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La matière dans l'Antiquité
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Jalons
La matière selon Aristote

Aristote de Stagire (mort en 322 avant J.-C.) s'éloigna, quoique disciple de Platon, de la philosophie de l'école académique. Autant Platon se plaisait dans les sphères de l'idéal, autant Aristote se livrait avec prédilection à l'étude de la nature, et en particulier à celle des animaux et des plantes, dont Alexandre le Grand pouvait expédier à son maître les plus riches collections.

C'est l'expérience, dit Aristote, qui doit fournir la matière pour être travaillée et convertie en principes généraux; car la logique n'est que l'instrument (organon) qui doit fournir la forme de la science.
Malheureusement, les péripatéticiens et ceux qui invoquaient l'autorité d'Aristote n'étaient pas toujours fidèles à ce sage précepte, auquel, du reste, le maître avait Iui-même souvent dérogé.

Les ouvrages d'Aristote n'ont qu'un médiocre intérêt pour l'histoire de la chimie. La Physique, les Problèmes et les Météorologiques, ces derniers commentés par Alexandre d'Aphrodisie, contiennent une multitude d'idées générales ou de conceptions vagues, qui, n'étant pas fondées sur des faits positifs, peuvent quelquefois signifier tout ce que l'interprétation voudra leur prêter. Il n'en est pas de même des faits que l'observation peut vérifier en tout temps; ceux-là , on peut les citer sans s'exposer à des équivoques. Malheureusement , ils sont en petit nombre, malgré l'espèce de culte qu'Aristote professe pour l'expérience.

Moins habile dialecticien, mais plus naturaliste que Platon, Aristote exposa sur la matière et sur le mouvement en général, des idées originales qui ont fait longtemps autorité dans les écoles. Aristote admettait, comme Platon, quatre éléments ou plutôt cinq éléments : deux éléments opposés, la terre et le feu; deux intermédiaires, I'eau et l'air; et un cinquième élément, l'éther, plus mobile que le feu dont le ciel était formé, et dont il fait aussi dériver la chaleur vitale des animaux.

Il est question, dans  plusieurs endroits des Météorologiques, de la vaporisation de l'eau par la chaleur, et de sa condensation par le froid. Ce fait, d'une observation banale et à la portée de tout le monde, devait naturellement conduire à la découverte d'un des procédés les plus importants de la chimie, à la distillation. Si la distillation n'est pas décrite par Aristote en termes aussi explicite, qu'on pourrait le désirer, au moins l'est-elle par Alexandre d'Aphrodisie qui vivait environ six cents ans après Aristote.

Voici le passage d'Aristote qui devait suggérer à son commentateur l'idée de la distillation :

L'eau de mer est rendue potable par l'évaporation; le vin et tous les liquides peuvent être soumis au même procédé : après avoir été réduits en vapeurs humides, ils redeviennent liquides.
Dans un autre endroit (Météorologiques, lib. I , c. 31), Aristote explique très bien la rosée par la condensation des vapeurs d'eau suspendues dans l'air, qui vont se précipiter sur la terre par l'action du froid. Il ajoute, avec raison, que la neige n'est que de l'eau congelée par un degré de froid plus grand que celui qui est nécessaire pour amener la vapeur à l'état liquide.

Ailleurs (Météorologiques, lib. II, c. 2), le chef des Péripatéticiens explique, aussi bien qu'on le ferait aujourd'hui, à quoi l'eau de mer doit son goût amer et salé. 

De même que l'eau, dit-il, qu'on filtre à travers des cendres acquiert un goût désagréable, ainsi l'eau de mer doit sa saveur aux sels qu'elle renferme. L'urine et la sueur doivent également leur saveur à des sels qui restent au fond du vase, après qu'on a évaporé l'eau.
Ces remarques seraient propres à nous donner une haute idée de l'esprit d'investigation d'Aristote, si elles n'exprimaient pas des faits depuis longtemps connus, et probablement aussi bien expliqués avant le philosophe de Stagire.

Mais voici un fait que raconte Aristote, et dont la connaissance ne paraît pas avoir  été aussi généralement  répandue :
Lorsqu'on met dans la mer un vase d'argile bien fermé de toutes parts, on remarque que l'eau qui  y pénètre à travers les pores  est de l'eau potable, et aussi pure que si elle avait été filtrée et débarrassée de ses parties salines. (Météorologiques, lib. II, c. 2, sect. 17).
Un peu plus loin, Aristote fait observer que si les eaux de la mer peuvent porter de plus grands navires que les eaux douces, c'est à cause du sel qu'elles tiennent en dissolution. Et pour preuve il cite une expérience d'après laquelle un oeuf plein, placé dans une cuvette d'eau, tombe au fond, tandis qu'il surnage lorsque l'eau a été été préalablement salée.

Aristote divise les eaux en eau stagnante, en eau de fontaine, en eau de rivière et en eau de mer. Cette division est, en quelque sorte, justifiée par les différences des substances qu'y indique l'analyse.

Il raconte ensuite que dans lui certain endroit de l'Ombrie on brûle différentes espèces de joncs, qu'on en fait bouillir les cendres avec de l'eau que l'on évapore ensuite, et qui enfin il se dépose, par le refroidissement, une quantité notable de sel que l'on recueille. De là il arrive à faire mention des fontaines ou sources, dont les eaux doivent leur saveur et leurs propriétés à des sels qu'elles renferment; et il cite, à cette occasion, les sources acides de la Sicile, les sources amères de la Scythie. Il parle surtout de l'alun et de la chaux que ces eaux pourraient renfermer.

Le tonnerre et les éclairs sont, suivant Aristote, produits par des esprits subtils, qui s'enflamment avec bruit, à peu près comme le bois, qui, en brûlant, fait quelquefois entendre un pétillement. L' éclair, ajoute-t-il , est un esprit incandescent.

On pourrait ici faire un singulier rapprochement entre les idées d'Aristote et une opinion émise deux mille ans plus tard par un des fondateurs de la chimie moderne, Berthollet, l'un des fondateurs de la chimie moderne, qui, soutenait que le tonnerre et l'éclair étaient l'effet de la combustion des gaz hydrogène et oxygène dans les régions supérieures de l'atmosphère.

Le bois se compose de terre et d'air; c'est pourquoi le bois est combustible et non liquéfiable. Les corps peuvent être divisés en liquéfiables et en non liquéfiables. Ces phénomènes se rattachent aux effets des causes contraires; car tout corps que le froid et le sec coagule est nécessairement liquéfié par le chaud et l'humide. Les corps, ajoute Aristote, que l'eau ne dissout pas, le feu les dissout; et cela tient à ce que les pores de ces corps sont plus ouverts au feu qu'à l'eau. (Météorologiques, lib. IV, text. 30, Comment. Alex. Aphrod.).
Il est à remarquer qu'Aristote se sert de la même expression pour désigner la dissolution aqueuse, et la fusion (liquéfaction) par le feu. Il admettait dans la fusion des métaux une pénétration des particules du feu dans les pores de ces métaux, de même qu'il admettait une pénétration des particules de l'eau dans la dissolution des corps. Un fait que l'on trouve bien observé et nettement formulé dans Aristote, est celui de l'évaporation de l'eau, en raison de la surface que celle-ci présente :
L' eau que l'on conserve. remarque-t.il, dans une coupe, s'évapore très lentement, tandis que cette même quantité d'eau versée sur une table s'évapore très promptement. (Météorologiques, lib. II, text. 7, Alex. Aphrod.).
La matière selon Théophraste

Parmi les nombreux disciples d'Aristote, on distingue particulièrement Théophraste d'Éressos (fl. 315 av. J.-C.), qu'Aristote avait désigné lui-même, comme le plus instruit de ses auditeurs, pour être son successeur et son héritier. Théophraste est souvent cité comme une autorité par les philosophes physiciens et par les chimistes des siècles subséquents. Parmi les nombreux écrits qui portent son nom, plusieurs sont sans doute apocryphes; comme son Traité sur la pierre philosophale, et d'autres traités du même genre. Platon et Aristote ont eu, sous ce rapport, le même sort. Reste que ce qui nous est parvenu des idées de Théophraste sur la matière prolonge de façon intéressante celles qu'en avaient Aristote.

Voici un résumé des observations et des faits les plus saillants consignés dans différents ouvrages de Théophraste.

Dans un petit Traité sur les pierres, l'auteur fait mention des charbons fossiles (charbons de terre qu'il dit pouvoir servir aux mêmes usages que les charbons de bois. Ou en trouve, ajoute-t-il, mêlé avec du succin, en Ligurie et en Élide; les fondeurs et les forgerons en font une grande consommation. - Ainsi, l'emploi du charbon de terre, dans les travaux métallurgiques, remonte à une assez haute antiquité.

Pour tailler et polir les pierres précieuses, on se sert, dit Théophraste, du fer. L'auteur remarque ensuite fort bien que l'on obtient un verre coloré en faisant fondre du cuivre avec des substances qui donnent le verre ordinaire. Il remarque, en outre, que l'orpiment et la sandaraque (deux sulfures d'arsenic, que Théophraste est le premier auteur à mentionner) se rencontrent dans les mines d'argent, et quelquefois même dans les mines de cuivre, mais qu'alors ils sont accompagnés d'ocre, de chrysocalque et d'azur (pyrite et carbonate de cuivre); il ajoute que l'industrie s'applique à faire, en brûlant l'ocre, du rouge artificiel (colcothar), et que l'on distingue l'azur naturel de l'azur artificiel, qui se fabrique particulièrement en Égypte.

Théophraste indique la préparation du minium, de la céruse et du vert-de-gris, à peu près comme l'ont plus tard indiqué Vitruve et Pline.

Le Traité du feu renferme des discussions subtiles sur le froid et l'humidité, sur la chaleur et la sécheresse, empruntés  la plupart à la doctrine d'Aristote. Cependant le passage suivant mérite notre attention, en ce qu'il touche à un fait de la plus haute importance, et qui, chose extraordinaire, ne devait être mis en relief et bien démontré qu'après environ deux mille ans de recherches et de tâtonnements  :

Il n'est pas irrationnel de croire que la flamme est entretenue par un souffle ou un corps aériforme.
Théophraste dit, en terminant, qu'il donnera ailleurs plus de détails sur tout cela. Mais comme il ne revient nulle part sur ce même sujet, il faut croire, ou qu'il a oublié sa promesse, ou que son ouvrage a été perdu.

C'était un préjugé généralement répandu, et que nous retrouverons également à l'occasion du feu grégeois, que la poix enflammée ne peut être éteinte par l'eau, mais bien par l'huile et le vinaigre (Traité du feu, de Théophraste).

A propos de substances aromatiques et des huiles essentielles, Théophraste remarque avec justesse que l'odeur est due à la volatilité des corps; qu'il n'y a que les corps à l'état de combinaison qui affectent l'odorat, et que les corps simples sont inodores.

L'air joue, suivant Théophraste, un rôle important dans le développement des plantes, et à l'influence de l'air il faut encore ajouter celle du terrain :

L'air, dit-il, et les localités influent puissamment sur les différentes qualités des plantes. 
S'il est vrai que beaucoup de ces traités, attribués à Théophraste, sont supposés et d'une origine plus récente, leur style et leur langue laisse croire à leur ancienneté; en tout cas, ils ne ressemblent pas à ceux des écrivains de l'école d'Alexandrie. (Hoefer).
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