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L'histoire de la médecine
La médecine au XIXe siècle
Les progrès incessants des sciences physiques et naturelles, sciences auxquelles la médecine est si intimement liée, lui ont imprimé dès le commencement du XIXe siècle une direction toute nouvelle et bien digne d'observation. Les premières années du siècle ont vu naître une véritable réforme de la médecine, préparée et pressentie, cela va sans dire, par les savants des siècles précédents, mais n'en ayant pas moins amené une modification radicale et rapide dans l'art de connaître les maladies et de les guérir.

Il faut bien avouer, en effet, que les efforts accumulés des siècles précédents n'avaient produit que des oeuvres vaines où l'esprit de système tenait la première place. Sans vouloir enlever à l'esprit philosophique la place qui lui appartient de plein droit dans les recherches scientifiques, il faut bien convenir que, dans les sciences d'observation, tous les raisonnements ne peuvent tenir contre un fait. Or cette observation du phénomène, des circonstances qui l'accompagnent et qui en modifient la nature, est devenue la base nécessaire de toute science positive. L'observation et, quand elle est possible, l'expérimentation, sont désormais le fondement de toute théorie nouvelle, Cette réforme essentielle, que les autres sciences avaient subie à la fin du siècle précédent, les sciences médicales, et d'une façon plus générale les sciences biologiques, se la laissent imposer dès les premières années de notre siècle. Mais si elles ont subi plus tardivement que les autres sciences cette influence régénératrice, elles ont eu l'honneur d'inspirer les deux observateurs et expérimentateurs les plus parfaits qu'il y ait jamais eus, Claude Bernard et Pasteur.

Cette évolution si caractéristique de la médecine explique pourquoi, dans la brève esquisse que nous allons tracer de ces progrès au XIXe siècle, le mot d'école sera à peine prononcé. On peut dire hardiment qu'au XIXe siècle il n'a pas existé de grandes écoles médicales. On parlera à la vérité de l'école de la Salpêtrière, de l'institut Pasteur, mais dans un sens tout différent du sens ancien. On entendra désigner, par là, simplement de grands centres d'instruction et de travail, où l'influence d'un savant aura dirigé les recherches dans une voie personnelle, mais sans imposer aucun dogme. L'observation scientifique qui exige patience et temps s'accommode mal des larges conceptions qui constituaient une école médicale ancienne, appuyée uniquement sur l'esprit philosophique. L'empirisme, si dédaigné autrefois, vivifié par l'observation et l'expérimentation, a conquis une place définitive. Il n'y aura plus de grands systèmes commençant et finissant par des définitions, mais des conclusions appuyées sur des observations et des expériences répétées.

Pinel eut le premier le mérite d'affirmer que les méthodes d'observation applicables aux autres sciences le sont aussi à la médecine. Il établit que les faits particuliers doivent être le fondement de toute doctrine médicale, et il eut la prescience d'une union intime et nécessaire entre l'anatomie pathologique et la clinique, la première décrivant les lésions dont la seconde avait reconnu les symptômes sur l'être vivant. Dès que ce grand principe fut passé du livre dans la pratique, l'école moderne fut fondée. A la fin du siècle, l'observation, l'induction, l'expérimentation seront devenues les guides habituels du médecin.

L'anatomie pathologique, l'histologie pathologique, plus tard la microbiologie, en étudiant les lésions et les causes intimes des maladies, donnent au clinicien la raison des phénomènes morbides qu'il peut désormais classer et tenter de guérir. Dès les premières années du XIXe siècle, nous voyons l'empirisme gagner de plus en plus de terrain malgré la propagation du brownisme et du système de l'irritation (la Médecine au XVIIIe siècle). La statistique est invoquée comme le suprême critérium des méthodes thérapeutiques, et la statistique, c'est de l'empirisme tout pur et la négation de toute théorie préconçue. Est-ce à dire que la méthode naturelle ait acquis
en médecine toute la précision désirable? Non, sans doute. Les phénomènes biologiques avec leur substratum physique et chimique sont d'une complexité telle que l'on ne peut espérer voir d'ici longtemps la médecine ramenée aux principes relativement simples des autres sciences. Mais chaque maladie a désormais sa caractéristique; les symptômes en sont connus et classés. Si chacune d'entre elles n'a point encore son remède, ce qui ne sera peut-être jamais, au moins peut-on pour chaque cas instituer un traitement rationnel, bien que fondé le plus souvent sur l'empirisme. Les maladies infectieuses, et c'est une catégorie qui s'accroît chaque jour, les infections dont le rôle est si important dans les maladies les plus banales, auront probablement toutes, à bref délai, leurs antidotes. Un certain nombre de ces médications spécifiques est dès à présent connu.

Nous avons cru devoir indiquer dans ces quelques lignes quelle est la différence profonde qui sépare notre époque des siècles précédents. Nous devons maintenant retracer dans ses traits principaux l'histoire des progrès de la médecine durant le XIXe siècle. Cette histoire, si l'on entreprenait de l'écrire un peu complète, remplirait des volumes et exigerait un déploiement d'érudition fastidieux pour le lecteur. Nous nous contenterons d'en marquer les principales étapes. Trois hommes ont eu au début de ce siècle une influence capitale sur le développement de la médecine. Ce sont Bichat, Laënnec et Cruveilhier.

Bichat, par ses recherches anatomiques et physiologiques, a marqué le premier un progrès immense. Celui qui a écrit que s'il était allé si vite c'est qu'il n'avait pas lu, celui-là, tant par ses recherches que par son enseignement, appartient bien véritablement à l'ère moderne. Bichat a été le fondateur de l'histologie ou étude des tissus et il a été l'un des précurseurs de Cruveilhier dans l'étude des altérations pathologiques du corps humain. 

Broussais, qui fut en apparence un des plus ardents disciples de Bichat, en diffère cependant profondément. Il marque en réalité un retour vers le passé. Continuateur pour une part de Brown, pour l'autre de Bordeu et de Barthez, il croit pouvoir tout expliquer par sa théorie de l'inflammation. Il est donc bien loin de Bichat qui n'admettait que les faits et rejetait les théories. Cependant l'influence du génie de Bichat avait été si puissante que Broussais, à la différence des deux auteurs qui l'inspiraient, appuyait sa théorie sur des bases anatomiques.

Son but principal avait en effet été au début de trouver une base anatomique correspondant à chaque maladie. Ce qui nous est surtout resté de lui, ce sont ses tentatives pour expliquer toutes les fièvres qui, dans son système, ne seraient qu'une conséquence de l'irritation, de l'inflammation de l'intestin. Beaucoup d'autres maladies, celles du système nerveux en particulier, étaient ramenées à la même cause. Devons-nous rappeler à quels abus de la saignée conduisit cette doctrine, surtout lorsqu'elle passa entre les mains de certains disciples de Broussais tels que Bouillaud? Mais, au point de vue purement théorique, ce que l'historien de la médecine peut reprocher de plus grave à Broussais, c'est d'être retombé dans les errements antérieurs, en dépassant dans ses conclusions les résultats de ses observations. 

Le système de Broussais, la médecine physiologique, eut indirectement un résultat heureux en fixant l'attention sur les altérations des organes, et en suscitant l'école anatomo-pathologique opposée de Corvisart, Laënnec et Bayle. Corvisart (1755-1821) a été en France l'introducteur et le traducteur des travaux d'Auenbrugger de Vienne (1722-1809) sur la percussion. Tandis que l'auteur viennois la pratiquait avec le doigt sans recourir à une instrumentation spéciale, Piorry, en 1828, eut recours à l'emploi de son plessimètre. La percussion permettait déjà de reconnaître la présence d'un grand nombre de lésions, particulièrement dans le poumon, mais le diagnostic des affections cardiaques et pulmonaires fit surtout un pas immense avec Laënnec.

Laënnec (1784-1826) fut l'inventeur de l'auscultation, le mode d'exploration le plus important peut-être que possède la médecine. Le résultat de ses recherches est contenu dans un livre immortel, le Traité de l'Auscultation médiate publié en 1819. On sait que Laënnec employait exclusivement le stéthoscope, auquel il attribuait une grande importance. L'emploi de l'auscultation amena certainement une révolution totale dans l'étude des maladies de la poitrine, mais il importe de ne pas oublier qu'un facteur non moins important de cette révolution fut l'étude simultanée des symptômes et des altérations morbides, causes de ces symptômes. C'est de cette étude que s'occupe l'anatomie pathologique, et il convient de rappeler que, si Laënnec fut un grand clinicien, il fut aussi un grand anatomo-pathologiste; comme le prouvent entre autres les articles qu'il publia dans le Dictionnaire des Sciences médicales de 1812. Les recherches de Laënnec sur le cadavre suffiraient à l'illustrer. 
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Laënnec : auscultation.
René laënnec et son stéthoscope.

L'anatomie pathologique fut également admirablement servie par Bayle (1774-1816) dont les recherches sur le tubercule sont le fondement de tout ce qui a été fait depuis cette époque. Ces recherches sont d'ailleurs antérieures à la découverte de l'auscultation par Laënnec.

Chomel (1788-1858); Louis (1787-1872); Cruveilhier (1791-1874) et Andral (1797-1876) arrivèrent à des résultats aussi brillants par l'emploi de cette méthode féconde, l'alliance de l'anatomie pathologique et de la clinique. Louis, qui fut l'élève et le continuateur de Laënnec, appliqua dans toute leur rigueur la méthode et les principes de la science moderne. Ses études sur la phtisie pulmonaire, en firent le digne continuateur de Laënnec. Par ses recherches sur la fièvre typhoïde (de 1822 à 1826), il réfuta les doctrines de Broussais, et créa un type morbide, distinct à la fois par ses symptômes et par les lésions qu'il provoque. Il eut un des premiers également le mérite d'introduire en médecine la méthode numérique et la statistique, qui tendent à rapprocher cette science des autres sciences exactes. Il permettait d'écarter ainsi les fausses conclusions tirées de l'examen des cas particuliers, et qui avaient jusqu'alors fait considérer la médecine comme une science d'induction. Gavarret eut plus tard le mérite de systématiser cette application de la méthode numérique aux sciences biologiques, qui au premier abord en semblent si éloignées par leur essence.

Bouillaud, par ses recherches célèbres sur le rhumatisme et sur les maladies du coeur, suivit lui aussi la voie nouvelle. Par son Traité clinique des maladies du coeur (1841) il marqua une date mémorable dans la pathologie du coeur et de l'appareil circulatoire. Il trouva d'heureux continuateurs dans Forget et dans Beau.

Cruveilhier est le plus grand peut-être des anatomo-pathologistes de ce temps, en France. Mais il ne faut pas oublier que, si son Traité d'Anatomie pathologique (1849) contient la description de toutes les lésions connues à cette époque, décrites d'une façon si précise et si exacte qu'elle n'a pour ainsi dire pas vieilli, l'auteur de ce livre s'était montré également un clinicien de premier ordre, en particulier dans ses descriptions de l'ulcère rond de l'estomac et des cirrhoses du foie. Il faut rappeler également que ce grand observateur est encore l'auteur d'une Anatomie descriptive, qui sera longtemps entre les mains des élèves. Il nous suffira de citer dans cette rapide nomenclature les noms d'Andral, de Gendrin, de Lallemand. Bretonneau, en 1821, créa, comme Louis, un type morbide nouveau, en spécifiant et en caractérisant nettement une maladie infectieuse, la diphthérie, il trouva plus tard un disciple éloquent en Trousseau, qui fit définitivement triompher les idées du maître.

Hors de France, l'évolution médicale, bien que plus tardive, s'effectua cependant sous l'influence des idées françaises.

En Allemagne, durant longtemps, l'esprit médical resta scolastique. Les idées philosophiques de Schelling eurent une grande influence et entraînèrent les savants allemands à catégoriser les phénomènes beaucoup plutôt qu'à les étudier dans leurs caractères. Ces théories plus ou moins dérivées du système de Brown, ont engendré indirectement la doctrine homéopathique, le magnétisme et la phrénologie.

Cependant, dès que l'anatomo-pathologie eût pris en France une forme définitive, elle trouva dans l'esprit systématique des médecins Allemands un sol favorable et elle fut brillamment cultivée par eux : les efforts en Allemagne sont bien plus qu'en France dirigés vers les travaux de laboratoire, qui ont été l'origine de toutes les découvertes de la fin du XIXe siècle. Les noms de Rokitansky et de Virchow resteront justement célèbres. Si l'histologie normale et pathologique est bien réellement d'origine française, ainsi que nous le prouve le cours de microscopie de Donné (1844), il faut avouer qu'elle a trouvé dans les deux auteurs allemands, et particulièrement dans le dernier, des maîtres qui, par leurs écrits et par leur enseignement, l'ont conduite à un haut point de perfection. Les travaux inspirés par eux et par Koelliker, sont innombrables, et les faits définitivement acquis ne cesseront plus de s'accroître. Le professeur Ranvier est en France le plus brillant représentant de cette science nouvelle. Le grand nom de Schoenlein (1793-1864), si intimement lié à la connaissance des maladies parasitaires, ne doit pas être oublié ici. Les Allemands le considèrent comme le rénovateur de la médecine allemande. Professeur à Wurzbourg, à Zurich, puis à Berlin, il eut peut-être comme mérite principal d'introduire en Allemagne les méthodes exactes employées en France et en Angleterre.

Les chercheurs allemands imprimèrent à ces progrès des sciences médicales des tendances générales qu'il est intéressant de noter, en ce qu'elles montrent, jusque dans la réforme empirique de la médecine, la persistance de l'esprit scolastique. C'est ainsi que Virchow, le fondateur de la pathologie cellulaire, ramène la plupart des phénomènes morbides à l'irritation, si bien que Bouchat a pu dire que Virchow voyait en petit ce que Broussais avait vu en grand. Mais combien, par contre, cette théorie diffère-t-elle de celle de l'auteur français par sa précision et les bases anatomiques sur lesquelles elle repose! Cornil et Ranvier ont vulgarisé en France ce système de Virchow, avec ses processus passifs de degénérescence et de nécrobiose dans un livre qui a eu une grande influence sur le développement de la science française, en ce qui touche l'histologie. Il serait injuste de ne pas rappeler parmi les savants des écoles allemandes Schwann (théorie cellulaire). Muller, Vogel, Mandl.

En Angleterre, la réforme médicale eut moins de peine peut-être à s'implanter que partout ailleurs. L'Angleterre accepte difficilement tout système théorique. Cependant il convient de rappeler qu'Erasme Darwin, le grand-père du célèbre naturaliste, exposait en 1794 dans sa Zoonomie une théorie de la vie, de la santé et de la maladie, voisine de la théorie du brownisme. Mais ce travail montre déjà, et c'est pour cela que nous le rappelons, une tendance à réunir la médecine aux sciences purement physiques. C'était là un résultat immédiat des découvertes scientifiques de Priestley et de Cavendish, qui exerçaient en Angleterre la même influence que Lavoisier en France. Les deux Hunter et Baillie jouèrent un grand rôle dans cette évolution de la médecine anglaise. La systématisation des maladies fit un grand pas avec Willan (1757-1812) qui appliqua la méthode naturelle de Sydenham à l'étude des maladies de la peau. Wells (1757-1817) publia des observations précises sur les altérations des urines, observations qui conduisirent Bright à ses importantes découvertes sur les maladies des reins. Durant toute cette période, la médecine anglaise, par suite des événements politiques, avait évolué presque complètement en dehors de la science française. Mais, lorsque le continent leur fut librement ouvert, beaucoup de médecins anglais vinrent s'initier aux méthodes françaises et les disciples de Laënnec se firent nombreux. Parmi eux il convient de citer Stokes et Forbes qui publièrent des travaux sur l'auscultation et des traductions des ouvrages de Laënnec et d'Auenbrugger; James Hope et Latham firent également progresser la connaissance des maladies du thorax, à la fois par la clinique et par l'anatomie pathologique.

Mais la découverte capitale de cette période est due à Richard Bright. On peut dire qu'avant le travail de Bright, paru en 1827, la pathologie du rein n'existait pas, et si, quelques décennies plus tard, les théories qu'il a soutenues ne seront plus admises dans leur intégrité, tout au moins la description qu'il a donnée des néphrites subsistera-t-elle largement, et c'est à juste titre que l'on donne à la plus commune des maladies chroniques, à l'albuminurie, le nom de maladie de Bright. Après lui, Addison eut le mérite également d'attacher son nom à une maladie des capsules surrénales, dont il décrivait admirablement les symptômes. Nous devons mentionner également l'école écossaise qui avait pris également un grand développement à la suite de l'enseignement de Cullen. Gregory, Alison, Abercrombie illustrèrent tout particulièrement la science écossaise.

L'Italie durant la même période fut illustrée par les travaux de Rasori (1762-1837). Comme en Allemagne à cette époque l'esprit dogmatique régnait encore en maître. La méthode de Brown, vulgarisée en Italie par Locatelli et par Mascati, inspira aussi Rasori; mais, ainsi que Broussais en France, il s'appuya sur l'anatomie pathologique. Rasori appliqua surtout ses doctrines à la thérapeutique, en divisant les actions curatrices en stimulantes et en contro-stimulantes. Comme Broussais en France, il admit surtout des maladies sthéniques nécessitant des contro-stimulants tels que le froid, la saignée, les purgatifs, la digitale, et par-dessus tout l'antimoine et les émétiques. Le premier peut-être il a su constater que l'inflammation s'accompagnait d'une dilatation paralytique des capillaires. Buffalini, Giacomini, Tomasini furent en Italie les disciples les plus immédiats de Rasori. Mais son influence à l'étranger fut également considérable et la médication qu'il a instituée sera encore parfois employée au début du XXe siècle.

Nous n'avons parlé dans les lignes précédentes que de l'influence exercée sur la médecine par la méthode scientifique. Mais les diverses sciences ont encore exercé sur la médecine une influence puissante par les nombreux procédés d'exploration qu'elles lui ont fourni et par les corps nouveaux qu'elles ont permis d'expérimenter pour la guérison des maladies. Nous avons vu déjà quel rôle important l'anatomie, l'histologie avaient joué dans cette évolution. Une science nouvelle, la physiologie, en révélant les lois de la vie et les conditions du fonctionnement des organes, a eu, aidée de la physique et de la chimie, une part au moins aussi importante dans ces progrès. Bichat n'avait pas borné ses études à la morphologie des tissus; il en avait décrit les propriétés vitales et il avait établi une classification des fonctions de la vie. Mais pas plus que ses devanciers, Glisson et Haller, il n'était entré dans la voie de l'expérimentation méthodique. On peut dire que si le mot de physiologie existait, la science n'existait pas encore. La véritable importance de cette science et son développement son dus aux savants de tous les pays qui vinrent après eux : nous nous contenterons de citer les noms de Magendie, de Bell, de Burdach, de Flourens, de Longet, de Muller, le grand nom de Claude Bernard, de Vulpian, de Brown-Séquard, de Marey, de François-Franck, qui, par l'étude directe de la vie, firent faire des progrès immenses aux connaissances en physiologie. La chimie, appliquée à l'étude des sciences biologiques, vint apporter également son précieux concours à la médecine. Berzélius, Gmelin, Liebig, Hoppe-Seyler, en étudiant plus particulièrement les humeurs des corps vivants, rendirent des services importants.

Les sciences physiques, en fournissant à la physiologie des instruments enregistreurs, à la clinique des instruments d'exploration et à la thérapeutique des agents physiques tels que l'électricité, ont eu également une part considérable dans les progrès de la médecine. C'est ainsi que le cardiographe de Chauveau et Marey, les appareils divers de Weber, Poiseuille, Valentin, Volkmann pour l'étude de la circulation; le spiromètre d'Hutchinson, etc., ont permis de donner à l'étude de la circulation et de la respiration une précision presque mathématique. L'emploi de l'électricité en physiologie a permis de contrôler les faits découverts par Cruveilhier, Broca et Charcot à l'aide des seuls recours de la clinique, et de déterminer dans les centres nerveux des localisations pour les divers mouvements du corps, grâce aux travaux de Fritsch et Hitzig, de Ferrier, de Carville et Daret. Ces découvertes ont permis aux chirurgiens d'intervenir avec précision dans un certain nombre de lésions cérébrales. Elles ont, en tous cas, assuré le diagnostic précis d'un grand nombre de maladies du système nerveux. L'examen de certains organes a été grandement facilité également par les applications de la physique à la médecine. Cagniard-Latour, Liston, mais par-dessus tout Garcia, réussirent à explorer le larynx à l'aide de miroirs. Czermak, en perfectionnant définitivement le laryngoscope et en en vulgarisant l'emploi, put étudier et soigner directement les affections du larynx. Desormeaux, par l'emploi de son endoscope, instrument bien perfectionné depuis, arriva le premier à pouvoir examiner la cavité de la vessie. Récamier, en tirant de l'oubli le spéculum des Anciens, et en le perfectionnant, fournit les moyens d'arriver à un diagnostic précis des maladies de l'utérus. Helmholtz, en inventant l'ophthalmoscope en 1831, dota la médecine d'un appareil précieux, permettant d'étudier les altérations du fond de l'oeil. Bouchot montra l'importance que peuvent avoir ces altérations pour le diagnostic de certaines maladies générales.
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Charcot donnant une leçon sur l'hystérie à la Salpêtrière (tableau de Brouillet).

La mesure de la température ou thermométrie, dont l'utilité avait déjà été reconnue par Boerhaave, fut systématisée par Bouillaud. Piorry, Andral, Donné, Gavarret, Roger, Wunderlich, Charcot l'appliquèrent heureusement au diagnostic des diverses maladies. La thérapeutique a tout particulièrement profité des découvertes de la chimie et de la physique. La découverte d'un grand nombre de corps nouveaux, expérimentés d'abord par le physiologiste, puis par le clinicien, a été le point de départ de traitements plus rationnels, qui, à la vérité, s'adressent beaucoup plus souvent aux symptômes qu'à la cause de la maladie. La découverte des divers alcaloïdes sous l'impulsion première de Serturner, de Pelletier et de Caventou, de Regnault, de Dumas, de Stass, a débarrassé la thérapeutique d'un grand nombre de formules compliquées, et lui a fourni des substances actives, facilement dosables, dont le nombre s'accrut rapidement.

La découverte des anesthésiques, en facilitant les opérations chirurgicales, et en supprimant la sensibilité, par l'emploi de l'éther (Jackson), du protoxyde d'azote (Horace Wells), du chloroforme (Flourens et Simpson), a marqué une ère nouvelle dans la thérapeutique des affections chirurgicales. L'emploi de l'électricité comme moyen thérapeutique a également été expérimenté. Les sciences naturelles ont apporté elles aussi un heureux appoint à la médecine. Nous voulons parler tout particulièrement du parasitisme qui a été l'occasion d'une révolution véritable dans la connaissance des maladies. Les champignons parasites découverts par Schoenlein, Robin, Davaine, les différents parasites animaux, bientôt bien connus et décrits, ne forment que la partie de beaucoup la moins importante de ce parasitisme; les divers microbes, au contraire, jouent un rôle tellement important dans la pathologie que leur étude a transformé complètement la connaissance des maladies, et a donné des moyens plus puissants pour les combattre.

La recherche de la cause des maladies, non pas la cause apparente, mais la cause profonde, immédiate, avait de tout temps préoccupé les médecins. Connaître la cause d'une maladie, n'est-ce pas connaître les moyens de la prévenir, et dans une certaine mesure ceux de la guérir? Aussi de grands efforts avaient-ils été faits dans ce sens. Les conditions générales des maladies, les intoxications aiguës et chroniques avaient été étudiées par Bertillon, Grisolle, Tanquerel des Planches, Blandet, Lancereaux, Tardieu, etc. L'influence de l'hérédité avait été particulièrement étudiée par Lucas, Motel, etc. Mais la cause réelle d'un grand nombre d'affections échappait encore. Avec les travaux de Pasteur, un grand nombre de maladies, réunies sous le nom de maladies infectieuses, sont connues dans leur essence. Une d'entre elles, et des plus terribles, la diphtérie, a trouvé son remède. De tous côtés se poursuivent des recherches qui permettent d'espérer les plus heureux résultats. Ce que le début du XIXe siècle a vu s'accomplir pour la connaissance et la classification des maladies, leur diagnostic sur l'être vivant, la fin du siècle le voit se compléter par la connaissance des causes d'un grand nombre de ces maladies, par la connaissance également du remède approprié à certaines d'entre elles.

Si nous avions à écrire l'histoire de la chirurgie, nous devrions étudier la révolution que les doctrines nouvelles ont amenée dans les pratiques chirurgicales. Les méthodes antiseptiques et aseptiques, directement issues des connaissances bactériologiques, ont reculé  limites la possibilité des interventions. Il est, également juste d'ajouter qu'elles ont étendu leurs bienfaits à toute la thérapeutique externe et aux plus banales pratiques de la médecine journalière. L'obstétrique a également, dans la plus large mesure, profité de cet esprit nouveau. Cette évolution si remarquable, due pour la plus grande part aux recherches de Pasteur, avait été préparée par des découvertes antérieures, qui n'enlèvent rien d'ailleurs à l'esprit supérieur qui, par son observation sagace et par ses expériences multipliées, lui a imprimé sa direction fidèlement suivie par la suite. 

Les théories pasteuriennes ne sont que le résultat le plus complet et le plus éclatant de la méthode d'observation et d'expérimentation en honneur depuis les premières années du XIXe siècle. Si l'expérimentation semble souvent y tenir plus de place que l'observation, il faut voir là simplement un artifice nécessaire de simplification. Les phénomènes biologiques nous apparaissent si complexes que l'analyse seule que représente l'expérimentation peut nous en rendre raison. Pour le moment, il faut bien l'avouer, cette expérimentation qui, fatalement, s'est faite simple est loin de nous rendre compte de tous les phénomènes observés. Les prédispositions morbides, les phénomènes de l'hérédité, les virulences des diverses formes microbiennes, pour ne citer que les plus connus, sont encore des problèmes auxquels le siècle ne saura apporter de solution. Ainsi qu'il est dit couramment, le microbe ne fait pas tout, tant s'en faut, le terrain sur lequel il se développe a une grande part dans l'éventualité et dans la modalité des phénomènes morbides, et cette part reste encore presque inconnue. Il n'en est pas moins vrai qu'un pas immense a été fait en avant, et s'il ne faut point réduire toute la médecine à la bactériologie, il n'en est pas moins évident que les résultais acquis par cette science nouvelle sont supérieurs de beaucoup à tout ce qui avait été vu jusqu'alors.

Pasteur fut, comme on le sait, conduit à ses découvertes  par ses études sur les fermentations. Déjà Cagniard-Latour avait exprimé l'idée que les levures ne sont autre chose que des organismes inférieurs, et Plane avait avancé, sans le démontrer, qu'un grand nombre de maladies étaient dues à des moisissures. Mais l'étude de Pasteur sur la fermentation lactique, en 1857, jeta un jour nouveau sur l'union des phénomènes chimiques et des phénomènes biologiques. Il démontra que la fermentation est corrélative de la vie, qu'elle est un phénomène essentiellement vital. Les études qu'il publia ensuite sur la levure de bière et la méthode des cultures successives qu'elles inauguraient vinrent apporter une démonstration rigoureuse de ce qu'il avait avancé. Ses débats avec Pouchet, au sujet de la génération spontanée, et l'ensemble des expériences admirables dont ils furent le point de départ, eurent une importance non moins grande pour la médecine que pour la biologie générale. Entre temps, les méthodes d'études de Pasteur en se vulgarisant et ses recherches personnelles permettaient de déceler, dans l'être vivant, l'existence d'organismes inférieurs analogues aux levures et qui provoquent des phénomènes morbides que l'expérimentation peut reproduire à volonté.

Davaine et Rayer, en 1850, Pollendor et Brauell, Delafond avaient découvert et décrit dans le sang des animaux charbonneux des bâtonnets, qu'ils considéraient comme les agents de la maladie. Pasteur rapprocha ces organismes des agents de la fermentation butyrique. Davaine, et surtout Chauveau, reprenant les expériences de leurs devanciers et usant de la filtration, comme le fit Chauveau, montrèrent que ces organismes nouvellement connus, étaient bien réellement les agents de l'affection charbonneuse. Hallier essaya vainement de les cultiver, mais Pasteur, Chamberland, Joubert, arrivèrent à cultiver la bactéridie charbonneuse sur un milieu complètement artificiel. Les recherches de Pasteur sur la génération spontanée devinrent le point de départ de la préparation des bouillons et des milieux de culture, composés au besoin à l'aide de substances purement inorganiques. Koch en Allemagne eut le mérite d'arriver à séparer, par des cultures successives, les microbes à l'état de pureté et de démontrer qu'ils conservaient leur virulence particulière. A partir de ce moment, les découvertes se multiplièrent. Pasteur découvrit les agents de la septicémie, de l'ostéomyélite et indiqua en même temps diverses conditions biologiques des microbes. A la découverte des germes du choléra des poules, du rouget du porc, de la diphtérie, de la tuberculose, de la fièvre typhoïde, du choléra sont indissolublement joints les noms des élèves de Pasteur ou de ses disciples étrangers, Toussaint, Arloing, Cornevin, Thomas, Capitan, Charrin, Roux et Yersin, Klein, Loefller, Koch, Eberth.

Mais connaître les forme microbiennes et savoir qu'à telle maladie se rattache telle bactérie était relativement peu. Les conditions du développement de ces agents furent étudiées de plus près, leurs produits de sécrétion expérimentés sur les animaux. On s'inquiéta des causes de l'immunité apparente dont jouissent certains individus ou certaines populations, de l'influence de la température et des milieux sur le développement des microbes. Les procédés de recherches se perfectionnèrent et l'on peut dire qu'en quelques décennies la microbiologie est devenue un mode de recherche à la portée de tous et indispensable au médecin pour le diagnostic de certains cas difficiles. L'apparition des doctrines pasteuriennes suscita dès le début les plus vives espérances au point de vue de la thérapeutique. Certaines de ces espérances devaient se réaliser rapidement. Les vaccinations de Pasteur contre le charbon, contre la rage, et ensuite, les vaccinations plus brillantes encore peut-être de Behring et de Roux contre la diphtérie ont fait date en médecine. (Dr M. Potel).

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