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L'analyse grammaticale
L'analyse grammaticale consiste à étudier, en les séparant, les éléments du langage; elle distingue dans chaque mot ses parties contributives, mais elle ne se borne pas à constater la forme actuelle que donnent aux mots les flexions diverses et les diverses si significations attachées à la forme. Elle est l'instrument même de la science du langage; elle étudie les faits dont l'induction découvre peu à peu les lois. Sous les formes actuelles des mots, elle découvre, par la comparaison, les formes antérieures, les racines. Son champ est infini, mais elle se sert de méthodes rigoureuses; les résultats progressifs qu'elle obtient ont un caractère scientifique et donnent une base de plus en plus solide aux inductions des linguistes et aux hypothèses des philosophes. Un des maîtres de la philologie moderne détermine ainsi son vaste domaine. 
« Elle recueille les faits et son seul objet est d'en découvrir la raison et l'application, en tant que cela est possible. Au lieu de regarder les flexions, en général, comme des signes de convention on des excroissances naturelles, elle prend chaque désinence séparément et quand, au moyen de la comparaison, elle en a rétabli la forme la plus ancienne, elle traite cette syllabe primitive comme elle traiterait n'importe quelle partie du langage, c.-à-d. comme un mot qui a eu dans le principe sa signification propre. Quant à la possibilité de saisir la pensée qui a procédé à la création première de chacun des éléments du langage, c'est là une tout autre question, et il faut bien reconnaître que beaucoup de formes grammaticales échappent encore à nos explications même après que nous avons retrouvé le type le plus primitif. Mais puisqu'une induction pénétrante nous révèle toujours de plus en plus les secrets du langage et que chaque année de nouvelles découvertes viennent couronner les travaux des linguistes, nous n'avons aucune raison de douter que l'analyse grammaticale ne donne, avec le temps, des résultats aussi certains et aussi complets que l'analyse chimique. » 
En pédagogie, on appelle analyse grammaticale l'exercice de décomposition qui a pour matière les phrases et les mots. Il consiste à distinguer les propositions et membres de phrases, en marquant leur nature et les rapports qui les unissent, ou encore à discerner la nature et le rôle de chaque mot dans la proposition. L'analyse, dans le premier cas, s'appelle analyse logique; dans le second, analyse grammaticale. En réalité, ces deux genres d'analyse sont inséparables, et stériles l'un sans l'autre; on ne peut pas plus les séparer qu'on ne peut séparer l'étude des formes de celles de la syntaxe. Les exercices scolaires désignés sous ce nom d'analyse règnent depuis le Moyen âge dans les écoles; ils ont passé des collèges aux écoles primaires, au grand détriment des enfants pour qui ils constituaient un travail mécanique à peu près sans profit. 

La décomposition des phrases.
L'analyse grammaticale est la décomposition d'une phrase, examen séparé de chaque mot, pour reconnaître à quelle partie du discours il appartient; s'il est simple ou composé, primitif ou dérivé; à quel genre, à quel nombre, à quel cas sont les substantifs, les adjectifs, les pronoms, et pourquoi; à quelle personne, à quel nombre, à quel temps, à quel mode, à quelle voix se trouvent les verbes, et à quelle conjugaison ils appartiennent, etc.; enfin, quelle est l'étymologie des mots les plus importants,lorsque cette étymologie est certaine et utile pour l'intelligence de la langue. Prenons l'exemple de ce vers de Boileau :

La raison outragée enfin ouvrit les yeux,
L'analyse grammaticale y reconnaît un article féminin au singulier, la, servant à montrer que raison est pris dans un sens déterminé; un nom substantif du féminin, raison, employé comme sujet du verbe ouvrit; le participe passé passif, féminin, singulier, du verbe actif outrager, 1re conjugaison, déterminant le substantif raison; un adverbe de temps dans le mot enfin, formé de la prépositionen et du substantif fin, etc.

L'analyse grammaticale n'est pas toujours aussi facile que dans cet exemple; si je dis : que mon fils vienne, ce subjonctif est inexplicable si on ne supplée une proposition principale (je désire, je veux, j'ordonne, il faut, etc.); si je dis : la plupart l'ont rapporté, on trouve un sujet qui est du singulier, et le verbe est au pluriel. Mais les plus grandes difficultés résident dans les idiotismes, qui sont souvent inexplicables grammaticalement. Telles sont les locutions françaises où un verbe est employé avec un double sujet, l'un apparent, marqué par les pronoms il ou ce, l'autre sujet véritable annoncé par le sujet apparent et placé après le verbe. Exemple : « Il faut travailler; il est temps de partir; il s'éleva plusieurs difficultés; ce n'est pas tout que de se repentir, il faut  se corriger. » L'analyse grammaticale doit rendre compte de toutes ces anomalies.

Lorsqu'on trouve des mots qui, séparés, ne présentent plus de sens, comme se repentir, nous nous repentons, il faut analyser le groupe de mots et non chaque mot isolément, et dire « Se repentir, infinitif présent du verbe neutre essentiellement pronominal; nous nous repentons, 1repersonne du pluriel du présent de l'indicatif du verbe neutre essentiellement pronominal, se repentir, etc. »

Il arrive qu'un mot concourant à former un idiotisme change de signification. Exemple : « Il fait froid »; il faut avoir soin d'indiquer dans l'analyse le sens du verbe faire, et dire qu'il est pris ici abusivement comme synonymie du verbe être, avoir lieu, etc. Les froids qu'il a fait, voilà encore une phrase qu'il est impossible d'analyser sans expliquer l'idiotisme et sans commencer par dire qu'elle est synonyme de : les froids qui ont été, qui ont eu lieu; et quand on arrive au mot que, il faut faire remarquer que ce mot a la forme d'un complément direct, mais que l'analyse ne peu; en rendre compte ni le considérer séparément des mots il a fait; que il est un pronom personnel pris impersonnellement et d'une manière tout à fait vague, et est sujet grammatical de a fait; que a fait est un verbe actif employé là comme intransitif pour ont été, etc. 

D'autres alliances de mots ne sont pas plus faciles à analyser; par exemple, la locution il y a, et celles-ci, au moins fort bizarres :  « Il s'en faut beaucoup; je m'en vais; c'est toi qui l'as nommé ». De quelque façon qu'an s'y prenne pour résoudre ces difficultés réelles, il faut se préoccuper, avant tout, du sens de la locution. 

Un exemple simple.
Voici un exemple d'analyse logique et grammaticale à la portée des enfants. Prenons pour donnée cette phrase des Harmonies poétiques de Lamartine :

Les foudres portées
Sur ces plis mouvants,
Au hasard jetées
Par les quatre vents,
Entr'elles heurtées,
Partent en tous sens,
Comme une volée
D'aiglons aguerris
Qu'un bruit de mêlée
A soudain surpris.
Qui, battant de l'aile,
Volent pêle-mêle
Autour de leurs nids,
Et loin de leur mère,
La mort dans leur serre,
S'élancent de l'aire
En poussant des cris.
On distinguera d'abord deux parties dans cette période la première : « Les foudres - en tous sens » est une proposition principale dont le sujet foudres est qualifié par trois participes avec leurs compléments; la deuxième comprend : 1° une proposition principale elliptique coordonnée à la précédente : « Comme une volée d'aiglons aguerris »; 2° trois propositions subordonnées plus ou moins complexes, coordonnées entre elles et dépendant des mots « aiglons aguerris ». 

Ce premier travail fait, on analysera chacune des propositions séparément; on indiquera d'abord la nature de chaque mot, le genre, le nombre, la personne (s'il y a lieu), on rapprochera les mots conséquents de leurs antécédents, les attributs de leur sujet, etc. On suppléera les sous-entendus. L'analyse ne sera terminée que lorsque l'élève aura rendu compte de tous les mots et de toutes les désinences. La tâche sera quelquefois difficile, et le maître devra éviter les subtilités qui dépasseraient la portée des jeunes intelligences; s'il ne peut pas dire si pêle-mêle est un adjectif ou un adverbe, il l'expliquera du moins par l'étymologie; s'il ne peut logiquement construire la mort dans leur serre, il fera comprendre par des rapprochements comment cette proposition absolue et elliptique se rattache à la proposition où elle est intercalée. L'exercice de l'analyse est absolument indispensable pour traduire d'une langue dans une autre, et une traduction exacte est la plus intéressante des analyses. (GE / P.).

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