou deux propriétés à
modifier pour obtenir la transmutation complète et la fabrication
artificielle de l'or et de l'argent.
Après la chomt, vient le
men,
plus tard tehset, que Lepsius traduit
par fer. Il y a quelque incertitude sur cette interprétation, le
nom du fer ne paraissant pas sur les monuments vis-à-vis des figures
des objets qui semblent formés par ce métal. Il semble que
ce soit là une preuve d'un caractère récent. Le fer,
en effet, est rare et relativement moderne dans les tombeaux égyptiens.
Les peintures
de l'Ancien empire
ne fournissent pas d'exemple d'armes peintes en bleu (fer), mais toujours
en rouge ou brun clair (airain). A l'origine, on se bornait à recouvrir
les casques et les cuirasses de cuir avec des lames et des bagues de fer
; ce qui montre la rareté originelle du fer. Tout ceci n'a rien
de surprenant. On sait que la préparation du fer, sa fusion, son
travail sont beaucoup plus difficiles que ceux des autres métaux.
Aussi, est-il venu le dernier dans le monde, où il a été
connu d'abord sous la forme de fer météorique. L'âge
de fer succède aux autres, dans les récits des poètes.
L'usage du fer fut découvert après celui des autres métaux,
dit Isidore de Séville. On connut l'airain
avant le fer, d'après Lucrèce.
Cependant, on doit dire que Maspéro ne
croyait pas à l'origine récente du fer en Egypte. Il pensait
qu'il existe des indices peu douteux de l'emploi des outils de fer dans
la construction des pyramides ,
et il a même trouvé du fer métallique dans la maçonnerie
de ces édifices.
Le taht ou plomb, le plus vulgaire
de tous, termine la liste des métaux figurés par les Egyptiens.
On doit entendre sous ce nom, non seulement le plomb pur, mais aussi certains
de ses alliages. D'après les alchimistes grecs, tels que le pseudo-Démocrite,
le plomb était le générateur des autres métaux;
c'était lui qui servait à produire, par l'intermédiaire
de l'un de ses dérivés, appelé magnésie par
les auteurs, les trois autres corps métalliques congénères,
à savoir : le cuivre, l'étain et le fer.
Avec le plomb, on fabriquait aussi l'argent.
Cette idée devait paraître toute naturelle aux métallurgistes
d'autrefois, qui retiraient l'argent du plomb argentifère par coupellation.
L'étain, circonstance singulière,
ne figure pas dans la liste de Lepsius, bien
qu'il entre dans la composition du bronze des vieux Egyptiens.
Peut-être ne savaient-ils pas le préparer à l'état
isolé. Il n'a été connu à l'état de
pureté que plus tard; à l'époque des Grecs
et des Romains. Mais il était d'usage
courant au temps des alchimistes, comme en témoignent les recettes
des Papyrus de Leyde .
C'était l'une des matières fondamentales employées
pour la prétendue fabrication ou transmutation de l'argent. A l'origine,
dans Homère, par exemple, il semble que
le cassiteros fut un alliage d'argent et de plomb, qui se produit
aisément pendant le traitement des minerais de plomb. Plus tard,
le même nom fut appliqué à l'étain, ainsi qu'à
ses alliages plombifères. De même, en hébreu,
bédil
signifie tantôt l'étain, tantôt le plomb, ou plutôt
certains de ses alliages. L'étain, lui-même, semble avoir
été regardé d'abord comme une sorte de doublet du
plomb; c'était le plomb blanc ou argentin, opposé au plomb
noir ou plomb proprement dit (Pline). Son éclat,
sa résistance à l'eau et à l'air, ses propriétés,
intermédiaires en quelque sorte entre celles du plomb et celles
de l'argent, toutes ces circonstances nous expliquent comment les alchimistes
ont pris si souvent l'étain comme point de départ de leurs
procédés de transmutation. Les alliages d'étain, tels
que bronze, l'orichalque (alliages de cuivre), et le claudianon (alliage
de plomb), jouaient aussi un grand rôle autrefois. On remarquera
que les alliages ont, dans l'Antiquité ,
des noms spécifiques, comme les métaux eux-mêmes.
Le mercure, qui joue un si grand rôle
chez les alchimistes, est ignoré dans
l'ancienne Egypte .
Mais il fut connu des Grecs, à
partir du temps de la guerre du Péloponnèse ,
On distinguait même le mercure natif et le mercure préparé
par l'art, fabriqué en vertu d'une distillation véritable,
que Dioscoride décrit. Sa liquidité,
que le froid ne modifie pas, sa mobilité extrême, qui le faisait
regarder comme vivant, son action sur les métaux, ses propriétés
corrosives et vénéneuses sont résumées par
Pline
en deux mots : liquor aeternus, venenum rerum omnium; liqueur éternelle,
poison de toutes choses. Son nom primitif est vif argent, eau argent, c.-à-d.
argent liquide. Le métal n'a pris le nom et le signe de Mercure
/ Hermès ,
c.-à-d. ceux du corps hermétique
par exemple, que pendant le Moyen âge .
Dans les papyrus grecs de Leyde, recueillis à Thèbes
en Egypte, le nom du mercure se trouve associé à diverses
recettes alchimiques; précisément comme dans les manuscrits
qui nous sont conservés.
Ainsi les Egyptiens réunissaient
dans une même liste et dans un même groupe les métaux
vrais, leurs alliages et certains minéraux colorés ou brillants;
les uns naturels, les autres artificiels. Les mêmes ouvriers, d'ailleurs,
traitaient les uns et les autres par les procédés de la cuisson,
c. -à-d. de la voie sèche. Les industries du verre, des émaux,
des alliages étaient très développées en Egypte
et en Assyrie, comme le montrent les récits des Anciens et l'examen
des débris de leurs monuments. Cette assimilation entre les métaux
et les pierres précieuses reposait à la fois sur les pratiques
industrielles et sur les propriétés mêmes des corps.
Elle parait tirer son origine de l'éclat de la couleur, de l'inaltérabilité,
commune à ces diverses substances. Les noms mêmes de certains
métaux en grec et en latin, tels
que l'électros, c.-à-d. le brillant; l'argent appelé
argyrion,
c.-à-d. le blanc, en hébreu
le pâle; le nom de l'or, qui est aussi dit le brillant en hébreu,
rappellent l'aspect sous lequel les métaux rares apparaissent d'abord
aux humains et excitent leur avidité. Les Egyptiens n'avaient, pas
plus que les Anciens en général, cette notion d'espèces
définies, de corps doués de propriétés invariables,
qui caractérise la science moderne; une telle notion ne remonte
pas au-delà du XIXe
siècle en chimie. De là, la signification multiple
et variable des noms de substances employés dans le monde antique.
Ceci étant admis, ainsi que la possibilité d'imiter plus
ou moins parfaitement certains corps, d'après les expériences
courantes sur les matières vitreuses et les alliages on étendait
cette possibilité à toutes, par une induction légitime
en apparence. Les extractions de la plupart des métaux et les reproductions
effectives des verres et des alliages ayant lieu en général
par l'action du feu, à la suite de pulvérisations, fusions,
calcinations, coctions plus ou moins prolongées, on conçoit
qu'on ait essayé d'opérer de même pour reproduire tous
les autres métaux.
Ce n'est pas tout : l'imitation des pierres
précieuses par les émaux et les verres présente des
degrés fort divers. De même, les alliages varient dans leurs
propriétés et sont plus ou moins ressemblants aux vrais métaux.
Nous avons vu qu'il en était ainsi pour l'airain, qui a fini par
devenir notre cuivre, mais qui signifiait aussi le bronze; pour le cassiteros,
qui a fini par devenir notre étain, mais qui signifiait aussi le
laiton et les alliages plombifères. On conçoit, dès
lors, l'origine de cette notion des métaux imparfaits et artificiels,
possédant la couleur, la dureté, un certain nombre des propriétés
des métaux naturels parfaits, sans y atteindre complètement.
Ainsi, la fabrication du bronze couleur d'or figure dans les Papyrus
de Leyde ,
aussi bien que dans les autres manuscrits. Il s'agissait de compléter
ces imitations pour faire du vrai or, du vrai argent possédant toutes
leurs propriétés spécifiques, de l'or naturel, comme
dit Proclus. La prétention de doubler
la proportion de l'or (ou celle de l'argent), en l'associant à un
autre métal (diplosis), par des procédés dont
il est question à la fois dans les Papyrus de Leyde, dans
Manilius,
etc.; cette prétention implique l'idée que l'or et l'argent
étaient des alliages, alliages qu'il était possible de reproduire
et de multiplier, en développant dans les mélanges une métamorphose
analogue à la fermentation et à la génération.
On croyait pouvoir en même temps, par des tours de main convenables,
modifier à volonté les propriétés de ces alliages.
De telles modifications sont, en effet, susceptibles de se produire dans
la pratique métallurgique, à l'aide de la trempe et par l'addition
de certains ingrédients en petites quantités, comme le montre
la fabrication des bronzes et des aciers. Cette recherche était
encouragée d'ailleurs par des théories philosophiques plus
profondes. C'est ici le lieu de rappeler les paroles de Roger
Bacon :
«
En observant toutes les qualités de l'or, on trouve qu'il est de
couleur jaune, fort pesant et d'une telle pesanteur spécifique,
malléable et ductile à tel degré, etc. [...] et celui
qui connaîtra les formules et les procédés nécessaires
pour produire à volonté la couleur jaune, la grande pesanteur
spécifique, la ductilité, etc. ; celui qui connaîtra
ensuite les moyens de produire ces qualités à différents
degrés, verra les moyens et pourra prendre les mesuresnécessaires
pour réunir ces qualités dans tel ou tel corps :- d'où
résultera sa transmutation en or. »
Les Egyptiens
opposent continuellement la substance naturelle et la substance produite
par l'art : précisément comme il arrive dans les synthèses
de la chimie organique de nos jours, où l'identité des deux
ordres de matières exige constamment une démonstration spéciale.
L'idée principale des alchimistes grecs, dans les opuscules qu'ils
nous ont laissés, c'est de modifier les propriétés
des métaux par des traitements convenables, pour les teindre en
or et en argent; et cela, non superficiellement à la façon
des peintres, mais d'une façon intime et complète : procédés
congénères de la formation d'alliages. Ils étaient
guidés dans cette recherche par l'analogie des pratiques usitées
de leur temps pour teindre le verre et les étoffes. Les pratiques
pour teindre les étoffes et les verres en pourpre, pour colorer
le bronze en or et pour opérer la transmutation, sont, en effet,
rapprochées dans les Papyrus de Leyde ,
aussi bien que dans le pseudo-Démocrite. De là aussi une
teinture, un principe colorant, une poudre projective douée d'un
pouvoir tinctorial considérable. On voit comment l'idée de
la fabrication même des métaux et celle de la transmutation
ont découlé des pratiques et des idées égyptiennes.
C'est même là ce qu'il y de plus clair dans les descriptions
techniques des manuscrits.
Ce n'en est pas moins une chose étrange
et difficile à comprendre aujourd'hui, qu'un tel mélange
de recettes réelles et positives, pour la préparation des
alliages et des vitrifications, et de procédés chimériques,
pour la transmutation des métaux. Les uns et les autres sont exposés
au même titre et souvent avec la même naïveté dépouillée
de tout attirail charlatanesque, comme on le voit dans les Papyrus de
Leyde et dans certaines parties des manuscrits grecs de la Bibliothèque
nationale. Si les fourbes et les imposteurs ont souvent exploité
ces croyances, il n'en est pas moins certain qu'elles étaient sincères
chez la plupart des adeptes. Ici s'élève une question singulière.
Comment cette expérience, qui prétendait à un résultat
positif et tangible et qui échouait toujours, en définitive,
a-t-elle pu rencontrer une crédulité si persistante et si
prolongée? C'est ce que l'on s'expliquerait difficilement, si l'on
ne savait avec quelle promptitude l'esprit humain embrasse tout préjugé
qui flatte ses espérances de puissance ou de richesse, et avec quelle
ardeur crédule il y demeure obstinément attaché. Les
prestiges de la magie ,
les prédictions de l'astrologie ,
associées de tout temps à l'alchimie,
ne sont pas moins chimériques. Cependant, ce n'est qu'à l'époque
moderne qu'elles ont perdu leur autorité aux yeux des esprits cultivés.
Encore les spirites et les magnétiseurs sont-ils nombreux de nos
jours. Les succès de l'alchimie et sa persistance se rattachent
aussi à des causes plus philosophiques. En effet, l'alchimie ne
consistait pas seulement dans un certain ensemble de pratiques destinées
à enrichir les humains; mais les savants qui l'avaient cultivée,
au temps des Alexandrins, avaient essayé
d'en faire une science véritable et de la rattacher au système
général des connaissances de leur temps. L'alchimie était,
pour ses adeptes, une science positive et une philosophie; elle s'appuyait
sur les doctrines des sages de la Grèce .
(F. Hoefer / M. Berthelot). |
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