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La découverte de la matière
L'alchimie à la Renaissance
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L'alchimie au XVIe siècle

Aperçu 
Au XVIe siècle,  le langage alchimique commence à se dépouiller de ses voiles. A côté des érudits encyclopédistes qui ont écrit sur l'alchimie, tels que Marcile Ficin, Pic de la Mirandole. On rencontre quelquefois chez un même auteur des contrastes frappants; le dévergondage du charlatanisme à côté de la simplicité de la bonne foi et même d'une science profonde. On ne sait s'il faut l'appeler fourbe ou enthousiaste crédule. Il est le sujet des critiques les plus divergentes, des opinions les plus opposées. Tel est Cornélius Agrippa, mort en 1535, Nostradamus, qui prétendait dire l'avenir en scrutant le passé, Giordano Bruno, brûlé vif par l'Inquisition en 1600, ou même le savant et foisonnant Paracelse, mort en 1541. L'histoire du dernier appartient plutôt à la médecine, où il s'est efforcé d'introduire des théories chimiques, mêlées de mysticisme. Paracelse donna une forte impulsion à l'étude de l'art spagirique, comme il appelait l'alchimie appliquée à la médecine (spagirique vient de span et de ageirein, extraire et rassembler (analyse et synthèse), deux mots grecs contractés en un seul). Il eut une foule de disciples et d'imitateurs. Hommes de robe, hommes d'épée, prélats, généraux, princes, cultivaient l'alchimie avec ardeur aux XVe, XVIe et même au XVIIe siècle. Plusieurs empereurs d'Allemagne, Rodolphe, Mathias, Ferdinand, aimaient souvent mieux souiller le feu du grand oeuvre, que s'occuper des affaires de l'État. Le héros de la guerre de Trente Ans, Wallenstein, consultait les secrets de l'alchimie et de l'astrologie pour y trouver la clef de sa destinée. 
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Paracelse.
Paracelse.

L'Europe était alors, pour ainsi dire, inondée de traités et d'opuscules alchimiques, dont plusieurs se font remarquer surtout par l'originalité du titre. Voici le titre d'un de ces ouvrages, moitié allemand, moitié latin : Noces chimiques (Chymische Hochzeit), attribué à Christian Rosecroix (Rosen-Creutz), fondateur sans doute légendaire de la société secrète des Rose-Croix :

« Les secrets publiés perdent leur valeur; la profanation détruit la grâce; donc, ne jette pas les perles aux porcs, et ne fais pas à un âne un lit de roses (ergo, ne margaritas objice porcis, seu asino substerne rosas). » ( Strasbourg, 1616).
Dans ces ouvrages on discutait, sous des formes allégoriques, sur le principe universel, discussions qui rappellent quelquefois les opinions de l'écoles ionienne et de celle de Pythagore.
« L'air nourrit le feu, comme l'eau nourrit la terre. Car le feu vit de l'élément de l'eau et de l'élément de la terre. C'est pourquoi, en tuant l'eau, on tue tous les éléments (omnia elementa occidisti). » (Artis auriferae, quam chemiam vocant). 
Ces paroles ne rappellent-elles pas le commencement de la première Olympique de Pindare, le principe de Thalès, d'après lequel l'eau est l'élément de toute chose?

Trois alchimistes, trois styles.
La France, l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre étaient parcourues en tout sens par des chercheurs de la pierre philosophale; leur vie aventureuse est pleine de détails d'un intérêt piquant, mais qui ne portent pas toujours l'empreinte de la véracité. Parmi les très nombreux alchimistes qui se sont fait connaître en France, soit par l'histoire de leurs aventures, soit par leurs écrits, nous mentionnerons seulement Denis Zécaire, Blaise de Vigenère, Gaston de Claves. Chacun à sa façon illustre ce que c'était que d'être un alchimiste à la Renaissance.

Denis Zécaire.
Denis Zécaire (Dionysius Zaccharias) est un nobliau né en Guyenne en 1510. Il nous raconte lui-même très naïvement toutes les tribulations de sa vie, dans son Opuscule de la vraye philosophie naturelle des métaux. A l'âge de ving ans, il partit étudier la grammaire, la rhétorique et la philosophie à Bordeaux. C'est là qu'il commença à se livrer à des travaux alchimiques. De Bordeaux, il se rendit à Toulouse, sous le prétexte d'y étudier le droit, mais en réalité pour y continuer les investigations du grand oeuvre. En pure perte :

« Presque tout estoit inutile; si bien qu'à la fin de l'année mes deux cents écus s'en allèrent en fumée, et mon maistre mourut d'une fiebvre continue. [...] La mort duquel me fust grandement ennuyeuse, car mes proches parents refusoyent me bailler argent plus qu'il m'en falloit pour m'entretenir aux estudes. »
Il finit par se procurer de l'argent, qu'il dépense aussitôt en achetant un procédé que lui vend un Italien, et qui consistait à traiter de l'or et de l'argent par l'eau forte pendant deux mois pour obtenir la poudre de projection. Zécaire perdit comme on le pense bien son temps et son argent. Mais l'ltalien trouva encore le moyen de lui soutirer une somme considérable, sous le prétexte d'aller à Milan, et de s'aboucher avec l'auteur même du procédé, qui n'avait pas réussi...
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Cours d'alchimie transmutatoire.
Cours d'alchimie transmutatoire, d'après A. Barlet, 
le Vray cours de physique, 1653.

L'Italien ne revint évidemment jamais, et après l'avoir attendu près d'un an, Zecaire fut contraint par une épidémie de peste de quitter Toulouse, se faisant quelque temps accompagner d'un vieil homme rencontré à Cahors, qu'on appelait communément le Philosophe, « nom qui se donne aisément dans les provinces à ceux qui sont moins ignorants que les autres ». Après de nouvelles rencontres tout aussi décevantes  et coûteuse notre apprenti alchimiste se décide de tenter le tout pour le tout à Paris

« Paris, dit-il, est la ville aujourd'hui la plus fréquentée de divers opérateurs en ceste science, que autre qui soit en Europe. J'y fuz ung mois durant presque incogneu de tous. Mais, après que j'eus commencé à fréquenter les artisans, comme orfebvres, fondeurs, vitriers, faiseurs de fourneaulx et divers autres, il ne fust pas un moys passé que je n'eusse la cognoissance à plus de cent opérateurs. [...]  Les ungs travailloyent aux teintures des métaulx par projection; les aultres par cimentation, les aultres par dissolution, les aultres par conjonction de l'essence, les aultres par de longues décoctions, les autres travalloient à l'extraction du mercure des métaulx, les autres à la fixation d'iceulx. De sorte qu'il ne se passoit jour, mesmement les festes et dimanches, que ne nous assemblions ou au logis de quelqu'ung (et fort souvent au mien), ou à Nostre Dame la Grande, qui est l'église la plus fréquentée de Paris, pour parlementer des besoignes qui s'estoyent passées aux jours précédens. »
Denis Zécaire, que ces nouveaux amis dépouillaient consciencieusement de ses dernières économies, ne tarda pas à faire connaissance avec un Grec qui passait pour un savant homme, et qui se disait possesseur du secret de changer des clous de cinabre en argent. Notre candide apprenti avança la somme pour l'acquisition de produits nécessaires et ... ajouta une déconvenue de plus à sa biographie. Ayant passé trois ans inutilement à Paris, et ayant dilapidé toute sa mince fortune, il retourna dans son pays. Arrivé chez lui, il trouva, dit-il, une lettre du roi de Navarre, grand-père de Henri IV, qui l'invita à se rendre à Pau pour lui enseigner ce qu'il avait appris, lui promettant toute sa reconnaissance. Zécaire se précipita à Pau, y reçut mille mercis du roi, et s'en retourna à Paris tout aussi pauvre qu'avant.
« Par quoy je m'en allay à Paris, où j'arrivay le lendemain de la Toussainct en l'année 1546, et là j'acheptay pour dix escus de livres en la philosophie, tant des anciens que des modernes; une partie desquels estoyent imprimez, et les autres escripts de main, comme la Tourbe des philosophes, le bon Trévisan, la Complaincte de la nature, et aultres divers traités qui n'avoient jamais esté imprimés. Et m'ayant loué une petite chambre au faubourg Saint-Marceau, fuz là ung an durant, avec un petit garson qui me servoit, sans fréquenter personne, estudiant jour et nuict en ces auteurs. »
De guerre lasse, à bout d'espoir, Zécaire,  finit par se convaincre que lui aussi avait fini par faire de l'or, ou quelque chose qui pouvait y ressembler, car il n'en fut pas plus riche. Il vendit ses bien en Guyenne et partit « chercher un pays de liberté », qu'il trouva à Lausanne où il se maria, et où il fit le livre où il raconte sa quête. Mais son séjour à l'étranger ne fut pas long, et, raconte Gmelin, eut une triste fin. Denis Zécaire fut assassiné en 1556 à Cologne par un compagnon de voyage, qui, semble-t-il, convoitait sa femme.

Blaise de Vigenère.
Blaise de Vigenère, né en 1522, à Saint-Pourçain en Bourbonnais, secrétaire de Bayard dès l'âge de 18 ans, puis du duc de Nevers, après un voyage en Allemagne, et plus tard encore du roi Henri III, qu'il accompagna en Pologne, se distingue de tous les alchimistes de son temps par son immense érudition. Connaissant son seulement le grec et le latin, mais encore les langues orientales, il discute et commente savamment, dans son Traicté du feu et du sel, les textes des philosophes anciens, et surtout le Zohar et la Cabale, dont il paraissait avoir fait une étude approfondie. 
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Alchimiste au travail, d'après Bruegel l'Ancien.

C'est Blaise de Vigenère qui a découvert l'acide benzoïque. L'analyse de son livre laisse penser qu'il pourrait même avoir eu connaissance de l'oxygène. Ainsi, il assure qu'en introduisant dans un vaisseau bien fermé, et dans lequel on a préparé certaines substances, une bougie allumée, 

« vous verrez infinis petits feux voltiger comme des esclairs, qui ne sont accompagnez de tonnerres et foudres, ny d'orage, n'ayant qu'une inflammation d'air, par le moyen du salpestre et du soufre qui se sont eslevez de la terre. »
En parlant du tonnerre et des éclairs proprement dits, qu'il explique par la combustion du soufre et du salpêtre, il décrit la composition d'une poudre qui est souvent employée dans les feux d'artifice. (C'est la poudre à canon, dans laquelle le charbon est remplacé par un corps éminemment combustible, le sulfure d'antimoine naturel). Le feu, ainsi que la lumière, serait une émanation du Soleil.
« Rien ne se produit, en la terre et en l'eau, qui n'y soit semé du ciel. Le rapport permanent entre ces deux grangs corps pourroit être figuré par une pyramide dont le sommet s'appuye sur le Soleil, et la base sur la terre. »
La lumière des corps célestes serait elle-même produite par des esprits ou des émanations subtiles servant de nourriture au feu du ciel. A ce propos Vigenère raconte comment il est « parvenu à faire une manière de Soleil estincellant à l'obscurité. »

Sans se prononcer sur la question concernant la composition des métaux, il croit que tous les métaux ne sont que des sels fusibles. Tout en raillant  les opérations de la plupart des alchimistes, il ne nie pas cependant la possibilité d'arriver à découvrir la pierre philosophale,

« ceste terre vierge que tant d'ignorans avaricieux ont enquise et point obtenue, parce qu'ils n'y alloient qu'à clos yeux, offusquez d'une sordide convoitise de gaing illicite, pour se rendre tout à coup plus riches qu'un aultre Midas, dont il ne leur est enfin demeuré que ses oreilles d'asne. »
Après avoir remarqué que les cendres de plomb fixées dans la substance de la coupelle contiennent encore de l'argent, Blaise de Vigenère indique un moyen, selon lui,de découvrir la pierre philosophale. Chemin faisant, il parvient à mettre en évidence une  « moëlle blanche », que l'on identifie à de l'acide benzoïque, et qui restera donc sa principale contribution aux progrès de la chimie.

Gaston de Claves, dit Dulco.
Gaston de Claves était un avocat et un alchimiste célèbre de Nevers. Il défendit l'alchimie contre ses détracteurs. Sa défense, tout empreinte de phraséologie scolastique, ressemble à un obscur plaidoyer. Voici comment il s'exprime en faveur de la transmutation des métaux :

« Toute cause efficiente entraîne le sujet et la matière vers un but quelconque. Le mouvement indique le chemin et la distance qui séparent la matière de ce but. Celui-ci consiste ou dans la forme ou dans la quantité, ou dans la qualité. La cause efficiente tend donc vers différents buts. Et comme le but de l'argyropéie [ = art de faire de l'argent] et de la chrysopéie [ = art de faire de l'or] consiste à faire de l'argent ou de l'or, son mouvement tend vers une nouvelle forme. Car la forme du plomb, de l'étain, du cuivre, du fer, du mercure, n'est pas la forme de l'argent ni celle de l'or; mais ses métaux sont le sujet et la matière. » (Apologia chrysopoeiae et argyropeiae adversus TH. Erastum.  Theat. Chim., tom. II).
On trouve dans le même livre quelques expériences vaguement indiquées sur la densité des métaux. Gaston de Claves a laissé un grand nombre d'autres ouvrages, parmi lesquels nous nous contenterons seulement de citer : Philosophia chemica; De triplici praeportione auri et argenti; De recta et vera ratione progignendi lapidis philosophici. Si Dulco est le nom corrompu de Duclos (Gaston de Claves), on pourrait ajouter à cette liste le Recueil de M. Duclos sur la transmutation des métaux (manuscrit n°171 de la Bibliothèque de l'Arsenal, à Paris). On lit dans ce manuscrit :
« Prenez une part de très bon nitre pur et de deux parties de chaux vive. Mestez-les bien ensemble en les broyant très subtilement, et faites-les calciner par trois heures au fourneau à vent. Puis faites extraction du sel des fèves avec de l'eau commune bien pure; et coagulez à siccité par évaporation de l'eau, puis cimentez ce sel derechef avec de nouvelle chaux vive et calcinez-le comme la première fois, et faites-en l'extraction de nouveau avec une nouvelle eau chaude, et coagulez le sel en évaporant; répetez sept fois ce travail; enfin par ce moyen le nitre sera converti en huile, et ne se coagulera plus ni à chaud ni à froid, mais il demeurera fixe et liquide en forme d'huile que vous garderez. »
Après cela, l'auteur fait calciner un amalgame d'or avec des fleurs de soufre, de manière à réduire l'or en chaux.
« Broyez bien subtilement cette chaux d'or, et imbibez avec le vinaigre vitriolé [...]. Mettez ensuite cette chaux dans un petit creuset, et chauffez jusqu'à ce que elle devienne blanche et spongieuse comme du coton. Dissolvez cette chaux d'or spongieuse dans de l'eau de sel ammoniac et de salpestre;, digérez et distillez, afin que tout l'or passe par l'alambic; ajoutez à cette dissolution d'or deux onces de la susdite huile de nitre; ensuite distillez si souvent l'eau des deux champions, c'est-à-dire du sel ammoniac et du salpestre de dessus ce composé, qu'enfin l'or s'unisse bien avec la susdite huile, et demeure comme une huile fixe, incoagulable tant à la chaleur qu'au froid. »
On ne voit pas bien où tout cela mène. Peut-être simplement à la chimie véritable, au fond. Car les pratiques de Gaston de Claves ressemblent à celles de ces « souffleurs-», que les « adeptes  » considéraient de haut, c'est-à-dire à ces faux alchimistes, plus soucieux du but que du chemin, que seule la transmutation des métaux en or intéressait, et qui, en dépouillant l'alchimie de tout son appareil ésotérique, ont ouvert la voie aux chimistes modernes. Quoi qu'il en soit, pour ses contemporains, Dulco passait pour un très habile alchimiste; il possédait, disait-on, le secret de la transmutation des métaux. (F. Hoefer).
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