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Robespierre

Maximilien François Marie Isidore de Robespierre est un homme politique français, né à Arras le 6 mai 1758, exécuté à Paris le 10 thermidor an II (28 juillet 1794). Son père était avocat au Conseil d'Artois; il perdit sa mère à l'âge de neuf ans et fit ses premières études au collège d'Arras. La protection de M. de Conzié, évêque de cette ville, et son mérite précoce lui valurent en 1770 une bourse au collège Louis-le-Grand, ou il eut pour condisciples Camille Desmoulins et Fréron. Bilieux, concentré, vindicatif, il ne paraît pas s'y être fait d'amis. Sa pauvreté l'isolait, comme à la même époque Bonaparte. Mais ses maîtres lui témoignent (alors du moins) la plus grande estime, et, à son départ, après de brillants examens de philosophie et de droit, il reçut une gratification de 600 livres (délibération du bureau de l'Université, 17 janvier 1781). Il poursuivit l'étude du droit en qualité de second clerc de procureur (c.-à-d. d'avoué), puis revint dans sa ville natale exercer la profession d'avocat. Une cause où il avait affaire à forte partie mit en relief son intégrité et son ardeur à défendre les faibles, mais lui fit des ennemis dans le monde officiel (entre autres, M. de Beaumetz, commissaire royal aux États). Il ne négligea pas les lettres ni « les muses », fit partie avec Carnot de la société musicale et poétique des « Rosati », et fut élu membre de l'Académie d'Arras, (15 novembre 1783). La même année, il publia, sans signer : Plaidoyers pour le sieur Vissery de Bois-Valé, appelant d'un jugement des échevins de Saint-Omer, qui avait ordonné la destruction d'un paratonnerre élevé sur sa maison (1783, in-8 [s.l] .). II concourut aussi pour des prix académiques, et publia par la suite : Discours couronné par la Société royale de Metz, sur les questions suivantes, proposées en 1784 : 1° Quelle est l'origine de l'opinion qui étend, sur tous les individus d'une même famille, une partie de la honte attachée aux peines infamantes que subit un coupable? 2° Cette opinion est-elle plus nuisible qu'utile? 3° Dans le cas où l'on se déciderait pour l'affirmative (ce que fit Robespierre), quels seraient les moyens de parer aux inconvénients qui en résultent (Amsterdam et Paris, 1785, in-8); - Éloge de Gresset, discours qui a concouru pour le prix proposé par l'Académie d'Amiens, en 1785, par M***, avocat en parlement (Londres et Paris, 1785, in-8). Ces écrits amalgament d'une façon curieuse les principes monarchiques, les sentiments catholiques et les idées nouvelles, celles principalement du Contrat social et du Vicaire savoyard. En 1788, lors de l'institution des Assemblées provinciales, il attaqua vigoureusement la composition des États de l'Artois, véritable forteresse des privilèges cléricaux et nobiliaires; en 1789, il publia l'Éloge de M. Dupaty, président à mortier au parlement de Bordeaux. Le 26 avril, il fut député aux États généraux par le tiers état de sa province. Ses débuts n'attirèrent, dit-on, que l'attention de Mirabeau, qui aurait porté sur lui ce jugement :
 « Il ira loin, il croit tout ce qu'il dit ».
Bien que son nom soit orthographié de la façon la plus fantaisiste par les journaux contemporains, surtout (et sans doute en manière de plaisanterie) par les Actes des apôtres, qui le surnomment « la chandelle d'Arras », son activité oratoire et son influence allèrent sans cesse en progressant.

Robespierre se signala vraiment après la prise de la Bastille, et contribua à faire rejeter une motion de Lally-Tolendal qui tendait à innocenter la cour et à blâmer indirectement, sous le nom de désordre, l'acte décisif de la Révolution. Monarchiste comme tous ses collègues, mais avant tout démocrate, il demande une garantie « pour la liberté des opinions sur la monarchie »; il ne doute pas que la nation ait seule le droit de consentir l'impôt annuellement; il s'oppose à l'examen du mémoire restrictif du roi sur les arrêtés du 4 août; il vote contre la loi martiale (21 octobre 1789) et demande un tribunal chargé de juger les crimes de lèse-nation; il rejette la contribution comme condition d'éligibilité; il se prononce pour l'éligibilité des comédiens, des juifs, etc.; il combat les prétentions de la République de Gênes sur la Corse; il plaide contre le « marc d'argent » au nom de l'égalité politique (25 janvier 1790); il demande un traitement égal pour les religieux mendiants et non mendiants; il combat l'emploi des troupes pour le recouvrement des contributions; il demande que l'on discute sans délai le projet de suppression des lettres de cachet et des détentions arbitraires (13 mars); il s'oppose à ce que le droit de chasse soit restreint aux propriétaires seuls; il demande que de simples soldats fassent partie des conseils de guerre (28 avril); il attribue aux chefs militaires l'insubordination des troupes et soumet le droit de paix et de guerre aux délibérations du pouvoir législatif; il appuie la motion de faire ratifier par l'Assemblée les traités signés sous l'Ancien régime. Il intervient aussi dans la discussion sur la constitution civile du clergé, sur l'élection et le traitement des évêques. Le 19 juin 1790, il est élu secrétaire. Il appuie la demande faite par une députation d'Américains d'assister à la fédération. Il combat la mise en liberté des Avignonais détenus à Orange. Il accuse les ministres du roi à l'occasion de la démarche de l'Autriche pour obtenir le passage de ses troupes en territoire français. Il refuse au pouvoir exécutif la nomination du ministère public. Il réclame l'égalité des peines pour les officiers de marine et les simples marins. Il essaye de légitimer (3 septembre) l'insurrection de la garnison de Nancy. Il définit le crime de lèse-nation et n'entend pas que le roi nomme les juges de la Haute Cour. Il veut que tout citoyen puisse être juré. Toutefois, il se prononce contre une loi générale sur les émigrations, et, combat le projet spécialement déposé contre les prêtres perturbateurs. Il s'associe aux honneurs publics rendus à Mirabeau.
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Portrait de Robespierre.
Maximilien de Robespierre (1758-1794).

Lors de l'invasion de Porentruy par les Autrichiens, Robespierre accuse et les ministres, et le comité diplomatique (19 avril 1794). Il décrit les horreurs sanglantes qui désolent le comtat d'Avignon, et ne voit d'autre remède que sa réunion au royaume. Le rapport de Rabaut-Saint-Etienne, au nom du comité de constitution, excluait de la garde nationale les citoyens non actifs. Robespierre objecta que la garde nationale se transformerait en une caste militaire, dangereuse pour la liberté. Unir indissolublement la fonction de soldat et la qualité de citoyen, diminuer le nombre des officiers, les nommer pour un temps limité, par districts, n'admettre l'uniforme et les insignes des grades que dans le service, supprimer l'abus des décorations : telles sont, d'après lui, les conditions d'une armée nationale, dont tout citoyen domicilié a le droit de faire partie : 

« Les pauvres qui ne payent pas certaines contributions sont-ils des esclaves? Sont-ils sans intérêt dans la chose publique? Tous ont contribué à l'élection des membres de l'Assemblée : ils vous ont donné des droits à exercer pour eux; vous en ont-ils donné contre eux? Sont-ils citoyens, oui ou non? » (27 avril 1791).
Le projet fut renvoyé au comité, qui ne l'amenda pas, et volé le lendemain, malgré une nouvelle intervention de Robespierre. Cet échec ne fit qu'augmenter sa popularité à Paris, et dans son véritable milieu, la Société des amis de la Constitution (le club des Jacobins) qu'il avait contribué à fonder, et qu'il avait, dès 1790, présidée. C'est là qu'avec une trentaine seulement de ses collègues, il critique la timidité, les tergiversations, l'esprit bourgeois de la Constituante; c'est là qu'il élève autel contre autel, et par une extraordinaire assiduité de prédication politique, arme l'arrière-ban des forces révolutionnaires et, sans s'en douter, prépare l'avènement de la République. Les modérés sentent le danger et essaient, pour y parer, de restreindre aux individus le droit de pétition. et de réserver au gouvernement le droit d'affichage public (motion de Le Chapelier) : 
« Plus un homme est malheureux et faible, objecte Robespierre, plus il a besoin du droit de pétition ».
Il obtint gain de cause, et C. Desmoulins le surnomma « notre Aristide », et Marat, qui ne voyait que traîtres et vendus, le proclama « l'Incorruptible ». L'austérité de sa vie égalait d'ailleurs celle de ses principes, et ses détracteurs, sur ce point, ont été réduits à faire honneur de ses vertus privées à la pauvreté de son sang et à la faiblesse de sa santé.

Dans le duel de l'Assemblée et de la Cour, il a du premier coup percé à jour la vénalité, les arrière-pensées personnelles, les regrets plus ou moins avoués pour l'ancien état de choses, qu'expliquait trop bien la composition même de la Constituante. Renchérissant sur les adversaires de Mirabeau, il fit décréter que nul membre de l'Assemblée ne pourrait être nommé ministre pendant quatre ans après avoir accompli son mandat législatif; puis (15 mai 1791) que les membres de la Constituante ne pourraient être élus à la prochaine législature. L'inexpérience des futurs législateurs ne l'effraie pas, il se défie, au contraire, des guides que la Constituante pourrait leur léguer : 
« Quand ces prétendus guides parviennent à maîtriser les délibérations, il ne reste plus qu'un fantôme de représentation nationale. » 
A ses yeux, la « tactique » parlementaire n'est que la pire forme de l'intrigue. Son meilleur argument est : qu'il appartient aux auteurs de la Constitution de propager partout en France
« l'esprit public, l'amour de la paix, de l'ordre, des lois, de la liberté ». 
Ce furent les anciens privilégiés, d'ailleurs, qui, par leur coalition avec le parti « le plus avancé », firent voter ce décret capital.

Le 30 mai, Robespierre se prononça pour l'abolition de la peine de mort. Il appuya une pétition des Jacobins relative au licenciement des officiers nobles ne comptant aucunement sur le point d'honneur pour garantir leur fidélité : l'Assemblée se contenta d'exiger la déclaration signée de leur obéissance à la loi. Le 15 juin, il fut nommé accusateur public près le tribunal criminel de Paris. Après la fuite de Varennes, il demanda des couronnes civiques pour les citoyens qui avaient arrêté le roi, opina pour que Louis XVI fut interrogé dans les mêmes formes que les simples citoyens (25 juin). Sans se prononcer, même aux Jacobins : pour la République, il n'admet pas qu'un roi coupable soit inviolable (14 juillet). 

Trois jours après, la sanglante répression des partisans de la déchéance (Bailly), auxquels Robespierre ne s'était pas ostensiblement associé, paraît l'avoir au moins déconcerté: c'est alors qu'il quitta son logement du Marais afin de se rapprocher et de l'Assemblée, et des Jacobins il habita depuis rue Saint-Honoré, chez le menuisier Duplay (n° 398 actuel, sur la cour, mais l'ancien état des lieux est totalement modifié). On connaît son apostrophe du 1er septembre à Duport :

 « Je ne présume pas qu'il existe dans cette Assemblée un homme assez lâche pour transiger avec la Cour, etc. »,
Elle n'est pas d'un homme aussi épouvanté que l'affirme Mme Roland dans ses Mémoires. Le jour de la clôture de l'Assemblée, Robespierre fut porté en triomphe par le peuple. Il prit quelque repos dans sa ville natale, mais revint à Paris dès les premiers bruits de guerre. Aux Jacobins, il combattit une motion de Koch, proposant que la Législative envoyât un message au roi afin qu'il intervint auprès des princes électeurs contre les rassemblements d'émigrés en armes; il appartenait aux représentants de la nation d'agir directement, et de déterminer entre la France et l'Empire le casus belli. Cependant Robespierre se montra bientôt moins belliqueux, soit qu'il se sentit personnellement dépourvu de tout talent militaire, soit plutôt qu'il se défiât du plan avoué plus tard par Narbonne, et dont les girondins se faisaient les complices inconscients : former une armée soi-disant contre l'Empire, et la mettre ensuite au service de l'absolutisme. Robespierre ne tarda pas à soutenir, au club, qu'il fallait d'abord en finir avec les ennemis intérieurs avant de partir pour la frontière. Chaque jour vit s'envenimer la haine soupçonneuse des partis révolutionnaires, et l'antipathie des personnes.
« La Révolution, dit le Patriote français, est une religion, et Robespierre y fait secte; c'est un prêtre qui a ses dévots. Il prêche, il censure, il tonne contre les grands et les riches; il vit de peu et ne connaît pas de besoins physiques; il s'est fait une réputation d'austérité qui vise à la sainteté; il parle de Dieu et de la Providence, il se dit l'ami des pauvres, il se fait suivre par les femmes et les faibles d'esprit, il reçoit gravement leurs adorations et leurs hommages. »
 Il y eut alors au club, entre Robespierre et Brissot, un échange d'injures que ni l'un ni autre ne devaient oublier.

En avril 1792, Robespierre se démit de ses fonctions d'accusateur public, qu'il avait d'ailleurs fort négligées. Ses discours, bien plus que ses actes et son exemple, poussent de plus en plus les masses dans la voie des insurrections. Au dix-août, il est membre de la commune insurrectionnelle où dominent surtout Danton et les Cordeliers. Il refusa la présidence du tribunal extraordinaire du 17 août, dont la création n'empêcha pas les massacres de Septembre. Le 5 septembre, il fut élu député du département de Paris à la Convention nationale, le 1er sur 24. Accusé par Rebecqui, Barbaroux, Louvet d'aspirer à la dictature, et d'avoir dirigé les massacres, il se défendit victorieusement, dénonçant à son tour les projets de république fédérative (5 novembre). Il insista pour le prompt jugement de Louis XVI, combattit l'appel au peuple, dont la conséquence certaine était la guerre civile; il déclara considérer comme des traîtres ou des vendus les partisans de ce lâche expédient qui paraissait alors avoir la majorité en sa faveur : 

« La minorité, s'écrie-t-il, a partout un droit éternel, celui de proclamer la vérité ou ce qu'elle regarde comme tel. La vertu fut toujours en minorité sur la terre. »
Les applaudissements des tribunes furent si éclatants et si prolongés, que le président, pour y mettre un terme, dut se couvrir. Dans sa réponse, Vergniaud renouvela contre le tribun populaire l'accusation de dictature. La « Montagne » l'emporta, et aux divers votes qui eurent lieu, Robespierre se prononça constamment pour la décision la plus rigoureuse et la plus rapide. Il motiva longuement par la doctrine du salut public son vote de mort (3 décembre). Il signala tous les dangers d'un sursis à l'exécution. Il demanda les honneurs du Panthéon pour Le Peletier de Saint-Fargeau, mais combattit la motion de punir de mort quiconque recèlerait l'assassin de ce conventionnel, Il participa à la rédaction du décret sur l'établissement du tribunal révolutionnaire. Il fut élu membre du comité de défense nationale (26 mars 1793), vain essai de conciliation des partis, mais non du premier comité de Salut public (6 avril). Il ne cessa durant quatre mois d'attaquer - souvent par des accusations rétrospectives - les Vergniaud, les Guadet, les Gensonné, etc., comme complices de Pitt, du traître Dumouriez, fédéralistes, orléanistes, etc. Il se défendait d'ailleurs contre les girondins d'être partisan d'une « loi agraire, fantôme créé par les fripons pour épouvanter les imbéciles »;  il sait que « l'égalité des biens est une chimère » et borne ses vues socialistes à « rendre la pauvreté honorable » (24 avril).

Après l'échec de la pétition de trente-cinq sections contre les girondins, Robespierre poursuit la lutte en opposant au projet de Déclaration des droits de Condorcet, un contre-projet qu'il fit adopter aux Jacobins (21 avril) : c'était surtout une machine de guerre. Le 29 mai, à mots couverts, il prêche l'insurrection au sein de sa Société.
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Portrait de Robespierre.
Robespierre.

Le 31, pendant que les sections armées entourent la Convention, il « conclut » en termes terribles contre Vergniaud et ses complices. La journée du 2 juin donna la victoire au parti montagnard, et l'inévitable fusion, dans les insurrections départementales, du parti girondin et du parti royaliste, parut donner raison aux plus hardis et aux plus violents. C'est en vainqueur que Robespierre entra dans le comité de Salut public renouvelé (27 juillet) : il ne s'y occupa spécialement ni d'administration, ni de finances, ni d'approvisionnements, ni d'armée : il se réserva une haute et vague direction politique qu'il exerça pendant un an; de concert avec ses deux intimes, Couthon et Saint-Just : c'est ce qu'on nomma plus tard le « triumvirat ».

La carrière de Robespierre, dans lequel la légende a trop longtemps incarné tout le gouvernement révolutionnaire, ou pour mieux dire la Terreur, est ici en grande partie inséparable de l'histoire générale du comité et de la Convention : faire, de gré ou de force, l'union devant l'ennemi, tel est en particulier son objet. Nul ne pouvait sans doute penser à sauver les chefs du parti girondin; et après la loi des suspects, due à Cambacérès et à Merlin de Douai (17 septembre), il devenait difficile de s'opposer aux excès du terrorisme, soit à Paris, soit surtout dans les départements. Cependant Robespierre profite de sa réputation exceptionnelle d'incorruptibilité pour empêcher la mise en accusation des soixante-treize représentants signataires de la protestation contre le 31 mai; ils furent simplement maintenus en état d'arrestation, et par là même sauvés de la guillotine : ils le reconnurent eux-mêmes. Cette modération relative le fit alors taxer d'indulgence, et c'est pourquoi, dans son rapport du 17 novembre, il se déclare également contraire aux « modérantistes » et aux exagérés. Les premiers se turent: les exagérés se crurent seuls menacés : c'était Hébert, Ronsin, Chaumette, le conventionnel Bourdon de l'Oise, qui tenait le comité tout entier pour suspect, etc., Robespierre condamna la profession d'athéisme d'Hébert comme une opinion aristocratique et destructive de tout lien social. Il lia partie avec Camille Desmoulins, avec Danton qu'il défendit aux Jacobins (3 décembre). Il approuva les deux premiers numéros du Vieux Cordelier (5 et 10 décembre), dirigés contre les «-enragés » de la Commune, et contre les hécatombes politiques. Mais il ne suivit pas ses amis lorsqu'ils se mirent à proposer un comité de clémence, à blâmer les actes du comité de Salut public, à jeter la division entre la Convention et le pouvoir révolutionnaire exécutif qu'elle avait elle-même constitué et armé de toutes pièces. Il demanda, lui, un comité de justice (25 décembre), mais seulement après que la Convention eut prononcé l'arrestation de Vincent, Ronsin et Maillard.  Peut-être par l'influence de Billaud-Varennes et de Collot, on le voit, au début de l'année suivante, rompre ouvertement avec C. Desmoulins (7 j anvier), attaquer Fabre d'Églantine (8 janvier 1794) qui fut peu de temps après arrêté comme compensation, le comité décrète aussi d'arrestation de plusieurs exagérés, .Jacques Roux, Leclerc, etc.

Cette impartialité affectée dans le système de la Terreur est bien le fait de Robespierre, qui en avait posé le principe : et d'ailleurs à la même époque, il donnait comme thème aux délibérations des Jacobins la critique du gouvernement anglais: stratagème académique qui n'échappa pas à la verve de Camille. Il refit le 3 février son discours du 17 novembre, se séparant et de ceux qui veulent changer la liberté en « bacchante », et de ceux qui en font une « prostituée ». Puis, pendant un mois, il s'abstint de venir au comité : les hébertistes furent arrêtés (13 mars), et Héron, chef de la police du comité, fut livré par la Convention (19) : ce dernier décret fut rapporté sur les instances de Robespierre, et comme le coup était parti des « modérantistes », Billaud proposa l'arrestation de Danton. Robespierre s'opposa d'abord à cette mesure, il s'y rallia lorsque ses collègues eurent réussi à faire passer le grand tribun pour concussionnaire. Après l'exécution des hébertistes (24 mars) et le remaniement de la Commune, les comités de Salut public, de Sûreté générale et de législation s'entendirent contre les dantonistes, de la mort desquels (5 avril) il serait injuste de rendre Robespierre seul responsable; toutefois c'est lui, qui, par de perfides procédés d'intimidation, obtint de l'Assemblée leur mise en accusation. Robespierre eut tout l'odieux de ce crime, d'abord parce qu'il avait été l'intime de Danton et de Desmoulins, ensuite parce qu'étant dès lors la personnalité la plus en vue, il sembla, même à ses complices, n'avoir sacrifié ses alliés de la veille qu'à son ambition. S'il eût été homme d'État, et non pas seulement orateur, la première place était libre. Mais il était incapable, quand même les circonstances s'y fussent mieux prêtées, de fonder un gouvernement, durable. Il s'obstina dans son rôle de professeur de morale et de religion, et d'inquisiteur national.

Pour faire oublier le culte de la raison que Chaumette venait de payer de sa tête, il fait, le 7 mai, proclamer par la Convention que « le peuple français reconnaît l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme ». La liberté des cultes est maintenue, mais l'organisation des têtes révolutionnaires apparaît comme le principe d'une nouvelle religion d'État : le 20 prairial an II (8 juin 1794), Robespierre, alors président de la Convention, eut naturellement aussi le premier rang dans la première célébration de la fête de l'Être suprême son attitude, ses discours où il n'était pas question de clémence, ce que l'on redoutait de sa « dictature morale », excitèrent les ,jalousies et les murmures de ses collègues les plus compromis dans la Terreur, tandis que d'avance les pacifiques comme Boissy d'Anglas le comparaient à Orphée. Bien que, par Fleuriot, Pache et Hanriot, il disposât réellement des forces organisées de la Commune, il n'avait pas de motifs de mettre cette force en mouvement, tant que la majorité de la Convention le suivrait. Il la mena fort loin par la peur : sous prétexte que les tribunaux révolutionnaires condamnaient beaucoup plus d'hommes du peuple que de nobles, de pauvres que de riches et cela par suite des moyens de procédures et de corruption dont les coupables puissants savaient user, il proposa de simplifier les formes, d'abord dans l'organisation de la commission populaire d'Orange, puis dans celle même du tribunal révolutionnaire. 

Ce fut la loi du 22 prairial an II, qui permettait entre autres choses, au comité de Salut public, de se passer de l'aveu de la Convention pour mettre en accusation des membres mêmes de cette assemblée. Le lendemain, Bourdon demanda en vain que l'inviolabilité des représentants fut consacrée par la loi : il était un peu tard, et dans les sept semaines qui suivirent, jusqu'au 9 thermidor, la suppression des formalités judiciaires fit, dans Paris seulement, près de 1300 victimes, et si faible que fût la part individuelle de Robespierre dans les poursuites, il en est aussi responsable historiquement que les inventeurs de l'Inquisition peuvent l'être des autodafés. Robespierre était loin cependant d'être le maître des deux principaux comités, celui de Salut public et celui de Sûreté générale; Vergniaud, Danton, avaient laissé des amis jusque-là craintifs. Cette crainte seule lui donnait les voix des membres de la Plaine (centre) qui avaient toujours appartenu au plus fort. Enfin et surtout, la situation extérieure s'améliorait de plus en plus, et la victoire de Fleurus ne laissait plus de prétexte aux plans de dictature.

Pendant que Robespierre, ne sachant que faire de son inutile prestige, s'éclipsait pour ainsi dire de la scène politique, Lecointre préparait, dès le 24 prairial, un projet d'accusation contre le « tyran ». Il s'entendait avec Tallien, Guffroy, Courtois. Dans le comité de Salut public, Billaud, Collot et Barère, qui craignaient les représailles des dantonistes, se laissèrent aussi aisément gagner. Les membres des deux grands comités, sûrs de pouvoir rejeter sur la loi de prairial, par conséquent sur Robespierre, tout grief « d'exagération », évitèrent le reproche « d'indulgence » en livrant une vingtaine de têtes par jour à la guillotine. Au nombre des victimes fut Cécile Renault, accusée sans preuve bien établie d'avoir voulu assassiner Robespierre et qui fit partie d'une « fournée » de cinquante-quatre personnes; Vadier, Vouland et Amar, membres du comité de Sûreté, qui avaient arrangé cette journée dite des Chemises rouges (17 juin), avaient pour objet de rendre plus odieux « le tyran », en répandant le bruit qu'il s'était défait d'un seul coup de tous ceux dont il pouvait craindre les révélations; on ne manquait pas de rappeler en même temps ses anciennes opinions monarchistes. Mais ce fut aussi par la moquerie que Vadier et Barère s'attaquèrent au prétendu dictateur. Il fut ridiculisé à propos d'une folle mystique nommée Catherine Théot, dont il se donna toutefois la peine de sauver la tête par une intervention directe auprès de Fouquier-Tinville. Les partisans et les créatures de Robespierre, entre autres Payan, le pressaient de prévenir ses ennemis. Cependant ceux-ci hésitaient encore, et temporisaient (séance du comité de Salut public, Robespierre présent, 5 thermidor). Mais dès le lendemain, tout en décrétant, toujours dans l'esprit de la loi de prairial, l'établissement de quatre commissions populaires chargées d'activer les jugements politiques dans toute l'étendue du territoire, le comité éloigne de Paris les canonniers d'Hanriot. Robespierre n'a d'espoir que dans la majorité de la Convention. Le 7, une députation des jacobins vint à la barre de l'Assemblée protester que le peuple mettrait sa gloire « à défendre ses représentants jusqu'à la mort ». 

Le 8, Robespierre lut un discours ou, d'une part, il faisait appel à la conciliation, à la modération, et, d'autre part, justifiait l'action du tribunal révolutionnaire, non sans prononcer de terribles menaces. Il ne convainquit et ne rassura personne, car sa conclusion était :

« Punir les traîtres, renouveler les bureaux du comité de Sûreté générale, épurer ce comité, le subordonner au comité de Salut public, épurer le comité de Salut public lui-même, constituer l'unité du gouvernement sous l'autorité suprême de la Convention nationale, qui est le centre et le juge, et écraser ainsi toutes les factions du poids de l'autorité nationale, pour élever sur leurs ruines l'empire de la justice et de la liberté ». 
L'Assemblée vota tout d'abord l'impression et l'envoi aux armées de ce discours. Mais aussitôt Cambon demanda si c'était lui qu'il fallait accuser; et, passant à l'attaque, traita Robespierre de tyran et de dictateur. Billaud-Varennes lui attribua l'unique responsabilité de la loi de prairial, et l'Assemblée, revenant sur sa première décision, renvoya le discours à l'examen des comités, c.-à-d. des membres qui l'accusaient. Le soir, il se rendit aux jacobins, y réédita son discours, puis aurait ajouté ces mots :
« Ce que vous venez d'entendre est mon testament de mort. Je l'ai vu aujourd'hui : la ligue des méchants est tellement forte que je ne puis espérer lui échapper. Je vous laisse ma mémoire : vous la défendrez ».
Il ne paraît pas avoir pensé à un nouveau 31 mai, soit respect de la légalité, soit confiance excessive dans son éloquence, soit faute de réels moyens d'action. Le débat devait se rouvrir le lendemain par la lecture d'un rapport modéré de Saint-Just qui se bornait à demander, le désaveu des manoeuvres de Collot et de Billaud sous forme d'un décret exigeant que tout acte du comité fut revêtu de six signatures. Pendant la nuit, les coalisés resserrèrent leur alliance avec la Plaine, et il fut convenu qu'on empêcherait Saint-Just de lire son rapport, et Robespierre de prendre ou de garder la parole. Le programme fut suivi de point en point. Les cris, les injures et la sonnette du président Thuriot couvrirent la voix de Robespierre, qui ne put se défendre que par des exclamations entrecoupées : 
« Président d'assassins! La République, elle est perdue, les brigands triomphent ! » 
Au mot : « Le sang de Danton t'étouffe », il répartit avec justesse et sang-froid :
 « C'est vous qui l'avez lâchement abandonné!»
L'Assemblée décréta l'arrestation, mais les « triumvirs » avaient quitté la séance. Pendant qu'Hanriot et les forces de la Commune attendaient vainement leur chef, Robespierre se présentait à la prison du Luxembourg, où l'on se refusait à l'incarcérer. Il se fit alors conduire à la police, quai des Orfèvres. Coffinhal l'en enleva presque de vive force pour le conduire à l'Hôtel de Ville où siégeaient ses partisans. Tous furent mis hors la loi. La plupart des sections, même dans les quartiers populaires du centre, étaient indifférentes ou pour l'Assemblée. C'est seulement lorsque approchèrent les forces armées, que Robespierre consentit à mettre son nom au bas d'un appel aux armes, adressé à la section des Piques. Il n'eut que le temps d'en tracer les deux premières lettres : un coup de pistolet tiré par le gendarme Merda, lui fracassa la mâchoire : iI fut horriblement blessé. On le pansa pour le traîner au comité de Salut public, où les « thermidoriens » vinrent à l'envi bafouer « Sa Majesté ». Il fut guillotiné le lendemain, sans jugement, place de la Révolution.

On ne peut juger Robespierre par sa correspondance intime, il n'en a pas laissé. Les Mémoires qui ont paru sous son nom sont apocryphes. Les souvenirs de la veuve du conventionnel Lebas ont permis à son principal historien, Ernest Hamel, de caractériser l'homme privé, qui ne ressemble en rien au monstre de la légende. Dès 1848, Louis Blanc avait fait de l'homme public le héros et le martyr de la Révolution, le précurseur du socialisme. Les fureurs et les calomnies des thermidoriens qui firent une fête publique de l'anniversaire des 9 et 10 thermidor, le réveil subit de l'opinion royaliste et les excès sanglants et hypocrites qui furent présentés par leurs auteurs comme de justes représailles, ne suffisent pas à innocenter la mémoire de Robespierre. Mais il ne faut ni l'abstraire de son milieu, ni oublier la honteuse période qui suivit immédiatement sa mort. Le jugement de Napoléon, que l'on a surnommé «-Robespierre à cheval », mérite d'être cité : 

« Robespierre, dit le Mémorial, était incorruptible et incapable de voter ou de causer la mort de quelqu'un par inimitié personnelle ou par désir de s'enrichir. C'était un enthousiaste, mais il croyait agir selon la justice, et il ne laissa pas un sou à sa mort. Il avait plus de pitié et de conception qu'on ne pensait, et après avoir renversé les factions effrénées qu'il avait eu à combattre, son intention était de revenir à l'ordre et à la modération. On lui imputa tous les crimes commis par Hébert, Collot d'Herbois et autres. C'étaient des hommes plus affreux et plus sanguinaires que lui, qui le firent périr ; ils ont tout rejeté sur lui ». 
(H. Monin).
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Dictionnaire biographique
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