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L'histoire de la Géologie
De l'Antiquité à la Renaissance

Aperçu
Bien que la géologie ne se soit pas véritablement constituée comme science avant le début du XIXe siècle, les préoccupations que seront jusque là les siennes (origine des fossiles, formation des montagnes, distribution des terres et des mers) peuvent déjà se rencontrer dans les ouvrages de plusieurs philosophes et poètes de l'Antiquité (Aristote, Ovide, Pline, etc.). On peut y lire des notions parfois assez exactes sur les problèmes géologiques - souvent un peu moins, mais en tout cas appelées à perdurer même jusqu'au XXe siècle.

Et l'on retrouvera ces mêmes problématiques développées au Moyen âge, aussi bien dans le monde arabe (Al-Fergani, Avicenne) que dans l'Europe latine (Albert le Grand, Dante, Buridan, etc.). Des solutions nouvelles seront envisagées, comme le rôle de l'érosion, mais au total peu de progrès concrets seront accomplis. A la Renaissance, le rattachement des fossiles à l'épisode du Déluge, dont il est question dans la Bible est très en vogue, mais aussi très contesté. Léonard de Vinci, Bernard Palissy et d'autres commencent a leur envisager des causes naturelles. Les besoins de l'industrie naissante, qui requièrent une exploitation accrue favorisent les études minéralogiques, dont les bases sont jetées par Agricola.


Jalons
L'Antiquité

Xénophane de Colophon, qui florissait vers 535 av. J.-C., attribuait la présence des coquilles pétrifiées que l'on trouve loin de la mer et des empreintes de poissons des carrières de Sicile à ce que la mer avait recouvert autrefois les continents. Hérodote (445 av. J.C.) argumentait aussi au sujet des coquilles rencontrées dans les montagnes d'Égypte, pour établir que cette contrée avait été anciennement un golfe de la mer. Aristote, au siècle suivant, dans ses Météorologiques, avait fait des observations sur plusieurs phénomènes géologiques de la plus haute importance, comme le comblement des rivières, la formation des deltas, l'élévation de certaines contrées par l'action volcanique, la conversion de la mer en terre, et de la terre en mer. Un de ses élèves, Théophraste, a écrit quant à lui un petit Traité sur les pierres. Il y donne la description de beaucoup de minéraux très répandus dans la nature, comme le gypse, le saphir, etc., et il remarque que plusieurs d'entre eux se présentent en cristaux (à propos du mot cristal, il est intéressant de rappeler que dans Homèrekristallos désignait la glace).

Le géographe Strabon, qui écrivait vers l'an 1er de notre ère, repousse l'hypothèse de la diminution et du retrait des mers avancée par Xanthus de Lydie, pour expliquer l'existence des coquillages fossiles à de grandes hauteurs et à des distances fort éloignées des mers actuelles : il l'attribue hardiment à des soulèvements et à des abaissements des continents eux-mêmes. Une opinion qui aura la vie dure! Lucrèce (40 ans av. J.-C.) dit qu'avant l'apparition des humains et des animaux actuellement vivants à la surface de la Terre, celle-ci avait produit des êtres extraordinaires et des végétaux de dimensions colossales. C'est en fait l'opinion générale d'une époque qui considère que les ossements fossiles des grands animaux doivent être attribués à une espèce de géants disparus.

Ovide, contemporain de Strabon, dans le passage du 15e livre de ses Métamorphoses, où il explique (ou interprète) le système de Pythagore, fait une très curieuse énumération des principaux phénomènes qui tendent à modifier la surface de la Terre. Justin, à qui nous devons la conservation de plusieurs fragments intéressants de Trogue-Pompée, semble adopter l'opinion de cet historien relativement à l'origine ignée de notre planète. En conséquence, il pense que, le refroidissement ayant dû commencer par les pôles, ce sont Scythes (habitants supposés des régions arctiques) qui ont été les premiers habitants de la Terre. Pline l'Ancien, quant à lui, avait consacré (vers 76 av. J.-C.)  les livres XXXIII à XXXVII de son Historia naturalis à la description des minéraux. Il a aussi fait connaître les propriétés surnaturelles ou médicinales que leur attribuaient les Anciens.
 

Le Moyen Âge

Au Moyen âge, les questions touchant à la géologie sont d'abord abordées dans le monde arabe. En Mésopotamie, les Frères de la Pureté et de la Sincérité (Al-Fergani) expliquent au XIe siècle, évoquent l'érosion des montagnes et imaginent que leurs débris seront le matériau à partir duquel s'érigeront un jour de nouvelles montagnes. Vers la même époque, Avicenne s'intéresse aux mécanismes de la fossilisation et attribue aux séismes un rôle central dans l'orogenèse. En revanche, l'Europe médiévale ajoute peu de chose aux notions de géologie et de paléontologie de l'Antiquité. Lorsque les ouvrages Arabes et des Grecs sont connus, on en reprend les idées. Au milieu du XIIIe siècleAlbert le Grand puise ainsi ses conceptions géologiques chez Aristote et Avicenne. Il s'inspire aussi de ce dernier pour écrire un traité de minéralogie. Les recherches minéralogiques en vue de l'extraction des minéraux utiles n'avaient pas cessé depuis l'Antiquité. Au VIe siècle, les Slaves et les Vendes avaient commencé à exploiter les mines de Bohème et, avant l'an 1000, les riches mines de Hongrie, de Saxe, etc., avaient été découvertes. Mais avant Avicenne et Albert,  personne depuis le temps de Pline n'avait plus écrit sur la question.

La présence de ces fossiles sur les hautes montagnes fut également citée par les théologiens comme une preuve de la réalité du Déluge de Noé(Genèse). Ce fut le cas, en particulier de Tertullien et, après lui, de saint Augustin, et ce point de vue sera encore développé à la fin du XIIIe siècle. Mais déjà, ce qui apparaît rétrospectivement comme la grande question géologique du Moyen âge commence à affleurer. Elle concerne la répartition des océans et des continents à la surface du globe. 

La dispute de l'eau et de la terre.
La Bible donne à penser qu'il ne peut y avoir de continent bien séparé du monde habité (oekumène), car comment aurait-il été évangélisé? Bien sûr, on peut toujours imaginer, à condition qu'ils soient inhabités, qu'existent d'autres continents que les trois connus (Europe, Asie, Afrique) et qui sont solidaires. Mais il est plus simple d'admettre que ce n'est pas le cas, et qu'en particulier un océan immense, centré sur les antipodes, recouvre le globe à l'exception de l'oekumène. Reste dans ce cas à expliquer, comment s'effectue la séparation de l'eau et de la terre. En effet, dans le cadre de la physique d'Aristote, chaque élément se répartit dans le cosmos en fonction de ce qu'est son lieu naturel. Or, la terre est l'élément dont le lieu naturel est le centre du cosmos, et le lieu de l'eau se trouve au dessous (c'est ainsi qu'on explique qu'une pierre lancée dans une mare coulera!). On peut même donner des explications plus théologiques.  En 1320, Dante explique dans sa Querelle de l'eau et de la terre que ce qui définit le lieu naturel d'un élément, c'est sa noblesse. L'eau (utilisée pour les purifications) est plus noble que la terre (signe de souillure), et doit donc se trouver au-dessus d'elle, plus près du ciel. Quoi qu'il en soit, il résulte de telles conceptions que le globe devrait être entièrement recouvert d'eau, et que l'existence de continents est une énigme. 

Dante esquisse, avant de les rejeter, deux possibilités, soit la Terre est bombée, soit elle est composée de deux globes imbriqués et dont les centres ne coïncideraient pas. Le globe d'eau légèrement excentré par rapport au globe de terre laisserait ainsi naturellement émerger une fraction de ce dernier. Ces même idées agitent également les représentants de l'École Parisienne du XIXe siècle. Mais, eux sont décidés à engager sur le sujet une réflexion réellement physique, et sont disposés à s'écarter de l'orthodoxie aristotélicienne, même si la physique d'Aristote reste à leurs yeux le meilleurs recours. Nicole Oresme, Pierre d'Ailly, et surtout Jean Buridan abordent la question. Buridan, qui adapte à sa manière la thèse des globes excentrés et s'attache à justifier l'existence d'une région continentale en évoquant une hétérogénéité des diverses régions de la Terre (due à l'action du Soleil); ce qui justifierait  bien à ces yeux que certaines parties aient coulé sous les océans,  mais que d'autres puissent se maintenir au-dessus.

 La Renaissance

A l'époque de la Renaissance, la question des coquilles fossiles resurgit. La plupart des auteur soutenaient qu'elles étaient le résultat du Déluge; d'autres affirmaient qu'elles étaient des jeux de la nature, qu'elles devaient leur origine aux étoiles, etc.; un petit nombre seulement, tels que Léonard de Vinci (1452-1549), qui fut le premier à chercher à déraciner les légendes qui faisaient naître les coquilles sur les montagnes « par l'opération des étoiles », et à expliquer leur présence par des causes géologiques naturelles. Fracastor (1517) soutint énergiquement cette opinion, et montra qu'on ne pouvait attribuer la présence de ces débris au Déluge biblique, d'abord parce que ce dernier ne fut, selon les textes, qu'une inondation passagère et de peu de durée, et ensuite parce que les eaux du Déluge auraient bien pu disperser des débris semblables à la surface du sol, mais n'auraient pu les ensevelir dans les couches les plus profondes des montagnes. Bernard Palissy (1575) adopte une position similaire et explique que les coquillages marins ne peuvent avoir été transportés aux lieux où on les trouve, attendu la conservation parfaite de leurs épines et de leurs appendices les plus fragiles, et que, par conséquent, les terres qui les renferment ont été anciennement recouvertes par l'Océan. 

Ces conceptions n'ont pas empêché les préjugés de subsister durablement dans l'esprit des philosophes de cabinet et l'on préférait considérer les fossiles comme des jeux de la nature (lusus naturae) plutôt que d'accepter une explication-raisonnée. Au XVIIIe siècle encore, à l'exemple de Voltaire, plus célèbre il est vrai par sa verve sarcastique que par ses connaissances en histoire naturelle, on admettait volontiers que les coquilles fossiles avaient été apportées par des pèlerins revenant de la terre sainte, ou que les ossements d'éléphants, si communs dans le Nord de l'Italie, étaient les débris de ceux qu'Annibal y avait amenés, avec son armée, en l'année 218 avant notre ère.
Un dernier auteur important doit encore être mentionné à cette époque : Agricola (1454-1555), que Werner appellera le père de la métallurgie. Il donne, dans son traité De natura fossilium, la description de beaucoup de minéraux et emploie pour leur détermination des caractères d'une assez grande valeur, comme la dureté, la densité, la coloration, l'éclat, etc. Mais son ouvrage phare est le De re metallica, en 12 livres (avec un appendices sur les créatures vivant sous la terre), qui paraîtra un an après sa mort. On y trouve exposées ses idées sur les mines et les technologies d'extraction.
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Planche de l'ouvrage De Re Metallica de Agricola.
(Source : Université technique d'Ostrava).
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