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Timée

Timée de Locres est un philosophe pythagoricien, qui florissait au commencement du Ve s. av. J.-C.,  et remplit dans sa Cité les premières magistratures. Il ne fut sans doute pas un des disciples immédiats de Pythagore, comme on l'a cru longtemps; mais, né dans la Grande-Grèce, chez les Locriens épizéphyriens, il a pu recueillir avec fidélité les traditions encore récentes de l'école pythagoricienne. Socrate, dans le dialogue de Platon qui porte le nom de Timée, attribue à cet héritier des doctrines pythagoriques un génie capable d'embrasser tout le cercle des connaissances humaines, depuis la physique la plus élevée jusqu'aux détails les plus simples de la morale; il nous apprend que Timée jouissait d'une grande considération dans sa cité, où il avait rempli les premières magistratures, et Critias, autre interlocuteur du dialogue, ajoute qu'il passait surtout pour un très habile astronome. Un platonicien, qui fut évêque de Ptolémaïs, Synésius (De Dono astrolab.), parle de Timée à peu près dans les mêmes termes. 

Suidas cite de lui trois ouvrages : un traité de mathématiques, une vie de Pythagore et un livre sur la nature, qui est peut-être celui que nous avons encore sous ce titre : Sur l'âme du monde et sur la nature. Ce manuel philosophique, divisé ordinairement en six chapitres et qui ressemble à l'extrait d'un plus grand ouvrage, est écrit en dialecte dorien. C'est une analyse un peu sèche, mais précise et méthodique, du système de l'idéalisme. Dieu, la matière, l'idée; une cosmogonie embarrassée quelquefois par la théorie des nombres et les similitudes géométriques; la nature présentée dans tous ses phénomènes avec une rare sagacité; des sentiments généreux, des pensées graves, de nobles espérances, il n'est rien dans cette exposition qui ne puisse appartenir à un disciple de ce Pythagore, surnommé par les Anciens le père de la philosophie merveilleuse

Platon, dans son Timée, a développé magnifquement les opinions les plus religieuses de cet illustre disciple, que, suivant Cicéron et Saint-Jérôme, il avait pu voir et entendre dans son voyage en Italie. Il fait parler Timée lui-même et lui fait exposer, devant Socrate, ses brillantes conjectures. Il n'est donc pas plagiaire, comme l'en accusait Timon le sillographe, dans des vers que cite Aulu-Gelle, et que les leçons fournies par les Scolies platoniques de Ruhueken, permettent de traduire avec plus de certitude :

« Et toi aussi, Platon, tu as voulu  dogmatiser; tu as acheté à grand prix un petit  livre, et tu es parti de là pour faire le Timée. »
Chardon de la Rochette (Mélanges, t. 2), d'après Diogène Laërce et les anciens éditeurs d'Aulu-Gelle, pense qu'il s'agit ici du traité pythagorique de Philolaüs, acheté fort cher à Syracuse; mais pourquoi ne serait-ce pas une allusion au livre de Timée lui-même? Il faut avouer cependant que, si nous avons encore l'ouvrage original de ce pythagoricien, l'imitateur doit souvent nous paraître en contradiction avec celui dont il s'est fait l'interprète. Quelquefois aussi des phrases entières de cet ouvrage se retrouvent dans celui de Platon, et malgré l'aveu du larcin, un tel hommage doit surprendre dans un écrivain d'une imagination si féconde. C'est là probablement une des raisons qui ont fait regarder le traité de l'Ame du monde comme apocryphe par L. le Roy, traducteur du Timée; par Conringius, Propolit., c. 15, p. 104; par Thomasius, Observat. Halens., t. 9 , p. 6, 7; par Morhof, Polyhist., t. 2, liv. 2, part. 2, ch. 2, p. 392, etc. Le célèbre Meiners s'est appliqué surtout, à plusieurs reprises, à en combattre l'authenticité, soutenue par Th. Gale, par Batteux, par C.-G. Bardili, par Tiedemann, qui ensuite s'est rétracté (Geschichte der speculatiren Philosophie, liv. 1er, p. 89), etc. Plus tard, le savant historien de la philosophie ancienne, G.-Th. Tennemann, a prétendu encore que Proclus, qui nous a conservé ce morceau en le joignant à son grand commentaire sur le Timée, avait pris pour un ouvrage original un simple abrégé du dialogue de Platon. Quoique Synésius (loc. cit.) partage l'opinion de Proclus, il n'est pas étonnant qu'un ouvrage de ce genre, qui ne commence à être cité que fort tard, soit environné de beaucoup d'incertitudes. 

Le traité de l'Ame du monde, publié sous le nom de Timée de Locres dans toutes les éditions de Platon, parut en latin dès 1488, traduit par George Valla, Venise, chez Antonio de Strata; 1498, chez Sim. Bevilacqua. Le texte grec ne fut imprimé qu'en 1513, dans le Platon des Alde. Louis Nogarola donna le même ouvrage en grec et en latin, Venise, 1555; réimprimé à Paris, la même année, en grec; et l'an 1562, en latin, par Guillaume Morel. Th. Gale fit entrer le texte, avec la version de Nogarola et le sommaire et les notes de Jean de Serres, dans ses Opuscula mythologica, Cambridge, 1671; Amsterdam, 1688. Stanley l'a traduit en anglais dans son Histoire de la philosophie, Londres, 1655. Une édition nouvelle, offrant un texte revu par Valckenaer sur des manuscrits et accompagnée de notes, a été publiée à Leyde par J.-J. de Galder, en 1836. 

Il y a deux traductions françaises accompagnées du texte : l'une du marquis d'Argens, avec des Dissertations sur les principales questions de la métaphysique, de la physique et de la morale des anciens, Berlin , 1763 ; ouvrage d'une érudition confuse et téméraire, comme tous ceux de ce laborieux sophiste; l'autre, de l'abbé Batteux, Paris, 1768, traduction qui avait paru déjà en partie dans le tome 32 des Mémoires de l'Académie des inscriptions, mais que l'auteur revit et corrigea pour cette édition. Il cite dans les notes du texte les variantes de deux manuscrits.  (L-c.).

Timée est un rhéteur et historien grec, naquit vers l'an 350 avant J.-C., à Tauromène, en Sicile, ville fondée par son père Andromaque, au temps d'Agathocles et de Ptolémée-Philadelphe. Il écrivit plusieurs livres, entre autres une Histoire générale de la Sicile, une Histoire des guerres de Pyrrhus et un grand nombre d'ouvrages sur divers sujets de rhétorique : ces productions ne sont pas parvenues jusqu'à nous. Goeller en a recueilli divers fragments dans un ouvrage intitulé De situ et origine Syracusarum, Leipzig, 1818, in-8°. Cicéron a fait l'éloge de l'éloquence de Timée, dans le deuxième livre de l'Orateur. Longin n'en a pas parlé aussi avantageusement; il l'accuse de trop de penchant à la critique. Diodore de Sicile en dit autant, et il ajoute que ce défaut lui fit donner avec raison le surnom d'Epitimée, c'est-à-dire correcteur (I. 5, c. 3). 

Chassé de l'île par Agathocles et ne pouvant se venger de ce prince tant qu'il fut sur le trône, Timée l'accabla, après sa mort, de toute sorte de reproches, ajoutant à ses vices réels un grand nombre de vices imaginaires, rabaissant toujours ses succès et lui imputant les torts de sa fortune. Bien qu'il soit constant, par le témoignage de tous les anciens, qu'Agathocles excella dans la science et la prudence militaires, et que, dans les plus grands dangers, il fit preuve d'une singulière présence d'esprit et d'une hardiesse merveilleuse, Timée ne cesse, dans tout le cours de son histoire, de l'appeler un homme lâche et sans ressource. Diodore, tout en louant l'exactitude de Timée dans les choses où il ne pouvait satisfaire sa malignité, le reprend de son affectation à rendre peu de justice à Agathocles et d'avoir sacrifié à sa vengeance personnelle l'amour de la vérité. Il fait ressortir les contradictions de cet auteur, qui, relevant, dans toutes ses pages, la valeur des Syracusains, accuse de lâcheté celui qui les a soumis. Strabon l'appelle envieux , médisant, et ces accusations ont été répétées par Polybe, Plutarque, etc. 

Il est rare qu'à côté de son nom on ne voie pas quelque épithète injurieuse, telle que vieille commère, calomniateur; d'un autre côté, Cicéron le cite comme un modèle de ce style asiatique qui commença à prévaloir après la prise de Rhodes. On prétend même que ses ouvrages se faisaient remarquer par l'exactitude des détails géographiques, et qu'il fut un des premiers à faire usage de la chronologie dans son histoire grecque; malgré tout ce qu'on a dit en faveur de cette innovation, il faut convenir que Timée augmenta les difficultés par les moyens mêmes employés pour les vaincre. 

En adoptant, à l'exemple d'Hérodote, le système des Egyptiens, fondé sur le principe d'une période uniforme (de trente-trois ans) pour les générations et les règnes, il ne pouvait qu'ajouter à l'incertitude répandue sur les traditions des temps primitifs de la Grèce. Chassé de la Sicile pour des menées oligarchiques, Timée n'était pas moins l'admirateur le plus ardent de Timoléon, qui, selon Cicéron, doit la plus grande partie de sa gloire au bonheur d'avoir eu un historien comme Timée. Si, en exaltant le vertus de l'ancien libérateur de Syracuse, celui-ci ne s'était proposé que de susciter des ennemis à l'oppresseur de sa Cité, il ne se trompa pas; car Agathocles, au faîte de la grandeur, fut empoisonné dans son palais (289 avant J.-C.) et par ordre de son propre neveu. 

Timée n'était pas moins excessif dans ses éloges que dans ses invectives, puisque, à en croire Suidas, il mit Timoléon au-dessus des dieux. Plutarque l'a condamné sur des puérilités qui se rapportent à un lieu commun que l'ancienne histoire cultivait beaucoup, la compilation des bons et des mauvais présages. D'autres lui ont reproché l'origine fabuleuse qu'il a donnée à des villes de Sicile. 

Il vécut fort tranquille à Athènes, lieu de son exil, où il termina sa vie à l'âge de 96 ans, selon Lucien. (M-G-R.).

Timée est un sophiste, grammairien, dont l'époque est incertaine, a laissé un dictionnaire spécial de locutions platoniques, qu'il accompagne de courtes explications. Le nom du Romain auquel il le dédie pendant les saturnales, Gentianus, répand fort peu de lumière sur l'âge de l'auteur : il faudrait le croire postérieur au philosophe Porphyre, si l'article où se trouve le note de Porphyre n'était pas évidemment interpolé, comme beaucoup d'autres de ce lexique, où l'on rencontre, par exemple, quelques expressions d'Hérodote.

Il est faux d'imaginer, comme l'a fait Meurcius, que le pythagoricien Timée de Locres soit l'auteur de cette compilation. Jonsius (De scriptor. histor. philos., t. 1er, p. 6) l'attribue, avec aussi peu de fondement, à Timée de Cyzique, disciple de Platon. On aurait pu songer encore à Timée l'historien, puisque Suidas a cité comme étant de cet illustre écrivain un recueil d'arguments de rhétorique, en soixante-huit livres, mais il est probable que Suidas se trompe, et il est bien plus sûr de donner cet ouvrage même au sophiste qui a rédigé le lexique sur Platon. S'il était permis de conjecturer sans induction suffisante, on pourrait placer ce Timée entre le IIe et le IVe siècle de notre ère, époque si féconde en compilations de ce genre; mais comment assigner une date précise à un grammairien obscur, qui s'est contenté peut-être de recueillir par ordre alphabétique les gloses marginales éparses dans les manuscrits de Platon, ou d'abréger les dictionnaires platoniques d'Harpocration et de Boëthus, perdus aujourd'hui, mais autrefois célèbres? 

Plusieurs des notes qu'il a rassemblées sont reproduites dans le Grand Etymologique, dans Suidas, dans le lexique de Photius. Un lexicographe est nécessairement plagiaire : il ne peut avoir que le mérite du choix. Sous ce rapport, le recueil de Timée est d'une faible valeur, et c'est au travail de son éditeur qu'il doit presque tout son prix. Le lexique de Timée, que Photius avait lu (Cod. 151, 154, 155), ne s'est retrouvé, avec d'autres glossaires, que dans un manuscrit du Xe siècle, conservé autrefois dans la bibliothèque de Coislin, qui fut depuis celle de l'abbaye Saint-Germain des Prés. On ne connaissait l'ouvrage que par l'extrait, souvent fautif, que dom Bernard de Montfaucon en avait donné, en 1715, dans sa Bibliotheca Coisliniana, p. 477, lorsque Jean Capperonnier en fit parvenir une copie au savant David Ruhneken , qui la publia avec d'excellentes notes, dont quelques-unes sont d'Hemsterhuys, Leyde, 1754, in-8°.  (L. c.).

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