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Le mouvement littéraire
est né dans les Pays-Bas
du Nord vers l'époque de leur affranchissement. Sans doute, avant
cette époque, il y eut des auteurs qui écrivirent en bas-allemand
et en flamand.
Le Moyen âge.
Dès le XIIIe
siècle, il y eut des poètes populaires, mais, pendant la
majeure partie du Moyen âge ,
le mouvement intellectuel des Pays-Bas se confond avec celui de l'Allemagne ,
et la plupart des écrivains flamands sont des habitants des provinces
méridionales. Les Hollandais qui
produisent des travaux de valeur au XVe
siècle et au commencement du XVIe
écrivent en latin, comme Erasme.
Quelques historiens, théologiens et pamphlétaires, rédigent
dans la langue du pays des oeuvres sans grâce et sans force. C'est
l'époque où apparaissent le Gout Cronyxken (1478),
le Fasciculus temporum de Veldenaer (1480), la Chronique frisonne
de Worpvan Thabor (1525), la Chronique de Groningue de Sicke Benninghe
(1530), sèches compilations qui n'ont rien de littéraire,
et dont la valeur historique est plus que discutable.
La langue
s'abâtardit par des emprunts excessifs aux formes françaises,
et elle perd toute originalité sans rien acquérir de l'élégance
et de la netteté propre à sa voisine du Midi. Les livres
d'édification seuls abondent, puis la littérature de la Réforme
fait son apparition; il faut y faire une place spéciale à
David Joriszoon, le fougueux anabaptiste,
puis les innombrables traductions du Nouveau Testament
en langue vulgaire; enfin les adaptations néerlandaises des romans
de chevalerie, le Chevalier du Cygne ,
les Quatre Fils Aymon ,
et le cycle de Charlemagne ,
les légendes comiques comme Tiel Uilenspiegel (Till l'Espiègle)
et Reinaart de Vos, etc. L'imprimerie,
dont la Hollande
a revendiqué, à tort certainement, l'invention, prit de bonne
heure un grand essor dans les provinces septentrionales, et répandit
en abondance ces ouvrages populaires illustrés; le plus souvent
de grossières gravures sur bois.
On doit citer aussi pour la période
bourguignonne les rhétoriciens, dont les confréries existent
dans toutes les localités importantes des Pays-Bas ,
dès la fin du XIVe siècle,
et se multiplient grâce au développement de la puissance communale.
Les rhétoriciens organisent des concours lyriques et dramatiques
qui font événement dans le pays, et qui ont laissé
comme souvenir de nombreuses chansons populaires.
Mais encore une fois, c'est dans les provinces méridionales que
ce mouvement fut le plus intense.
L'influence de la Renaissance
s'est fait sentir chez les lettrés, sans descendre jusqu'aux classes
inférieures, Mais lorsque la Réforme éclate et que
les persécutions se déchaînent, c'est dans le Nord
que se réfugient les novateurs; la littérature
devient un puissant moyen de propagande, et le mouvement littéraire
s'établit dans les provinces septentrionales avec une vigueur remarquable.
Il porte naturellement sa marque d'origine et se manifeste surtout au début
par des chansons religieuses et patriotiques.
La Renaissance.
Le premier littérateur de haute
marque que nous rencontrions est Philippe de Marnix
de Sainte-Aldegonde (1548-1598), qui est peut-être la plus grande
figure littéraire du XVIe siècle
néerlandais; il représente de la manière la plus complète
la fécondation de la littérature flamande par le double esprit
de la Réforme et de la Renaissance .
Par ses puissantes facultés et l'étonnante activité
de sa vie, l'infatigable lutteur a pu laisser jusque dans le domaine de
l'enseignement grammatical des traces de son influence (J. Stecher). Contre
les rhétoriciens, il revendique les droits de la vieille langue;
contre la routine, il prouve, par son propre exemple, qu'on peut améliorer
le flamand sans le dénaturer. On admire les richesses qu'il a tirées
du parler populaire, des tours quotidiens, des dictons séculaires,
des images traditionnelles. Il semble quelquefois oublier la rigidité
du calvinisme, tant il est souple et léger
dans sa prose du Bÿenkorf (la Ruche de la Sainte-Église
romaine). Dans ses brochures satiriques, il excelle à rajeunir
l'idiome du peuple par des artifices que lui ont appris ses fortes études
d'humanités; on y voit tour à tour l'exubérance de
Rabelais
et la lucidité de Calvin. Les tournures
étrangères qui auraient pu lui rester de ses voyages, de
ses lectures et surtout de ses écrits en français
et en latin, ne se retrouvent plus dans
ses compositions néerlandaises.
Soit qu'il discute, qu'il raille ou qu'il s'abandonne même au plus
hardi lyrisme, en vers comme en prose, Marnix puise sa force au fond de
l'élément populaire. Il renouvelle les mots en les reprenant
à leur véritable source, et il donne à la prose néerlandaise
la force, l'élégance et la souplesse qu'il faut pour porter
les idées modernes.
Moins ardent, mais non moins patriote,
Dirck
Volkertszoon Coornhert (1522-1590) est un esprit ferme, judicieux,
s'attachant à écarter les problèmes inutiles, et accordant
la plus grande importance aux devoirs et aux vertus domestiques; il s'essaie
dans tous les genres, chansons, travaux de
controverse, poèmes et comédies,
et dans toutes ses oeuvres si diverses, il prêche la sagesse, la
modération, la tolérance; c'est un précurseur, car
ses plaidoyers en faveur de la liberté de conscience lui attirent
les calomnies des fanatiques des deux religions, et les persécutions
d'autorités intolérantes. Il dépasse son siècle
pour la pensée et pour le style où l'on retrouve quelque
chose de l'indépendance de Montaigne.
Nous avons parlé des rhétoriciens.
Ces sociétés littéraires, si brillantes dans les provinces
méridionales avant les troubles du XVIe
siècle, se développent plus tard au Nord. Des protestants
réfugiés fondent à Amsterdam
la Blanche fleur de Lavande, le Figuier et l'Églantier,
qui deviennent d'intenses foyers de vie littéraire. Là se
rencontrent tous ceux qui ont conservé le culte des choses intellectuelles,
quelle que soit leur position sociale, et, chose plus étonnante,
on voit à certains moments protestants et catholiques
fraterniser sur ce terrain neutre, et oublier les âpres luttes de
la vie publique. On y voit les catholiques Boomer Visscher et Spieghel
se retrouver avec le mennonite Coornhert aux
réunions de l'Eglantier, la société la plus
aristocratique des rhétoriciens. Roemer Visscher (1545-1630) est
un épigrammatiste qui n'a de fiel que contre les rimeurs de la vieille
mode; ses filles, Anna Roemer Visscher et Maria Tesselschade Visscher écrivent
des odes et des cantiques pleins de délicatesse;
son ami Spieghel (1549-1642), dans son poème, le Miroir du coeur,
contribue à fixer les règles de la prosodie, essaie de concilier
le stoïcisme avec la doctrine de l'amour
de Dieu, et raille doucement les exaltés
de tous les partis. Parmi ces rhétoriciens, un des plus remarquables
est Pieter Cornelisz Hooft (1581-1647), drossart
d'Amsterdam, auteur d'idylles comme Granida, et de tragédies
comme Geraerdt van Velsen, mais qui a plus de titres encore à l'estime
de la postérité par son Histoire de Hollande et son
Histoire
de Henri le Grand.
Bien au-dessus de tous les précédents
se place Joost van den Vondel (1587-1679), né
à Cologne
de parents anversois, qui vécut à Utrecht
et à Amsterdam .
Ses premières pièces sont des épithalames
et d'autres poésies destinées à célébrer
des événements de famille, puis, en 1611, il fait jouer un
drame
biblique sur le théâtre de la
Fleur
de Lavande : c'est la Pâque (Pascha), où
l'on représente allégoriquement Pharaon-Philippe II, et l'on
exalte la Belgica « qui a préféré la
liberté de l'Evangile au dieu du Tibre ». L'intolérance
des calvinistes l'indigne, et les persécutions
exercées contre Grotius et Olden
Barneveldt lui inspirent la splendide tragédie
de Palamedes, qui obtient un succès prodigieux. Puis, trouvant
ses coreligionnaires scandaleusement infidèles au principe de la
liberté, il rentre dans le sein de l'Eglise
catholique, blâme énergiquement les luttes soutenues pour
l'indépendance des Provinces-Unies ,
et fait l'éloge du régime espagnol .
On conçoit l'indignation de ses concitoyens en présence de
cette volte-face. Vondel n'en continua pas moins à travailler jusqu'à
la fin de sa longue existence, et composa plus de trente tragédies
empruntées les unes à l'Antiquité ,
comme Hécube, d'autres à la Bible ,
comme Lucifer ou Joseph, d'autres à l'histoire nationale,
comme Gisbert van Amstel ou le Sac d'Amsterdam; on lui doit aussi
des traductions en vers de poètes
latins comme Ovide et Virgile,
des psaumes, des satires, des poésies
légères. Il est le maître incontesté de la littérature
néerlandaise, le « Rubens de la poésie
flamande ».
Le XVIIe
siècle.
Le plus populaire des écrivains
du grand siècle est sans contredit Jacob Cats
(Vader Cats, 1577-1660), qui fut ambassadeur en Angleterre
et Grand Pensionnaire de Hollande .
Calviniste intraitable et orangiste déterminé, il fut un
de ceux qui s'acharnèrent avec le plus de violence contre Vondel
après son retour à la religion
catholique. Ses nombreuses poésies brillent par une imagination
féconde, une candeur naïve et une grande pureté d'expression,
mais il est d'une prolixité fatigante. Son poème allégorique
Emblemata;
son Proteus en Galathea, son Miroir du passé et du présent
(Spiegel van den ouden en nieuwen Tijt, mais surtout sa Bible
de la jeunesse et sa Bible des paysans, pleines de bonhomie
moralisante et didactique, furent l'objet d'un grand enthousiasme de la
part de ses contemporains, tant en Belgique
qu'en Hollande. Un proverbe disait : on loue Vondel, mais on lit Cats
(Vondel wordt geprezen, Cats gelezen). Puis, il tomba en quelque
sorte dans l'oubli, et il fallut les objurgations de Bilderdjik
au commencement du XIXe siècle pour
faire cesser cette injustice.
Nous devons, citer aussi Constantin
Huygens, seigneur de Zuijlichem (1596-1687), secrétaire du prince
Frédéric de Nassau, et ambassadeur de la République
auprès de Louis XIV, qui, pendant le
cours d'une longue vie, se délassa par le culte des lettres des
travaux ardus de la politique, et fut le correspondant de Corneille,
de Conrart et de Balzac. Ses oeuvres poétiques
se comptent par centaines : épigrammes
latines (Monumenta desultoria); poésies légères,
en hollandais, comme les Heures
de loisir (Ledige Uuren), la Description de la maison de
campagne (Hofwijk), les Bleuets (Korenbloeme);
des satires sur les moeurs et la société de La Haye ,
comme
Batava Tempe et Voorhout van S'Gravenhaye. Toutes les
oeuvres sont pleines de verve et d'originalité, habilement versifiées,
mais l'auteur pousse à l'excès la recherche de l'antithèse
et la préciosité. Westerbaan, Zweerts, Antonidès,
Rotgas sont aussi d'habiles versificateurs, mais l'inspiration leur fait
défaut.
Après Vondel,
le théâtre hollandais vécut
surtout de traductions de pièces françaises; les pièces
du cru sont rares et malvenues. Il convient cependant de faire une exception
pour Bredero, d'Amsterdam ,
qui veut peindre le vice avec assez de relief pour le faire détester.
C'est dans cet esprit qu'il fit jouer des pièces comme l'Impudicité
(Ontucht),
la Haine (De Haat) et qu'il acheva son
tableau des Sept Péchés capitaux (Hoofdzonde).
Si l'on peut contester l'efficacité de cette photographie des carrefours,
il faut du moins y reconnaître une précieuse fidélité
de reproduction; des types se meuvent avec le plus grand naturel et parlent
un langage net et vrai. Il convient de rappeler ici, à côté
de ces poètes, Gérard Brandt (1625-1885), qui fut, lui aussi,
poète à ses heures, mais qui se distingue surtout par son
mérite d'historien. Son Histoire de la Réformation
et son Histoire du procès de Barneveldt, Hoogerbeets et Grotius
en 1618 et 1619, ont gardé leur valeur.
Le XVIIIe
siècle.
Avec le XVIIe
siècle finit la période florissante de la littérature
néerlandaise; on dirait qu'elle suit les fluctuations de la politique.
Le XVIIIe siècle est le siècle
des imitateurs - souvent maladroits - de la France .
On ne rencontre guère que de froides amplifications comme la
Vie de saint Paul, mise en vers par Bruyn (1670-1739), ou le poème
d'Abraham de Hoogvliet (1687-1735). C'est à cette époque
que naît l'école dite des riviéristes ou chantres
des rivières; l'Amstel est célébrée par Simon
de Winter (1718-1795), la Rotte par Dirk Smits (1702-1753); on voit paraître
aussi beaucoup de traductions des psaumes, des auteurs anciens comme Anacréon
et Ovide, et des modernes comme Fénelon
et Voltaire. Mais c'est la décadence
complète; à peine peut-on signaler quelques exceptions :
Pierre Langendÿk (1683-1756), auteur d'une espèce de Virgile
travesti (De Eneas van Virgilius in zyn Zondagspak), plein de
verve comique; Nomsz (1738-1803) qui composa des tragédies
dont la meilleure célèbre l'héroïsme de la princesse
d'Epinoy, défendant Tournai contre les Espagnols (Marie van Lalaing
of de verovering van Doornik), des comédies
originales, des poèmes sur Guillaume
Ier et
Maurice
de Nassau; le poète paysan Hubert Poot (1689-1733). Par contre,
nous devons citer un grand historien : Jean Wagenaar (1709-1773), dont
la Vaderlandsche historie est de tout premier ordre. Les romans
qui voient le jour, assez nombreux, imitent des modèles français
avec une trop grande servilité, mais non sans grâce parfois.
Elisabeth Bekker (1738-1804) mérite une mention dans ce genre littéraire.
L'influence française cependant
s'affaiblit, et vers la fin du XVIIIe siècle
les littérateurs néerlandais s'inspirent plutôt de
l'Angleterre
et de l'Allemagne ,
d'autant plus que la domination française est absolument impopulaire
dans les Pays-Bas .
Le sentiment national se réveille grâce à la persécution,
et quelques écrivains de valeur s'efforcent de le galvaniser : tels
Jean-Frédéric Helmers (1767-1843) dans son poème de
la Nation hollandaise (De hollandsche Natie); Jérôme
van Alphen (1746-1803) dans ses Chants patriotiques (Nederlandsche
Gezangen); Rhÿnvis Feith (1770-1823),
qui, après avoir célébré la France
dans son Lierzang van Frentrÿk, est désabusé
par la tyrannie de l'occupation étrangère,
et célèbre les bienfaits de la paix.
Le XIXe
siècle.
Au tournant du XIXe
et du XXe siècle, l'auteur le plus
éminent est Willem Bilderdijk
(1756-1831). Doué d'un esprit vraiment encyclopédique, versé
dans la plupart des sciences, il fut un poète d'une rare fécondité
et d'une réelle puissance. Il aborda tous les genres, depuis l'épigramme
jusqu'à la tragédie et l'épopée.
II excella surtout dans le genre didactique
: dans ses Fleurs d'hiver (Winterbloemen) par exemple, qui
comprennent une espèce d'art poétique, où le romantisme,
dont il n'a d'ailleurs pas saisi l'importance, car c'est un classique intransigeant,
aussi réactionnaire en littérature
qu'en politique, est raillé avec beaucoup
de verve et d'esprit. Nous citerons aussi la Maladie des savants
(De Ziekte der geleerden), où il décrit d'une manière
très amusante les tribulations auxquelles sont exposés les
gens de lettres. Son chef-d'oeuvre est un poème épique :
la
Destruction du monde primitif
(Des eersten wereld vernieting);
malheureusement les cinq premiers livres sont seuls achevés.
Son contemporain Tollens (1780-1856), l'auteur
de l'hymne national néerlandais, Wien Neerlandsch bloed,
est le chantre des joies du foyer, plein de bonhomie; de simplicité
et de bonne grâce. L'Incendie (De Brand) et l'Hiver
(De Winter) sont restés populaires. Mais il sait s'élever
aussi à la grande poésie : son
Hivernage
des Hollandais à la Nouvelle-Zemble
(De overwintering der Hollanders op Nova Zembla) est tout à
fait remarquable par la beauté des épisodes et l'harmonie
du vers; il a été traduit dans toutes les langues
de l'Europe
(trad. française d'A. Clavereau). lsaac Da
Costa (1798-1860), descendant d'une famille de juifs
portugais réfugiés en Hollande
au XVe siècle, fut le plus brillant
élève de Bilderdijk, qui avait
reconnu en lui, alors qu'il n'avait pas quinze ans, une nature de poète
et d'artiste. Cependant le disciple penchait vers le romantisme, objet
des railleries et des colères de son maître : il traduit un
fragment du Caïn de lord Byron, et
il adresse un hymne à Lamartine; mais
bientôt il se range sous la bannière de la réaction,
il entre dans l'Eglise calviniste, et publie,
en 1823, une virulente attaque contre les idées modernes et spécialement
contre la théologie libérale de Tubingue et de Leyde
: Considérations sur l'esprit du siècle (Bezwaren
tegen den geest der eeuw). Puis il se recueille longuement et, vers
1840, il fait paraître des hymnes politiques
antirévolutionnaires, pleins de fougue, de noblesse et d'éclat;
enfin, il produit son chef-d'oeuvre, un poème épique sur
la Bataille de Nieuport (De Slag bÿ Nieuwpoort).
L'influence de Bilderdijk
n'avait cependant pas empêché le romantisme de se développer
aux Pays Bas .
La jeunesse s'éprend des oeuvres de Keats,
de Byron et surtout de Walter
Scott; on les traduit, puis on entreprend d'écrire des romans
historiques. Alors apparaît un des écrivains les plus populaires
du XIXe siècle, Jacques
van Lennep (1802-1868), auteur de comédies
charmantes, de drames en vers, comme le Poète au Mont-de-Piété
(Een Dichter aan de Bank van Leening) où il met en scène
la triste vieillesse de Vondel, et qui fut représentée
pour la première fois le soir de l'inauguration de la statue du
poète à Amsterdam ,
de Légendes nationales rimées (Nederlandsche Legenden
in rijm gebracht); il est surtout célèbre par ses romans
historiques, le Fils adoptif (De Pleegzoon); la Rose de
Dekama (De Roos van Dekama); Ferdinand Huyck; dans ce dernier,
il trace un tableau merveilleux des moeurs patriciennes du XVIIIe
siècle à Amsterdam; il faut aussi mettre hors de pair les
Aventures
de Nicolette Sept-Etoiles (De Lotgevallen van Klaasje Zevenster).
La plupart des romans de van Lennep ont été traduits en allemand
et en français (par Defauconpret,
Dubourcq, Douchez, Wocquier).
Le même genre fut cultivé
avec succès par J.-F. Oltmans (1806-1854); nous mentionnerons, parmi
ses livres les plus remarqués, le Château de Loevestein
(Het
Slot Loevestein) et le Berger (De Schaapherder), traduit
en français par H. Meyer, sous le titre de la Fille de l'armurier
ou les Pays-Bas en 1482. Plus jeune que les précédents,
Mme Bosboom-Toussaint (1822-1886) leur
est bien supérieure par la justesse de l'analyse psychologique.
Son oeuvre capitale est le Comte de Leicester en Néerlande
(De Graaf van Leicester in Nederland), où elle fait
preuve d'une grande finesse d'observation, et où les tableaux historiques
sont brossés de main de maître. Son roman
de moeurs contemporaines, Majoor Frans, a eu les honneurs de la
traduction en plusieurs langues (en français par A. Réville).
Parmi les autres romanciers, il faut nommer aussi H.-J. Schimmel (né
en 1825) qui publia très jeune encore des nouvelles historiques
d'un vif intérêt :
Bonaparte et son temps (De Generaal
Bonaparte en zÿn tyd. Schetsen uit de Fransche Revolutie), et
fit représenter des drames qui obtinrent un grand succès
: Orange et Pays-Bas, Napoléon Bonaparte; il a écrit
aussi de nombreux romans où il prodigue un brillant esprit. Un des
plus récents et des meilleurs est le Capitaine de la garde du
corps (De Kapitein der Lijfgarde).
Le mouvement romantique avait gagné
beaucoup de terrain, et un renouveau général s'annonçait
de tous les côtés, principalement dans la critique littéraire.
Une nouvelle revue critique suivait le mouvement et ne tardait pas à
le diriger. Le Guide (De Gids), placé dès son
début sous la direction de R.-C. Bakhuizen van den Brink (1810-1865),
plus tard archiviste général du royaume à La Haye ,
et de E. Potgieter (1808-1875), deux hommes
supérieurs par leur érudition, leur talent littéraire
et leur jugement, contribua beaucoup à l'éducation de la
« jeune Hollande », ainsi qu'on disait alors. Potgieter montrait
sa supériorité comme poète, comme nouvelliste, comme
critique. Il prêchait aux jeunes gens l'évangile du XVIIe
siècle : toutes les gloires de la patrie : marchands, marins, soldats,
hommes d'Etat, savants, peintres et poètes. Potgieter n'a jamais
été mieux inspiré qu'en écrivant le Musée
d'Amsterdam (Het Rijksmuseum te Amsterdam), éloge sérieux
et approfondi de Rembrandt, de Vondel,
de van der Elst, de Hooft, etc. Potgieter jugeait
les écrits de la « jeune Hollande » sévèrement,
mais avec la plus grande honnêteté. Dans la seconde partie
de sa vie, il se lia avec un autre juge littéraire, C.
Busken-Huet '(1826-1886), esprit français,
âpre, mordant, caustique. Son style, tout à fait personnel,
charme, séduit, éblouit, mais quelquefois aussi fait frémir.
Dans un livre charmant, Vieux Romans (Oude Romans), il trace
de main de maître les portraits de J.-J. Rousseau,
de Bernardin de Saint-Pierre, de Chateaubriand,
de Mme de Staël et de Benjamin
Constant. Il a laissé un chef-d'oeuvre, le Pays de
Rembrandt (Het land van Rembrandt), travail d'une science énorme
d'histoire politique et d'histoire littéraire, écrit avec
la plume d'un artiste tout à fait hors ligne.
Parmi ceux qui brillèrent dans la
« jeune Hollande », nous devons citer maintenant Nicolas
Beets (1814 -1903) . Etant encore étudiant à Leyde ,
il publia en 1839, sous le pseudonyme de Hildebrand, un recueil de scènes
de la ville hollandaise intitulé Camera obscura, digne de
Sterne et de Dickens, tout en restant d'une parfaite
originalité hollandaise. Cette oeuvre ravissante, qui est peut-être
ce qu'il y a de plus parfait dans la prose néerlandaise du XIXe
siècle, a été vingt fois rééditée
dans les Pays-Bas ,
et traduite en anglais, en français,
en allemand et en italien
(en français, par Léon Wocquier, 1859-1860). Beets avait
débuté par des traductions de Walter
Scott et des poésies où domine l'influence de Byron
et de Victor Hugo, comme Guy le Flamand (Guy
de Vlaming) et Ada de Hollande (Ada van Holland), puis
il s'attacha à un genre plus faible et plus personnel, exemple les
Fleurs
de blé (Korenbloemen), les Enfants de la mer (De
Kinderen der Zee), etc., qui jouirent d'une immense popularité.
Pasteur protestant et professeur de théologie à Utrecht,
Beets s'est fait d'abord une grande réputation d'orateur; comme
poète, il sera le chantre de la vie domestique au coin du foyer;
il restera l'écrivain le plus en vue et le plus lu de tous les Hollandais
de son temps.
L'ami intime de Beets,
J.-P. Hasebroek (1812-1896), pasteur comme lui, après avoir combattu
comme lui les
Belges soulevés contre
le roi Guillaume, produisit comme oeuvre de début une traduction
de Thomas More, puis, subissant toujours l'influence
anglaise
qui était alors prépondérante dans le monde littéraire
néerlandais, il publia en 1840 les
Vérités et Rêveries
par Jonathan (Waarheid en Droomen door Jonathan), imité
de Lamb, suite d'essais humoristiques, pleins de douceur et de mélancolie,
qui obtinrent un grand succès et qui restent son meilleur livre;
on doit citer également ses volumes de poésies, les Liserons
(Windekelken) et les Fleurs d'hiver (Winterbloemen),
oeuvres de fraîcheur délicate. Il a écrit aussi des
sermons et des méditations pastorales très remarquées.
Parmi les poètes de cette génération
se distinguent encore W.-J. Hofdÿk (1816-1888), professeur au gymnase
d'Amsterdam ,
qui chante le Moyen âge
dans ses vers, en même temps qu'il célèbre les gloires
de son pays dans des ouvrages historiques qui rappellent la manière
de Monteil; P.-A. de Genestet (1829-1861), esprit primesautier et brillant;
B. Ter Haar (1866-1880), pasteur comme le précédent, poète
facile, et puissant critique d'histoire religieuse; Ten Kate (né
en 1819), traducteur du Tasse et de Dante,
auteur de gracieuses poésies légères.
Un véritable événement
qui donna une vive impulsion au mouvement littéraire néerlandais
fut la création en 1860 du Spectateur néerlandais
(Nederlandsche Spectator), revue hebdomadaire, par M.-P. Lindo,
C. Vosmaer, J.-J. Grenier, etc. Lindo (1819-1877), Anglais de naissance,
traduisit en hollandais Tom Jones
de Fielding, Tristram Shandy de Sterne,
et l'oeuvre entière de Thackeray; il
écrivit aussi des essais humoristiques dans le genre de Dickens,
sous le nom du Père Smits (De oude heer Smits). Son
collaborateur, C. Vosmaer (1826-1888), est l'auteur d'un travail magistral
de critique d'art publié en français : Rembrandt Harmensz
van Ryn, sa vie et ses oeuvres. Comme poète, il se rattache
à l'école d'André Chénier
et de Leconte de l'Isle; sa traduction de l'Iliade
et de l'Odyssée
est un chef-d'oeuvre de versification. Il a composé aussi deux romans
esthétiques : Amazone, et Initiation (Inwijding),
dans lesquels il étudie les trésors artistiques de Rome
et d'Italie ,
et expose ses idées littéraires et artistiques.
Cette même année 1860 parut
un livre intitulé Max Havelaar par Multatuli, qui fit grand
bruit et donna lieu à des discussions violentes dans tout le pays
et même dans les colonies néerlandaises. Le vrai nom de l'auteur
était E.-Dowes Dekker (1820-1887). Multatuli
faisait dans ce roman le portrait des indigènes
de Java comme Chateaubriand avait fait
celui des Peaux-Rouges et y dépeignait les mauvais traitements que
les administrateurs coloniaux leur faisaient subir. Une accusation qui
fut âprement contestée, mais quoi qu'il en soit, ses peintures
étaient vraiment talentueuses. Il a également écrit
sept volumes d'Idées, d'un style très variable, de
temps en temps lourd et prétentieux, souvent grandiose et sublime.
On trouve dans ces volumes sa comédie,
l'Ecole des princes (Vorstenschool), qui fut jouée sur
tous les théâtres de la Hollande, et donna lieu à des
manifestations bruyantes et contradictoires. On peut rapprocher de Max
Havelaar le roman de Mina Kruseman (née en 1839) : un Mariage
dans les Indes, écrit aussi avec passion, d'un style clair et
vibrant.
Un des littérateurs les plus en
vue à la fin du XIXe siècle
siècle est Jan Ten Brink (né en 1834), professeur à
l'Université de Leyde, ses récits de voyage, ses nouvelles,
ses travaux historiques, et surtout ses études de critique littéraire
sont de tout premier ordre. Parmi les nouvellistes et poètes de
cette époque, il faut citer : J.-J. Cremer, pour ses idylles
rustiques, peintures naïves de la vie villageoise en Gueldre ;
Justus van Maurik, pour ses études naturalistes sur le bon peuple
d'Amsterdam, et pour ses pièces de théâtre;
l'abbé Schaepman qui, s'inspirant de Da Costa,
écrit des
odes politiques pleines de noblesse
et de verve.
Les Pays-Bas
possèdent à cette époque, comme la France ,
sa jeunesse néo-idéaliste. Tous sont du dernier bateau, le
seul qui, selon eux, ait le droit de descendre la rivière. Quelques-uns
de ces jeunes gens, qui commencent déjà à se faire
vieux, ont du talent. II y a certaines poésies de J. van Eeden,
de A. Verwey, de Kloos qui mériteraient les plus grands éloges,
si les auteurs ne se complaisaient pas trop dans leur goût pour l'obscur,
pour les rêves mystiques. Parmi les jeunes auteurs de ces temps se
distingue, Louis Couperus, qui n'est d'aucun bateau et ne relève
que de lui-même. Comme poète, il rappelle Théophile
Gautier par le coloris
et le chatoiement du style. Ses romans sont très individuels, très
forts comme fantaisie et comme peinture d'états d'âmes. Pour
être complet, nous devons signaler aussi le mouvement historique
qui, commencé par G. Brill (né en 1811), Van Vloten (1818-1883),
Groen van Prinsterer (1801-1876), a été continué par
R. Fruyn (1823-1899), Acquoy, Muller, Blok, Jorissen, de Hoop-Schefer,
etc., acquiert une intensité considérable, et s'affirme par
des publications d'une incontestable valeur. (E. Hubert). |
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