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Histoire de la Castille
D'Alphonse X aux Rois catholiques
Aperçu Des origines au règne de Ferdinand III D'Alphonse X aux Rois catholiques
La Castille sous la dynastie bourguignone (depuis Alphonse X).
Aux règnes brillants d'Alphonse IX et de Ferdinand Ill succède celui si troublé d'Alphonse X, le Savant. 

Alphonse X, le Savant (el Sabio).
Agé de trente et un ans quand mourut son père, Alphonse X eut d'abord à lutter contre des embarras d'argent; le numéraire faisant défaut dans ses Etats, il imagina d'abaisser le taux des monnaies, puis, ce procédé ayant fait hausser le prix de toutes choses, il s'avisa, pour soulager les pauvres, d'établir un maximum. De telles mesures n'étaient pas pour améliorer la situation. 

En même temps, Alphonse X, plein d'ambition, la tête remplie de projets peu sensés, élevait des prétentions sur la Gascogne (1254), les Algarves, la Navarre (1255), et rêvait de se faire élire empereur d'Allemagne, se prévavalant des droits de sa mère, Béatrix de Souabe (1257). Pour ajouter à toutes ces difficultés, les Maures Andalous et l'émir de Grenade se révoltaient (1254-1268) et une longue et pénible guerre en résultait. Les ricos hombres, mécontents de ce que Alphonse avait cédé les Algarves au roi de Portugal, de ce que sa pauvreté ne lui permettait pas de leur donner des terres ou de l'argent, et aussi, à ce qu'il semble, de certaines dispositions législatives qui tendaient à restreindre leur indépendance, se mirent en insurrection sous prétexte du bien public et trouvèrent un appui dans les frères du roi et chez les chefs maures.

Alphonse montra vis-à-vis des nobles révoltés, auxquels se joignirent bientôt les prélats, une grande modération, on pourrait presque dire une grande faiblesse, et traita avec eux; il se réconcilia aussi, au moins en apparence, avec l'émir de Grenade (1273). Il avait hâte de se rendre au concile de Lyon, pour y faire reconnaître ce titre d'empereur d'Allemagne, dont il se prévalait depuis seize ans. Pendant son absence, Youssef, sultan du Maroc, appelé par les Arabes d'Espagne, passa la Méditerranée avec de nombreux soldats et battit deux armées castillanes envoyées contre lui; Fernando, le fils aîné d'Alphonse X, mourut dans une de ces expéditions, des suites de ses fatigues. Pourtant, l'Andalousie était déjà si fortement occupée par les Castillans, qu'ils purent résister partout et que l'invasion africaine demeura à peu près sans effet ; aussi Youssef, abandonnant l'émir de Grenade qui l'avait appelé, repassa dans ses Etats, après avoir signé une trêve avec les Chrétiens. Alphonse X, qui revenait, désappointé de n'avoir pas été reconnu empereur, trouva de plus son royaume affligé par des dissensions intestines (1276). 

Don Sancho, son second fils, qui avait montré beaucoup de bravoure et d'habileté contre les Musulmans, prétendait être reconnu héritier présomptif de la couronne, de préférence à Alonzo de La Cerda, fils aîné de l'infant défunt, Fernando; il était soutenu par un parti puissant et Alphonse X lui-même le reconnut en cette qualité aux Cortès de Ségovie, disant que Fernando n'avait pu transmettre à son fils des droits à un trône que lui-même n'avait pas occupé. Mais la reine mère Violante, Blanche, femme d'Alphonse et mère de Fernando, Philippe Ill de France, père de cette princesse, le roi d'Aragon, l'infant don Fadrique défendirent les droits d'Alonzo de la Cerda et les droits éventuels de son frère Fernando, ou, comme on dit, des infants de la Cerda, tous deux réfugiés à la cour d'Aragon. Ils invoquaient le droit de représentation, tandis que leurs adversaires se réclamaient du droit d'immédiation, et, comme la question, ne s'étant jamais présentée en Castille pour l'héritage de la couronne, n'avait jamais été traitée, les uns et les autres trouvaient des arguments dans les fueros relatifs aux héritages privés, dans la loi romaine ou dans les coutumes des pays voisins. Une guerre avec la France, du côté de la Navarre, fut le résultat de cette querelle; en même temps, les armes d'Alphonse étaient malheureuses contre l'émir de Grenade et contre la ville d'Algésiras, secourue par Youssef. 
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Alphonse X (les Siete Partidas).
Alphonse X. Miniature des Siete Partidas.

Par un traité avec Philippe III, Alphonse X convint que Sancho aurait la Castille, mais que don Alonzo de la Cerda en tiendrait en fief le royaume de Jaen. Don Sancho, irrité de cette clause, se révolta contre son père, le fit proclamer déchu du trône par les Cortès de Valladolid et se fit donner la régence du royaume (1281). Le vieux roi, abandonné de tous, se jeta dans les bras de son ancien ennemi, le sultan du Maroc, Youssef, tandis que Sancho trouvait un appui dans l'émir de Grenade. Après une lutte pleine de vicissitudes, Alphonse, à qui les Castillans revinrent et pour qui le pape s'était déclaré en jetant l'interdit sur les partisans de Sancho, mourut en maudissant son fils rebelle et léguant sa couronne à son petit-fils, Alonzo de la Cerda, puis à son frère, puis aux fils des infants de la Cerda, et à leur défaut au roi de France. Ce prince, qu'une ambition un peu folle et sa prodigalité rendirent malheureux, ne manquait pas de mérite; il passait pour un grand savant, aimait les lettres et les arts, fit faire une chronique qui porte son nom, et qu'on lui a même attribuée quelquefois; c'est une vaste et intelligente compilation des vieux historiens de l'Espagne et des légendes nationales; il écrivit aussi divers poèmes, mais surtout il s'appliqua à la confection de lois dont il a laissé trois recueils importants : I'Especulo, le Fuero real et les Siete Partidas.

Sanche IV
Le règne d'Alphonse X avait inauguré l'ère des discordes civiles pour la malheureuse Castille; l'histoire de ce pays pendant deux siècles ne contiendra guère que le récit des luttes des grands vassaux avec le roi ou encore des discordes des princes de la famille royale; les Musulmans même seront appelés tantôt par les uns, tantôt par les autres, et la conquête du reste de l'Andalousie sera pour longtemps ajournée. D'abord le testament d'Alphonse demeura sans effet, comme presque tous les testaments de rois, et ce fut son fils rebelle, Sanche ou Sancho IV, surnommé le Brave, qui lui succéda; mais il eut à combattre les nobles, les infants de La Cerda, et quand il mourut (1295), il laissa à son héritier et à sa veuve une autorité partout contestée et un royaume plein de troubles.
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Maria de Molina et Ferdinand IV, enfant.
Maria de Molina présente son fils Ferdinand IV aux Cortès de Valladolid (1285),
par Antonio Gisbert, 1863.

Ferdinand IV.
Ferdinand IV eut d'abord quelque peine à se faire reconnaître comme héritier légitime, car le mariage de sa mère, Maria de Molina, avec Sancho, avait été déclaré nul par l'Eglise, et un de ses oncles, don Juan, réclama la couronne; un autre oncle, don Enrique, se fit donner la régence du royaume. En même temps, les La Cerda et les Lara continuaient à élever des prétentions, et le roi de France lui-même revendiquait la Castille. Après des luttes très longues dont le détail offre peu d'intérêt, le jeune monarque acquit cependant quelque autorité; en 1305, à la suite d'une entrevue avec le roi d'Aragon, il décida celui-ci à abandonner le parti des infants de La Cerda, qui privés de cet appui, devinrent impuissants à troubler le royaume il partagea même avec son nouvel allié le royaume de Murcie, dont une partie était encore à conquérir. Malheureusement, après une courte guerre contre les Maures, Ferdinand mourut subitement en 1312, laissant pour lui succéder un enfant, Alphonse XI. 

Alphonse XI.
On pria Maria de Molina d'exercer la régence; mais une telle tâche lui parut sans doute au-dessus de ses forces, et elle appela son fils l'infant Pedro à exercer le pouvoir avec elle. Aussitôt, plusieurs membres de la famille royale prétendirent au même rôle : l'autorité fut morcelée entre les deux frères Pedro et Juan, le premier soutenant le parti de Maria, le second celui de Constancia, mère du jeune roi. Les Haro et les Lara, d'autre part, continuèrent leurs sanglantes querelles, et il y eut une anarchie profonde. Quand les deux régents périrent simultanément dans une guerre contre les Maures, leurs deux fils leur succédèrent respectivement et l'autorité demeura divisée et sans force. Heureusement, en 1322, Alphonse XI devint majeur et s'appliqua aussitôt à établir une justice exacte; il mérita des lors le surnom qui lui a été donné par l'histoire, El Vengador ou le Vengeur. Il dissipa, par une politique sans dignité mais habile, plusieurs coalitions qui se formèrent, puis en 1330, reprenant la guerre contre les Maures, il força l'émir de Grenade à lui payer tribut, comme au temps de Ferdinand III. 

Peu après, il reçut à merci le chef de la maison de La Cerda et les comtes de Haro se soumirent. En Castille, la paix n'était plus troublée que par les intrigues de don Juan Manuel et des Lara. Le roi, après avoir fait déclarer par les Cortès qu'il fallait réduire ces sujets toujours rebelles, entra sur leurs terres, leur prit leur forteresse de Lerma en 1336, et les força à la soumission. Il put recommencer alors la guerre nationale contre les Maures, car les trêves étaient expirées. Ses soldats furent vainqueurs à la grande bataille d'Arcos; il eut une flotte dans le détroit pour empêcher les Africains de venir au secours de leurs coreligionnaires d'Espagne. En 1344, il enleva la forteresse d'Algésiras et il assiégeait Gibraltar quand il mourut en 1349. Pendant les cinq dernières années de sa vie, il avait rétabli l'ordre dans les finances, réparé les forces de son royaume, replacé l'émir de Grenade sous sa domination et donné à ses états une tranquillité qu'ils n'avaient pas connue depuis la mort de saint Ferdinand.

Pierre, le Cruel
Alphonse XI ne laissait qu'un fils légitime qui fut proclamé roi sous le nom de Pedro I ou Pierre ler, et que l'histoire a flétri du surnom de le Cruel; de plus, le roi défunt avait eu de sa maîtresse, Léonor de Guzman, neuf fils; deux de ceux-ci étaient morts en bas âge, mais les survivants allaient bientôt profiter des fautes et des crimes de Pierre Ier pour se faire un parti en Castille. Au mois d'août 1350, peu de temps après son couronnement, le jeune roi tomba gravement malade et, comme sa mort semblait prochaine, on vit l'infant Ferdinand de Tortose et Juan Muñez de Lara prétendre à la couronne. Le roi, revenu à la santé, garda sans doute le souvenir de ce qui s'était passé pendant sa maladie et, à partir de ce jour, se montra d'un caractère impitoyable; il fit mourir plusieurs de ceux qui avaient pris parti pour Ferdinand de Tortose ou Muñez de Lara et ordonna de tuer Léonor de Guzman. Cette même année (1351), il convoqua les Cortès à Valladolid. 

Le pouvoir était alors aux mains d'Alonzo d'Albuquerque, qui, dans l'espoir d'assurer son autorité, donna au roi pour maîtresse la fameuse Maria de Padilla. Cela n'empêcha pas Pierre Ier, (sans doute d'après les desseins d'Albuquerque qui n'avait pas trouvé dans Maria de Padilla un instrument docile) d'épouser Blanche de Bourbon (1353); mais quelques jours après le mariage, le roi courut à Séville rejoindre sa maîtresse. Albuquerque, bientôt menacé, s'enfuit de la cour et s'unit aux mécontents, que la tyrannie et les crimes de Pierre ler avaient suscités. Parmi eux étaient Henri (Enrique) de Trastamare et Fadrique, frères naturels du roi. Un nouvel excès de celui-ci vint augmenter leur nombre; il avait épousé Juana de Castro (quoique son mariage avec Blanche de Bourbon n'eût pas été rompu), puis l'avait abandonnée, ce qui avait irrité la puissante famille des Castro. Tolède se prononça en faveur des insurgés et les habitants exigèrent que le roi traitât Blanche en reine. 

Pierre Ier ne se sentant pas assez fort pour résister par les armes, fit empoisonner Albuquerque, chef de la coalition, puis attendant tout de la ruse, il se remit aux mains des confédérés. Ils prirent le pouvoir et gardèrent le roi prisonnier; mais ce dernier sema la division parmi eux, puis s'échappant de la ville, réunit les Cortès à Burgos, se plaignit de ce qu'on avait humilié en sa personne la majesté royale, obtint de l'argent et une armée et parvint à s'emparer de Tolède (1355). Il y exerça de terribles représailles et se porta sur la ville de Toro, où sa mère, Doña Maria, ses frères, Henri et Fadrique et un grand nombre de seigneurs s'étaient réfugiés. Il entra dans la place par trahison et fit massacrer plusieurs personnages dans la chambre même de sa mère, qui le maudit. Quant à Henri de Trastamare, il put s'enfuir en France et la ligue fut pour le moment dissoute (1356).

Peu après, Pierre Ier fut en guerre avec le roi d'Aragon. Celui-ci trouva naturellement des alliés dans Henri de Trastamare et dans bon nombre de seigneurs castillans; le roi de Castille, ayant sur ces entrefaites fait périr son oncle Don Juan, sa tante Léonore, sa tante Isabelle, son frère Fadrique et tenté de tuer un autre frère D. Tello, vit grossir de jour en jour le nombre de ses ennemis. Il éprouva quelques revers de 1357 à 1361, époque où le légat du pape parvint à faire signer la paix entre la Castille et l'Aragon. Dans cet intervalle, Pierre Ier avait encore fait mettre à mort ses deux frères à peine adolescents, D. Juan et D. Pedro et sa femme Blanche de Bourbon. De 1360 à 1362, il fit une guerre de peu d'importance contre les Maures d'Andalousie, mais se hâta de signer une trêve de ce côté, afin de pouvoir soutenir la guerre qui allait éclater de nouveau avec l'Aragon, allié cette fois à la France qui voulait venger la mort de Blanche de Bourbon. Après avoir fait reconnaître comme légitimes, aux Cortès de Burgos, en 1362, les enfants qu'il avait eus de Maria de Padilla et qui d'ailleurs moururent en bas âge, Pierre Ier s'allia aux rois du Portugal et d'Angleterre et se hâta d'envahir l'Aragon; il prit Téruel, Segorbe, Murviédro, Dénia, Alicante, et mit même le siège devant Valence (1364). Mais au secours de la place, vinrent le roi d'Aragon avec une flotte et Henri de Transtamare avec les grandes compagnies conduites par Bertrand Du Guesclin.

Henri de Trastamare entra en Castille, où il fut reconnu roi par presque toutes les villes, occupa Séville et Burgos, tandis que Pierre Ier, abandonné de tous, dut chercher un refuge au Portugal (1366). Henri de Trastamare, proclamé sous le nom de Henri Il, ne pouvait garder, pour assurer son pouvoir, les grandes compagnies qui coûtaient cher à entretenir; après leur avoir payé leurs services, il les congédia, ne gardant que quinze cents lances avec Du Guesclin. Pendant ce temps, son rival fugitif intéressait à sa cause le prince de Galles, et vint bientôt avec une armée anglaise faire la guerre à Henri II. Celui-ci, malgré sa bravoure, fut battu entre Navarrette et Najera (1367), et presque tous les chevaliers français, parmi lesquels Du Guesclin, furent faits prisonniers. Grâce à l'appui du prince de Galles, Pierre ler fut rétabli sur le trône; il courut ses Etats pour réunir l'argent nécessaire à la paye des soldats anglais et n'épargna ni les confiscations, ni les crimes. 
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Bataille de Najera.
La bataille de Najera, d'après les Chroniques de Froissart.

Henri de Trastamare n'avait pas abandonné la lutte; il était allé en France, avait retrouvé une armée et revenait avec Du Guesclin. Toutes les villes sur son passage lui ouvrirent leurs portes et il parvint ainsi jusqu'à Montiel; il y battit l'armée de Pierre qui fut obligé de se retirer dans la forteresse. On sait comment il en sortit et comment, dans la tente de Du Guesclin, les deux frères se battirent à coups de dague : Pierre resta mort sur la place (1368). 

Maison de Trastamare. 
Henri II.
Henri II, reconnu par la plus grande partie du royaume, fut obligé cependant de reconquérir par les armes plusieurs villes, Carmona, Zamora, Ciudad-Rodrigo, Tuy (1369-1372). Il eut aussi des démêlés avec le roi de Navarre (1369), avec le roi d'Aragon (1369-1373), avec le Portugal (1369-1373). La Castille fut même menacée d'une invasion par John, duc de Lancaster, qui, ayant épousé Costanza de Padilla, fille de Pierre ler, se prétendait héritier et successeur légitime de ce roi. Mais le prince anglais débarquant à Calais, et traversant toute la France, où on lui fit une guerre d'escarmouches, arriva à Bordeaux avec une armée si réduite qu'il dut renoncer à l'expédition et regagna l'Angleterre. A l'intérieur, Henri II se montra assez bon administrateur; il fit toutefois de trop grandes largesses à ses partisans, ce qui lui a valu le surnom de Libéral ou Dadivoso. Il mourut en 1379, laissant le trône à son fils aîné, Jean (Juan).

Jean Ier.
Jean Ier eut à soutenir plusieurs guerres contre le roi du Portugal et le duc de Lancaster alliés. La première se termina à son avantage et il épousa même Béatrix, l'héritière du Portugal; mais quand le père de celle-ci mourut (1383) et que Jean voulut faire valoir ses droits à cette couronne, les Portugais refusèrent de le reconnaître et élurent pour souverain le grand maître de l'ordre d'Avis. Celui-ci vainquit l'armée castillane à Aljubarrota (1385); l'année suivante, le duc de Lancaster débarqua en Galice, mais la peste qui désola son armée et les secours envoyés à Jean par la France le forcèrent à traiter en 1387. Sa fille Catalina épousa le fils du roi Jean, Henri, le premier qui porta le titre de prince des Asturies. Quant au roi du Portugal, il avait continué la guerre avec succès, s'était emparé de Tuy et n'avait voulu accorder à la Castille qu'une trêve de six ans. Jean, qui avait montré de réels talents d'administrateur, mourut d'une chute de cheval en 1390.
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La bataille d'Aljubarrota.
La bataille d'Aljubarrota. Miniature du XVe s.

Henri III, dit le Maladif.
Son fils, proclamé roi sous le nom de Henri III, n'avait que neuf ans; il était d'une santé fragile et est appelé par les historiens espagnols le Malade ou plutôt le Maladif. Les nobles se disputèrent la régence et l'on forma d'abord un conseil de régence de quinze personnes, prélats, nobles et délégués des Cortès; mais l'accord entre ces personnages ne put être maintenu et deux partis se formèrent; l'un à la tête duquel étaient l'archevêque de Santiago, les maîtres des ordres de Santiago et de Calatrava et Hurtado de Mendoza, l'autre qui avait pour chefs l'archevêque de Tolède et le marquis de Villena. On en vint aux mains et après une longue guerre on convint que chaque parti exercerait la régence pendant six mois; c'était une solution médiocre. Heureusement le jeune roi, doué d'une intelligence précoce, avant d'avoir même atteint les quatorze années de la majorité, prit le pouvoir et s'en montra digne (août 1393). 

Aux Cortès de Madrid, en septembre, il révoqua tous les actes et surtout les donations exagérées de ses tuteurs, puis réprima quelques tentatives de révolte des grands seigneurs. Comme la trêve avec le Portugal était expirée, il envoya une flotte contre Lisbonne et put obtenir une nouvelle trêve de dix années, à des conditions honorables. Il s'appliqua ensuite à rétablir le calme dans ses Etats et à repousser les attaques des Maures; il venait de demander aux Cortès de Tolède des subsides pour entrer sur les terres du royaume de Grenade quand il mourut à vingt-huit ans, en 1406. Ce prince si actif, malgré ses souffrances physiques, fut pleuré de toute la Castille, à qui il avait rendu une situation prospère. Sous son règne, le royaume s'était accru d'une colonie importante, les Canaries, conquises par Jean de Béthencourt.

Jean Il.
Henri Ill en mourant avait recommandé son fils Jean, encore en bas âge, à son frère Ferdinand, surnommé l'Honnête. Un parti nombreux, désireux d'épargner à la Castille les troubles inhérents à une longue minorité, voulait donner le trône à Ferdinand lui-même; mais ce prince refusa, fit exécuter le testament d'Henri III, proclamer son neveu roi sous le nom de Jean II et prit la régence avec la reine Catalina. Il administra habilement et conduisit une expédition contre le royaume de Grenade; il reprit aux Maures, Ayamonte, Zahara, en 1407, gagna plusieurs batailles en 1408 et, en 1410, après un long siège, enleva la forte place d'Antequera. Il était au siège de cette ville quand la couronne d'Aragon étant devenue vacante, il fit valoir ses droits et fut peu après proclamé sous le nom de Ferdinand ler d'Antequera. Il continua cependant à donner ses soins à l'administration de la Castille et aida de ses conseils la reine Catalina; mais il mourut en 1416. 

Catalina succomba aussi en 1418, et les Cortès de Madrid (17 mars 1419) proclamèrent le roi majeur, quoi qu'il n'eut pas tout à fait l'âge voulu. Mais les princes de la famille royale voulurent s'emparer du pouvoir et le plus remuant d'entre eux, D. Enrique, un des fils de Ferdinand d'Antequera, quoique grand-maître de l'ordre de Saint-Jacques et par suite voué au célibat, usa de violence pour forcer le roi à lui donner la main de sa soeur Catalina avec le marquisat de Villena pour dot et à déclarer la dignité de grand-maître transmissible à ses descendants. Pendant plusieurs mois il garda le roi comme prisonnier; celui-ci put enfin s'échapper, avec l'aide de D. Alvaro de Luna, gagner le château de Montalvan où il fut assiégé par son cousin; il fut délivré par D. Juan, autre fils de Ferdinand d'Antequera, révoqua les actes qu'il avait signés sous la pression de D. Enrique, et celui-ci étant venu à sa cour, le roi Jean II le fit arrêter et jeter en prison, comme coupable d'intelligences avec le roi de Grenade (1422). D. Enrique en sortit bientôt, son frère, Alphonse V d'Aragon, ayant menacé la Castille d'une guerre, se rapprocha de son frère D. Juan qui l'avait autrefois combattu, et, avec l'aide d'une noblesse puissante, força le roi à éloigner son conseiller, le connétable Alvaro de Luna (1427). 

L'accord entre les deux infants ne dura pas; D. Juan, devenu roi de Navarre, craignit que D. Enrique ne prit trop d'empire sur le roi et demanda lui-même le rappel du favori de Luna, avec beaucoup d'autres nobles. Une amnistie générale et la cession par le roi de vastes domaines à Enrique au lieu du marquisat de Villena, ne ramenèrent pas la paix : les infants, s'appuyant sur l'Aragon et la Navarre, tinrent la campagne; mais le roi Jean Il avec le connétable de Luna porta le ravage en Navarre et en Aragon, et força ces deux pays à une trêve de dix ans; quant aux infants, qui s'étaient emparés de quelques villes d'Estrémadure, ils ne déposèrent pas les armes (1430); mais l'infant D. Pedro étant tombé entre les mains du roi de Castille, D. Enrique pour obtenir sa liberté, restitua les places qu'il occupait, et le pays put jouir d'une année de paix à l'intérieur. Jean Il en profita pour faire une courte guerre au royaume de Grenade. Ce n'était qu'une trêve aux guerres intestines; en 1438, elles recommencèrent; le roi de Navarre et D. Enrique envahirent la Castille et avec presque tous les nobles, exigèrent le renvoi du connétable qui était devenu tout-puissant et paraissait vouloir établir l'autorité absolue dans le royaume. 

Le roi se résigna à se séparer de son favori, qui partit pour Sépulveda (1439), et l'autorité tomba entre les mains des rebelles; ils gardèrent même le roi comme une sorte de prisonnier, à qui ils dictaient leurs volontés. Le fils aîné du roi, le jeune prince des Asturies, qui, marié à la fille du roi de Navarre, avait d'abord été parmi les révoltés, eut honte de l'esclavage ou était son père; il se rapprocha du connétable, et tous deux unissant leurs efforts enlevèrent Jean Il (1442). Nouvelle révolte de D. Enrique et de ses partisans; mais ils furent enfin battus à Olmedo (1445) et D. Enrique, blessé, mourut peu après. Le connétable reçut du roi qu'il avait si bien servi le titre de grand-maître de l'ordre de Saint-Jacques, devenu vacant par cette mort. Il était au comble de la puissance et des honneurs et pendant sept ans il sut se maintenir au milieu des séditions et des guerres civiles; il imposait sa volonté au roi, même dans des questions quasi privées et personnelles à celui-ci.

Las peut-être de cette domination, Jean Il fit arrêter le connétable en 1452, le donna à juger à une commission spéciale qui prononça contre lui la peine capitale et la confiscation des biens (1452). La sentence fut exécutée le 5 juillet 1453. Un an après, Jean Il lui-même rendait le dernier soupir; on dit que le remords d'avoir fait périr l'homme qui pendant trente années avait combattu pour lui contre la noblesse hâta sa fin. Son indolence, la faiblesse de son caractère avaient précipité la Castille dans un abîme de désordres et de misères et son fils, pour comble de malheur, hérita de ses défauts, de sorte que la faiblesse du pays vis-à-vis des Maures et sa pauvreté ne feront que s'accroître.

Henri IV, l'Impuissant
Henri IV, surnommé l'Impuissant, avait trente ans quand il monta sur le trône; de son mariage avec la fille du roi de Navarre, il n'avait pas eu d'enfant, ce qui amena la rupture de cette union; pour faire cesser le bruit d'impuissance qui courait déjà contre lui, il épousa la soeur du roi du Portugal, Dona Juana. Ce mariage fut pendant plusieurs années aussi stérile que le premier. Deux personnages furent surtout en faveur auprès du roi, d'abord Juan Pacheco, marquis de Villena, puis Beltran de la Cueva, jeune écuyer de petite noblesse, que le roi combla d'honneurs et que la reine, dit-on, distinguait. Le premier s'allia avec les grands du royaume pour mettre un frein aux libéralités excessives du roi envers le favori nouveau; de sourdes menées eurent lieu, tandis que Henri IV compromettait la dignité royale par sa conduite envers Catherine de Sandoval et Guiomar de Castro.

En 1462, quand la reine accoucha d'une fille, Juana, le bruit public fut qu'elle était née des relations de celle-ci avec Beltran de la Cueva, et l'infante fut universellement désignée par le sobriquet de la Beltraneja. Le roi, cependant, la fit reconnaître solennellement comme héritière du royaume, et comme pour braver la rumeur publique, il accumulait toutes sortes de donations sur la tête du favori. Les mécontents alors éclatèrent; le marquis de Villena, l'archevêque de Tolède, Carrillo d'Acunha et une foule d'autres nobles écrivirent au roi pour demander l'éloignement de Beltran de la Cueva, et pour être relevés du serment de fidélité qu'ils avaient prêté à l'infante Juana. Le roi, après une épreuve humiliante pour faire constater sa faculté d'être père, parut assez disposé à abandonner les droits de sa fille; il reconnut comme héritier présomptif son frère Alphonse, alors âgé de onze ans. Ce jeune prince amené au camp des rebelles fut par eux proclamé à Avila; mais un parti assez fort, indigné de l'humiliation qu'on avait fait subir au roi, se rapprocha de celui-ci et il y eut entre les deux partis une bataille assez vive à Olmedo (1467). 
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Avila.
Avila et ses remparts.

Le résultat en fut indécis et la guerre continua; en 1468, le jeune Alphonse vint à mourir, et les mécontents, cherchant un prétendant pour le mettre à leur tête, offrirent la couronne à l'infante Isabelle, soeur de Henri. Elle refusa le titre de reine, mais exprima son désir de voir son droit comme héritière de la couronne établi nettement. Les nobles obligèrent le roi à lui reconnaître cette qualité et exigèrent une amnistie générale. Henri se soumit et le légat du pape, dans l'assemblée de Guisando, délia les seigneurs du serment qu'ils avaient prêté à Juana.

Isabelle et Ferdinand V.
Isabelle, devenue héritière du royaume de Castille, vit sa main recherchée par de nombreux prétendants et choisit parmi eux Ferdinand, fils aîné du roi d'Aragon. Mais le marquis de Villena, qui était mécontent de cette union, s'efforça de persuader le roi que Juana était bien sa fille et Henri révoqua la déclaration de Guisando; il chercha à marier sa fille au roi du Portugal, puis au duc de Guyenne pour qu'elle eût un protecteur; mais le duc de Guyenne mourut peu après que cette union eut été convenue (1472) et le marquis de Villena proposa un mariage entre Juana et son cousin don Enrique, mariage qui ne se fit pas non plus. Cependant le roi toujours changeant d'opinion, s'était réconcilié en 1473 avec Isabelle et Ferdinand; le marquis de Villena et lui-même étant morts l'année suivante, on déploya les étendards de Castille au nom d'Isabelle et de Ferdinand.

Après quelques contestations peu graves entre les deux époux, il fut convenu qu'ils gouverneraient conjointement; qu'on mettrait dans les actes le nom du roi avant celui de la reine, qu'on ne se servirait que d'un même sceau, où leurs armes seraient réunies; que Ferdinand ne pourrait aliéner aucune propriété de la couronne sans le consentement d'Isabelle, que celle-ci nommerait seule les gouverneurs des villes et forteresses de Castille, etc. La reine exerça pleinement la part d'administration qui lui fut attribuée et l'accord entre elle et Ferdinand ne se démentit jamais; aussi les Espagnols les appellent-ils ensemble : los Reyes (les Rois). Les premières années de ce règne furent encore troublées par les discordes intestines. Alonzo Carrillo, l'archevêque de Tolède, qui depuis 1469 soutenait les intérêts d'Isabelle et de Ferdinand, ne fut pas satisfait de la part d'influence que ceux-ci, arrivés au trône, lui laissèrent; il se rapprocha alors du marquis de Villena, fils de celui qui sous Henri IV avait toujours été en lutte avec lui, et, unissant leurs griefs et leurs intérêts, ils proclamèrent que l'héritière légitime était l'infante Juana et appelèrent le roi du Portugal qui devait épouser cette princesse.

La campagne que les coalisés menèrent contre Isabelle ne fut pas heureuse. Le marquis de Villena se vit enlever toutes ses forteresses et son domaine fut réuni à la couronne; le roi du Portugal, après plusieurs échecs partiels, fut mis en déroute par Ferdinand près de Toro (1476) et perdit les quelques places fortes que ses alliés de Castille lui avaient remis; après avoir en vain essayé de relever le parti de Juana, il fut obligé de signer la paix; les seigneurs castillans étaient depuis plusieurs années déjà rentrés sous l'autorité des souverains. Ceux-ci, pour remettre dans le pays troublé depuis tant d'années un peu d'ordre et de sécurité, avaient, aux Cortès de Madrid, en 1476, créé la Santa Hermandad, et sous leur administration vigilante, la Castille devenait pacifiée et prospère, quand un événement depuis longtemps attendu, la mort du roi d'Aragon, Jean II, en 1480, vint donner à Ferdinand la couronne d'Aragon. Cette réunion sous la même autorité des deux royaumes chrétiens, qui avaient absorbé peu à peu tous les petits Etats de la Péninsule et reconquis celle-ci sur les Maures, allait avoir de graves conséquences; mais ici, au point où commence l'histoire de l'Espagne unifiée, l'histoire du royaume de Castille finit . (E. Cat).

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