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L'histoire de l'escrime 
au Moyen âge et à la Renaissance
Aperçu
Moyen âge et Renaissance
 Temps modernes

Les origines de l'escrime en tant qu'art ou technique codifiée sont fort obscures, et, en tout cas, ne remontent pas à une antiquité très reculée, car il ne faut pas chercher à les établir en dehors des premiers temps du Moyen âge chrétien, ou l'épée acquit une place prépondérante, une valeur morale, au milieu des autres armes. Remonter aux anciennes écoles de gladiateurs ne serait pas une bonne méthode, et il faut s'en tenir aux premières données, encore que fort incertaines, que nous possédons sur le rôle de l'épée dans la société franco-germanique, où l'élément scandinave et anglo-saxon doit être également compté pour beaucoup. En bonne règle, l'histoire de l'escrime ne devrait pas pouvoir se séparer de celle de l'épée. Les données que nous possédons sur les débuts de cette dernière sont certes encore bien vagues; plus vagues encore restent les notions que nous avons sur l'apparition d'une synthèse quelconque des divers procédés que l'on préférait dans le maniement de l'épée. II faut en rechercher les premières traces dans ce que les traditions nous apprennent sur les danses des épées, et ces jongleurs qui, sous prétexte de ces danses, ne devaient point manquer d'enseigner quelques recettes utiles pour le maniement de ces armes.

Le Moyen âge.
Mais autant les poèmes chevaleresques et les chansons de geste prodiguent les récits des prouesses des paladins et de leurs grands coups d'épée, autant ils restent muets sur l'usage théorique de cette arme. Les manuscrits du XIIIe siècle nous montrent bien des piétons armés d'épées et de boucliers ronds, s'escrimant les uns contre les autres, mais ces miniatures ne sont pas expliquées par les textes. On sait seulement que ces joueurs d'épée étaient des gens de petit état et qui devaient apprendre les quelques secrets de leur art à des personnes de moyenne condition que leur rang dans le monde obligeait, en somme, à combattre à pied. Cela se comprend d'autant mieux que l'épée des hommes d'armes, pour ne pas dire des chevaliers, n'était pas leur arme principale, qu'à cheval, ils usaient plus volontiers de la lance, de la hache et de la masse, et qu'à pied, ils se servaient au moins autant de leurs lances raccourcies et de leurs haches que de leurs épées, qui valaient peu contre les armures, rendues de plus en plus impénétrables par les additions de pièces de plates.

Armés d'épées courtes, le bouclier au poing gauche, les piétons devaient au contraire savoir se protéger, car ils étaient bien moins garantis par les défenses de corps que les hommes montés. En outre, les risques continuels que courait la vie en ces époques ou la sûreté personnelle était très précaire et où il fallait se faire, le plus souvent, justice soi-même, amenait à chercher les moyens les plus pratiques de pouvoir lutter avec avantage.

Nous ne savons rien des origines des maîtres d'armes du Moyen âge en France, mais nous savons, par contre, qu'en Angleterre, dès les XIIIe et XIVe siècles, on avait fait des édits contre ces coupe-jarrets qui, non contents d'assembler en leurs officines une jeunesse très turbulente, mettaient trop souvent leur science et leurs épées au service de qui les pouvait honorablement payer. L'escrime de ce temps était dite escrime au bouclier, car, outre l'épée à lame large, aussi bonne à frapper d'estoc que de taille, on se servait de ces boces ou broquels circulaires, de fer ou de bronze, que l'on tenait au moyen d'une petite poignée transversale, opposée à la saillie centrale ou umbo. A Londres et ailleurs, il y eut des écoles autorisées, mais encore plus nombreuses furent les clandestines, dont les maîtres étaient accusés de débaucher les fils de famille. Dès le commencement du XIVe siècle, la noblesse se mit à les fréquenter, et ces salles d'armes ne firent que gagner en importance jusqu'au commencement du XVIe siècle.

La Renaissance.
C'est au XVIe siècle que le roi Henri VIII « conçut le plan d'ériger en corporation tous les plus célèbres maîtres d'armes de son temps, au lieu de tenter de supprimer entièrement leurs écoles, comme le voulait son prédécesseur » (Egerton Castle). Et comme contre-partie de cette décision, le roi supprima toutes les autres écoles d'armes, avec défense absolue de ne plus jamais se rouvrir. Ainsi fut fondée la corporation des maîtres dans la noble science de la défense, dans laquelle on gagnait ses grades peu à peu avant que de passer maître. 

Mais si l'on a des renseignements sur ces corporations et les maîtres d'armes, on connaît peu les principes qu'ils professaient, et c'est en Allemagne qu'il faut aller rechercher les premières notions théoriques de l'escrime qui soient parvenues jusqu'à nous. Il est d'ailleurs probable que la vieille coutume franco-germanique des combats judiciaires dut, dans une certaine mesure, contribuer au développement de l'escrime, et l'étude des armes jusqu'alors employée est faite pour prouver que l'on devait surtout étudier les coups de taille. Les plus anciens traités d'escrime qui nous soient parvenus sont allemands : ce sont ceux de Lebkommer et de Paurnfeind. Ils datent du commencement du XVIe siècle; mais ils parlent autant de lutte et de saut que du combat à l'épée. On voit cependant qu'en Allemagne on commençait déjà à se servir de l'épée seule comme arme de défense et d'attaque. On se servait de ces épées courtes, dites lansquenettes et de plus larges encore, à pointe plus aiguë, nommées braquemarts. Un vieil ouvrage anonyme, paru en français, à Paris, vers 1533, à Anvers vers 1536, et intitulé la Noble Science des joueurs d'épée, donne quelques aperçus du maniement de ces épées courtes dont on s'escrimait surtout de taille, sans bouclier; mais on n'y trouve énoncé aucun principe déterminé.

Plus que jamais, l'escrime de cette époque dut être individuelle, basée sur les aptitudes physiques, les moyens personnels du combattant. On apprenait avant tout à porter des coups et à en recevoir le moins possible. Dans le maniement de la courte épée, le combattant, assis sur ses jambes, la gauche ou la droite en avant, suivant l'opportunité du moment, le poing gauche sur la hanche, travaille le bras haut, plutôt du poignet que de l'avant-bras, et tenant la fusée de son arme à pleine main, le pouce appuyé sur le talon de la lame. Les coups et les parades devaient rappeler beaucoup ceux du sabre actuel, mais on faisait un usage beaucoup plus libre des jambes et la plupart des coups devaient surtout être évités par des contre-attaques. Ce dernier principe restera en vigueur jusqu'à la fin du XVIe siècle, un peu dans toutes les écoles.

L'apparition de la rapière, épée longue et fine, propre à frapper de la pointe, sans préjudice de ses tranchants, devait faire faire, vers la moitié du XVIesiècle, les plus grands progrès à l'escrime. Il est cependant intéressant de voir quel parti les maîtres des diverses nations ont su tirer des épées moins légères que l'on maniait auparavant. Nous ne pouvons ici traiter qu'accessoirement la question de l'escrime des longues épées à deux mains que manièrent longtemps les Allemands et les Suisses. C'étaient surtout des armes de guerre; cependant leur escrime a été exposée dans des traités contemporains qui nous montrent combien elle était compliquée, car, en dehors d'une force physique extrême, elle demandait une extrême souplesse des poignets, obligés sans cesse de se croiser et de se décroiser sur la longue fusée et le talon garni de cuir de cette arme. On devait fournir des attaques circulaires et on parait par des coups croisés dans les lignes d'attaque « dans le but de rompre la garde et de frapper en même temps l'adversaire; ou bien, en jetant son arme hors de la ligne, de faire place pour un second coup à-temps ». Joahim Meyer et Sutor ont écrit sur le maniement de cette arme. 

Jusqu'au règne d'Elisabeth, les Anglais restèrent fidèles à leur épée à lame assez large et de longueur moyenne, à deux tranchants, à pointe retaillée en ogive; ils s'en servaient avec le bouclier et cherchaient surtout à fournir des coups de taille que préconisa Silver. En France, on n'adopta la rapière que vers le règne de Charles IX; avant, on se servait de l'épée du type estocade, un peu semblable à l'épée précitée. On parait les coups soit avec la main gauche, soit avec un bouclier ou une sorte de targe, dite bras armé, soit encore un brassard de fer, ou même avec une dague. En Italie, on en faisait de même; mais c'est dans ce dernier pays, ainsi qu'en Espagne, que s'implanta le plus vite l'usage de la rapière.

L'école italienne : de Marozzo à Viggiani.
C'est, en somme, en Italie et en Espagne qu'ont paru les plus anciens traités d'escrime; mais ils ne nous sont pas parvenus et on ne les connaît que par les citations de leurs successeurs. Don Luis Pacheco de Narvaëz, Morsicato Pallavicini, Antonio Marcelli, qui écrivaient au XVIIe siècle, citent le traité de Jayme Pons de Majorque, paru à Perpignan en 1474, celui de Pedro de La Torre, publié à la même date, celui de Pietro Monde, paru en 1509. Mais le livre d'escrime classique le plus ancien est le traité de l'Italien Marozzo, édité à Modène en 1536. Marozzo fut le plus illustre des maîtres de son temps : 

« Il fut, dit son contemporain Giulio Fontana, comme tout le monde le sait, l'un des plus parfaits dans la pratique du noble art de l'escrime; il forma un nombre considérable de vaillants disciples et, en dernier lieu, écrivit cet ouvrage pour le bien du public. » 
Marozzo distingue deux gardes, suivant la position des tranchants de l'épée. La garde en droit fil est celle où le tranchant est extérieur, c.-à-d. l'épée tenue les ongles en dessous; la garde en faux tranchant est celle où les ongles sont en dessus, le faux tranchant étant alors extérieur. Puis il divise les coups en deux catégories, ceux fournis de droite à gauche, ceux fournis de gauche à droite, tous pouvant être donnés de quatre façons différentes : horizontalement, de haut en bas, de bas en haut, ou obliquement. Partisan déterminé des coups de taille, il les professe de manière à nous faire voir que, dès son époque, on les connaissait à la perfection, et tient surtout à faire marcher l'élève, le faisant sans cesse changer de position. Les parades se font avec un bouclier ou une targe, avec la main gauche; les coups s'évitent en reculant ou en rompant de côté. Sans cesse le combattant doit s'avancer, traverser, comme on dira plus tard, et surveiller les rapports de position existant entre sa main, sa pointe et la jambe qui se trouve en avant. Des coups de pointe, peu ou point. Il recommande cependant des coups secs, fouettés du poignet, qui permettent de piquer assez profondément. En somme, l'enseignement de Marozzo était déjà assez parfait pour son époque et pour l'épée encore lourde que l'on maniait alors; il est probable que ses leçons pratiques valaient encore mieux que ses doctrines écrites, car en Italie, cette terre privilégiée de l'escrime, il demeura longtemps fameux, jusqu'au XVIIe siècle même, époque où la rapière et son jeu tout différent brillaient du plus vit éclat.

Il faut noter un essai curieux, vraiment scientifique, qui se produisit à cette époque. C'est le livre du célèbre Agrippa où l'on voit préconiser l'emploi de la pointe au préjudice des coups de taille, et la position de gardes rationnelles opposées à des mouvements aventureux et compliqués. Cette tentative dépassait trop son heure pour obtenir le succès qu'elle méritait; le livre d'Agrippa eut une grande vogue, mais sa méthode ne semble pas avoir prévalu contre celle de Marozzo, et l'on continua à s'escrimer suivant les anciens principes. L'escrime devait d'ailleurs, longtemps encore, garder son caractère individuel. Les fameuses bottes secrètes, dont il a tant été parlé, ne sont pas absolument une pure invention. Le plus souvent, le maître faisait travailler l'élève seul avec lui, et, jugeant quels étaient les coups que ses moyens physiques lui permettaient le mieux d'accomplir, il les lui faisait travailler longtemps, de telle sorte que celui-ci finissait par pouvoir les exécuter avec une force et une rapidité presque prodigieuses et qui mettaient, dans un duel, son adversaire très en danger. Les vieux maîtres d'armes apprenaient surtout à tuer. Voyant dans l'escrime le côté pratique, qui est le maniement de l'épée comme arme de meurtre, ils se souciaient sans doute peu de donner à leurs élèves un enseignement académique, uniforme et artificiel, tel que celui de l'escrime moderne. Et il est probable que, chez eux, la pratique était bien supérieure à la théorie.

Mais, au point de vue de la théorie, un grand progrès semble avoir été accompli par le Milanais Grassi, et son livre est le point de départ d'une école assez scientifique qui prit racine en Allemagne avec Meyer, en France avec Saint-Didier. Grassi commence a soupçonner le parti que l'on peut tirer du contact du fer et celui à tirer de la pointe, bien plus pratique en son usage que le tranchant. Mais il continue à préconiser les passes, c.-à-d. les marches et contremarches dans toutes les directions, manoeuvres périlleuses entre toutes, puisque toute passe exécutée à faux sur l'attaque de l'adversaire vous expose découvert au coup que vous vouliez éviter. Il ne rejette pas absolument les coups de taille, mais en réglemente l'emploi et les conseille soit dans les ripostes, soit dans les cas où le corps à corps étant presque complet, il est difficile de frapper de la pointe. Encore qu'allégée beaucoup, l'épée en usage n'était pas encore absolument la fine rapière, et il faut savoir gré à Grassi d'en avoir affiné le jeu. Il recommande d'employer la dague comme arme de la main gauche, car c'est une bonne arme autant pour parer que pour attaquer. Et même il se montre partisan des épées jumelles, que l'on tient une à chaque main et qui peuvent servir autant à l'attaque qu'à la parade. En somme, Grassi marque une étape importante dans la marche progressive de l'escrime. Il a le sentiment du fer, la notion de la distance, la connaissance des lignes, qu'il divise en intérieure, extérieure, haute et basse. Par contre, il ne connaît que trois gardes, la haute, la basse et la garde en dehors. Mais il recommande sagement de les varier sur les deux mains armées « de manière à multiplier la difficulté de l'attaque et à faciliter l'action de la riposte, dans une ligne différente de celle de l'attaque ».

Dans une excellente étude sur les maîtres d'armes anciens, Egerton Castle nous paraît empreint d'une sévérité exagérée lorsqu'il reproche à Grassi des gardes imparfaites, « et, ce qui le prouve bien, c'est que l'auteur, dans tous les passages où il parle de la défense, est obligé d'avoir recours à des trucs fort incertains pour éviter l'arme ennemie ». Il est évident que l'escrime du maître milanais n'est pas codifiée comme celle de nos jours; mais c'est peut-être justement la grande variété de ressources dont il fait montre qui tendrait à prouver combien il connaissait son métier. L'escrime utilitaire qu'il enseigne doit être familière avec toutes les surprises, et d'ailleurs, dans toute escrime professée, il entre toujours une forte quantité de convention. 

« Grassi se contenta de suivre la tradition de l'école de Marozzo et ne fit que réduire le nombre des gardes fondamentales, quoiqu'il eût compris l'avantage de la pointe sur le tranchant. Encore doit-on se souvenir que le système de Marozzo renfermait les principes de cette vieille escrime, citée par Rabelais et dont les théories étaient suffisamment reconnues pour justifier une reproduction de son traité en 1615. »
Les ouvrages de Saint-Didier et de Joachim Meyer, parus peu de temps après en France et en Allemagne, ne représentent que des adaptations des doctrines de Grassi; encore Saint-Didier est-il assez rétrogade, puisqu'il semble donner plus d'importance aux coups de taille qu'aux coups de pointe. Cela s'explique en partie par la forme des épées françaises encore assez courtes et larges. Saint-Didier professa l'escrime de l'épée seule; la main gauche, non armée, peut servir, en certains cas, à écarter l'épée ennemie, à la saisir même, pour désarmer.

Un progrès plus certain fut amené par l'Italien Viggiani dont le livre sur l'escrime parut en 1575; mais l'auteur paraît avoir été contemporain de Marozzo et
d'Agrippa. Ce progrès consiste dans l'application de l'idée du développement, c.-à-d. l'action de se fondre suivant la donnée de l'école moderne. Il préconise cependant les passes, c.-à.d. les pas faits d'un pied ou d'un autre, et les voltes, qui sont des déplacements à droite ou à gauche, obtenus en pivotant sur un pied, pratiques dangereuses et difficiles. Partisan de la pointe, il divise les diverses positions, dans lesquelles on peut l'employer, en cinq catégories, et admet sept gardes. Et selon lui, une garde est parfaite « quand elle permet de donner de la pointe, imparfaite quand elle ne permet que la taille ». Les parades continuent à être des contre-attaques qui peuvent être, sur une occasion favorable, terminées par un coup d'allonge (punta sopramano). 

« Quand vous voudrez, dit-il, porter une ponta sopramano, faites que le pied droit avance d'un grand pas et laissez immédiatement tomber votre bras gauche; que l'épaule droite pousse en même temps le bras en avant, en même temps, la poitrine, sans tourner la main. Poussez votre pointe aussi loin que possible. »
Il est le premier à préconiser cette méthode fondamentale de l'escrime moderne. Une botte ainsi fournie pour frapper franchement de la pointe était une imbroccata, différente de la stoccata, coup de pointe fouetté.

Si parfaite que fût l'escrime italienne à son époque, elle ne s'implanta pas partout avec un égal succès; c'était affaire de mode. A cet égard, l'Angleterre se montra plus réfractaire que l'Allemagne, et ses maîtres continuèrent jusque vers la fin du XVIe siècle à défendre pied à pied l'escrime de l'épée et du bouclier contre celle de la rapière dont l'école de Viggiani professait l'enseignement. La France adopta assez lentement l'usage de cette dernière arme. Mais, ce qu'il faut noter, c'est que l'Espagne, où cette rapière avait apparu presque en même temps qu'en Italie, tint à honneur de rester en dehors des principes italiens et de cultiver une escrime singulièrement méthodique et artificielle qui ne changea pas sensiblement jusqu'au XVIIIe siècle. 

L'école espagnole.
Les Espagnols tenaient leur longue épée le bras droit très tendu, en ligne avec l'épaule, les deux talons presque sur la même ligne, mais les pieds changeant sans cesse de position et amenant de continuels changements de gardes. Evitant le contact du fer, ils cherchaient à tromper les attaques par des pas de côté ou des voltes et à faire tomber l'adversaire ainsi mis à découvert sur la pointe de l'épée. Carranza qui, sous Philippe II, fut le maître le plus illustre de l'école espagnole, a laissé un ouvrage dogmatique sur cette escrime compassée et difficile, appuyée sur des théorèmes géométriques, car les adversaires sont censés tomber en garde chacun à une extrémité du diamètre d'un cercle fictif, diamètre dont la longueur est établie par celle des deux bras étendus et des épées; ainsi placés, ils sont hors de la portée des coups; tout pas fait dans le cercle les met à portée. L'escrime consiste donc à tourner autour du cercle et à y entrer en marchant sans commettre de faute, c.-à-d. sans se mettre à découvert; aussi faut-il avoir la notion exacte des temps, encore plus que dans l'escrime italienne où l'on table surtout sur l'agilité individuelle. 

Le danger consiste donc à être pris sur un coup de temps pendant qu'on marche; et le combat n'est qu'une marche circulaire où il suffit d'avancer d'un pas pour pouvoir donner ou recevoir un coup, et cela sans faire aucun mouvement violent. Il y a trois espèces de pas ou pasadas : la pasada, d'environ 24 pouces; le pasada simple, d'environ 30 pouces; la pasada doble, qui est formé de deux pasadas du premier genre effectués avec les deux pieds alternativement. Ce dernier devait être le plus grand mouvement si l'adversaire se dérobait. Carranza était partisan des coups de taille plutôt que des coups de pointe; ceux-ci étaient donnés généralement comme les stoccatas des Italiens. Il y en avait, pour les coups de taille, quatre principaux : arretabar, qui consiste à fournir le coup de toute la force de l'épaule et du bras; mediotajo, coup fourni de l'avant-bras; doblando la coyuntara del codo, coup donné en fouettant de l'avant-bras; mandoble, coup sec donné avec le poignet.

Narvaëz et Carranza, qui professèrent cette escrime, ne différaient que par l'importance qu'ils donnaient aux coups de pointe; le premier en fut beaucoup plus partisan que le second. Cette escrime, très difficile, où la main gauche libre ou armée d'une dague servait à parer; se distingue en ce que l'épée n'y est absolument qu'une arme d'attaque. Elle devait demander des années d'étude et des qualités de sang-froid exceptionnelles. On ne saurait la comparer à aucune autre manière professée par les écoles; mais, quels que soient les reproches et les critiques qu'on n'ait cessé de lui adresser, il faut convenir qu'elle était extrêmement scientifique, et d'ailleurs les Espagnols passèrent toujours pour exceller dans le maniement de leurs longues rapières  et pour des duellistes au moins aussi dangereux que les Italiens. (Maurice Maindron).

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