 |
Georgios Gémistos,
dit Gémiste Pléthon est un philosophe byzantin
du XVe siècle, si attaché
à l'école platonicienne qu'il
changea lui-même son nom de Gémiste en celui de Pléthon
parce que le dernier se rapprochait davantage de celui du maître.
C'est un des hommes les plus célèbres de son siècle;
et qui ont exercé le plus d'influence sur la philosophie de cette
époque.
Il était né à Constantinople.
Il assista avec Bessarion et Théodore
Gaza au concile de Florence, qui se tint
en 1438, sous le pontificat d'Eugène IV, dans le but de faire cesser
le schisme d'Orient. Il fut du nombre de ceux qui s'opposèrent avec
le plus d'énergie à la réunion des deux Églises.
Mais plus tard, toutefois avant la prise de Constantinople, banni de son
pays, et obligé de chercher un asile en Italie, il changea d'opinion
et se déclara ouvertement pour les Latins, ce qui lui attira la
haine et le mépris des soutiens de l'Église grecque.
Peut-être cette désertion
n'est-elle pas étrangère à la condamnation et à
la destruction d'un de ses ouvrages, dont nous parlerons bientôt,
par Gennade, patriarche de Constantinople. Admis à la cour des Médicis,
il inspira au chef de cette famille illustre, à Côme l'Ancien,
un goût très décidé pour le platonisme. Instruits
par ses leçons, Pierre et Laurent, l'un fils et l'autre neveu de
Côme, tous deux encore très jeunes; furent gagnés à
la même cause. Enfin ce fut évidemment par ses conseils et
sous son influence que Côme établit cette célèbre
académie
platonicienne, dont Marsile Ficin devint plus
tard la lumière et l'arbitre suprême.
On ignore l'époque précise
de la mort de Gémiste; mais on sait qu'il mourut dans un âge
fort avancé, jouissant d'une réputation immense, qui ne lui
a guère survécu, objet d'un véritable culte de la
part de ses amis, et forçant ses ennemis mêmes à lui
rendre hommage. Ces sentiments ne s'adressaient pas seulement au philosophe,
ou plutôt à l'enthousiaste, au rêveur incertain entre
Platon
et Jésus, mais à l'écrivain, à l'orateur, au
savant universel; car Gémiste Pléthon était tout cela
aux yeux de ses contemporains, et il faut ajouter que ses contemporains
n'étaient pas exigeants, si l'on en juge par les écrits qu'il
nous a laissés.
Cependant il ne faudrait pas tomber dans
l'excès contraire. Gémiste Pléthon mérite à
double titre un certain degré d'intérêt de la part
de l'historien de la philosophie : il fut le promoteur de la querelle qui
éclata vers le milieu du XVe siècle
entre les sectateurs d'Aristote et ceux de Platon;
querelle qui eut pour résultat une étude plus approfondie
des deux systèmes et de la philosophie grecque en général.
Il peut aussi être regardé comme le vrai fondateur, en Occident,
de cet éclectisme renouvelé
de l'école d'Alexandrie, de cette école moitié chrétienne
et moitié païenne, moitié orientale et moitié
grecque, érudite sans critique, mystique et même superstitieuse
sans croyances arrêtées, à laquelle appartiennent les
Marsile Ficin, les Pic de la Mirandole, les Reuchlin, et qu'en plein XVIIe
siècle nous retrouvons en Angleterre, représentée
par Théophile et Thomas Gale, Cudworth et surtout Henry More.
En effet, ce fut le traité de Gémiste
sur la différence de la philosophie de Platon et de celle d'Aristote
(de Platonicae atque Aristotelicae philosophiae differentia, texte
grec, in-4 Venise, 1532 et 1540; avec la trad. latine, in-4, Bâle,
1574; et in-8. Paris, 1541) qui fit d'abord entrer en lice Gennade
et Théodore Gaza. Bessarion, pris pour arbitre,
essaya de calmer les deux partis, et prouva à son maître qu'il
avait été trop loin dans sa préférence pour
le chef de l'Académie. Ce fut alors que Georges de Trébizonde
publia son pamphlet, et que la dispute s'envenima au plus haut degré.
Il faut remarquer toutefois que, malgré l'injustice avec laquelle
il traitait Aristote, Gémiste Pléthon n'a pas dédaigné
de se faire son interprète. On possède encore de lui un commentaire
sur l'Introduction de Porphyre, et un autre
sur les Catégories et les Analytiques .
Quant à l'influence qu'il a exercée
sur l'école dite platonicienne de la Renaissance, elle ne peut pas
être un seul instant mise en question. Elle résulte à
la fois de ses relations avec les Médicis, fondateurs de l'Académie
platonicienne, probablement aussi avec les premiers membres de cette Académie,
et des opinions qu'il soutient dans ses écrits philosophiques, les
mêmes sans doute qu'il enseignait de vive voix, avec cette éloquence
qui a fait une grande partie de sa réputation.
Ces écrits sont : un résumé
des doctrines de Zoroastre et de Platon (Zoroastrorum et Platonicorum
dogmatum compendium, gr. et lat., in-8, Wittemberg, 1719); un recueil
des prétendus oracles de Zoroastre (Oracula magica Zoroastris,
in-4, Paris, 1538, et in-8, 1599); un petit traité sur le destin
et sa correspondance avec Bessarion sur le même sujet (Libellus
de fato. Ejusdemque et Bessarionis epistolae amaebeae de eodem argumento,
gr. et lat., in-8, Leyde 1722); enfin un traité des quatre vertus
cardinales (de Quatuor virtutibus cardinalibus, gr. et lat., in-8,
Bâle, 1552). On y voit clairement que, sous le rapport métaphysique
nous pourrions même dire religieux, l'école d'Alexandrie renferme
son dernier mot. Il en adopte, non seulement l'esprit, mais si l'on peut
s'exprimer ainsi, la lettre, c'est-à-dire la forme païenne,
la personnification symbolique de tous les attributs de Dieu dans les divinités
de l'Olympe. il ne rejette aucune de ses falsifications si nombreuses,
ni de ses prétentions à une antiquité chimérique,
ou à l'honneur de réunir dans son sein toute la sagesse de
l'Orient avec les vraies traditions du platonisme.
C'est ainsi qu'il a recueilli, avec un
respect religieux, les oracles chaldaïques, et qu'il a pris pour base
de son abrégé des doctrines de Zoroastre. un de ces livres
apocryphes si communs alors. Par sa morale, Gémiste
Pléthon appartient autant à l'école
stoïcienne qu'à celle de Platon et des mystiques d'Alexandrie.
Tel est du moins le caractère qu'il nous offre dans son Traité
des quatre vertus cardinales, où d'ailleurs les considérations
les plus sérieuses sont sacrifiées à une régularité
puérile. Mais de tous les ouvrages de Gémiste Pléthon,
celui qui aurait pu nous éclairer le mieux sur ses opinions philosophiques
et religieuses, c'est son livre des Lois, composé à
l'imitation des Lois de Platon, publié quelque temps après
sa mort et détruit par les ordres de Gennade, alors patriarche de
Constantinople, comme hostile à la religion chrétienne.
On dit, en effet, que dans cet écrit
singulier le paganisme, tel qu'on l'expliquait dans l'école de Plotin
et de Proclus ( Néo-Platonisme),
était ouvertement préféré à la religion
du Christ; que les dieux de l'Olympe y conservaient leurs noms et leurs
rangs; qu'on n'y reconnaissait point d'autre morale que celle du Portique
et de l'Académie, et que la politique de Sparte à part quelques
adoucissements apportés a l'éducation de la jeunesse, y était
représentée comme la seule digne d'un peuple intelligent.
On répandit aussi le bruit que l'auteur avait annoncé avant
sa mort, à quelques-uns de ses amis, que Jésus et Mahomet
ne tarderaient pas à être détrônés l'un
et l'autre, et qu'une religion plus digne de l'humanité ferait la
conquête de la terre.
Georges
de Trébizonde assura l'avoir entendu prophétiser en termes
semblables au concile même de Florence.
Ces accusations répandues par les adversaires les plus acharnés
de Gémiste ne doivent pas, sans doute, être accueillies légèrement;
mais on ne les trouve pas invraisemblables, quand on se représente
l'enthousiasme de l'époque pour les questions de philosophie et
de pure érudition; quand on voit, un peu plus tard, Marsile
Ficin recommander au prône la lecture de Platon,
et tirer du système de ce philosophe toutes les consolations qu'il
adresse à une pauvre femme, sa parente, pleurant sur une tombe récemment
fermée. (DSP / V. B.). |
|