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Période
gothique (360-650).
Le plus ancien texte de la littérature
germanique est la traduction de la Bible
par l'évêque des Goths Ulphilas
(318-388). Des découvertes accomplies au XIXe
s. par l'érudition allemande et italienne ont fait connaître
d'une manière assez précise la vie de ce vénérable
personnage, qui ouvre l'histoire littéraire de l'Allemagne .
Sans vouloir retracer ici la biographie d'Ulphilas, rappelons seulement
qu'il remplit le IVe siècle de ses
immenses labeurs, qu'il convertit les Goths au christianisme,
qu'il consacra sa vie entière à la prédication des
Évangiles ,
bravant mille dangers pour accomplir sa mission, et que les premiers documents
de la langue des Germains attestent en
même temps le prosélytisme du vieil évêque. L'histoire
de la langue et des lettres germaniques se confond ici avec l'histoire
d'un auteur. Ulphilas a-t-il été, comme le veut la tradition,
l'inventeur de l'alphabet national? Il est probable qu'il avait constitué
cet alphabet avec les caractères runiques de l'ancienne écriture
des Germains, modifiés et complétés par d'habiles
emprunts à la langue grecque. Sa
Bible
était un livre populaire; les Wisigoths,
dans le mouvement des invasions, la portèrent en Italie
et en Espagne .
On en comprenait encore le texte au commencement du IXe
siècle. A partir de cette date le souvenir d'Ulphilas et son oeuvre
disparaît avec la langue gothique elle-même, et il faut attendre
environ huit siècles avant que ses traces soient retrouvées
( Les
langues germaniques).
C'est vers la fin du XVIe
siècle qu'un savant belge, Arnold Mercator, employé au service
du landgrave de Hesse ,
Guillaume
IV, signale aux érudits un livre en parchemin appartenant à
l'abbaye de Werden, et contenant, disait-il,
une vieille traduction allemande des quatre Évangiles .
De l'abbaye de Werden, le précieux manuscrit
passa bientôt à la bibliothèque
de Prague; puis, quand cette ville fut prise,
en 1648, par le comte de Koenigsmark, le vainqueur mit la main sur le trésor
et l'emporta en Suède .
On le voit aujourd'hui à Upsala, magnifiquement
relié en argent massif; les enluminures
du parchemin, les lettres tracées en argent sur un fond de pourpre,
offrent un curieux spécimen de l'art gothique, en même temps
qu'elles attestent la vénération des Goths
pour l'oeuvre de leur apôtre. On l'appelait dès le XVIe
siècle le Manuscrit d'argent ,
à cause de la couleur des lettres; "manuscrit d'argent, dit un germaniste
du XVIIIe siècle, manuscrit d'or,
si on en considère la valeur (Argentei, si pretium spectes, vere
aurei dicendi, codicis)."
En 1817, le cardinal Angelo Mai, fouillant
les trésors de la bibliothèque ambrosienne ,
à Milan, y découvrit de vieux
manuscrits
gothiques, qui avaient été recouverts plus tard d'une écriture
différente : un savant italien, le comte de Castiglione, prêtant
à A. Mai le secours de son érudition, prouva que c'était
là un nouveau fragment de la Bible d'Ulphilas. Ces palimpsestes
de Milan, qui venaient du monastère
de Bobbio ,
renfermaient une épître entière
de Saint Paul ,
des fragments de diverses épîtres du même saint, des
parties de l'Évangile de Saint Matthieu ,
et quelques passages des Livres d'Esdras
et de Néhémie .
On n'a retrouvé ni les Actes des Apôtres
ni l'Apocalypse .
Quant aux fragments de l'Ancien Testament ,
si ce ne sont que des débris épars, ces débris sont
assez imposants pour faire apprécier le zèle du vaillant
évêque et la beauté de son oeuvre. Une curieuse tradition
rapporte qu'Ulphilas, en traduisant la Bible ,
avait supprimé volontairement le Livre des Rois ,
craignant, peut-être, que tous ces récits de batailles n'enflammassent
l'imagination des Goths, et que leur humeur
guerrière se réveillant ne ramenât les moeurs barbares.
Si telle avait été son intention, la précaution fut
inutile; quelques années après la mort d'Ulphilas, les Goths
dévastaient l'empire et saccageaient Rome .
Nous nous sommes un peu étendu
sur la Bible d'Ulphilas parce que ce texte remplit à lui
seul toute la période gothique. Si l'on cite encore dans cette période
d'autres écrits religieux, traductions ou explications des livres
bibliques, par exemple une paraphrase de l'Évangile de Saint
Jean ,
composée sans doute par un disciple d'Ulphilas, ces fragments ne
font qu'attester l'influence prolongée du vieil évêque.
Nous ne parlerons pas d'un calendrier
ni de plusieurs signatures et attestations en langue gothique, lesquels
se trouvent à la suite de contrats de vente conclus en Italie
entre des Romains et des Goths
: de tels documents n'ont d'intérêt que pour la pour philologie.
Période
franque (650-1137).
La période franque se déploie
dans le pays des Francs, dans l'Austrasie
surtout, sous les derniers Mérovingiens,
et pendant toute la durée de la dynastie
carolingienne; Elle se prolonge ensuite dans la partie occidentale
de l'Allemagne ,
après que l'avénement de Hugues Capet
a consacré l'avènement d'une France
nouvelle et rejeté hors de son sein l'élément germanique.
Le point culminant de cette période, c'est le règne de Charlemagne
et celui de Louis le Débonnaire.
Nous rencontrons d'abord, dès le VIIe
et le VIIIe siècle, la trace des
vieilles traditions nationales, le souvenir
des grands chefs et de leurs belliqueuses aventures, l'indication de chants
populaires sur Théodoric et ses compagnons,
maintes légendes guerrières,
maintes ébauches d'épopée
qui, remaniées un jour dans un âge plus cultivé, produiront
les vieux poèmes dont l'Allemagne est fière. Charlemagne,
dit Éginhard, recueillit d'anciens chants
barbares, et les confia ainsi à la mémoire des hommes. Un
de ces chants, selon toute apparence, était,
ce poème intitulé Hildebrand et Hadubrand, ou plutôt,
pour employer les vieux noms germaniques, Hildibraht et Hadhubraht;
morceau véritablement terrible, où éclate une sauvage
énergie. A coté des poèmes barbares, il y a les poèmes
chrétiens : l'un, qui porte ce titre, le Sauveur (Heliand),
a été composé, soit par un moine d'origine saxonne,
à la demande de Louis le Débonnaire, soit par Louis le Débonnaire
lui-même; dans tous les cas, il appartient certainement au IXe
siècle, et il était destiné à la conversion
des Saxons. Un autre poème, le Christ, dédié
à l'un des fils du même empereur, est l'oeuvre du moine Otfried,
qui vivait au IXe siècle, dans le
pays qui est aujourd'hui l'Alsace .
C'est encore au IXe siècle qu'il
faut rapporter le chant intitulé Ludwigslied, où est
célébrée la victoire que Louis
III, roi de Neustrie
et d'Austrasie, remporta sur les Vikings
en 881. On cite enfin dans la même période plusieurs fragments
très curieux : une prière en vers, connue sous le nom de
Prière de Wessobrunn; un morceau poétique sur le Jugement
dernier, intitulé Muspilli; une description de l'Océan,
intitulée le Jardin de la Mer (Merigarto, Meergarten).
De ces trois fragments, les deux premiers paraissent être du IXe
siècle; le dernier appartient au XIe.
Les oeuvres poétiques les plus intéressantes
du Xe et du XIe
siècle sont des traductions en vers latins
des vieux chants nationaux : les moines qui les ont écrits nous
ont conservé la trace des poèmes ou des traditions qu'ils
avaient sous les yeux. Tel est le poème de Walther d'Aquitaine ,
composé en vers latins par le moine Eckehard, vers le milieu du
Xe siècle, et le poème de
Ruodlieb,
rédigé aussi par un moine au commencement du siècle
suivant. Au reste, le Xe siècle,
le XIe surtout, sont des époques
de ténèbres pour la poésie allemande; l'anarchie,
les guerres féodales, les brutalités soldatesques auxquelles
l'historien ne peut comparer que les forfaits de la guerre
de Trente Ans, avaient détruit jusqu'au souvenir de ces chants
nationaux perpétués de bouche en bouche depuis les anciens
âges. Les couvents étaient le seul refuge de l'activité
littéraire. Parmi les personnages qui, dans l'affreux désordre
du XIe siècle, maintinrent et accrurent,
a force de dévouement, la tradition intellectuelle, il faut citer
au premier rang le moine Notker (mort en 1022 ), chef des écoles
du monastère de Saint-Gall ;
il traduisit en allemand les Psaumes
et le Livre de Job ,
l'Organon
d'Aristote, les Bucoliques
de Virgile, l'Andrienne de Térence,
le De consolatione philosophiae et le De Trinitate de Boèce,
les écrits de Marcianus Capella, la
Morale de Saint Grégoire. Plusieurs
de ces traductions sont perdues; il en reste assez pour que l'histoire
littéraire puisse rendre un hommage bien senti à ce laborieux
défenseur de la culture antique. La poésie avait aussi ses
représentants dans les monastères
du XIe siècle, poésie ecclésiastique,
paraphrases des livres bibliques, exhortations à la piété,
conseils adressés aux laïques et aux prêtres. On signale
parmi les innombrables auteurs de ces poésies, une religieuse nommée
Ava (morte en 1127), qui composa en vers une Vie de Jésus,
où brille une merveilleuse douceur; Hartmann, auteur d'un discours
poétique sur la foi; et un certain Henri, prêtre ou moine,
qui chanta les avertissements de la mort. Si nous avions à mentionner
ici les ouvrages qui ne sont pas écrits en langue allemande, nous
n'oublierions pas les drames si curieux, si saintement passionnés,
que la religieuse Hroswitha écrivit à
l'imitation de Térence.
L'apogée
de la littérature médiévale (1137-1350).
Voici les grands jours du Moyen âge
germanique. L'unité de l'Allemagne
est fondée; une dynastie de souverains passionnés pour la
guerre, la poésie et les arts ,
donne l'essor au génie national, et, de toutes parts, des poètes
se lèvent pour chanter la maison des Hohenstaufen.
Les croisades ,
les guerres d'Italie ,
les intérêts des empereurs souabes dans le sud de la France ,
mettent les peuples allemands en contact avec les nations du Midi. Les
premiers accents de la poésie italienne, les mélodies de
la Provence ,
les poèmes des trouvères du Nord,
les épopées mystiques et chevaleresques
empruntées aux traditions bretonnes, pénètrent dans
les contrées germaniques et y suscitent des inspirations originales.
L'imagination de l'Allemagne s'éveille, et sa langue se délie;
la voilà entrée dans le grand choeur des nations européennes.
Tantôt elle reprend ces vieilles légendes dont elle avait
perdu le goût, et les consacre en des oeuvres où un style
plus cultivé n'efface pas cependant l'héroïque rudesse
de la tradition; tantôt elle s'inspire des chants d'amour provençaux,
des épopées mystiques de la Bretagne
: mais c'est pour répandre, sous ces sujets d'emprunt, des idées
et des sentiments qui lui sont propres.
La poésie allemande, à l'époque
des Hohenstaufen, nous offre trois des grandes formes de l'art : elle est
épique,
lyrique,
ou didactique; le drame
ne viendra que plus tard.
La poésie épique, si on considère
les sujets qu'elle traite, se divise en trois branches distinctes : poèmes
nationaux sur les vieux chefs germains, poèmes féodaux sur
Charlemagne
et ses pairs, poèmes chevaleresques et religieux sur le roi breton
Arthur
et les mystères du Saint Graal ,
voilà le champ immense qu'elle embrasse. Les plus anciens des poèmes
nationaux sont le Roi Rother, où l'on voit la fille de Constantin
enlevée par un héros de la Germanie ,
l'Empereur Otnit, Wolf Dietrich, d'autres encore, écrits au XIIe
siècle, et qui composent le recueil intitulé Livre des
héros (Heldenbuch) ;
les Niebelungen ,
que les Allemands appellent leur
Iliade ,
et Gudrun ,
qu'ils osent comparer à l'Odyssée ,
sont les plus beaux produits de cette inspiration héroïque.
Parmi les poèmes consacrés aux traditions
carolingiennes, il faut citer le Chant de Roland (Rolanslied) ,
écrit au XIIe siècle par
Conrad
le Prêtre, et remanié au XIIIe
par Stricker;
Flore et Blancheflore ,
par Conrad Fleck; Guillaume d'Orange ,
par Wolfram d'Eschenbach et Ulric de Thurheim.
Les principaux poèmes sur le roi Arthur et la Table
Ronde sont le Parcival
et le Titurel de Wolfram d'Eschenbach, le Lohengrin
attribué aussi à Wolfram, Tristan et Isolde
de Gottfried de Strasbourg, Iwein de Hartmann von der Aue, Lancelot
du Lac
de Ulric de Zazichoven.
A ces trois classes bien distinctes de
poèmes épiques il faut ajouter encore des épopées,
antiques par le sujet seulement, en réalité féodales
et chevaleresques par l'inspiration qui les anime, comme l'Enéide
de Henri de Veldeck, la Guerre de Troie de Conrad de Wurzbourg,
et surtout Alexandre le Grand de Lambrecht. Signalons aussi de poétiques
narrations empruntées soit à
l'histoire, soit à la
Bible ,
soit aux légendes populaires, le Duc Ernest, Salomon et Morolf,
le Pauvre Henri, Saint-Georges, Barlaam et Josaphat, le Croisé,
etc.
La poésie lyrique est représentée
par les Chantres d'amour (Minnesinger),
et jamais la tendresse, le dévouement, l'union presque mystique
de l'amour d'ici-bas et des extases célestes, n'ont trouvé
une expression plus suave. Les chefs de ces mélodieuses phalanges,
les émules des maîtres provençaux, des Arnaud Daniel
et des Giraud de Borneil, ce sont Reinmar, Hadloub, Henri de Morungen,
Gottfried de Neifen, Burkart de Hohenfels, Ulric de Wintersteten, Ulric
de Lichtenstein, et surtout leur maître à tous, Walther de
Vogelweide, le grand poète gibelin du XIIIe
siècle (mort en 1228). Walther de Vogelweide n'est pas seulement
le chantre de l'amour pur et le panégyriste des femmes allemandes;
aucune des grandes questions de son siècle ne l'a laissé
indifférent. Ecrivain pieux, soldat dévoué de la croisade ,
il a protesté au nom des sentiments les plus chrétiens contre
les abus de la cour de Rome .
Il y a plus d'un rapport entre les opinions de ce vaillant homme et celles
de Dante Alighieri : comme l'auteur de la Divine
Comédie ,
le minnesinger allemand a été religieusement fidèle
à l'idéal du Moyen âge ,
et la loyauté de ses inspirations donne à ses accents une
beauté, toute virile.
Enfin, la poésie
didactique (en comprenant sous ce titre toute poésie qui enseigne,
qui moralise, tantôt d'une façon directe, tantôt à
l'aide de ces symboles ou de ces énigmes que le Moyen âge
aimait tant), la poésie didactique nous présente de curieuses
compositions : le Coureur (der Renner), de Hugues de Trimberg;
Freidank,
d'un écrivain inconnu; un recueil de fables du moine Ulric Boner,
qui s'appelait le Chevalier de Dieu (Der Ritter Gottes);
la
Guerre de la Wartbourg, attribuée à Henri d'Ofterdingen;
des chants moraux de ce Henri de Meissen qui loua si noblement les dames
(on le surnomma pour cela Frauenlob), et que les dames de Mayence
voulurent déposer elles-mêmes à sa dernière
demeure. Dans quelle classe faut-il ranger le grand poème du Renard
(Reinaert)? Est-ce une épopée? Est-ce un poème
didactique et moral? L'un et l'autre à la fois. C'est là
certainement une des oeuvres les plus remarquables de la période
qui nous occupe : l'intérêt de la composition, la richesse
des détails, le sens profond de la satire, tout révèle
une inspiration du premier ordre; il faudra bien peu de chose pour que
ce naïf chef-d'oeuvre du XIIIe siècle
devienne un chef-d'oeuvre viril au XVIIIe
entre les mains de Goethe.
La prose, pendant cette période,
produit surtout des documents politiques, des recueils de lois,
des décrets impériaux, par exemple le Droit communal
de la ville de Brunswick ,
la Paix du pays, espèce de code rédigé par
Frédéric
II, le Miroir des Saxons ,
le Miroir des Souabes .
Les seuls ouvrages en prose que la littérature puisse réclamer
au XIIIe siècle sont les énergiques
sermons populaires du moine franciscain
Berthold, qui évangélisait les contrées allemandes
sous Rodolphe de Habsbourg. La poésie
est donc la véritable expression du génie germanique pendant
cette riche époque, et les écrivains en qui se personnifie
ce magnifique essor, ce sont, avec les auteurs inconnus des Niebelungen
et de Reinaert, le profond Wolfram d'Eschenbach
et le généreux Walther de Vogelweide.
Entre le Moyen
âge et la Réforme (1350-1500).
A la brillante époque des Hohenstaufen
et des premiers Habsbourg succède une
période toute différente. L'anarchie a repris possession
de l'Allemagne
: guerres intestines, luttes de seigneur à seigneur, nul droit que
celui de la force, voilà l'état de l'Empire; il n'y a plus
de centres, plus de foyers pour les travaux de l'imagination. La poésie,
chassée des cours, descend au sein de la bourgeoisie et du peuple;
l'art se transforme; il s'adresse à la foule pour la consoler et
l'instruire. Moins élevées, les lettres eurent peut-être
une influence plus active. Sous les empereurs de la maison de Souabe ,
c'étaient des poètes-chevaliers qui chantaient l'amour, la
guerre, la patrie, la religion; aujourd'hui, ce sont des artisans qui parlent
à des artisans. II y a des corporations de poètes comme il
y a des corporations de métiers. Après les chantres d'amour,
voici les maîtres-chanteurs (Meistersaenger).
Si on les juge au nom de la poésie, on est bien forcé d'avoir
quelques réserves; ils sont plats, vulgaires, sans inspiration;
ils défigurent les grands sujets consacrés par l'époque
précédente. N'est-ce pas cependant un spectacle digne d'intérêt
que cette dissémination de la richesse publique au sein de la multitude?
La poésie chevaleresque a encore quelques représentants,
tels que Hugues de Montfort (1354-1423) et Oswald de Wolkenstein (1366-1445);
mais l'esprit des classes bourgeoises et populaires pénètre
de plus en plus dans les domaines de l'art et y introduit un élément
tout nouveau. Cette transition est manifeste surtout chez deux poète,
Michel Beheim et Hans Rosenplüt : le premier, essayant encore, mais
en vain, d'intéresser le public aux sentiments du XIIIe
siècle, voulant chanter les guerres et les princes de son temps
comme Walther de Vogelweide chantait les Hohenstaufen, et ne produisant
qu'un mélange bizarre d'enthousiasme factice et de prosaïsme
vulgaire; le second, renonçant bien vite à une inspiration
qui n'est pas la sienne, et se consacrant tout entier à l'expression
de l'esprit nouveau. Bon sens populaire allégories morales, satires
joyeuses et acerbes, voilà les sujets qui plaisent à la foule
: on les retrouve partout, sujets dans la poésie, dans la prose,
dans les traités des moines, dans les sermons des prédicateurs.
Le Moyen âge
aimait les grands poèmes et les récits interminables; le
XVe siècle allemand dirait volontiers
comme La Fontaine : les longs ouvrages me
font peur. Ce qu'il faut au peuple, au peuple qui écrit et qui lit,
ce sont des traités brefs, rapides, des recueils de sentences, des
strophes au lieu de poèmes, des nouvelles à la place des
romans. II lui faut surtout une littérature morale, didactique,
soit qu'elle blâme le mal en le raillant, soit qu'elle exhorte joyeusement
le bien. La sagesse orientale, la science de l'Antiquité grecque
et latine, viennent joindre leurs enseignements aux leçons pratiques
du christianisme. Ici, c'est le Livre des sept sages maîtres
(das Buch der sieben weisen Meister : - dans la vieille littérature
française, li Romans des sept sages), qui, de contrée
en contrée, de main en main, arrive du fond de la Perse
et de l'Inde
pour édifier les Allemands
du XVe siècle : là, ce sont
des histoires de l'Antiquité latine, entre autres le livre intitulé
les Vieux Romains, remaniement très curieux de cette indigeste
compilation des Gesta Romanorum
qui joua un rôle si important au Moyen âge dans toute la littérature
européenne. Parmi tant d'écrivains inconnus qui représentent
la confuse activité du XVe siècle,
il en est un à qui l'histoire doit une mention particulière;
c'est Nicolas de Wyle.
Quand on dit que le XVe
siècle n'aimait pas les longs ouvrages, il s'agit de l'esprit public
et des instincts nouveaux qui se déclaraient; il y avait encore
cependant toute une classe d'écrivains, chapelains des princes,
scribes des seigneurs, occupés à traduire en prose, et quelle
prose! les poèmes chevaleresques du XIIIe
siècle. C'est Nicolas de Wyle qui a discrédité ces
fastidieuses écoles, en même temps qu'il a contribué
plus que personne à relever la littérature populaire. Familier
avec les lettres italiennes, ami de Sylvius Aenéas, il traduisit
dans une langue vive et nette les ouvrages les plus propres à secouer
la torpeur germanique. Sylvius Aenéas, qui adressa tant d'excellents
conseils aux princes allemands, qui combattit avec tant de verve le pédantisme
et les subtilités de la scolastique, appartient pour ainsi dire
à l'histoire littéraire
de l'Allemagne, grâce aux traductions de Nicolas de Wyle. C'est
aussi par Nicolas de Wyle que Pétrarque,
Boccace,
le Pogge, pénétrèrent dans
le pays des Niebelungen .
Sous ce rayon du midi, la langue, plus prompte et plus alerte, se dégagea
de ses liens. Nommons, à côté de Nicolas de Wyle, deux
autres prosateurs, Albert d'Eyb et Henri Steinhoewel, qui continuèrent
son oeuvre. Nommons surtout les poètes dramatiques populaires, Hans
Folz, Flans Rosenplüt, Théodore Schernberg; les chroniqueurs
Koenigshofen, Gensbein, Jean Rothe, Diebold Schilling, Petermann Etterlyn,
le traducteur inconnu de Mandeville, et le
secrétaire de l'empereur Maximilien, Marx Treitzsaurwein, qui a
raconté la vie de son maître dans un roman
allégorique intitulé
le Roi blanc (der Weiss-Kunig).
Une place Particulière est due à l'éloquent prédicateur
mystique Jean Tauler (1284-1361) au hardi sermonaire satirique Geiler de
Keisersberg (1450-1510), et enfin à celui qui résume à
sa manière tout le XVe siècle
allemand, au joyeux poète satirique Sébastien Brandt
(1458-1521), auteur de la Nef des fous (Narrenschiff, 1494).
La Suisse ,
pendant ses luttes contre Charles le Téméraire
et la maison de Habsbourg, a produit un grand
nombre de chants de guerre que les historiens de la littérature
allemande n'ont garde d'oublier dans leurs tableaux; plusieurs de ces
Tyrtées, au reste, appartenaient à l'Allemagne
par leur naissance, Celui qu'on cite le plus souvent, Veit Weber, né
à Fribourg-en-Brisgau ,
a chanté la victoire de Morat et les désastres du duc de
Bourgogne .
II s'en faut bien cependant que les strophes de Voit Weber égalent
les chants d'un autre poète guerrier, Halb Suter, qui, cent années
auparavant, avait célébré la bataille de Sempach gagnée
par les cantons helvétiques contre Léopold d'Autriche (1386).
Au milieu des oeuvres si variées
que représentent tous ces noms, au milieu des poètes chevaleresques,
des conteurs féodaux, des chanteurs populaires, des moralistes joyeux,
des satiriques hardis, des pédants scolastiques
et des mystiques profonds qui les combattent,
au milieu des dramaturges qui mettent la Bible sur le théâtre,
et des sermonnaires qui portent dans la chaire les facéties de la
rue, s'il n'y a pas un seul monument immortel pour exprimer esprit général
de cette période, on ne peut nier cependant l'immense travail qui
s'accomplit par mille mains différentes, travail continu, opiniâtre,
un peu vulgaire à la surface, sérieux et moral si on regarde
au fond, dissémination presque démocratique
des lettres et des idées, fermentation universelle d'où sortira
l'irrésistible mouvement de la Réforme.
(SRT). |
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