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Le commerce dans l'Antiquité
L'Égypte ancienne
et le « monde extérieur »
L'apparent monolithisme de l'histoire égyptienne pendant près de trois millénaires, la singularité de cette civilisation, que la géographie a confiné sur un fin ruban de terres irriguables entourées par d'immenses déserts, inciteraient à croire volontiers que que ce monde là est né, a grandi et à prospéré dans le plus superbe isolement pendant la plus grande partie de son existence. Il n'en est rien. L'ouverture de l'Egypte au monde grec sous le règne de Psammétique Ier (Basse époque) est certainement un tournant dans l'histoire du pays, mais celui-ci n'avait pas attendu jusque là pour lier et entretenir des échanges commerciaux avec le monde extérieur.  Les témoignages historiques abondent pour nous prouver que, bien auparavant et à diverses reprises, les alternatives des événements et la puissance des intérêts en jeu avaient mis l'Égypte en relations régulières avec ses voisins.

Les Egyptiens ont eu un commerce aussi développé relativement que celui d'un pays moderne; ils échangeaient leurs produits manufacturés contre les matières premières des contrées voisines, moins civilisées; le tissage et la teinture des étoffes de lin, de coton et de laine, souvent fort belles (il y a de merveilleuses mousselines égyptiennes), l'industrie métallurgique, surtout celle du bronze, la fabrication des bijoux, la verrerie qui imitait les pierres précieuses, la fabrication des poteries enrichissaient l'Égypte, dont les produits très appréciés s'exportaient au loin; elle prenait en échange les matières premières importées d'Asie et d'Afrique; ce commerce actif et considérable se faisait par voie de troc, on employait les métaux en lingots d'après leur valeur en poids. 
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La valeur des choses

L'Égypte avait beaucoup de cuivre du Sinaï, beaucoup d'or, moins d'argent ou d'électrum. Pour le commerce intérieur l'instrument d'échange était le cuivre compté en outen (environ 91 grammes), chaque outen se divisant en dix kat; un boeuf valait 1,19 outen; un rasoir 40, une pioche 2, un vase de bronze du poids de 20 outen en valait 50; la main-d'oeuvre augmentait donc beaucoup le prix de l'objet. 

Avec les Asiatiques les paiements se faisaient en or et en argent que l'an employait sous forme d'anneaux d'un poids fixe; à l'intérieur, les métaux précieux servaient également pour les gros paiements. On les prenait en les évaluant au cours du jour en outen. Ces lingots préparés d'avance, ayant un poids exact en rapport avec le système de numération, sont presque une monnaie; il y manque la loi et la forme, c.-à-d. l'empreinte gouvernementale garantissant le poids et le titre; donc ces lingots n'avaient pas de cours légal; chaque fois on en vérifiait le poids et le titre. Un système analogue existait encore en Chine au début du XXe siècle.

L'ancienneté des échanges

Les tombeaux des premiers rois contiennent, en grand nombre, des objets qui n'étannt pas de provenance égyptienne, furent nécessairement introduits par la voie du commerce : les Égyptiens avaient certainement dès les premiers âges, des rapports directs ou indirects avec les populations de la Nubie de la Libye, de l'Arabie voisine. Certes, il eût été fort étrange qu'un peuple, établi sur le bord d'un fleuve qui faisait du transport incessant des denrées une condition essentielle de la vie nationale, pût arrêter brusquement son trafic à toutes ses frontières, et des fait nombreux, constatés par les archéologues, ont eneffet montré que le mouvement du commerce, se propageant au loin, était irrépressible. Ainsi, les « bois pharaoniques-», c'est-à-dire les planches des cercueils trouvés dans les fouilles des nécropoles royales, appartiennent, du moins en partie, à des arbres dans lesquels l'examen microscopique a permis de reconnaître avec certitude l'if commun (taxus baccata). Or, cette espèce ne pousse pas en Egypte, et même ne, saurait y pousser,  en raison de ses exigences biologiques; il fallait donc que ce bois fût importé d'un pays étranger, qui, d'après les données de la géographie botanique ne peut être que la Cilicie. Voilà donc une indication positive qu'un certain commerce maritime existait entre l'Egypte et les pays d'outre-mer aux premiers âges historiques.

Ce n'est pas tout : les annales nous parlent aussi de voyages lointains accomplis par des explorateur d'Egypte. Sous le Pharaon Assa, de la cinquième dynastie (Ancien Empire), c'est-à-dire à l'époque de vingt et quelques siècles antérieure à nous, un général farneux, Urdudu avait pénétré dans le pays de Punt (Pount), dont il ramena un nain, dans lequel on pense pouvoir reconnaître aujourd'hui un Pygmée (L'Afrique, de la Forêt équatoriale à l'Angola). Sous Pépi Ier (VIe dynastie), un autre voyageur, envoyé dans les contrées du sud, Khirkuf, poussa plus avant qu'Urdudu, jusque dans la « Terre des Bienheureux »  où il prit également un nain, dont la vue « remplit de joie et d'amour le coeur de Pharaon ». C'est là ce que raconte l'inscription dite de Khirkuf, découverte en 1892 par Schiaparelli sur une colline  des environs d'Assouan. Ainsi, des témoignages convaincants établissent qu'il exista très tôt des rapports anciens entre I'Egypte et les bords de la Méditerranée ainsi que ceux de la mer Rouge; de même, des relations fréquentes s'étaient certainement nouées entre les deux centres de civilisation, Memphis et Babylone
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Défilé d'ambassadeurs amenant des animaux inconnus en Egypte
et présentant les tributs : lingots et sacs de poudre d'or, 
plumes d'autruches, etc.

A l'intérieur la navigation fluviale était très considérable; il y avait une caste des mariniers non seulement le Nil, mais les nombreux canaux servaient aux transports. Le commerce maritime était délaissé ou plutôt abandonné aux Phéniciens. Le commerce extérieur se faisait par leur intermédiaire ou par voie de terre. Les grandes exploitations minières du Sinaï dépendaient de l'Égypte. Vers l'Asie les routes étaient celles de la Syrie et de l'Arabie; nous les décrirons lorsqu'il sera question du commerce de l'Asie antérieure. En Afrique, le commerce se faisait dans plusieurs directions : vers les cotes de la mer Rouge et de là vers le Yémen; vers le haut Nil et la région éthiopienne d'où on tirait des esclaves, de l'or, de l'ivoire, de la gomme, des plumes d'autruches, des grains, le transport se faisait par caravanes, comme aujourd'hui; la longueur du chemin et l'énormité des frais ne permettaient de déplacer que des objets ayant une grande valeur sous un petit volume; les esclaves étaient à la fois une des principales marchandises, et, concurremment avec les chameaux, un moyen de transporter les autres. La prospérité légendaire de Méroé atteste l'utilité de ce trafic. Les grands entrepôts se trouvaient au voisinage de temples, sanctuaires vénérés ou lieux de pèlerinage comme celui de l'oasis d'Ammon. Par celui-ci passait une route de caravanes qui gagnait l'intérieur de l'Afrique, probablement le Soudan; les objets d'échange étaient les mêmes qu'avec la Nubie; il y faut ajouter le sel. Les lieux de rendez-vous et les haltes des caravanes devaient être à peu près les mêmes qu'à l'époque de la domination arabe, étant déterminés par les oasis.

Tout ce commerce par caravanes devait fonctionner à peu près comme cela était encore le cas à l'aube du XXe siècle. Les trafiquants, obligés d'emmener une nombreuse escorte, beaucoup d'aides pour soigner les chameaux, les charger, étaient les principaux personnages des régions à qu'ils traversaient. Il est possible que dès ces temps reculés les marchés les plus importants aient été en même temps des établissements de confréries religieuses. Les rapports de l'Éthiopie avec l'Arabie doivent être aussi fort anciens.
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Bateau sur le Nil. (Source : bigfoto.com).

Commerce et isolationnisme

Mais jusqu'où s'étendaient exactement les échanges? Quelle connaissance avaient les Egyptiens des contrées les plus lointaines? On a parfois dit que le nom de «-Terres Sacrées » appliqué par les Egyptiens aux contrées situées au delà du golfe Arabo-Persique, pourrait être interprété comme donnant une idée nébuleuse de l'Inde, mais aucun texte ne favorise cette hypothèse. On sait seulement que, vingt-cinq siècles avant nous, une flotte égyptienne ayant pénétré dans les mers du Sud, on rapporta des singes, dont le nom kufu, rappelle l'appellation sanscrite de kapi... Encore convient-il de remarquer que des échanges commerciaux développés sur de très grandes distances ne signifiaient pas que les Egyptiens en aient été les seuls agents. Ils pouvaient acheminer ou faire venir des marchandises à « l'autre bout du monde », sans jamais y avoir mis les pieds ni n'en avoir eu aucune connaissance véritable. C'est à cela que servent les intermédiaires. Et de fait, beaucoup de facteurs contribuaient à un isolationnisme de la société égyptienne.

C'est ainsi, que lorsque le pouvoir à la fois royal et divin des pharaons fut très solidement établi et que la masse de la population dut absolument se conformer à la volonté du maître, celui-ci ne manqua pas, suivant le mode de toutes les autorités jalouses et soupçonneuses, de chercher à faire le vide autour de ses peuples, pour les soustraire aux influences du dehors, les priver de toute alliance possible avec l'étranger, détruire en germe toute velléité de révolte. La nature géographique du pays se prêtait facilement à cette politique. L'Egypte, ramenée sur elle-même par la forme et le relief de son territoire que des solitudes ;sablonneuses ou marécageuses enveloppent de tous les côtés, devait tendre à se concentrer dans son existence continentale et à se détourner spontanément de la mer. Les rois-prêtres jouissaient aussi de la complicité du milieu pour tenir leurs sujets à l'abri des dangereux novateurs, porteurs d'idées et incitateurs de révolutions. Sous cette double influence, la mer avait fini par être maudite, exécrée, vouée aux dieux terribles, et les naufrages étaient représentés comme de justes punitions d'en haut.

La mer Rouge, en particulier, s'éloigna, pour ainsi dire, dans la direction de l'Orient, et c'est seulement de la fin de la onzième dynastie (Moyen Empire), que date la première expédition officielle racontée par les annales comme ayant été dirigée vers ce golfe lointain. Lorsque un fonctionnaire et courtisan fut chargé de traverser la mer Arabique et de conduire des soldats vers le pays des Aromates pour rapporter au roi de ces gommes précieuses, l'expédition, que tant d'autres de même nature avaient précédée dans des âges inconnus, fut considérée comme un événement presque prodigieux. Le chef de l'expédition fit graver sur des rochers le récit de son exploit : 

Jamais, dit l'inscription. Jamais il ne s'était fait rien de pareil depuis qu'il y a des rois  depuis les temps du Soleil.
Aux longues époques d'oppression où les lois et, par suite de la routine, les moeurs elles-mêmes s'accordaient pour interdire aux Égyptiens la navigation maritime, d'autres la pratiquaient à leur place. Les villes de Phénicie ayant durant la plus grande partie de leur existence commerciale, avidement accepté la suzeraineté profitable des Pharaons, les bouches du Nil étaient ouvertes à leurs marins, et grâce à ceux-ci le mouvement des échanges avec l'extérieur se faisait en toute liberté. Heureux de leur vasselage, ou ayant su s'en accommoder à leur profit, les Phéniciens possédaient le monopole du trafic entre l'Orient et l'Egypte et, d'autre part, ils pouvaient en pays lointain se réclamer du prestige d'une puissante monarchie; ils naviguaient, comme on dirait aujourd'hui, sous pavillon égyptien, et c'est sous le patronage d'un souverain d'Egyple, Neko (Nechao), que s'accomplit, vers 660 av. J.-C. (Basse époque), ce qui semble être la première circumnavigation autour de l'Afrique. Si elle a bien eu lieu, c'est le grand exploit géographique de l'Antiquité (La Découverte de l'Afrique).

Au temps des Grecs

Mais à cette époque, I'Egypte n'était plus tout à fait l'Egypte; elle appartenait déjà au monde oecuménique de la Méditerranée où l'envahissante culture de la Grèce commençait à briller comme un phare. Sous la pression de la civilisation extérieure, la vallée du Nil était obligée de s'ouvrir. Au lieu d'accueillir simplement en hôtes les étrangers, on était même forcé d'avoir recours à eux, de leur demander conseil et direction. Une ville complètemnt grecque, Naucratis, peuplée surtout de Phocéens et d'autres Hellènes de la côte occidentale d'Asie, s'était élevée sur la bouche canopique du Nil; Tahpanhes ou Daphne, également grecque, avait occupé la frontière asiatique, vers le désert, et dans plusieurs enclos sacrés, en dehors de ces deux colonies, s'étaient dressés les temples des marchands. Un Panhellenion avec un autel commun pour tous les Grecs établis en Egypte, fut érigé dans Naucratis. Sans, doute, des rois tel Amasis, réagirent contre ce mouvement d'hospitalité et de libre-échange, on essaya de rétablir la vieille politique de la fermeture et du monopole; mais il était trop tard : l'isolement  était rompu, et bientôt vint Alexandre qui annexa l'Egypte au monde de la Grèce.

A partir de ce moment, dirigée par la dynastie des Lagides (L'Egypte ptolémaïque), ce fut surtout du côté de l'Asie et de la Libye que s'orienta la politique extérieure du pays : l'histoire de leur dynastie est remplie d'un bout à l'autre de leurs démêlés et de leurs guerres avec celle des Séleucides; en cela ils furent, consciemment ou non, les vrais continuateurs des grands pharaons thébains, qui ne purent supporter une puissance rivale entre le Nil et l'Euphrate. Mais là où ils les surpassèrent, ce fut dans la politique commerciale. Ils réussirent à se faire les premiers clients des Arabes en leur offrant, comme le remarquait G. Lumbroso, une route moins dispendieuse et moins longue que celle de la Phénicie et de la Syrie, et la possibilité de se débarrasser le plus rapidement et aux meilleures conditions de leurs marchandises, et cela en mettant la main sur les territoires voisins de la Syrie et de la Palestine, en multipliant les points de relâche sur le littoral de la mer Rouge, en rétablissant le canal de l'isthme de manière à diriger tout le courant indo-arabique sur Alexandrie.

Malheureusement, les navigateurs, astreints à ne jamais perdre de vue les côtes, mettaient des années à faire le cercle des échelles de la mer Rouge et de la mer des Indes, et le commerce par caravane était encore plus rapide et plus actif que le commerce maritime. Ce fut seulement à la fin de la dynastie lagide, sous le règne d'Aulète (vers 72 av. J.-C) qu'un marin du nom d'Hippalos constata l'existence de la mousson et comprit l'importance du parti qu'on pouvait tirer de la périodicité de ce vent soufflant la moitié de l'année de l'Ouest à l'Est, et de l'Est à l'Ouest, l'autre moitié, pour naviguer en pleine mer. Il va sans dire que cette colossale extension des relations commerciales de l'Égypte se fit pour le plus grand profit des Grecs qui y résidaient. Aussi bien avait-elle été leur oeuvre exclusive. Toutefois, pour ce qui est du commerce avec les Indes, il faut bien reconnaître qu'ils n'arrivèrent jamais a supplanter les Arabes, mais ils prirent le sage parti de les accepter comme intermédiaires, trop heureux de réserver le monopole des transactions entre la mer Rouge et la Méditerranée. Ces transactions s'opéraient alors sur un immense réseau comprenant la Troglodytique, l'Éthiopie, les oasis de désert libyque, la Marmarique, la Cyrénaïque, l'Afrique (avec le sens restreint qu'avait alors ce nom, appliqué au littoral occidental de la Syrie), Carthage, Marseille, l'Italie, la Sicile, la péninsule et l'archipel helléniques, la Crète, Rhodes et Chypre, la Cilicie, Tyr, Ptolémaïs, Joppé, Ascalon, etc. (E. Reclus / G. Bénédite).

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