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La littérature provençale
et les littératures occitanes
On comprend sous le nom de littérature provençale les productions littéraires, non pas seulement de l'ancienne Provence, mais aussi du Languedoc, du Limousin, de l'Auvergne, de l'Aquitaine, et, en général, de tous les pays qui parlaient le roman du midi ou langue d'oc. Ce n'est même pas la Provence qui fournit les meilleures de ces productions : Arnaud Daniel, Girard de Borneilh, Bertrand de Born, Bernard de Ventadour reconnus de leur temps comme les plus célèbres Troubadours, eurent pour pays d'origine le Limousin, et les Italiens; les Espagnols, les Portugais désignent la littérature provençale sous le nom de Lemosina. Il est facile de comprendre pourquoi l'expression de Littérature provençale a prévalu. Au commencement du XIIIe siècle, les centres littéraires ou écoles de Troubadours qui s'étaient formées auprès des comtes de Rodez, d'Auvergne, de Poitiers, n'existaient plus; la croisade contre les Albigeois fit aussi disparaître la cour des comtes de Toulouse. La poésie du Midi, bien que profondément altérée dans son esprit, trouva un dernier refuge en Provence. C'est pour avoir recueilli l'héritage littéraire de tout le Midi, et pour avoir représenté, seule en-deçà des Pyrénées, la littérature méridionale pendant deux siècles et demi, que la Provence, dans l'esprit des hommes du Nord, a laissé son nom à cette littérature, cultivée primitivement entre la Loire, la Sèvre-Niortaise, l'Atlantique, les Pyrénées, la Méditerranée et les Alpes, c.-à-d. dans des contrées même qui, comme le Poitou, la Saintonge et une partie de l'Anjou, adoptèrent plus tard la langue d'Oïl

Les poésies des Troubadours représentent en grande partie tout ce qui reste de la littérature provençale. Suivant une opinion assez générale, ces poésies ne seraient que de fades redites d'amour. Sans doute l'élégie amoureuse tient une grande place dans la poésie provençale; mais il s'en faut de beaucoup qu'à ce genre se réduisent les oeuvres lyriques des Troubadours, c.-à-d. les pièces composées en strophes de mètres très artistement combinés, toujours chantées avec accompagnement de rebec, et dont plusieurs sont encore notées en musique. En effet, il y a les sirventes ou pièces satiriques, du caractère des ïambes grecs; les plaintes (planhs), consacrés à la mémoire des braves; les chants de guerre (cants), destinés à célébrer la poésie des combats; les prézies (prédicansas) ou appels, ordinairement consacrés à relever le zèle des barons pour la défense de la foi : genres lyriques fort distincts de la poésie amoureuse, et qui renferment les meilleurs titres des Troubadours à l'estime de la postérité. Certaines de ces pièces sont remarquables par une force et un éclat que l'on chercherait vainement alors dans le reste de l'Europe.

Un des genres favoris des Troubadours, toujours dans le lyrique, était encore le tenson (contentio), appelé jeu-parti dans la langue d'oïl, parce que deux interlocuteurs y sont toujours en présence; comme dans certaines églogues de Virgile : c'était pour eux une manière de déployer leur esprit, en agitant une question ou un cas douteux. Toutes ces compositions poétiques étaient néanmoins considérées comme secondaires par rapport à la canso ou élégie amoureuse. La suprématie de la canso (canzone) était liée, dans l'esprit des poètes provençaux, à certaines idées plus raffinées sur la nature de l'amour vertueux, et sur ses effets : ils attribuaient à ce sentiment l'influence la plus haute et la plus heureuse sur les faits et gestes du chevalier, jusqu'à en faire la source certaine de tout mérite et de toute vertu. Cette théorie provençale de l'amour étant devenue l'un des éléments du système de sentiments et de moeurs connu sous le nom de chevalerie, on a pu dire que la chevalerie a eu sa plus complète expression dans la poésie provençale. Une des formes les plus gracieuses de cette poésie dans le genre amoureux est celle des chants d'aube (albas), petites pièces destinées à être chantées sous les fenêtres des dames au lever du jour (Aubade).

Les Provençaux eurent encore un certain nombre de formes poétiques distinctes des genres lyriques en ce qu'elles étaient composées en tirades monorimes, déclamées en façon de récitatif, et non pas chantées. A cette classe de poésies, appelées proses, appartiennent les poèmes chevaleresques, les nouvelles, les pastourelles (Pastorelas vaqueiras), certains poèmes religieux du genre didactique, en grande partie d'origine vaudoise. 

Sans être les inventeurs du roman chevaleresque, les Provençaux s'y sont exercés avec succès. Nous possédons les manuscrits d'un certain nombre de romans provençaux, tels que Fierabras, Geoffroy et Brunissende, Flore et Blanchefleur, Gérard de Roussillon, Renaud de Montauban, Lancelot du Lac, etc., et les indications d'un très grand nombre d'autres (Fauriel, Histoire de la poésie provençale). Toutefois, la littérature du nord est bien plus riche dans ce genre que celle du  Midi. Les Provençaux reprennent l'avantage dans la Pastourelle, dont ils paraissent avoir créé le genre. Le troubadour Guiraud Riquier (1260) y excella, et fut souvent imité des Trouvères. Mais l'invention de ce genre remonte beaucoup plus haut que l'époque de Guiraud : on en trouve des exemples dans Cercancour, troubadour qui florissait avant 1150, et il est désigné comme auteur de pastourelles dans le goût ancien.

La littérature provençale a été comme le premier essor de l'esprit dans une civilisation naissante; ses productions, principalement en poésie, annoncent un vif sentiment de l'art. Mais le temps manqua aux Provençaux : leur langue, en tant que langue littéraire, et leur littérature furent emportées dans la révolution qui, en écrasant leur pays, détruisit leur nationalité. Voilà pourquoi la littérature provençale est moins riche en prose qu'en poésie. La prose est l'instrument de la raison, qui ne peut atteindre son développement qu'avec le temps. Or, la nationalité provençale fut éteinte dans son printemps, et la politique prit tous les moyens de l'empêcher de revivre. Au premier rang il faut placer le tribunal de l'Inquisition, fondé en 1229, et l'établissement de l'Université de Toulouse, imposé, la même année, à Raymond VII par Louis IX. On interdit l'emploi de la langue provençale dans les actes publics, et on proscrivit les livres écrits en cette langue. Dans cette proscription de tout ce qui rappelait la nationalité ou l'hérésie, disparurent une grande quantité d'écrits qu'avait fait naître la controverse religieuse. Les matières théologiques paraissent, en effet, avoir surtout exercé la plume des écrivains provençaux, et la bibliothèque de Cambridge a longtemps possédé beaucoup de traités vaudois. Pierre Raimond le Preux composa un traité Contre l'erreur des Ariens; Raoul de Gassin traita de la Doctrine des Albigeois et Tuschins. On connaît aussi les titres de plusieurs ouvrages historiques par Geoffroy Rudel, Bertrand de Allamanos et Sordello. Ce dernier avait encore composé une Somme du Droit. Bastera mentionne, d'après Salviati, une traduction toscane de Tite-Live, empruntée au provençal, et il affirme, que cette traduction d'un ancien en langue provençale, est loin d'être la seule.

L'emploi de la langue d'oc ou provençale s'est prolongé dans les municipalités du Midi jusqu'à l'ordonnance de François Ier de 1525, rendant obligatoire, dans tous les actes publics, l'emploi de la langue française. Un grand nombre de chroniques, d'inscriptions et de documents rédigés en provençal font partie des archives de toutes les villes importantes du Midi. Cette langue est encore parlée dans les villes et les campagnes, et des siècles s'écouleront avant qu'elle ait totalement disparu. 

Littérature béarnaise.
Le Béarn a eu son poète, Despourreins, né en 1698; au château d'Accous, dans la vallée d'Aspe. Ses chants, du genre bucolique, sont très populaires dans les Pyrénées et dans le Sud-Ouest de la France, et lui-même en composa la musique. On les trouve dans les Muses béarnaises, Pau, 1835.

La littérature agenaise.
Le dialecte toulousain ou agenais n'a pas changé depuis la guerre des Albigeois; il ne s'est pas enrichi, parce qu'on n'a pas fortement pensé dans cet idiome, depuis que la langue d'oïl a conquis la suprématie que possédait auparavant la langue d'Oc. Il est demeuré la langue du peuple, mais d'un peuple original et poétique dans ses goûts. Parmi les poètes qui s'en sont servis, on peut citer, au XVIIe siècle, François de Cortète, qui a cultivé avec succès la pastorale théâtrale, et Delprat, connu par une imitation des Bucoliques de Virgile

Au XIXe siècle, la variante toulousaine ou agenaise de l'Occitan a reçu de Jasmin une vie nouvelle. Enfant du peuple, Jasmin a exercé longtemps à Agen le métier de coiffeur : cette circonstance a très heureusement servi son talent, en maintenant son originalité native, en lui révélant le génie et les ressources de la langue dont il devait si glorieusement se servir. Ses poésies ont joui, dans tout le Sud-Ouest de la France, d'une popularité immense, et on peut le nommer à ce  titre le dernier des Troubadours. Le plus remarquable de ses ouvrages est un petit poème intitulé : Mous soubenis (Souvenirs). Jasmin y décrit les misères de son enfance, les joies de son adolescence, les premiers pressentiments de sa future renommée. Le sujet est bien simple, mais des plus pathétiques. Là surtout on peut saisir le caractère particulier de cette langue méridionale, goûter le charme de ses tours, la saveur singulière de ses locutions, en apprécier la vivacité, l'originalité. 

On vante beaucoup le poème de l'Abuglo (l'Aveugle), lequel a même obtenu en Amérique (Boston) les honneurs d'une traduction par Longfellow. Nous préférons dans le même genre la pièce charmante intitulée Françonneto, idylle vraie, bien supérieure à la plupart des pastorales modernes; car, ici du moins, on voit de vrais villageois, de vrais bergers, qui portent la houlette autrement que par contenance. Mais, malgré leurs beautés, particulièrement dans les descriptions, ces deux pièces elles-mêmes nous semblent inférieures aux Souvenirs. La langue de Jasmin n'est pas faite pour le ton élevé; quand il écrit des pièces de circonstance ou de commande, il parle français avec des terminaisons en o et en a; rien alors de plus faux que sa poésie. (E. B.).

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