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Le picard,
aussi appelé chtimi est une langue
d'oïl, classée, au même titre que le français
standard, le romanche ou le dauphinois,
dans le groupe des langues gallo-rhétiques ( langues
italiques, langues; indo-européennes).
Cette langue est parlée dans l'Amiénois ,
le Ponthieu ,
le Boulonais, le Vimeu ,
le Santerre ,
le Vermandois ,
la Thiérache ,
le Pays-reconquis (Calaisis), le Tournaisis, l'Artois ,
le Valois ,
le Laonnais, le pays de Senlis et de Soissons,
et il présente, dans chacun de ces pays, des variantes dialectales.
Si l'on veut remonter à l'origine
du picard, on constate que la langue celtique
en usage, avant la conquête romaine, dans la contrée qu'on
appela Picardie vers le XIIe ou le XIIIe
siècle, y reçut l'empreinte de la langue des vainqueurs moins
profondément qu'au midi de la Gaule, peut-être à cause
de la permanence des relations commerciales avec les peuples de la Grande-Bretagne.
Du mélange des idiomes celtique et latin sortit une langue dite
rustique (rustica,
ruralis), où l'élément
celtique fut toujours dominant, et où le latin subissait de profondes
altérations. Le tudesque, apporté par les Francs au Ve
siècle, et parlé auprès de leurs rois du premier peuple
qui avaient fait de Soissons une de leurs capitales, ne put la détrôner
: elle lui survécut, non toutefois sans avoir gardé de son
contact des traces sensibles. Les incursions des Vikings l'obligèrent
aussi de s'assimiler beaucoup de mots des langues septentrionales, mais
dans une moindre proportion. C'est cette langue rustique, modifiée
par le temps non moins que par les influences étrangères,
qui donna naissance au wallon et au picard.
La marque de ces influences se retrouve
plus particulièrement dans les noms de lieux; ainsi, les noms suivants
sont celtiques : Barly, de bar-ly, bois clos; Brouchy, de bruch, marécage;
Calais, de caleh, hâvre; Isques, de isc, lieu bas; Upen, de upen,
tertre, etc. D'autres sont tudesques, comme : Bourg, de burg, lieu fortifié;
Hem ou Ham, de hem, habitation, hameau, village; Hallu, de hall, buisson;
Harn, de hern, terre inculte; Winges, de winkel, lieu écarté,
etc. Les origines latines sont fort nombreuses : Abbeville (abbatis
villa), Avesne (avesna), Castelet (castellum), Estrées
(strate), Locdieu (locus Dei), Vie-sur-Aisne (vicus),
etc. Quelques noms tels que Agrona, Leuconaus, Maya, ont, dit-on, une origine
grecque, souvenir d'une colonie massilienne établie près
de l'embouchure de la Somme pour le trafic de l'étain.
Dès le XIIe
siècle, il se distingue par sa tendance à syncoper les mots,
par la permutation du c doux en ch, et du ch français en k (chés
kemins, ces chemins), et par une prononciation pleine, lourde et sonore.
Ses formes dominantes sont les diphthongues eu et oi (prononcé oé,
ouai, comme actuellement); son voisin le normand avait, au contraire, un
caractère de sécheresse et de maigreur, parce qu'aux formes
mouillées picardes il substituait des voyelles simples, usage qui
prévalut définitivement au XVIIe
siècle. Le picard ancien est riche en écrits de tous genres,
tels que poèmes, romans, lais, fabliaux, contes, chants guerriers,
chansons, coutumiers, cartulaires, etc. On a prétendu que le célèbre
roman d'Amadis primitivement publié en espagnol n'était que
la traduction libre d'un manuscrit en dialecte picard, que Lacurne de Sainte-Palaye
dit exister au Vatican. La Bibliothèque nationale de Paris possède
un autre manuscrit intitulé le Renart futur, dont l'auteur est Gobelin
d'Amiens; c'est une suite du fameux roman du Renart. Outre ces productions
utiles pour l'étude des moeurs et l'histoire de notre langue, la
Picardie a fourni, plus qu'aucune autre province, des proverbes, des dictons
historiques, héraldiques et commerciaux, relatifs à chaque
localité. Les Picards ont aussi excellé dans les rébus
au point qu'on a baptisé de leur nom ce bizarre jeu d'esprit, et
qu'on a dit les rébus de Picardie : il existe à la Bibliothèque
nationale deux recueils qui portent ce titre, et qui datent de la fin du
XVe siècle.
Le picard moderne, qui représente
la survivance de l'ancienne langue picarde avec les modifications apportées
par le temps, est parlé dans les départements de la Somme
et du Pas-de-Calais, et dans une grande partie de l'Oise et de l'Aisne.
La prononciation, l'accent, l'emploi des mots, varient souvent d'un village
à l'autre, quelquefois, dans une même ville, d'un faubourg
à l'autre, comme à Amiens. Ces variétés de
langage se dessinent plus fortement en raison de l'éloignement des
lieux-: ainsi, le vocabulaire du Boulonais
n'est pas le même que celui de l'Amiénois; le langage du Ponthieu
s'éloigne beaucoup de celui du Vermandois. Les variations du picard
sont surtout sensibles vers les limites de la province, où il se
mêle avec les idiomes voisins : ainsi, l'artésien se combine
avec le rouchi et le wallon; la partie orientale du Valois subit l'influence
du champenois; le dialecte de Beauvais
et de Senlis transige avec le français de l'Île-de-France.
Souvent, dans un même village, on
emploie plusieurs synonymes pour rendre la même idée : dans
le département de la Somme, l'action de "battre", de "donner des
coups", est exprimée par une quarantaine de mots différents
dont quelques-uns, exterminer, giffler, donner une giroflée à
cinq feuilles, une pile, une roulée, ont cours partout depuis longtemps
dans le langage populaire. On remarque pour certains mots la même
analogie de composition que dans le grec et l'allemand : ainsi le verbe
fiker (ficher, mettre) compte un grand nombre de composés, entre
autres : affiker (asséner), cornifiker (donner un coup de corne),
infiker (ficher dans), surfiker (ficher sur), etc.
Le picard est prodigue de comparaisons
qui pour la plupart ont été adoptées dans le français
familier, telles que : alerte comme ein caf (alerte comme un chat), amer
comme d'el suie (amer comme de la suie), rouche comme ein co (rouge comme
un coq), etc. Il admet aussi un grand nombre de mots enfantins, qui sont
fournis par la répétition d'un monosyllabe, tels que : mamache
(fromage), mimine (chat), nounou (genou), pipique (épingle), tutures
(confitures), etc. II est pauvre, et il a cela de commun avec d'autres
patois, quand il s'agit d'exprimer des idées qui sortent de l'ordre
matériel : ainsi, il n'a aucun mot spécial pour traduire
"fantaisie, fécondité, perfection, tendresse,", etc. II a
du nombre, de l'harmonie, de l'énergie, mais les mots poétiques
lui font défaut. Les sujets badins, enjoués, et où
la raillerie domine, sont, par conséquent; les seuls qu'il soit
propre à traiter; ce sont aussi à peu près les seuls
qui composent sa littérature.
Les écrits en pur patois picard
depuis la déchéance des langues régionales sont moins
nombreux et moins importants que ceux qui ont contribué à
former et à enrichir la langue française pendant le Moyen
âge : ils consistent en chansons et autres pièces
de circonstance, soit imprimées, soit manuscrites, et dont les
plus anciennes ne remontent pas au delà de 1649. Les plus remarquables
ont été réunies dans un ouvrage intitulé :
Recueil
de poésies, sermons et discours picards, Abbeville, an VI, in-12
; c'est là que se trouve l'édition la moins rare de la
Satyre d'un curé picard sur les vérités du temps,
par le R. P***; jésuite, publiée pour la première
fois en 1750. Un autre recueil : Pièces récréatives,
ou le Patois picard, 1823, in-18, souvent réimprimé à
Amiens et à Beauvais, contient : 1° Dialogue curieux et intéressant
entre deux Picards concernant la cathédrale d'Amiens; 2°
Sermon
de messire Grégoire sur ce texte : Reddite quae sunt Caesaris Caesari;
3° Dialogue entre deux petites paysannes et un médecin.
Le sermon doit être du XVIIIe siècle,
car messire Grégoire se plaint de ce qu'on ne lui paye pas la dîme,
et de ce que les femmes vont à l'église avec des masques
de velours; mais le texte primitif a dû être altéré,
et on y a fait des additions dans les éditions modernes, où
figurent les noms de Mirabeau et de La
Fayette.
A partir de 1830 et jusqu'à nos
jours, les éditeurs picards ne se sont plus bornés à
des réimpressions ; ils mettent au jour des productions nouvelles,
inspirées par les événements contemporains. Les tout
premiers exemples de ce renouveau ont été donnés
par les Anciennes et nouvelles Lettres picardes, par Pierre-Louis
Gosseu, paysan de Vermand (St-Quentin, 1847, in-8°), dictées
par un esprit incisif et mordant, qui avaient pour sujets principaux la
réforme électorale, les lois de dotation, la prison de Ham,
les fêtes de Juillet, l'opéra de la Juive, la loi sur la chasse,
le droit de visite, l'indemnité Pritchard, les élections,
etc. Le journal l'Abbevillois a publié, après la révolution
de Février 1848, une série de Lettres picardes, par
Jacques Croedur et Jean Pronieux, qui roulent principalement sur les faits
politiques accomplis depuis l'établissement de la République
: elles se distinguent, comme les précédentes, par leur verve
malicieuse. On trouve enfin chaque année, dans les almanachs édités
en Picardie, des dialogues et des chansons en patois picard. (P-s). |
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