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Jeux du cirque
Les spectacles équestres 
à Rome et à Byzance

Chez les anciens Romains, les cirques étaient de vastes pistes sablées destinées aux jeux publics, surtout aux courses de chevaux et de chars. On les a utilisés aussi, dans la Rome impériale, pour d'autres exercices que les courses de chars. Il y avait par exemple des exercices de voltige à cheval faits par des cavaliers qui portaient le nom spécial de desultores, « sauteurs ». Ils faisaient tous les tours de force et d'adresse que nous voyons faire aux écuyers de nos cirques. La figure ci-dessous, empruntée à une mosaïque  découverte dans les caves du palais Farnèse à Rome, donnera une idée de ces tours de voltige. On voyait encore au cirque des courses à pied, des luttes d'athlètes et de pugilistes; mais un autre édifice, le Stade, était le lieu réservé d'ordinaire à ces exercices. Le cirque servait enfin à des évolutions militaires, à des parades de fantassins et de cavaliers: de ce nombre étaient les ludi sevirales, manœuvres à cheval exécutées par les six escadrons de l'ordre équestre et dirigées par le princeps ,juventutis, qui était d'ordinaire le futur empereur. Ce n'est que par exception que l'on a donné quelquefois au cirque des combats d'animaux et de gladiateurs; ces spectacles étaient réservés à l'amphithéâtre. On ne traitera dans cette page que de la première destination du cirque, renvoyant à la page générale consacrée aux Jeux (dits) du cirque pour un tour d'horizon des autres jeux publics en vogue chez les romains. 
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Exercices de voltige, à Rome.
Exercices de voltige au cirque, d'après une mosaïque de Rome.

Les spectacles équestres à Rome.
Juvénal a dit des Romains de son temps dans des vers célèbres (Sat., X, 18 et suiv.) :

« Le peuple, qui distribuait jadis le pouvoir, les faisceaux, les légions, tout, maintenant [...] ne souhaite plus que deux choses dans ses désirs inquiets, du pain et des jeux au cirque. » 
Panem et circenses : toute la politique des empereurs dans leurs rapports avec la population de la capitale est dans ces deux mots, la nourrir et l'amuser. Or, parmi les trois grands plaisirs qui se disputaient la faveur des Romains, les jeux de l'amphithéâtre, du théâtre, du cirque, ceux-ci étaient sans contredit les plus populaires de tous.

Il ne faut pas se représenter les cirques dans l'Antiquité romaine (c'est un monument purement romain) comme les pistes circulaires qui servent de nos jours pour donner ce que l'on nomme des spectacles de cirque. C'est un immense espace, à ciel ouvert, de forme rectangulaire, beaucoup plus long que large, terminé à une de ses extrémités par un arc de cercle qui relie les deux grands côtés, l'autre extrémité étant à angle droit. Sur les côtés de ce grand rectangle s'élèvent des gradins où prennent place les spectateurs. La nature avait en quelque sorte dicté aux Romains le plan de ces édifices car la tradition raconte qu'ils firent choix, dès les origines mêmes de leur histoire, pour se livrer aux plaisirs des courses de chars, du vallon étroit et oblong qui s'étend entre l'Aventin et le Palatin, et où s'éleva pendant toute la durée de l'histoire romaine le cirque par excellence, le Circus Maximus. La forme que la disposition des lieux avait imposée à ce premier cirque, les Romains la reproduisirent dans tous leurs cirques à Rome ou dans les provinces, car elle était la forme rationnelle, celle qui convenait le mieux aux courses de chars, partie essentielle des circenses. Le petit côté du cirque qui était de forme rectangulaire se terminait par les barrières (carceres); là étaient les stalles d'où s'élançaient les chars au signal donné; on avait soin de les disposer un peu en biais, de manière à ce que la distance fût la même pour tous les concurrents jusqu'à l'endroit où commençait la piste proprement dite. En général, les places d'honneur étaient dans une tribune construite au-dessus des carceres, à l'endroit où l'on voyait le mieux les départs et les arrivées. 

L'arène du cirque était divisée dans sa longueur en deux pistes par un petit mur en maçonnerie ou en charpente élevé à hauteur d'appui : c'était la spina, proprement «-l'épine ». A chacune de ses extrémités se dressaient trois petites colonnes de forme conique; c'était les terribles bornes, si fécondes en accidents, que les chars devaient doubler. La spina était décorée d'objets d'art, colonnes, statues, vases, et parfois obélisques. Des échafaudages particuliers disposés à côté des bornes et surmontés de dauphins servaient d'indicateurs pour le nombre des tours courus par les chars; après chacun des sept tours, on faisait descendre à cet endroit un signal en forme de boule ovale (ova curriculorum). 

Les jeux du cirque s'ouvraient toujours par une grande procession qui rappelait l'origine religieuse de ces jeux comme de tous les jeux des Anciens. Cette procession, pompa, partie du Capitole, arrivait au Grand Cirque (Circus Maximus) après avoir traversé le Forum, le Velabre et le Forum boariurn (marché aux boeufs). Elle était conduite par un des premiers magistrats de l'Etat, parfois par l'empereur lui-même; derrière lui s'avançait, au son des flûtes et des trompettes, la file interminable des images des dieux et des images des empereurs portées sur des chars magnifiques, des collèges de prêtres et d'une foule de figurants. Quand ce cortège triomphal entrait au cirque, tous les assistants se levaient en poussant des acclamations; mais cette cérémonie, d'une monotonie trop connue, ne tarda pas à devenir pour les spectateurs de l'Empire une sorte de corvée; on avait hâte que le défilé inévitable de la pompa fût fini pour voir les courses de chars.
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Course de chars, dans le cirque
Courses de chars dans le cirque, d'après une mosaïque du musée de Lyon.

Enfin, le magistrat qui présidait aux jeux donnait le signal de la course en jetant dans la lice, du haut du balcon construit au-dessus des carceres, un morceau d'étoffe blanche. Aussitôt on ouvrait toutes les barrières, et la course commençait au milieu des clameurs des assistants, des cris des cochers et d'un épais nuage de poussière. Il fallait faire sept fois le tour complet du cirque, c.-à-d. en parcourir quatorze fois la plus grande longueur, soit pour le Grand Cirque une distance totale de 7,5 kilomètres environ. L'endroit le plus critique de la course était le cap que formaient les bornes de pierre à chaque extrémité. Pour le doubler en perdant le moins de terrain possible, il fallait frôler cet écueil pour ainsi dire sans laisser de place aux concurrents; aussi que de naufrages en ce lieu terrible! Un char venait-il à tomber; les suivants venaient s'écraser sur lui, et c'était alors une horrible masse ensanglantée d'hommes, d'animaux, de débris. La piste se parcourait de droite à gauche par rapport à un spectateur placé aux carceres; les cochers doublaient donc les bornes en tournant à gauche. Aussi mettaient-ils à la gauche leur meilleur cheval, le plus rapide et le mieux dressé, car c'était lui qui menait tout l'attelage. Les chars étaient attelés en général à deux ou quatre chevaux (biges ou quadriges), quelquefois six, sept, huit; mais c'étaient là des tours de force que se permettaient seuls les virtuoses de l'arène. Les chevaux étaient toujours attelés de front, jamais en flèche; les chevaux du milieu avaient le cou passé sous le joug, de manière que le conducteur n'eût guère qu'à conduire les deux chevaux de côté, surtout celui de gauche, de qui dépendait presque uniquement la victoire. Le jockey (auriga) conduisait debout sur son char, vêtu d'une tunique courte sans manches, aux couleurs de sa faction; les rênes étaient attachées à sa ceinture, mais il pouvait, les couper, en cas de danger, avec un couteau qui faisait partie de son équipement. Les courses duraient ordinairement la journée entière avec quatre interruptions, la principale vers midi. A partir de l'époque de Néron, il y avait vingt-quatre courses par jour; beaucoup de spectateurs assistaient, sans se lasser, à ce spectacle toujours nouveau pour eux. Les courses des jeux apollinaires au mois de juillet provoquaient surtout un concours extraordinaire de spectateurs.

On ne peut s'étendre ici sur cette passion pour les courses de chars et pour les chevaux, sur cette « hippomanie », comme dit Lucien en parlant des Romains, qui est un des traits les plus curieux de la société impériale. Nous renvoyons aux ouvrages spécialisés pour l'histoire des quatre factions; les Rouges, factio russata; les Blancs, factio albata; les Verts, factio prasina; les Bleus, factio veneta (ces deux dernières couleurs étaient le plus en vogue), pour les anecdotes sur les cochers et les chevaux célèbres. A Rome, il y eut bien des émeutes au sujet des factions; mais aucune ne fut comparable à la terrible émeute de 532 à Constantinople, sous le règne de Justinien, qu'on appelle Nika, d'après le cri de ralliement des émeutiers, et qui coûta la vie à plus de trente mille d'entre eux. 

On résumera simplement ici, à titre de documents sur les courses dans l'ancienne Rome, une curieuse inscription (Corp. inscr. lat., VI, 10,048) du milieu du second siècle (règnes d'Hadrien et d'Antonin le Pieux), qui énumère les exploits hippiques d'un célèbre cocher, d'origine lusitanienne, C. Appuleius Diodes. Il avait couru vingt-quatre ans, à partir de sa dix-huitième année, dans les factions des Bleus, des Verts et des Rouges. Il avait pris part à 4257 courses et était arrivé premier 1462 fois. Sur ses 1462 victoires, il en comptait 1,064 dans les courses où chacune des quatre factions était représentée par un seul char, 347 dans celles où chacune en avait deux, 51 dans celles où chacune en avait trois, c.-à-d. où il y avait douze chars en concurrence dans l'arène; dans les courses de la première catégorie, il était arrivé premier avec des attelages de six et de sept chevaux. Tous ses triomphes lui avaient valu des sommes considérables. Le total de tous ses prix, grands prix et prix ordinaires, s'élève au chiffre effrayant de 35.863.120 sesterces. Parmi ses chevaux, il avait un excellent coureur avec qui il avait gagné deux cents prix. On cite encore de lui, dans cette inscription interminable, maint tour de force : ainsi, il avait couru et gagné en prenant pour cheval de main à la gauche (celui qui conduisait le quadrige) un cheval de ses adversaires; il avait gagné un prix de 50.000 sesterces avec un équipage de sept chevaux qui étaient simplement attelés (c.-à-d. sans que ceux du milieu eussent le cou passé sous le joug), un autre de 30.000 sans se servir du fouet, etc.
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Cocher du cirque (auriga), à Rome.
Cocher du cirque, d'après une mosaïque
trouvée près de Rome.

Les spectacles équestres à Byzance.
Jamais peuple ne s'est intéressé aux jeux du cirque plus passionnément que les Byzantins. Les cochers de l'hippodrome sont des personnages privilégiés; rien ne manque à leur gloire, ni les statues, ni les applaudissements, ni les petits vers, ni les exemptions d'impôts. Suivant leurs couleurs, le peuple se partage en factions; les Blancs avec les Bleus d'une part, les Rouges unis aux Verts de l'autre; et les rivalités de ces partis, des Verts et des Bleus surtout, ont plus d'une fois porté le trouble et la sédition dans Byzance. Organisés en véritables corporations avec leurs présidents ou démarques, leurs chefs de quartier ou gitoniargues, leur caisse, leurs cochers, leurs poètes, leurs chanteurs, leurs musiciens, formés en milices urbaines, les deux partis des Verts et des Bleus, continuellement rivaux dans le cirque, où les Verts, depuis Théodose II, occupèrent la place d'honneur à gauche de l'empereur, transportaient leur rivalité sur le terrain politique ou religieux. 

Suivant que l'empereur, aussi passionné que ses sujets pour les jeux du cirque, accordait sa faveur à l'une des deux couleurs, l'autre parti moins favorisé, parfois même écarté des emplois publics, était rejeté dans l'opposition. De là, entre les Verts et les Bleus, sous le moindre prétexte, des luttes qui ensanglantaient le cirque et portaient dans la ville entière l'incendie et la ruine; de là, quand le peuple était mécontent de l'empereur, des insurrections souvent redoutables; par exemple, sous Anastase en 491 et 501, sous Maurice et sous Phocas, et surtout sous Justinien : la faveur du prince pour les Bleus, la passion toute particulière que Théodora lui inspira pour les jeux du cirque, soulevèrent en 532 la fameuse sédition Nika, où trente-cinq mille personnes périrent. Toutefois, on ne saurait croire que les factions du cirque aient représenté d'une manière constante telle opinion politique ou religieuse, les Bleus tenant pour l'orthodoxie, les Verts pour les doctrines hérétiques, les Bleus pour Justinien ou pour Maurice, les Verts pour la famille d'Anastase ou pour Phocas; leur attitude dépendait uniquement de celle que prenait l'empereur. En effet, à partir du VIIe siècle, quand le prince s'intéressa moins aux jeux du cirque, quand la détresse du trésor aussi rendit les fêtes moins somptueuses, les factions cessent de troubler l'Etat byzantin; plus exactement surveillées au reste, dirigées par des chefs qui sont de grands officiers de la couronne, elles ne jouent plus au Xe siècle qu'un rôle d'apparat dans les cérémonies; et si les Bleus conservent la préséance, signe de la faveur impériale, dans les deux factions les magistrats et les cochers même sont nommés et payés par l'empereur.

En dehors des jeux du cirque, l'hippodrome a vu bien d'autres événements. Bien des empereurs y ont subi les outrages du peuple, et Justinien Il mutilé, Michel Calaphate lapidé, Andronic Comnène aveuglé et torturé, montrent assez quelles tragédies se jouaient dans le cirque. Il servait parfois aussi aux couronnements et aux triomphes des empereurs : Basile Ier, Constantin VII, Nicéphore Phocas, Jean Zimiscès, Basile II, y triomphèrent des Pauliciens, des Arabes, des Bulgares. On y faisait aussi des exécutions capitales, et l'Eglise même consentait parfois à se mêler à toutes ces cérémonies profanes. Mais à partir du XIIe siècle, l'hippodrome commença à être délaissé. Alexis Ier fut le dernier empereur qui présida aux jeux du cirque. Bientôt les ravages des croisés de 1204, qui pillèrent impitoyablement l'hippodrome, consommèrent la ruine; à la fin du XIVe siècle le cirque était désert. Quand les Turcs prirent Constantinople, ils employèrent les matériaux de l'hippodrome à construire des mosquées, et bientôt il ne resta qu'une place vide. (Ch. Diehl).

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