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Cuir
Cuir, terme populaire; qui s'applique à toute liaison vicieuse entre la finale d'un mot et la voyelle initiale du mot suivant, liaison qui fait que la prononciation de ces mots est pour ainsi dire écorchée (excoriatus; de ex et corium, cuir, peau). il se dit surtout de la substitution réciproque de s et de t dans les liaisons : avan-z-hier (pour avan-t-hier), j'y étai-t-encore (pour étai-s-encore); ou de leur introduction inopportune : peu-z-à-peu, en voilà-z-assez, et n'la v'là-t-il pas ben plantée! Cette dernière liaison a passé même dans le bon usage : « En voilà-t-il assez? Ne voilà-t-il pas de beaux sentiments! » 

Plusieurs des liaisons les plus autorisées ont pour origine une prononciation inexacte qu'un long usage a fini par consacrer. Ainsi, la prononciation des premières personnes de l'indicatif présent des verbes des trois dernières conjugaisons n'est pas en rapport avec l'orthographe primitive et longtemps maintenus; on écrivait : je sui, je sui, je foi, je croi, je rend, mais de très bonne heure on fit entendre une s dans ces mots devant les voyelles je sui-s-à vous, je sai-s-encore, je le fai-s-exprès, je crois-en la chance, je rend-s-hommage. Au Moyen âge, l'écriture tantôt figure, tantôt ne reproduit pas cette prononciation.

Au XVIe siècle même, l'usage était de supprimer I's dans l'écriture; car Ronsard recommande, comme licence très permise, d'écrire la 1re personne de l'imparfait comme la 2e, afin d'éviter un son qui pourrait offenser l'oreille, et de dire : « j'allois à Tours »,  pour « j'alloi... » - « Je parlois à madame », pour « je parloi... » L'euphonie fit également introduire de bonne heure à la 2e personne du singulier de l'impératif une s, contraire à l'analogie latine : on écrivait et l'on écrit encore va là-bas, mais on disait toujours va-s-y, et cette s a fini par s'écrire. 

D'autres liaisons, devenues ridicules aujourd'hui, sont cependant conformes à la véritable analogie de la langue : on dit, va-t-il venir? aura-t-il assez? quand vous verra-t-on? et l'on rit de celui qui dit : il va-t-à la ville, et du vers de la chanson : Malbrou s'en va-t-en guerre. Cependant on n'est en cela que fidèle à une tradition orale aussi vieille que la langue; car à l'époque de la formation définitive du français, c.-à-d. au XIIe siècle, tous les verbes sans exception faisaient entendre le t étymologique du latin devant les voyelles à la 3e personne du singulier, comme nous le faisons sentir aujourd'hui dans les phrases inversives : aime-t-il? finit-elle? reçoit-on? On se moque également de ce que dit Madelon dans Désaugiers : Acceptez ce rasoir avec-z-un cuir; mais on oublie que, jusqu'au XVIIe siècle, avec s'est écrit avecques; cette s n'est pas plus étrange que celle des mots jusques, certes, guères, mêmes, etc. Quatre paraît également avoir admis à l'origine une s euphonique; la trace s'en retrouve dans la fameuse chanson populaire de Malbrou : Par quatres officiers; et dans cette formule populaire de menace : « Si nous sommes jamais entre quatre yeux », où ces deux derniers mots se prononcent quatre-s-yeux, ou plutôt quate-s-yeux, et il est impossible de prononcer autrement; car quatr'yeux est horrible. Somme toute, la règle à suivre est de se conformer à l'usage consacré dans le temps où l'on vit, et l'on doit éviter avec soin toute liaison qu'il n'autorise pas. (P.).

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