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Littérature Française
Le théâtre en France au Moyen âge

 

En France, comme dans l'ancienne Grèce, le théâtre eut pour origine les cérémonies du culte. Au Moyen âge, la religion était toute-puissante; le peuple, dominé par une foi naïve mais sincère, ne trouvait nulle part d'émotion plus douce qu'au pied des autels, de spectacle plus attrayant que celui des cérémonies religieuses. Aussi l'Eglise, qui avait lancé ses anathèmes contre le théâtre païen, prit-elle à tâche de multiplier ses pieuses solennités et d'étaler sous les yeux du peuple toutes les pompes de sa liturgie.

Le cycle liturgique ramenait chaque année, de saison en saison, les pieuses représentations des Mystères, du XIIe au XVe siècle. Les Mystères représentent des scènes de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament. Cycle de l'Ancien TestamentMystère d'Adam (XIIe siècle);  cycle du Nouveau Testament : Mystère de la Conception; Mystère de la Passion (Arnoul Greban et Jean Michel); cycle des saints : les Actes des Apôtres (Arnoul et Simon Greban). 

Les Confrères de la Passion (1402-1548) avaient le privilège exclusif de jouer les Mystères. Aux Mystères se rattachent les Miracles : Miracle de Théophile par Rutebeuf;  - Les Jeux : Jeu de Saint-Nicolas par Jean Bodel (XIIIe siècle); - les Miracles de Notre-Dame (XIVe siècle). 

La comédie prend naissance à partir du XVe siècle, lors de la participation des laïques aux représentations théâtrales. Deux confréries joyeuses, associations rivales, se formèrent : les Clercs de la Basoche et les Enfants sans-souci. 

Les farces (le Cuvier, le Franc Archer de Bagnolet [Villon ?]) étaient représentées, et peut-être aussi les moralités (Bien-Avisé et Mal-Avisé, - la Condamnation de Banquet ), par les Clercs de la basoche (Basoche désigne le Palais de justice) : les clercs de procureurs, de greffiers, de conseillers au Parlement, etc. formaient une ou plusieurs associations qui jouissaient de certains privilèges (élection d'un roi, droit de battre monnaie, etc...). Chaque année, au printemps, la Basoche était en fête pour la plantation du mai; c'est probablement à cette occasion que les clercs organisent des montres des farces ou des moralités.

Les sotties formaient le répertoire des sots ou Enfants-sans-souci. Ce sont encore des clercs et des étudiants, mais plus jeunes et plus libres. Pour donner leurs représentations, les Sots portaient le costume des fous de cour : mi-partie jaune. mi-partie vert, avec le chapeau à grelots et à oreilles d'âne, et la marotte. Par-dessus ce costume, ils plaçaient un insigne particulier au rôle qu'ils incarnaient; et ainsi se trouvait figurée la philosophie de la sottie, à savoir que tous les hommes sont fous, et qu'ils ne diffèrent que par le genre ou le métier dans lequel ils exercent cette folie. La célèbre farce de Maître Pierre Pathelin est le chef-d'oeuvre dramatique du Moyen-âge sous le rapport de la régularité du plan, de la verve et de la conception.

Le théâtre religieux et le théâtre comique du Moyen âge ont eu une destinée toute différente. Entre les Mystères, oeuvres sans art ni unité, mais originaux, populaires et nationaux, et la Tragédie qui suivit, importation de la Grèce et de Rome, destinée à un public cultivé, et triplement verrouillée dans son unité, il n'y a d'autre communauté que le matériel de décors dont hérita l'Hôtel de Bourgogne. La Farce au contraire, une fois née, ne fut pas détrônée par la Comédie antique. Faite d'observation amusée et amusante, elle répondait trop bien au goût français pour disparaître. On la retrouve, plus ou moins profonde ou bouffonne, à tous les âges du théâtre en France.

Le théâtre religieux

Les origines.
Le plus haut Moyen âge n'a pas ignoré le théâtre. Si nous remontons jusqu'au IVe siècle, nous trouvons une Clylemnestre imitée de Sénèque, une Orestie; nous apprenons qu'Apollinaire, Basile, Grégoire, prêtres chrétiens, écrivaient des tragédies chrétiennes à peu près dans le goût d'Euripide. Il y a eu un Christos Paschôn d'un nommé Grégoire, qui était comme un centon de vers d'Euripide.

Au Ve siècle, un symptôme d'un ordre tout différent et beaucoup plus important nous apparaît; il y a certaines manifestations de goût et d'esprit dramatique : aux funérailles de sainte Radegonde, deux cents religieuses chantent une espèce d'élégie autour de son cercueil, pendant que d'autres répondent, des fenêtres du monastère, par des plaintes et des gestes de deuil. Or le même fait est signalé pour d'autres funérailles illustres. Ce sont là des ébauches de représentations dramatiques qu'il faut au moins noter au passage, sans qu'on puisse dire ni savoir si elles ont eu la moindre influence sur le développement du goût dramatique qui eut lieu plus tard. Ce qui est très probable, c'est que le drame populaire français du XIIIe siècle a certainement été fortifié par les beaux spectacles que l'Église donnait dans l'enceinte de ses temples aux populations dès le Xe siècle.
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La Nativité, miniature de Jean Bourdichon (Heures d'Anne de Bretagne, Bibliothèque Nationale). - Comme l'a démontré Émile Mâle (l'Art religieux à la fin du Moyen âge), toutes les scènes religieuses représentées par les miniaturistes du XVe siècle ont été jouées avant d'être peintes. Le théâtre a fourni aux artistes de groupements de personnages, des décors, des accessoires. C'est ainsi que l'idée d'agenouiller la Vierge devant son fils nouveau-né est prise aux Mystères. Le toit léger établi par saint Joseph est un décor de théâtre.

Le drame liturgique. 
Certains jours de fête, le clergé ajoutait à l'office sacré une représentation dialoguée qui mettait sous les yeux des fidèles les principaux événements dont la solennité était la commémoration. A Noël, par exemple, on montrait aux fidèles la crèche, l'Enfant Jésus, la Vierge, l'ange annonçant la Nativité aux bergers, qui venaient ensuite adorer le Christ. C'est ce que l'on appelle le drame liturgique. Il avait pour théâtre l'église, pour acteurs les prêtres et les clercs, pour langue le latin.

Laïcisation du drame.
Après ces débuts, qui datent  du commencement du XIe siècle, le français fit au XIIe siècle son apparition dans le drame, qui est joué bientôt sur le parvis et par des laïcs. Le lien avec le lieu de culte reste encore étroit. Au XIIIe siècle nous voyons encore une Conversio Pauli en vers latins de dix syllabes avec rimes, qui est évidemment un jeu d'église. Ce qu'il faut dire avec plus de vraisemblance, c'est qu'au milieu environ du XIIe siècle, à l'imitation du drame liturgique, les pieux laïques se mirent, sur des tréteaux en place publique, à représenter des épisodes et scènes de l'histoire religieuse, et en français sans mélange de latin (ou à peu près); et ceci, décidément, c'était le théâtre français qui naissait.

La première oeuvre de ce genre que nous connaissions est la Représentation d'Adam (XIIe siècle). Elle fut jouée sur un théâtre en plein vent, devant l'église (les « rubriques » le prouvent). L'oeuvre, écrite en français, était interrompue de temps en temps par des textes liturgiques, en latin, lus par un clerc, et dont le drame n'était que le développement. Ce drame met en scène la chute du premier homme et le meurtre d'Abel, suivis d'une procession des prophètes qui ont annoncé le Christ.

Les Miracles.
Le théâtre, dans son progrès, devenait de plus en plus profane. Les sujets, au XIIIe et au XIVe siècles, ne sont plus toujours empruntés aux livres saints, mais à la légende, et l'humanité passe au premier plan. L'idée religieuse apparaît dans l'intervention miraculeuse des saints ou de la Vierge, d'où le nom de Miracles.

Les Miracles du Xlle siècle. 
Du XIIIe siècle, il ne nous reste que deux oeuvres du genre sérieux : le Miracle de Théophile et le Jeu de saint Nicolas .
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Extrait du Miracle de Théophile

« THEOPHILES. 
Vez les ci; je les ai escrites.
Or baille Theophiles les lettres au
Deables et li Deables li commande
à ouvrer ainsi :
Théophile, biaus douz amis. 
Puisque tu t'es en mes mains mis 
Je te dirai que tu feras.
James povre homme n'ameras : 
Se povres hom sorpris te proie, 
Torne l'oreille, va ta voie : 
S'aucuns envers toi s'umelie,
Respon orgueil et felonie; 
Se pauvres demande à ta porte 
Si gardes qu'aumosne n'enporte.-»
 

(Rutebeuf, Miracle de Théophile).

Le Miracle de Théophile, de Rutebeuf, met en scène la légende, si souvent traitée au Moyen âge, de Théophile, prêtre ambitieux qui se vend au diable, puis se repent et, grâce à l'intercession de la Vierge, obtient de recouvrer le billet par lequel il s'est livré.

le Jeu Saint-Nicolas, l'un des plus anciens miracles que possède la littérature française, et où quelques scènes, notamment des scènes de taverne, sont d'un profond naturalisme

Les Miracles de Notre-Dame (XIVe siècle).
Il est plus que vraisemblable qu'il y a eu au XIVe siècle d'autres oeuvres dramatiques que les Miracles de Notre-Dame. Mais ce sont, sauf une exception, les seules que nous connaissions, grâce à un manuscrit qui en contient environ une quarantaine. Ces oeuvres semblent avoir formé le répertoire d'un puy, confrérie littéraire et religieuse, consacrée à la Vierge.
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Miracle de saint Guillaume (extrait)

[Guillaume, duc d'Aquitaine, avant de se convertir et de devenir un saint, s'est rendu coupable d'un grand crime. Il a expulsé de soi siège l'évêque de Poitiers. Saint Bernard se présente à lui pour lui reprocher l'énormité de sa faute. Le duc reçoit l'abbé de Clairvaux avec mépris; alors l'éloquence de Bernard grandit avec le péril. Saisissant une croix, il la montre au rebelle en lui parlant ainsi :]

« Guillaume, nous t'avons prié 
Moult doucement, et supplié 
Quant de ce que touche la paix 
De l'Église; mais tu ne fais 
Fors nous refuser et despire. 
Vez cy ton Dieu, vez cy ton Sire, 
Qui se voult tout a Dieu offrir
Et pour toy mort en croix souffrir,
Et qui te jugera, n'en doubtes, 
Devant qui touz genouz, tous toutes 
Et toute puissance s'incline; 
C'est cilz qui par vertu divine 
A fait le monde et toutes gens,
Qui cy vient, après ses sergens,
Pour toy prier et supplier
Se pourra ton dur cuer plier.
Di moi se tu le despiras, 
Ne se tu le refuseras,
Con fait as nous. »
 

(Miracle de Saint Guillaume, XIVe s.).

On aura une idée des sujets traités par quelques titres placés au-dessous des miniatures dont le texte est accompagné dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale-:

Ici commence un miracle de Notre-Dame, comment un enfant ressuscita entre les bras de sa mère que l'on voulait ardoir [ = brûler], parce qu'elle l'avait noyé.
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Miracle de Notre Dame.
Un Miracle de Notre-Dame.

Ici commence un miracle de Notre-Dame, de saint Jehan le Paullu, ermite, qui, par tentation d'ennemi, occit la fille d'un roi et la jeta en un puits et depuis par sa penance
[ = pénitence] la ressuscita Notre-Dame.


Ces drames ont le caractère commun de mettre en scène les pires misères humaines soulagées et pardonnées par l'entremise miséricordieuse de la Vierge.

Grisélidis.
Nous avons encore du XIVe siècle une pièce entièrement profane, c'est l'Histoire de Grisélidis, sujet populaire au Moyen âge

Le marquis de Saluce épouse une pauvre fille du nom de Grisélidis : pour éprouver son amour, il exile les deux enfants qu'il a eus de son mariage avec elle, la chasse et feint de prendre une autre femme jusqu'au jour où, touché de la soumission de Grisélidis, il la reconnaît pour sa vraie épouse :
Je crois que sous le ciel n'est point 
De femme fidèle à ce point;
Ferme et constante t'ai trouvée 
Et par ma faintise, ai éprouvée
Ta bonne amour en mariaige.
Pour ce, m'amour, t'embrasserai-je
Comme ma seule et vraie épouse.
(Histoire de Grisélidis, Ve partie, sc. IV.)
Les mystères (XVe siècle).
Au XVe siècle, grâce à la paix, le théâtre est très en honneur. On appelle alors indifféremment toutes les pièces sérieuses des mystères (ou plutôt des mistères, de ministerium = office, représentation).

Les représentations. 
Les représentations de mystères, organisées par les villes, les grands seigneurs, les monastères, ou par des confréries, étaient considérées comme des oeuvres pieuses, destinées à édifier le public et à appeler les bénédictions du ciel. Une ville, une région entière interrompait quelquefois ses occupations pour assister à ces spectacles qui duraient souvent plusieurs jours.

a) La scène. - La scène, construite en vue de chaque représentation, figurait à la fois tous les endroits où se déroulait la pièce. Chaque partie du décor s'appelait mansion. Le décor dans lequel fut jouée à Valenciennes, en 1547, la Passion et Résurrection de notre Sauveur et Rédempteur Jésus-Christ nous montre d'un côté le ParadisDieu trône avec ses anges, de l'autre l'enfer, en forme de gueule de dragon, d'où sortent des diables, chargés de divertir les spectateurs. Dans l'intervalle sont représentés sommairement les différents lieux de l'action. Il y a ici onze mansions; le mystère de la Nativité joué à Rouen en 1474 en exigeait vingt-deux.

b) Les acteurs. - Il n'y avait pas d'acteurs de métier. Toutes les classes de la société : clergé, bourgeoisie, écoliers (= étudiants), artisans, fournissaient des acteurs volontaires. Chacun était chargé de s'habiller; aussi les costumes, quelquefois très riches, n'avaient aucune exactitude historique. Le Christ était traditionnellement vêtu d'une robe; mais les autres personnages portaient les vêtements du temps : Hérode, le costume d'un roi de France, la Vierge, le costume d'une religieuse, etc.

Des différentes confréries organisées à Paris et en province pour jouer des mystères, la plus connue est celle des Confrères de la Passion. La Confrérie reçoit du roi Charles VI, le 4 décembre 1402, des lettres patentes qui lui confèrent le privilège des mystères à Paris. Les Confrères jouent tout- à tour à l'hôpital de la Trinité, puis à partir de 1539, à l'hôtel de Flandre. En 1548 ils acquièrent une partie de l'hôtel de Bourgogne. Les premiers, ils possèdent un théâtre fixe et donnent des représentations régulières.

Le 17 novembre 1548 le Parlement leur interdit de jouer les « mystères sacrés ». Ils jouent alors jusqu'à la fin du siècle des pièces profanes, puis cèdent leur salle à des comédiens de métier. La Confrérie n'est supprimée qu'en 1676.

Les sujets.
La Bible, les Testaments, les Actes des martyrs, les vies des saints, tout fournissait des sujets aux auteurs des mystères. On a groupé ces pièces en trois cycles :

a) Mystères du Vieux Testament. - Les uns se rapportent à l'Ancien Testament et un certain nombre ont été réunis dans une vaste compilation intitulée le Mystère du Vieux Testament.

b) Mystères du Nouveau Testament. - D'autres ont pour personnage principal Jésus-Christ. Le plus célèbre de ces mystères est celui qui fut écrit vers le milieu du XVe siècle (1452) par Arnoul Greban, et qui comprend près de 35.000 vers. A la fin du XVe siècle (1486), Jean Michel, médecin angevin mort en 1493, que l'on a quelquefois confondu avec son homonyme, évêque d'Angers, mort en 1447, reprit et développa une partie seulement du précédent mystère, en 65.000 vers. Il donna plus d'importance à certains rôles comme celui de Pilate, aux scènes de diableries, et il sut écrire en un style déjà presque classique un admirable dialogue entre Jésus et la Vierge. (On attrivue aussi à Jean Michel , auquel on attribue une Résurrection, mystère en 20.000 vers).
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Dialogue de Notre Dame et de Jésus

[Cette scène est presque célèbre. On veut bien reconnaître que le caractère de la Vierge a été reconstitué d'une façon vraisemblable et pathétique, et que celui du Christ a une noble simplicité bien conforme à la tradition. - Nous citons seulement la fin d'un long dialogue entre la Mère et le Fils. A la prolixité qui est le défaut habituel des poètes de ce temps, et de Jean Michel en particulier, se substitue ici une vive et énergique concision.]

« NOTRE DAME
O mon fils, mon Dieu et mon sire,
Je te mercy très humblement 
Que tu n'as pas totalement 
Obéi à ma volonté. 
Excuse ma fragilité
Si par humaines passions
Ai fait telles pétitions
Qui ne sont mie recevables. 
Tes paroles sont raisonnables
Et tes volontés très hautaines,
Et les miennes ne sont qu'humaines.
Pour ce ta divine vanesse
Excuse l'humaine simplesse
De moi ton indigne servante.
Qui, d'amour maternel fervente, 
Ai fait telles requêtes vaines.

JESUS
Elles sont douces et humaines,
Procédantes de charité;
Mais la divine volonté
A prévu qu'autrement se fasse.

NOTRE DAME 
Au moins veuillez, de votre grâce,
Mourir de mort brève et légère!

JESUS
Je mourrai de mort très amère.

NOTRE DAME
Non pas fort vilaine et honteuse!

JESUS
Mais très fort ignominieuse.

NOTRE DAME
Doncques bien loin, s'il est permis!

JESUS
Au milieu de tous mes amis.

NOTRE DAME
Soit doncques de nuit je vous pri!

JESUS
Mais en pleine heure de midi.

NOTRE DAME
Mourez donc comme les barons!

JESUS
Je mourrai entre deux larrons.

NOTRE DAME
Que ce soit sous terre, et sans voix!

JESUS
Ce sera haut pendu en croix.

NOTRE DAME
Vous serez au moins revêtu?

JESUS
Je serai attaché tout nu.

NOTRE DAME
Attendez l'âge de vieillesse!

JESUS
En la force de ma jeunesse.

NOTRE DAME
Ne soit votre sang répandu

JESUS
Je serai tiré et tendu
Tant qu'on nombrera tous mes os;
Et dessus tout mon humain dos
Forgeront pécheurs de mal pleins,
Puis fouiront et pieds et mains
De fosses et plaies très grandes.

NOTRE DAME. 
A mes maternelles demandes
Ne donnez que réponses dures!

JESUS
Accomplir faut les Ecritures. »
 

(La Passion, de Jean Michel,(1486).

c) Mystères des Saints. - Nous avons enfin une quarantaine de mystères dont les saints sont les héros. On petit rattacher à ce groupe le Mystère du siège d'Orléans, oeuvre à la fois religieuse et patriotique, qui célèbre la victoire de Jeanne d'Arc.

Quant au Mystère de la destruction de Troie, il est l'oeuvre d'un étudiant et ne dut pas être représenté; c'est la seule trace qui reste d'une influence de l'Antiquité non chrétienne.

Caractères généraux.
L'ancien théâtre français, par suite de ses origines et de sa formation, est essentiellement original et populaire. Il est loin de la forte unité des drames grecs qu'il ignore. Aucune règle n'arrête l'exubérance des auteurs : la Passion d'Arnoul Greban a 34.574 vers ; les Actes des Apôtres en ont 61.968. Ils nous mènent à la suite des disciples de Jésus en Espagne, aux Indes, à Rome, en Egypte. Le Vieux Testament représente l'histoire d'Adam, d'Abel, d'Abraham, de Noé, de Joseph. Il y a cent, deux cents, cinq cents acteurs. Le sérieux et le comique sont constamment mélangés. Jésus, Notre-Dame et les saints édifient les spectateurs, que font rire les valets, les paysans, les bourreaux et surtout les diables et les fous. On comprend que des oeuvres aussi touffues, qui ne sont guère qu'une succession de tableaux aient dû être divisées en journées comprenant chacune le nombre de vers que l'on pouvait réciter par jour.
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Scènes d'un mystère de la Passion.
Scènes d'un Mystère de la Passion (Valenciennes, 1547). - L'image représente deux scènes de la même journée : le miracle de la multiplication des pains et des poissons par Jésus-Christ et la décollation de saint Jean-Baptiste, avec Salomé, Hérode dans le fond. Pour donner l'illusion de la décapitation, on avait des trucs, une tête « feinte » et un liquide rouge ressemblant à du sang. Le peuple aimait beaucoup ces spectacles sanglants et voulait voir des supplices aussi bien imités que possible.

Quelques belles scènes.
Si longues qu'elles soient, la plupart sont des improvisations : Andrieu de la Vigne achève en cinq semaines un Mystère de Saint-Martin qui compte 20.000 vers. Aussi ne faut-il pas chercher dans les mystères des effets artistiques. Tout au plus y a-t-il quelques rencontres heureuses dans les scènes familières ou dans les scènes inspirées par la foi, tel dans le Vrai Mistère de la Passion d'Arnoul Greban le dialogue où Jésus affirme à Marie sa volonté d'accepter toutes les douleurs d'une mort infamante, ou cette apostrophe de Judas à l'Enfer au moment de se pendre :

Haute tour de désespérance,
Bâtie de corps de souffrance, 
Fossovée de pleurs piteux. 
Bastillée de cris haineux,
Dont les salles, pour tout soulas, 
Sont peintes tout de las! hélas! 
Attends-moi, terrible manoir, 
Attends-moi, enfer, gouffre noir
De l'éternité douloureuse! 
Attends-moi, chartre rigoureuse, 
Fourneau rouge de feu ardent, 
Fosse de serpents abondant,
Rivière de puant bourbier, 
En toi mon deuil se veut noyer,
Et s'abreuver à la mamelle
De désespérance éternelle!

(lcy se pend Judas.)
(VIe tableau, Sc. III.)


Fin des mystères.
Les mystères furent interdits en plein succès par l'arrêt du Parlement du 17 novembre 1548. Les protestants signalèrent le mélange, dans les mystères, de parties comiques et même licencieuses avec des scènes inspirées des livres saints. Les catholiques désormais furent pris de scrupules. On continua, en province, à jouer des mystères jusqu'à la fin du XVIe siècle, mais de moins en moins, et l'avènement de la tragédie classique acheva de tuer notre ancien théâtre religieux.

Le théâtre comique

Les origines.
Les origines du théâtre comique restent obscures. Il semble qu'il ne se soit développé qu'après le drame religieux et seulement vers le milieu du XIIIe siècle (en tout cas nous ne connaissons aucun texte avant le XIIIe siècle.). On croit que les jongleurs ne colportaient pas seulement des chansons de geste et des romans, mais qu'ils avaient un répertoire de dits, de monologues, etc. A deux ou trois, ils devaient jouer de petites pièces renouvelées du théâtre antique ou empruntées ait au fonds si riche des contes populaires. 

Les deux plus anciennes pièces comiques que nous ayons sont d'un trouvère d'Arras, Adam de la Halle (1230-1288), et apparaissent comme isolées dans leur genre, et qui semblent prouver par leurs qualités de métier qu'elles appartiennent a un genre déjà traité et « mis au point » : il s'agit du Jeu de la Feuillée et du Jeu de Robin et Marion.

Le Jeu de la Feuillée (1262 environ). 
Le Jeu de la Feuillée est un mélange de satire personnelle, de merveilleux et de tableaux réalistes, à propos duquel on évoque le souvenir de la comédie grecque d'Aristophane- : Sous une feuillée (tonnelle de verdure) se trouvent réunis plusieurs bourgeois d'Arras ; le poète lui-même (maître Adam), soit père (maître Henri) un médecin, un moine montreur de reliques, un fou et son père, le commun (le peuple), trois fées, la Fortune, etc. L'intrigue assez lâche de cette pièce n'est qu'un cadre dans lequel l'auteur place la satire très vive et personnelle de sa propre famille, de ses amis d'Arras, de la politique, de la médecine, etc. Il commence par tourner en ridicule les habitants de la ville d'Arras, qu'il est sur le point de quitter. Puis, la nuit venue, il nous fait assister à l'apparition des trois fées Morgue, Magloire et Arsite, précédées du chasseur fantastique' Hellequin. Enfin la pièce se termine par les propos des bourgeois qui boivent et jouent aux dés, assis sous la feuillée.

Le Jeu de Robin et de Marion. 
Le Jeu de Robin et de Marion est une pièce très différente; c'est une idylle paysanne qui met en scène les amours d'un couple villageois, contrariées par la rivalité d'un chevalier : Marion, tout en gardant ses mouton, chante Robin qu'elle aime; survient un chevalier qui veut enlever la bergère; celle-ci le repousse, et Robin, suivi de ses amis, vient se réjouir et danser avec Marion. La pièce, simple et agréable, est, comme un opéra-comique, mêlée de chants dont l'auteur avait lui-même composé la musique.

Voici le couplet naïf que Marion chante au début de la pièce :

Robin m'aime, Robin m'a.
Robin m'a demandée, il m'aura.
Robin m'acheta cotelle [ = petite cote].
D'écarlate bonne et belle
Souquenille et ceinturelle,
A leur i va!
Robin m'aime, Robin m'a.
Robin m'a demandée, il m'aura.
Le théâtre comique au XVe siècle.
C'est du XVe siècle, comme pour le drame sérieux, que date l'essor de la comédie. Elle comprend alors trois genres principaux : moralités, sotties et farces.

Les Moralités.
Le goût de l'allégorie, auquel le Roman de la Rose devra son succès, se retrouve au théâtre dans les moralités. Toutes ont pour but de nous enseigner l'amour du bien et la haine du vice par l'exemple de personnages allégoriques. Les Enfants de maintenant font la leçon aux pères de famille qui gâtent leurs fils. Bien avisé, mal avisé vont l'un au Paradis, l'autre en Enfer. 

Voici l'analyse de La Condamnation de Banquet (1507) de Nicolas de la Chesnaye :

On voit Gourmandise, Friandise, Bonne Compagnie, Passe-temps, Je bois à vous, Je pleige d'autant (je vous fais raison), Accoutumance accepter trois invitations chez Dîner, Souper et Banquet. Ils échappent aux maladies : Apoplexie; Paralysie, Pleurésie, etc., qui les guettaient chez Dîner et Souper. Mais ils y succombent chez Banquet, qui condamné à être pendu est exécuté par Diète.
Ces pièces souvent ennuyeuses étaient jouées par la Basoche, corporation des clercs de procureurs du Parlement de Paris, qui trois fois par an donnaient des grandes fêtes suivies de représentations.

Les sotties.
Les sotties étaient des pièces satiriques où la folie humaine était jouée par des acteurs vêtus d'une robe jaune et verte et coiffés d'un chaperon à longues oreilles. Ces acteurs appelés sots étaient les héritiers des anciens célébrants de cette cérémonie bouffonne que l'Eglise avait autrefois tolérée et qu'on nommait la fête des Fous.

Les sots de Paris s'appelaient les Enfants sans souci.

Grâce au privilège de la folie, les sots avaient leur franc parler, même à la cour, et Louis XII les écoutait volontiers. En échange ils lui rendaient service, et, par exemple, le Jeu du Prince des sots (1512) de Pierre Gringoire qui mettait en scène le roi sous le nom de Prince des Sots, l'Eglise sous le nom de Mère Sotte, le peuple sous le nom de Sotte commune, fut utile à Louis XII dans sa lutte contre son adversaire, le pape Jules II.

Les Farces. 
La farce, après n'avoir été qu'un intermède comique dans la représentation des mystères, conquit bientôt son individualité. C'était une comédie bouffonne, qui, comme le fabliau duquel elle se rapproche, ne songe qu'à se gausser des maris benêts, des femmes coquettes et rusées, etc., et cela sans prétentions didactiques.

a) Le Cuvier. - Une des plus amusantes est celle du Cuvier :
Jaquinot, mari faible, a demandé à sa femme et à sa belle-mère de lui écrire sur un papier (rollet, petit rôle) l'emploi de son temps. Les deux femmes se sont creusé la tête pour ne rien oublier. Jaquinot, muni de son rollet, va et
vient dans la maison, et accomplit scrupuleusement ses nombreuses besognes. Sa femme, en préparant la lessive, se laisse choir dans le cuvier; elle appelle Jaquinot à son secours. Le mari, consultant son rollet, n' y trouve rien qui l'oblige à secourir sa femme. Elle supplie, elle demande grâce. 
Jaquinot consent enfin à prêter main-forte à sa belle-mère, pour retirer sa femme du cuvier, mais à la condition que le rollet sera déchiré et qu'il redeviendra le maître. 
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Le Cuvier (extrait)

« LA FEMME, dans le cuvier.
Mon bon mary, saulvez ma vie.
Je suis ja toute esvanouye. 
Baillez la main ung tantinet.

JAQUINOT
Cela n'est point a mon rollet; 
Car en enfer il descendra.

LA FEMME
Hélas! qui a moy n'entendra, 
La mort me viendra enlever.

JAQUINOT, lisant son rollet.
Boulenger, fournier et buer, 
Bluter, laver et essanger.

LA FEMME
Le sang m'est deja tout mué;
Je suis sur le point de mourir.

JAQUINOT
Frotter, nettoyer et fourbir.

LA FEMME
Tost pensez de me secourir.

JAQUINOT
Aller, venir, trotter, courir.

LA FEMME
Jamais n'en passeray ce jour.

JAQUINOT
Faire le pain, chauffer le four.

LA FEMME
Çà, la main; je tire a ma fin.

JAQUINOT
Mener la mousture au moulin.

LA FEMME
Vous estes pis que chien mastin.

JAQUINOT
Faire le lict au plus matin.

LA FEMME
Las! il vous semble que soit jeu.

JAQUINOT
Et puis mettre le pot au feu.

LA FEMME
Las! ou est ma mere Jacquette?

JAQUINOT
Et tenir la cuisine nette.

LA FEMME
Allez moi querir le curé;

JAQUINOT
Tout mon papier est escuré,
Mais je vous promets, sans long plet,
Que ce n'est point a mon rollet.

LA FEMME
Et pourquoy n'y est il escript?

JAQUINOT
Pour ce que ne l'avez pas dit. 
Saulvez-vous comme vous vouldrez; 
Car de par moy vous demourrez.

LA FEMME
Cherchez doncques si vous voirrez 
En la rue quelque varlet.

JAQUINOT
Cela n'est point a mon rollet... »

b) L'avocat Pathelin. - Mais la farce de l'avocat Pathelin (ou Patelin). dont on ignore la date exacte et l'auteur, est la plus justement célèbre : 
Pierre Pathelin, avocat sans scrupules et sans clients, après s'être fait remettre par Guillaume Jouaume six aunes de drap, contrefait si bien le délire de la fièvre, que le drapier, venu pour présenter sa note, se retire persuadé qu'il n'a pu voir une heure auparavant bien portant dans sa boutique un homme aussi malade. Mais quelle surprise quand, plaidant l'instant d'après contre son berger Thibaut l'Aigrelet, Guillaume le trouve défendu par le même Pathelin! Dans son trouble il mêle la question des moutons et celle du drap volé. Le juqe est ahuri d'une cause si étrange, surtout quand, à toutes les questions, l'Aignelet, sur les conseils de Pathelin, ne répond que par un bêlement, et il acquitte. Pathelin triomphe; seulement quand il veut se faire payer à son tour, il n'obtient de son client trop docile qu'un « Bêe! »
C'est, comme on le voit, un vaudeville assez adroitement construit, avec
des quiproquos amusants, et la situation toujours drôle du trompeur trompé.
Mais on y trouve mieux qu'un agencement ingénieux : il y a une esquisse des caractères. Guillaume est méfiant, mais vulnérable par la flatterie. L'Aignelet est balourd, mais madré comme un paysan. Pathelin est retors, prêt à tout, et cependant pris au dépourvu quand on lui emprunte ses armes. Le comique naît pour beaucoup de la vérité des caractères. C'est pourquoi le succès de Pathelin a été durable. Aujourd'hui encore il vit dans la langue par les mots patelin, patelinage, et par le dicton : « Revenons à nos moutons. »
Frontispice de Pathelin.

Pathelin et Guillemette, sa femme.
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