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La bagatelle

La bagatelle est un très ancien jeu, qui fut même peut-être l'ancêtre du billard. Son appareil est bien moins encombrant que celui du billard; il n'exige pas une grande habileté, ce qui est un avantage pour les débutants, et il laisse au hasard une place très large.

Les tables de bagatelle varient considérablement de grandeur, les unes pouvant avoir 1,75 m de long sur 50 cm de large; les autres mesurant jusqu'à 4 m de long sur 1 m de large; mais ordinairement on se sert des plus petites tables.

Elles sont souvent supportées par un solide bâti de bois; et toujours formées d'une plaque de marbre, d'ardoise ou de bois, recouverte d'un tapis de drap vert fortement tendu; elles sont entourées d'un rebord ou bande rembourrée d'une matière élastique, ordinairement aujourd'hui de caoutchouc.

Bagatelle.
1. - Table de bagatelle.

Notre figure 1 représente une table de bagatelle; on remarquera que la bande est circulaire à l'une de ses extrémités. a et b sont deux petits points ou mouches dont l'usage sera expliqué un peu plus loin. Les 9 trous ronds (en bleu sur la figure) sont autant de cupules creusées dans la table, et d'une grandeur suffisante pour envelopper exactement la moitié de chacune des billes d'ivoire que l'on emploie à ce jeu. Ces billes sont au nombre de neuf, à savoir : quatre blanches, quatre rouges et une noire. Il est extrêmement important qu'elles aient absolument le même volume et le même poids; si l'une posait plus que l'autre, il serait impossible de calculer l'exacte direction qu'elles doivent prendre après s'être heurtées mutuellement.

On frappe les billes soit avec une queue, soit avec une masse. Cette dernière est la plus commode, surtout si la queue n'est pas pourvue d'un procédé. Les masses étant rares aujourd'hui, voici, quand on est forcé de se servir d'une queue, la manière d'y adapter soi-même un procédé. On prend un morceau de cuir plus ou moins épais, suivant la grosseur de la queue; à l'aide d'un canif ou d'un couteau bien affilé, on coupe un petit carré de ce cuir. Ensuite, au moyen d'une lime, on râpe le bout de la queue jusqu'à ce qu'elle soit bien unie et bien plane; on s'assure que cette extrémité forme un plan bien perpendiculaire à la hauteur de la queue, car la moindre obliquité constituerait un grand défaut.

On a de la colle forte chaude : on fait chauffer le bout de la queue et le morceau de cuir; on applique un peu de colle sur la surface plane de l'extrémité de la queue et on presse pendant un certain temps celle-ci contre le cuir.

Quand la queue et le carré de cuir tiennent ensemble, on laisse sécher et durcir la colle pendant 24 heures, après quoi on pose verticalement la queue sur une planche, de façon que le cuir se trouve pressé sur cette dernière, et avec le canif ou le couteau, un coupe le cuir pour l'arrondir bien exactement, en prenant garde d'enlever le moindre copeau de cette dernière. Ceci fait, on polit le cuir au papier de verre, et on le rend moins glissant en le blanchissant à la craie.

La grosseur de la queue doit être proportionnée à celle des billes, qui sont très petites; de sorte que les queues de billard ordinaires ne peuvent servir.

Si l'on fait usage de la masse, le point capital est de pousser la bille et non de la frapper, et l'on doit s'assurer que la masse touche la bille avant de donner le coup qui la pousse. On reconnaît que la masse a frappé quand elle fait entendre un bruit sec en touchant la bille, ce qu'il faut éviter.

Avant de commencer une partie, on doit s'assurer que la table est bien de niveau; si elle n'est pas posée à demeure sur un bâti, on la place sur une grande et lourde table, dont on cale solidement les pieds.

Pour reconnaître si la bagatelle est de niveau, on prend 5 ou 6 billes et on les fait rouler doucement sur le tapis; si elles ont une tendance à se diriger d'un côté plutôt que d'un autre, on glisse quelques fouilles de papier sous le côté qui a besoin d'être soulevé.

La bagatelle donne lieu à plusieurs espèces de parties, dont les plus connues sont la partie anglaise, le sans égal, le mississippi et le carambolage.

Partie anglaise.
Cette partie peut être jouée par deux ou plusieurs personnes. Dans ce dernier cas, les joueurs doivent être en nombre pair, afin de se diviser en deux camps égaux.

Au début, on place la bille noire sur le point ou mouche marqué a (fig.1). Le premier joueur place une autre bille sur le point b et il la pousse avec la masse ou la frappe avec la queue, pour l'envoyer vers la bille noire qu'elle doit frapper.

Si la bille du joueur manque la bille noire, on l'enlève de dessus la table, qu'elle s'arrête dans un trou ou qu'elle ne s'y arrête pas.

Certaines tables de bagatelle se plient en deux au milieu pour être plus portatives; on les ouvre au moment de jouer et on les pose sur une table comme il a été dit; alors il se forme toujours un pli sur le tapis, le long de la ligne de fermeture. Chaque bille qui revient en arrière de ce pli est considérée comme morte et enlevée du tapis; c'est pourquoi le joueur prendra garde de toucher trop fort la bille noire, car il est plus important pour elle que pour les autres de ne pas mourir puisque « la bille noire compte double ». Dans le cas où le pli n'existerait pas sur le tapis, on le
remplacerait par une ligne transversale tracée au milieu de la table. Toute bille qui saute par-dessus la bande n'est pas replacée dans le jeu.

Le but du joueur, au début, est de frapper la bille noire de manière à l'envoyer dans un trou portant un fort numéro ou de la rapprocher de ce trou. Celui du centre, étant marqué 9, serait le meilleur; mais il est très difficile, particulièrement au premier coup, d'envoyer la noire dans le neuf, et l'on risque beaucoup, en essayant de le faire, de l'envoyer dans le un, le plus mauvais des trous. On recommande donc au joueur de chercher, au début, à pousser la noire sur un côté, préférablement sur celui du huit; il pourra, en jouant convenablement, faire rebondir sa propre bille dans la direction opposée et l'envoyer dans le trou marqué sept; et s'il réussit le 8 par la noire et le 7 par sa propre bille, cela lui fera 23 points d'un seul coup. S'il jouait en sens inverse et envoyait la noire dans le trou 7 et la sienne dans le 8, cela ne lui ferait que 22 au lieu de 23. Un coup est aussi facile que l'autre, en raison de la symétrie du jeu, et il est toujours préférable de tenter le point de 23.

Bagatelle.
2. - Les bons rebonds...

La bille noire étant placée dans un trou, le joueur doit ensuite essayer de prendre, le plus de trous qu'il lui sera possible. Les lignes bleues de notre fig. 2 montrent comment on peut obtenir les principaux trous, en frappant toujours d'abord la bande. La grande difficulté, c'est de donner à la bille la force désirable; poussée trop fort, elle ne reste pas dans le trou; le défaut de force la laisse mourir près de la bande.

Le 6 et le 4 peuvent s'obtenir directement sans toucher la bande; mais il est préférable de les jouer comme le montrent nos lignes bleues; d'ailleurs, on consultera pour ces trous comme pour les autres, la disposition de la table, qui peut avoir une tendance à verser vers les, côtés, et l'élasticité de la bande.

Quand le joueur a manqué, au premier coup, d'envoyer la bille noire dans un trou, il peut ensuite continuer de jouer sur la noire, pour tâcher de la placer dans un trou au coup suivant, ou jouer seulement pour placer ses billes dans des trous; la position de la noire le déterminera à prendre un parti ou l'autre.

La plus mauvaise position de la noire se trouve au bout de la table, sous la bande circulaire; il vaut mieux l'y laisser que de perdre deux ou trois billes à essayer de la déloger; le plus souvent elle tourne autour de la bande sans la quitter. La meilleure marche à suivre, dans ce cas, c'est de prendre d'abord le 7 et le 8; après quoi, on s'occupe de la noire; et si on parvient à la faire passer dans le 9, on a gagné 18 points. 

La table est ordinairement percée sur ses rebords d'une quantité de petits trous qui servent à marquer. Chaque joueur ou chaque parti est en possession de deux chevilles pour cet objet. Chaque joueur ou chaque parti se sert de billes dont la couleur diffère de celle des billes du joueur ou du parti adverse. Le vainqueur est celui qui arrive le premier à faire un nombre déterminé de points; ou celui qui, dans un certain nombre de tournées, a fait le plus de points.

On ne joue pas tout autour de la table, comme au billard; à chaque coup on place sa bille sur la mouche.

Partie de sans égal.
Cette partie se joue à deux seulement; un joueur prend 4 billes blanches; l'autre, 4 billes rouges. On place la bille noire sur le point a (fig. 1). Le premier joueur pousse l'une du ses billes, dans l'intention de frapper la noire; son adversaire joue, ensuite avec l'une de ses billes et ainsi de suite alternativement chacun, une bille.

Chaque joueur marque pour lui toutes les billes de sa couleur qu'il peut envoyer dans un trou et aussi la noire quand il l'y envoie; mais. s'il met dans le trou une bille adverse, elle compte pour son adversaire.

Le joueur qui a joué le premier à une tournée, joue le second à la. suivante. On joue ordinairement en 25 ou 31 points.

Le mississippi.
Pour jouer cette partie, on adapte à la table une sorte de pont de neuf arches. Les arches portent des numéros, de un à neuf. On les pousse vers l'extrémité, jusqu'à la courbe formée par le demi-cercle de la bande,. de façon que le pont recouvre une partie des trous. On joue les 9 billes, la noire pouvant compter double, si cela est convenu.

Le but est de faire passer les billes sous les arches, après qu'elles ont touché la bande; toute bille qui passe une arche sans avoir touché la bande compte pour l'adversaire. Quelquefois on place la noire sur son point ordinaire, qui se trouve sous le pont, et alors un joueur ne. peut commencer de compter avant de l'avoir touchée.

Le carambolage.
Cette manière de jouer est la plus savante; sur une, grande table non creusée de trous, elle ressemble à une partie de billard; mais on la joue ordinairement sur une. petite table, semblable à celle dont nous avons donné la description.

On se sert de trois billes : deux blanches et une rouge, ou une blanche, une rouge et une noire. S'il y a deux billes blanches, l'une d'elles doit porter une marque particulière, comme au billard;. mais il est préférable, surtout si l'on joue sur une petite table, d'avoir des billes de trois couleurs différentes; alors on place, au début, la noire sur son point ordinaire b (fig. 3) et la bille de l'un des adversaires en a, qui se trouve entre le trou 5 et le trou 9.

Bagatelle.
3. - Positions pour le carambolage.

En travers de la table, à une petite distance du côté où se place le joueur, on tire une ligne représentée par des points sur notre figure. Le joueur pose sa bille en un point quelconque, à son choix, sur le rectangle compris entre cette ligne et la limite de la table, de son côté. Il est de rigueur de se tenir en face de cette ligne, de façon que les pieds du joueur ne dépassent pas, à droite ou à gauche le prolongement des côtés parallèles de la table.

Le carambolage se fait en touchant d'abord la bille noire avec la bille du joueur, et ensuite celle de l'adversaire toujours avec la même bille. Il y a plusieurs espèces de parties, qui dépendent le plus souvent de la construction et de la grandeur de la table. On convient des points que l'on comptera lorsque telle ou telle bille entrera dans tel ou tel trou. Ordinairement le carambolage vaut 2 points et si, après le carambolage la bille noire tombe dans un trou, on ajoute, aux 2 points, le double du numéro du trou; si l'une des deux autres billes, ou si toutes les deux tombent dans un trou, on ajoute le nombre ou les nombres de ce trou ou des deux trous. Le plus haut point que l'on puisse ainsi gagner d'un seul coup est 35, savoir : 2 pour le carambolage; 18, pour la noire dans le trou 9, et 15 pour les deux autres boules dans les trous 8 et 7.

Quand le joueur a fait un carambolage, il joue de nouveau, en remettant sa bille en un point quelconque du quadrilatère formé par la ligne transversale et en posant sur le point qu'elle doit occuper toute bille blousée (tombée dans un trou); une bille non blousée reste en place. Quand le joueur manque le carambolage, son adversaire le remplace en mettant sa propre bille dans le quadrilatère et en laissant les autres au point où elles se trouvent. Il est évident que lorsque le carambolage est difficile à faire directement, ou l'essaie en frappant d'abord la bande, on en touchant la bande après avoir frappé une bille, pour revenir ensuite sur l'autre bille. Ces sortes de coups bien plus difficiles qu'au billard, en raison de la courbe que présente la bande à l'extrémité de la table, demandent, une grande habileté et beaucoup de pratique.

Bagatelle.
4. - Angles.

Quand une bille, lancée doucement, vient à toucher la bande, elle rebondit de façon que l'angle d'incidence soit égal à l'angle de réflexion. Sur notre fig. 4, l'angle I N P est l'angle d'incidence et P N R est l'angle de réflexion ; la bille, venant en I N, rebondit au N R. C'est sur cette propriété des chocs ou impacts que doit se baser le joueur quand il fait une bande droite. Mais quelle sera la direction d'une bille qui aura frappé une bande courbe? Cette direction sera analogue à la précédente si l'on suppose une tangente menée perpendiculairement au rayon de la courbe. Soit une bille arrivant à la bande courbe dans la direction indiquée par les flèches (fig. 4) et frappant cette bande en a; elle formera, avec le rayon, un angle de réflexion égal à l'angle d'incidence. La connaissance de cette loi est indispensable au joueur; et de plus, il lui faut, nous le répétons, beaucoup de pratique. (T. de Moulidars).

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© Serge Jodra, 2008. - Reproduction interdite.