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Jalons |
Les
Vikings à la découverte de l'Europe du Nord
La plus ancienne description claire et
précise des pays du nord de l'Europe ,
est celle qu'en traça le roi Alfred.
Ce roi d'Angleterre ,
qui régna de 872 à 900,
inséra dans sa traduction anglo-saxonne d'Orosius,
un extrait de deux relations scandinaves
: dans l'une, le Norvégien Other retraçait ses voyages depuis
le Halogaland en Norvège ,
jusqu'à la Biarmie
à l'est de la mer Blanche; et, d'un autre côté, le
long des côtes norvégiennes et danoises par le Sund, jusqu'à
la ville de Hoethum ou Sleswick (Slesvig); enfin, il décrit la Suède ,
la Norvège, et le Queenland ou l'Ostro-Bothnie; il parle aussi d'un
port de Sciringas-Heal, sur la position duquel ses commentateurs ne sont
pas d'accord. L'autre relation était celle d'un voyage du Danois
Wulfstan, depuis Sleswick jusqu'à Truso, ville de commerce dans
le pays d'Estum ou la Prusse .
Alfred comprend
dans la Scandinavie
les pays suivants : la Biarmie ,
la Finnmarkie, le Queenland, la Gothie ,
la Suède ,
la Norvège
et le Danemark .
Le nom général le plus ancien pour désigner toutes
les contrées de la Scandinavie habitées par des Goths, parait
avoir été celui de Mannaheim, c'est-à-dire
patrie
des hommes.
La Norvège ,
ou Northmannaland, consistait dans la côte occidentale de
la Scandinavie ,
depuis la rivière de Gotha jusqu'à Halogaland. Les côtes
méridionales se nommaient Viken, c'est-à-dire le golfe; c'est
là qu'il faut chercher la ville de Kiningesheal, le Koughille moderne,
nommé Scyringesheal par une faute de copiste.
La Finnmarchie ou le Finmaerk est la Laponie
actuelle, dont les habitants avaient la réputation d'être
sorciers. Ayant passé cette extrémité de l'Europe ,
Other entra dans le grand golfe nommé aujourd'hui la mer Blanche,
alors Quen-Sia, mer des Quènes ou Gandvik. Il visita ensuite la
Biarmie ou Permie ;
c'est la côte habitée par les Samoyèdes, le long de
la mer Blanche, près de l'embouchure de la Dvina. Les Permiens ou
Biarmiens,
peuple de langue finno-ougrienne, s'étendaient jusqu'aux Bulgares,
vers les sources de la Volga ( Les
Turks). Le commerce des pelleteries, et peut-être les mines de
l'Oural, les enrichissaient. Les princes norvégiens ravageaient
souvent ces contrées.
Les noms de Quènes et de Queenland,
par leur ressemblance avec le mot gothique qui signifie femme, donnèrent
occasion à tous les écrivains du Moyen âge
de placer dans l'extrême nord un royaume des Amazones .
Les Quènes s'étendaient depuis la mer Blanche jusqu'à
l'ouest du golfe Botnique. Ils touchèrent la frontière de
la Norvège .
Ces pays, peu habités aujourd'hui, n'étaient alors que des
déserts couverts de forêts épaisses.
La Suède
(ou Suéonie) avait alors des bornes bien plus resserrées
qu'aujourd'hui; d'ailleurs les voyages d'Other et de Wulfstan ne les y
avaient pas conduits. Il faut donc se garder de conclure du silence d'Alfred
sur cette contrée qu'elle était un désert inhabité.
Le témoignage de Tacite, d'accord avec
les historiens islandais ,
prouve assez que les Sviones, ou Sviar, formaient, dès le premier
siècle et plus tôt peut-être, une nation puissante et
plus civilisée que les tribus de la Germanie. L'Hérodote
du nord explique même le passage obscur où Tacite parle des
Sitones, en nous apprenant qu'une partie de l'Upland, le pays des Up-Sviar,
c'est-à-dire la haute Suède, formait un État particulier
qui, de sa capitale, prit le nom de Sigtun.
Alfred, en
se bornant aux pays visités par Other, ne put nommer que la Scanie,
Schoneg; la Blekiogie, Becinga-Eg; le Méore, probablement une partie
du Smoland, ainsi que les îles d'Oeland et Gothland. Adam
de Brême, qui écrivait deux cents ans après lui,
fait mention de l'Ostrogothie et de la Vestrogothie, déjà
connues de Jornandès; du Vermeland et
des villes de Birca, Sigtuna et Scara. Il est le premier qui ait nommé
l'Helsingie, qui, longtemps déserte, avait peut-être été
à une époque inconnue la demeure supposée des Huns
scandinaves. Les noms des autres provinces de la Suède
sont d'une époque plus modernes. Le royaume du Danemark
portait déjà son nom et comprenait les îles de Seland,
ou Sillande, de Langeland, Laland, Falster et autres, ainsi que le Jutland
, où la ville de Sleswik était célèbre sous
le nom de Hoethum.
Toutes les relations sur la Scandinavie,
depuis le siècle de Pythéas jusqu'à
celui d'Alfred, offrent des noms gothiques.
D'un autre côté, la mythologie
scandinave conservée dans l'Edda
ne présente que des traits physiques conformes à la nature
des pays septentrionaux et des usages pris dans la vie d'un peuple guerrier
et navigateur : c'est un dieu qui invente l'art de patiner; c'est un demi-dieu
dont les restes mortels sont brûlés sur un vaisseau lancé
à la mer; dans le Valhallah
même, le bruit des armes se mêle à celui des festins,
et l'hydromel remplace le nectar à la table d'Odin .
Tout cet ensemble des antiquités scandinaves, soit poétiques,
soit historiques, concourt avec la géographie à nous montrer,
depuis les temps les plus reculés, un seul et unique peuple comme
maître de la Scandinavie proprement dite.
Mais à l'est de la terre héréditaire
des Goths, erraient les tribus nomades auxquelles
on donnait les noms de Scythes et de Sarmates.
C'est aux entreprises des Scandinaves
que les Xe et
XIe
siècles durent quelques notions positives sur ces peuples.
Déjà nous avons suivi Other et Alfred
dans les régions lointaines des Permiens. D'autres guides nous feront
connaître les pays que baigne la mer Baltique.
Jusqu'en 1157,
la Finlande
n'était que le repaire de populations isolées qui exerçaient
la piraterie, et qu'on appelait Finnois
et Kyriales. Les Finnois, que dans le Ier
siècle nous trouvons établis dans la Pologne
actuelle, étaient déjà avant le VIe
siècle en possession du pays qui a conservé leur
nom; il paraît que des colonies finnoises pénétrèrent
même dans quelques cantons de la Scandinavie .
Le golfe de Finlande est appelé Kyriala-Botn au cours du Xe
ou du XIe siècle;
c'était une des arènes les plus fréquentées
par les pirates scandinaves. Les Suédois ,
devenus chrétiens, soumirent les côtes de la Finlande vers
la fin du XIIe
siècle. Dans cet intervalle; on bâtit dans le midi
du pays la ville d'Abo ,
nommée en finnois Turku, du mot suédois Torg, qui veut dire
une place ou marché. Trompé par ce nom, qu'il ne comprenait
pas, Adam de Brême a placé des
Turcs
en Finlande .
On bâtit aussi Tavastehous et Viborg .
La mer Baltique, nommée par les Scandinaves Austur-Saltr, c'est-à-dire
eau salée d'est, était le théâtre ordinaire
où s'élançait une jeunesse avide de combats et de
pillage. Les côtes méridionale et orientale de cette mer portèrent
les noms scandinaves d'Austurveg, route d'est; d'Eystland, contrée
d'est, et autres semblables. Il est vraisemblable que les mots Epigia et
Osericta, ou plutôt Esthia et Osterika, chez Pline,
sont des modifications de ces dénominations scandinaves, sans doute
très anciennes. Mais les ténèbres de l'Antiquité
enveloppent les premières relations entre la Scandinavie et les
régions orientales de l'Europe .
Eginhard écrivit le premier une description de la mer Baltique;
mais il n'en connaît pas l'extrémité orientale et se
contente de nommer les principaux peuples. Le Danois Wulfstan, contemporain
d'Other, en donna une description plus complète au roi Alfred.
Il lui marque en particulier les îles les plus considérables;
et outre celles dont on a déjà parlé, il indique l'île
de Bornholm sous le nom de Burgendaland, nom que les Scandinaves rendaient
plus souvent par Borgundar-Holm, et qui rappelle d'une manière frappante
les Burgundi, ou Bourguignons, peuples autrefois voisins des Gothones sur
les bords de la Vistule. Il donne l'embouchure de ce fleuve pour le point
de séparation entre le Weonodland, ou le pays des Vendes, et les
contrées des Estiens ( Estonie ).
Il ne connaît pas encore Jumme, ou Vineta, république qu'aurait
fondée le légendaire Palnatoke
cent ans plus tard , soumise tantôt aux Vikings
et tantôt aux Vendes, et enfin détruite par l'archevêque
Absalon.
La première description exacte
et détaillée de la Prusse
est due aux Vikings; cependant ils ne parlèrent pas de l'ambre jaune ,
qui y est si abondant. Wulfstan fait mention de la Prusse sous le nom de
Witland, nom dont on voit des indices dans les Vidioariens de Jornandès
, dans les Vitiens du géographe de Ravenne, et qu'une partie du
Samland portait encore au XIIIe
siècle. Les Scandinaves donnaient généralement
l'épithète d'Estiens à tous les peuples qui habitaient
à l'est, à l'orient de la Vistule. C'est dans le pays des
Estiens que Wulfstan trouva une ville nommée Truso, probablement
sur le lac Drausen, non loin d'Elbing. Ce navigateur nous apprend que les
Estiens buvaient du koumis ou lait de jument; qu'ils n'enterraient point
leurs morts pendant l'hiver, usage que pratiquaient encore les Russes
à la fin du XVIe
siècle, et qu'ils laissaient leur héritage, non
pas à leur parent le plus proche, mais au meilleur cavalier de leur
tribu. Les écrivains islandais du
XIe
ou XIIe siècle
connaissaient l'Ermeland, province de la Prusse, désignée
aussi sous le nom d'Ormaland, et dont les habitants sont appelés
Ormoii et Wermiani. Derrière ces contrées, Alfred
plaçait le Wislaland ou le pays de la Vistule, qui, dans les Sagas ,
porte le nom de Poulinaland ou Pologne .
Plus loin, les Scandinaves, ainsi que nous l'avons vu, jetèrent
les fondements de l'empire russe, dont les Sagas parlent très
souvent en l'appelant Gardarike, c'est-à-dire l'empire de la Cité.
Cette cité était la célèbre ville de Novgorod,
que les Scandinaves appelaient Holmgard et Austurgard. Le port de Novgorod,
sur le golfe de Finlande, se nommait Aldeiguborg. Les liaisons entre les
Varègues-Russes et les autres Scandinaves furent longtemps très
intimes; aussi les Sagas connaissent-ils les Etats formés
en Russie
par les diverses branches de la famille de Rurik,
tels que Kioenugard ou Kief (Kiev), Palteskia
ou Polocz, Muramar ou Murom, Sursdal ou Susdal (Souzdal ),
et autres.
Les
Vikings à la découverte de l'Atlantique Nord
Depuis le IXe
siècle, les Vikings, visitèrent les îles
et les côtes les plus reculées de la mer du Nord, qui auparavant
étaient ou inconnues, ou du moins peu fréquentées.
Nous allons en parler dans un ordre moins chronologique que géographique.
L'Irlande ,
quoique très éloignée de leur pays d'origine, fut,
suivant leurs écrivains, découverte de très bonne
heure, et même dès la fin du VIIe
siècle. Le terme de la langue du pays dont on se sert
encore pour désigner un étranger, Danair ou Danois,
confirme, par son étymologie, l'assertion que, avant l'arrivée
des Scandinaves, les Irlandais du
nord n'avaient encore été visités par pratiquement
aucun étranger. Les Scandinaves, nommés ici Otsmans ou hommes
d'Est, fondèrent dans cette île les royaumes de Dublin,
d'Ulster et de Connaught, qui leur payèrent longtemps tribut, et
qui furent soumis par les Anglais à
partir de 1171 , de même que
les anciens habitants. Les vieilles chroniques disent même qu'au
cours du IXe siècle
les Vikings trouvèrent à l'ouest de l'Irlande une très
grande terre qu'elles appellent grande Irlande, ou le pays des hommes blancs.
Mais les meilleurs critiques rangent cette découverte parmi les
traditions fabuleuses. Les descendants des Scandinaves se maintinrent longtemps
aux environs de Dublin sans se mêler avec les indigènes.
Les Vikings occupèrent vers l'an
964
les îles de Shetland, Jetland ou Hialtland, qui firent, pendant quelque
temps, partie du comté des Orcades. Ce furent encore les flibustiers
vikings qui firent connaître plus exactement ces dernières
îles, confondues souvent avec celle de Thulé;
ils chassèrent et exterminèrent les anciens habitants , nommés
Peti et Papa, et qui sont probablement les Picti des auteurs romains.
Il paraît même que les Irlandais
donnaient à toute l'Écosse
le nom de Pettoland. Mais l'origine scandinave des Picti ou Petti, quoique
vraisemblable, se rapporte à des siècles reculés qu'aucun
rayon historique n'éclaire.
La province de Caithness, qui est la plus
septentrionale de l'Écosse ,
formait un État très peu connu, mais dont les chants, attribués
à Ossian ,
ont conservé quelques souvenirs. Cet État eut souvent, avec
les Orcades, les mêmes souverains, qui portèrent leurs conquêtes
dans les provinces voisines de Sutherland et de Ross, et même jusque
dans celle de Fife. Il fut renversé en 1195
par Guillaume, roi d'Écosse; mais son souvenir existe encore dans
la tradition du pays, ainsi que celui des Vikings,
ses fondateurs, à qui on attribue tous les monuments dont on découvre
les ruines dans ces sauvages montagnes.
Les Vikings
avaient conquis, en 893, les îles
Haebudes des Anciens, situées le long de la côte occidentale
d'Écosse ,
et qui portèrent le nom de Suder-Eyar, îles méridionales,
par rapport aux Orcades et au pays de Caithness. Elles firent peut-être
partie du royaume de Man ;
mais elles furent, avec la presqu'île de Cantire, jusqu'en 1266,
une dépendance de la Norvège .
L'audace ou le hasard conduisit, vers l'an
861,
un bâtiment scandinave aux Féroé ;
cet archipel lointain semblait annoncer d'autres terres; le vol des corbeaux
confirmait cet indice. Entre 860 et
872,
trois navigateurs visitèrent l'Islande ,
île célèbre par les manuscrits qui y ont été
conservés, par les services que ses habitants ont rendus à
l'histoire du Nord, et par le nombre de descriptions géographiques
qui en ont été faites. Les premiers navigateurs scandinaves
indiquèrent la vraie circonférence de l'Islande
d'une manière conforme aux observations modernes; on pouvait, disaient-ils,
faire le tour du pays en sept jours, et la circonférence était
de 168 vikur ou lieues de 15 au degré.
Le Groenland ,
grande île séparée de l'Amérique
septentrionale par le détroit de Davis, fut découvert, suivant
la plupart des chroniques, en 982,
et peuplé en 986; suivant d'autres,
il le fut dès 932. L'Islandais
Eric
Rauda, ou Eric le Rouge, à qui l'on en attribue la découverte,
fut le premier qui s'y fixa. On a soutenu que ce pays, ainsi que l'Islande ,
était connu avant cette époque. Il en est fait mention dans
un privilège accordé à l'église de Hambourg
par Louis le Débonnaire, en 834.
Mais il est à craindre que ces documents n'aient subi quelque interpolation;
car, même en supposant l'Islande et le Groenland découverts
à cette époque, il serait absurde de croire que des missionnaires
y eussent déjà répandu la religion chrétienne .
L'église de Hambourg aura voulu se donner des droits sur ce pays,
et une pieuse fraude aura falsifié le document en question. Jusqu'en
1418,
les colons norvégiens établis dans ce pays avaient leurs
évêques, et payaient au Saint-Siège 2600
livres pesant de dents de morses, pour dîme et denier de Saint-Pierre.
On y avait bâti deux villes, Garda et Hrattalid. Cependant les établissements
des Islandais n'y étaient guère plus solides que ne l'ont
été par la suite ceux des Danois
sur la côte occidentale, ou ceux des Anglais
à la baie d'Hudson .
On n'allait pas au Groenland aussi fréquemment ni d'une manière
aussi suivie qu'aux autres colonies du Nord. Les voyages pour aller et
revenir duraient quelquefois cinq ans. En 1383,
un bâtiment arrivant en Norvège ,
y apporta la première nouvelle de la mort de l'évêque
de Groenland, décédé depuis six ans.
On peut dire qu'il n'y avait guère
que des aventuriers très hardis qui entreprissent ces voyages. Pour
la même raison, le Groenland
était le pays des prodiges; on en débitait les fables les
plus incroyables. Par exemple, suivant Torfaéus, un certain Hollur-Geit,
suivi d'une chèvre, alla de Norvège
au Groenland sur la glace. Il y avait de grandes forêts
dont les arbres
produisaient des glands gros comme des pommes, et où l'on faisait
la chasse aux ours de mer. On voyait dans la mer d'alentour des géants
marins de chaque sexe, et des rochers de glace aussi merveilleux que ceux
que les Argonautes
avaient rencontrés à l'entrée de la mer Noire. Le
livre islandais intitulé Miroir des rois, en donne une idée
plus juste. L'ancien Groenland ne différait presque en rien
du Groenland moderne; la côte, même en été, était
entourée de montagnes énormes de glaces, telles que les Norvégiens
n'en avaient jamais vu chez eux. Les colons établis sur cette presqu'île
ne connaissaient pas le pain, et n'exerçaient pas l'agriculture.
Ils échangeaient des dents de morses et des peaux de veaux marins
contre le bois dont ils avaient besoin pour se chauffer et pour construire
leurs habitations. Ils avaient, il est vrai, du gros bétail et des
brebis, tandis que les colons venus ultérieurement, moins industrieux,
n'eurent que de ces dernières. La côte n'était habitée
que dans les endroits où la pêche était abondante;
l'intérieur du pays, rempli de montagnes et de vallées couvertes
de neige et de glace, n'offrait pas un accès plus facile qu'aujourd'hui.
Le nombre des colons était peu considérable et ne faisait
que le tiers de celui d'une grande paroisse de Norvège. On ne leur
avait donné un évêque qu'à cause de leur grand
éloignement. La colonie scandinave en Groenland était divisée
en deux cantons : l'un occidental, où il n'y avait que quatre églises
; l'autre oriental, où se trouvaient les deux villes ou plutôt
hameaux. Cette division a fait naître une grave erreur en géographie;
on a cru que le canton oriental de l'ancien Groenland occupait la côte
opposée à l'Islande ;
et appliquant à ces régions encore inconnues les descriptions
de l'Austurbygd ou du Groenland oriental, on y a tracé des golfes
et des promontoires hypothétiques, et qui peut-être n'y existent
pas du tout. Cette géographie systématique de Torfaeus et
d'autres Islandais a été renversée par un critique
moderne.
En examinant les relations des premiers
navigateurs, on voit qu'en partant de l'Islande
pour aller au Groenland
ils se dirigeaient au sud-ouest, évitaient une côte entourée
de glaces et vue par le nommé Gunbiorn, doublaient la pointe de
Hvarf, et faisaient ensuite voile au nord-ouest pour arriver à la
colonie. En partant de Bergen
en Norvège
pour aller à cette pointe de Hvarf, ils naviguaient droit à
l'ouest, reconnaissaient les îles Shetland et les Féroé ,
et voyaient des oiseaux
arriver de l'Islande. Si l'on suit ces deux routes sur une carte, on reste
persuadé que la pointe de Hvarf est l'extrémité méridionale
du Groenland. Par conséquent, l'ancien Groenland oriental n'aurait
été que la portion la plus orientale et la plus méridionale
de la côte d'ouest. En effet, c'est là seulement que, pendant
le mois de juin, une brillante verdure, quelques bosquets de bouleaux et
le parfum des fleurs justifient le nom de Terre-Verte, signification du
mot Groenland, par lequel les Islandais désignèrent les premiers
cette contrée. Plus haut, les glaces accumulées par le double
effet du courant Polacie et du courant dit du Golfe, ont
de tout temps dû repousser même les pirates les plus hardis.
Enfin, les ruines des anciens hameaux et des églises
bâties par des Vikings mettent le dernier sceau à cette explication.
On en a trouvé beaucoup sur la côte sud-ouest; on a découvert
jusqu'à sept églises. Après un espace absolument dépourvu
de ruines, on en a encore trouvé au nord du cap de Désolation,
mais en très petit nombre. Ces deux séries de ruines indiquent,
sans contredit, les emplacements de deux colonies scandinaves.
La grande peste
qui, vers le milieu du XIVe
siècle, ravagea l'Europe
et dépeupla surtout le nord, étendit ses ravages jusqu'au
Groenland .
Le commerce avec cette colonie devint ensuite un droit régalien
des reines de la Norvège .
A ces causes de décadence se joignit enfin, en 1418,
une invasion ennemie; une flotte vint, on ne sait pas d'où, attaquer
la colonie déjà affaiblie : tout fut détruit par le
fer et le feu. Cette flotte appartenait peut-être au prince Zichmni
de Frislande, dont on dira quelques mots en exposant
les voyages des frères Zeni.
Les
Vikings en Amérique
Ces recherches sur la vraie position des
colonies scandinaves en Groenland nous conduisent à une question
bien plus intéressante les Vikings ont-ils découvert l'Amérique
avant Christophe Colomb? Plus personne aujourd'hui
n'hésite à y répondre affirmativement. En l'an 1001,
l'Islandais Biorn, cherchant son père
au Groenland ,
est poussé par une tempête fort loin au sud-ouest; il aperçoit
un pays plat tout couvert de bois, et revient par le nord-est au lieu de
sa destination. Son récit enflamma l'ambition de Leif,
fils de cet Eric le Rouge qui avait fondé
les établissements du Groenland, Un vaisseau est équipé;
Leif et Biorn partent ensemble; ils arrivent sur la côte que ce dernier
avait vue. Une île couverte de rochers se présente; elle est
nommée Helleland. Une terre basse, sablonneuse, couverte de bois,
reçoit le nom de Markland. Deux jours après, ils rencontrent
une nouvelle côte, au nord de laquelle s'étendait une île;
ils remontent une rivière dont les bords étaient couverts
de buissons qui portaient des fruits très agréables; la température
de l'air paraissait douce à nos Groenlandais; le sol semblait fertile,
et la rivière abondait en poissons ,
surtout en beaux saumons .
Etant parvenus à un lac d'où
la rivière sortait, nos voyageurs résolurent d'y passer l'hiver.
Dans le jour le plus court, ils virent le Soleil
rester huit heures sur l'horizon ;
ce qui suppose que cette contrée devrait être à peu
près par les 49° degrés de latitude. Un Allemand,
qui était du voyage, y trouva des raisins sauvages; il en expliqua
l'usage aux navigateurs scandinaves, qui en prirent occasion de nommer
le pays Vinland, c'est-à-dire pays du vin. Les parents de Leif firent
plusieurs voyages au Vinland. Le troisième été, les
Vikings virent arriver dans des bateaux de cuir quelques indigènes
d'une petite taille, qu'ils nommèrent Skraelingues, c'est-à-dire
nains; ils les massacrèrent, et se virent attaqués par toute
la tribu qu'ils avaient si gratuitement offensée.
Quelques années plus tard, la colonie
scandinave faisait un commerce d'échange avec les naturels du pays,
qui leur fournissaient en abondance les plus belles fourrures. Un d'eux
ayant trouvé moyen de s'emparer d'une hache d'armes, en fit immédiatement
l'essai sur un de ses compatriotes, qu'il étendit mort sur la place;
un autre sauvage se saisit de cette arme funeste et la jeta dans les flots.
Les richesses que ce commerce avait procurées à quelques
hommes entreprenants engagèrent beaucoup d'autres à suivre
leurs traces. A l'exception de quelques restes de masures retrouvés
sur la côte orientale du Canada
et du Nord-Est des États-Unis ,
aucun témoignage positif n'indique que ces navigateurs y aient fondé
des établissements stables; seulement, on sait qu'en 1121
un évêque, Eric, se rendit du Groenland au Vinland dans l'intention
de convertir au christianisme
ses compatriotes encore païens.
Révoquer en doute la véracité
de rapports aussi simples et aussi vraisemblables, ce serait outrer le
scepticisme;
mais, si on les admet, il est impossible de chercher Vinland autre part
que sur les côtes de l'Amérique septentrionale. Cette partie
du monde avait donc été découverte par des Européens
cinq siècles avant Christophe Colomb; et cette découverte,
la première qui soit historiquement prouvée, ne fut peut-être
pas entièrement inconnue à l'habile et courageux Génois
qui, le premier, sut ouvrir entre les deux hémisphères une
communication suivie. |