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L'histoire de la médecine
La médecine byzantine
Les écoles nestoriennes en Asie
Après la division de l'Empire romain, beaucoup de savants, les médecins comme les autres, regagnèrent la mère patrie. Le prestige des empereurs de Byzance ne suffit pas pour faire revivre l'esprit de recherche et l'activité de l'esprit; il ne se fit plus ni progrès ni découvertes; la décadence était devenue inévitable. Nous sommes à l'âge des compilations et des abrégés de compilations; on collectionne les formules et les recettes; on s'efforce même de mettre les livres à la portée du public ignorant. La médecine, pendant ce temps, n'a plus d'histoire; c'est une collection de biographies. On est réduit à choisir parmi les compilateurs; les plus intéressants sont ceux qui ont le plus emprunté, parce qu'ils nous donnent des extraits des ouvrages perdus, de sorte que chacun d'eux, pour nous aujourd'hui, en représente beaucoup d'autres. Suivons-les de siècle en siècle.

Le plus important et le plus précieux pour l'histoire, c'est le premier en date, Oribase de Pergame (326-403), disciple de Zénon de Chypre; ami de Julien avec lequel il fit l'expédition de la Gaule, il fut, après lui, en raison de son attachement au paganisme, exilé chez les Goths, qui le tinrent en grand honneur; rappelé ensuite, il mourut à Constantinople. Son biographe fut son ami Eunape, auquel il dédia le premier ouvrage, en date, de ceux qu'il nous a laissés, les Euporista, petit manuel de médecine de famille, à l'usage du public, livre que nous ne possédons qu'en latin. Il est extrait de son grand ouvrage, malheureusement fort incomplet aujourd'hui, les Synagogai, vaste collection en 72 livres, composée à peu près uniquement d'extraits empruntés à un grand nombre d'auteurs, parmi lesquels beaucoup d'Alexandrins, et dont la plupart sont actuellement perdus ou morcelés. C'est une sorte d'encyclopédie médicale comprenant la thérapeutique et l'hygiène. Son troisième ouvrage, également en latin seulement aujourd'hui, est une Synopsis, dédiée à son fils Eusthate; c'est l'abrégé de la grande collection, pour laquelle Oribase n'a rédigé que des introductions, chaque chapitre portant l'indication de l'auteur qui l'a fourni. 

A côté d'Oribase, on ne trouve guère à citer, en dehors des médecins grecs indiqués à la suite de Galien, que les noms assez peu connus d'Adamantius, auteur des Physiognomica, et de l'évêque d'Emèse (auj. Homs), qui composa un traité De la Nature de l'homme, sans grande originalité, où il se montre très renseigné sur l'anatomie et la physiologie. Au Ve siècle, nous rencontrons Hésychius de Damas, qui voyagea en Grèce, en Italie, en Egypte, avant de se fixer à Constantinople, vers 430; puis son fils Jacob, comte des archiatres, surnommé le Psychreste, médecin très populaire, vanté par Alexandre de Tralles; Asclépiodote d'Alexandrie à la fois musicien, physicien, philosophe et médecin; enfin, Palladius l'iatrosophiste, et quelques autres.

Après eux, Aétius et Alexandre de Tralles, au siècle suivant, paraîtront des hommes illustres. Aétius d'Amide en Mésopotamie (auj. Diyarbekir), médecin chrétien, quitta Alexandrie pour Constantinople, où il eut des fonctions à la cour. Les seize livres de médecine qui composent son Tetrabiblion traitent de toutes les parties de la médecine; c'est un ouvrage beaucoup plus travaillé que la collection d'Oribase, et en dehors des parties remaniées d'Arétée, de Galien, de Dioscoride, d'Oribase lui-même et de beaucoup d'autres, on y trouve des fragments qui paraissent propres à Aétius, ce qui est exceptionnel pour son époque.

Alexandre de Tralles en Lydie, fils d'un médecin, disciple de Cosmas, visita l'Italie, l'Espagne, la Gaule et séjourna longtemps en Egypte et en Phénicie. Il était âgé lorsqu'il composa son traité en douze livres sur la pathologie et la thérapeutique des maladies internes. Il connaissait bien la littérature médicale en usage à son époque; il ne se contente pas d'extraire, mais discute ses auteurs, les réfute souvent, et il expose ses opinions propres. C'est un homme de science vraie, comparé à ceux qui l'ont précédé et suivi; il peut être mis en parallèle avec Arétée. Ses descriptions des maladies, qu'il étudia presque toutes, sont souvent exactes, même dans les détails; un de ses livres est consacré à la goutte, un autre aux maladies des reins, un autre aux angines, etc. Sa thérapeutique est riche, trop riche même, car il y a donné place aux pratiques superstitieuses qu'il recueillait, même pendant ses voyages, dans des conversations avec les paysans. Sa réputation fut grande et durable; il exerça une forte influence sur les Byzantins, les Arabes et la médecine occidentale au Moyen âge.
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Manuscrit médical byzantin.
Texte extrait du corpus hippocratique sur un manuscrit
byzantin du XIIe siècle.

Le grand nom du VIIe siècle est celui de Paul d'Egine. Nous dirons d'abord quelques mots de deux autres médecins, ses contemporains, ou à peu près, Théophile et son disciple Etienne. Théophile (ou Philothée) Protospatharios, fut sous Héraclius, qui le prit comme médecin particulier, un des hommes remarquables du VIIe siècle, comme praticien et comme professeur. Chrétien convaincu, il finit sa vie dans un cloître. Ses petits écrits sur le pouls et sur l'urine étaient classiques au Moyen âge. On connaît surtout son traité Sur l'Organisation de l'homme. C'est une sorte d'anthropologie, au sens descriptif où ce mot a été parfois usité, comprenant l'anatomie et la physiologie. Ses descriptions sont claires et élégantes et l'auteur s'exprime souvent d'après ses propres observations. Il est possible que ses petits écrits sur l'urine et le pouls soient dus comme celui de la fièvre à sa collaboration avec son disciple Etienne (ou Stéphane) d'Athènes, auteur de commentaires sur la thérapeutique à Glaucon de Galien, et de scholies sur le Pronostic d'Hippocrate.

Paul d'Egine, qui porte le nom de l'île où il naquit, appartient au VIIe siècle, s'il est vrai, comme on le dit, qu'il étudia à Alexandrie, tombée en 640 aux mains des Arabes; il devait être né au commencement du siècle. On sait qu'il voyagea beaucoup, et qu'il vécut longtemps en Grèce. L'ouvrage qui a fait sa grande réputation est un traité de médecine en sept livres, dans lequel il faut voir aussi, pour une grande partie, une compilation de divers auteurs et entre autres d'Oribase. Il déclare lui-même qu'il n'a voulu faire qu'un abrégé, qu'il intitule livre des Souvenirs. Le premier livre est consacré à l'hygiène, les suivants aux maladies; le plus célèbre est le sixième; il y traite de la chirurgie en plus de 120 chapitres; il utilise les traités antérieurs, mais son travail n'en conserve pas moins un grand cachet de personnalité relevé par la clarté de l'exposition. Son manuel fut un des premiers livres traduits en arabe, et un de ceux que les Arabes lisaient avec le plus d'intérêt. Albucassis en parle avec éloge. Ses chapitres sur l'opération de la pierre, sur l'hydrocèle, les hernies, les maladies de l'appareil génital sont des plus remarquables, ainsi que ceux qui traitent de l'embryotomie, de l'accouchement forcé et de l'extraction des flèches.

Avec Paul d'Egine finit l'histoire de l'école grecque c'est à peine si le VIIIe siècle nous donnerait un nom de quelque notoriété; peut-être celui du moine Meletius, auteur d'un traité sur la nature de l'homme; plus tard, les chapitres médicaux de l'encyclopédie du patriarche Photius; ceux de la compilation de Théophanes Nonnus, écrite sur l'ordre de Constantin Porphyrogénète; les poèmes médicaux de Michel Psellus; la diététique de Siméon, fils de Seith, du XIe siècle, médecin de l'empereur Michel Ducas; la thérapeutique de Jean Actuarius, au XIIIe siècle; la compilation de Nicolas le Myrepse sur les remèdes et les onguents, etc., pourraient encore être cités. Mais l'étude de toutes ces élucubrations ne fait que fortifier dans l'esprit la conviction que le VIIe siècle est bien le dernier qui laisse à la médecine byzantine une place un peu sérieuse dans l'histoire.

Les écoles nestoriennes d'Asie.
Nous avons vu déjà que, au moment où fut fondée l'école d'Alexandrie, des écoles du même genre, quoique destinées à un moins grand renom, avaient été établies en Asie Mineure, à Pergame et en Syrie. Elles s'éteignirent assez vite. Mais l'Asie antérieure continua longtemps d'être le pays privilégié où se fondèrent des instituts de toutes sortes. Après les nombreuses écoles juives répandues dans la Syrie et la Mésopotamie, vinrent les écoles chrétiennes dont celle de Nisibe fut le modèle. Là peut-être, et dans beaucoup d'autres assurément, moins strictement concentrées dans les études théologiques, furent enseignées, dans les instituts où l'on est tenté de voir les embryons des universités futures, toutes les sciences profanes, y compris la médecine. De la Mésopotamie, en partie peut-être sous l'influence de la propagande chrétienne, le mouvement gagna la Perse. On croit que déjà Sapor Ier, après avoir fait construire la ville de Djondisabour (dans le Khousistan) après la ruine d'Antioche, y fit venir des médecins grecs et même des médecins indiens

Des nestoriens, de ceux qui s'étaient réfugiés à Edesse (Urfa), après 431, et qui y avaient établi une école, et bientôt un hôpital (460) et se virent expulsés trente ans plus tard, les uns se rendirent à Nisibe et les autres en Perse, presque sûrement à Djondisabour; là ils furent accueillis avec empressement et fondèrent des centres d'enseignement religieux et profane. La période brillante de ces écoles commença sous Khosroès Ier (532-579), généreux protecteur des sciences et de la médecine; elle fut surtout florissante au milieu du VIe siècle, sous le règne de Nouchirvan. Cette école de Djondisabour, à la fois cléricale et laïque, enseignait toutes les sciences ayant des applications pratiques, et surtout la médecine; au service de cet enseignement était affecté un hôpital et un magasin de médicaments. On connaît le nom de plusieurs médecins qui furent directeurs de l'hôpital, c.-à-d. de l'enseignement clinique.

L'histoire de cette école nous révèle un fait d'une grande importance pour celle de la médecine; c'est qu'elle se tint toujours en relation avec l'Inde et les médecins indiens. Ceux-ci étaient appelés à Djondisabour, non seulement comme praticiens, mais comme maîtres à l'institut de cette ville; ils y enseignaient encore les doctrines de leur pays, doctrines qu'ils communiquaient d'une manière plus efficace, en traduisant les livres sanscrits. Les souverains attachaient une si grande importance à ces relations entre les deux pays qu'ils n'hésitaient pas à envoyer des missions de la Perse en Inde, uniquement pour en rapporter soit des livres, soit des substances médicamenteuses spéciales à cette région. La réalité de ces traductions de livres sanscrits est attestée par El-Kefti et par le Fihrist. Il y avait de temps à autre des sortes de congrès dans lesquels les doctrines des deux pays étaient controversées; l'une de ces assemblées fut présidée par un médecin indien.

Il existe d'ailleurs d'autres preuves de l'étendue et de la précocité de ces relations scientifiques entre l'Inde, la Perse et la Mésopotamie; et même ces relations, pour ce qui regarde la médecine, purent avoir été ouvertes avant l'arrivée des médecins grecs. Les discussions scientifiques, quelque courtoises quelles paraissent avoir été, en raison même de leur caractère officiel, prouvent qu'il ne s'était pas formé un système mixte, une sorte de doctrine gréco-indienne. L'anecdocte de la résurrection d'Ibrahim-ben-Mahadi, laissé pour mort par Gabriel Bakhtichou, et guéri par l'Indien Salah, montre mieux encore que chacun gardait ses procédés. Les enseignements de ces écoles persanes, où les livres grecs arrivaient souvent sous forme de traductions en syriaque, furent une des sources, la plus importante assurément et la plus sûre, d'où dériva la médecine des Arabes. Le califat ne mit pas obstacle à la continuation des relations avec l'Inde, qui fut visitée par plusieurs médecins de cette période historique. (Dr. M. Potel).

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