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Pélage.
- Quoique le nom et la doctrine de Pélage tiennent une grande place dans
l'histoire ecclésiastique, on n'y trouve sur sa personne que des renseignements
fort insuffisants. Les lieux et les années de sa naissance et de sa mort
ne sont indiqués nulle part d'une manière certaine. On suppose qu'il
naquit vers l'an 370, et on dit qu'il mourut dans une petite ville de la
Palestine, à l'âge de soixante-dix ans. Augustin,
Prosper, Orose, Gennadius
et Mercator s'accordent à le présenter comme Breton. L'indication est
vague. Jérôme ajoute : Habet progeniem Scotiae gentis de Britannorum
vicinia. On en a conclu qu'il était né en Irlande. Le mot Pélage
est évidemment la traduction grecque d'un autre mot. Lequel? On a proposé
le mot Morgan, Marigena, dont les Grecs auraient fait Pelagios.
On prétend même que Pélage avait résidé à Bangor (pays de Galles).
Ces deux dernières conjectures ne sont fondées sur aucune espèce de
documents. De la forme grecque du nom sous lequel il est connu et de divers
autres indices on pourrait induire, avec plus de vraisemblance, qu'avant
de s'établir à Rome, Pélage est allé en Orient, peut-être à Antioche,
et qu'il a ressenti l'influence de la théologie
qui y était enseignée. Il est certain qu'il était moine, du moins en
ce sens qu'il avait conçu et qu'il s'efforçait de réaliser un haut idéal
de perfection ascétique; mais il semble bien qu'il n'appartenait à aucun
monastère .
Il n'avait point reçu les ordres sacrés; car Orose et le pape Zozime
parlent de lui comme d'un laïque. A l'exception de Jérôme, qui lui inflige
la note cléricale, inévitable en l'histoire ecclésiastique, en vertu
de laquelle tout hérétique est nécessairement un homme orgueilleux,
vicieux ou hypocrite en son austérité, tous les adversaires de Pélage
rendent témoignage à la pureté de ses moeurs et à sa piété. Augustin
reconnaît qu'il était généralement considéré comme un saint homme;
Paulin de Nole l'estimait comme un fidèle serviteur
de Dieu .
Une lettre que Pélage écrivit en 415 à une jeune fille, nommée Démétrias,
qui se destinait à l'état monastique, montre l'élévation de ses conceptions
morales.
Il est généralement admis que Pélage
vint à Rome vers 401, qu'il y séjourna jusqu'en 409 et y composa trois
ouvrages : un traité sur la Trinité ,
une collection de passages des Saintes Écritures ,
appelée par Gennadius Eulogiarum liber, et par Augustin Testimoniorum
liber; une Exposition des Épîtres
de saint Paul. En même temps, il professait
la doctrine à laquelle son nom est attaché. Coelestius fut le plus actif,
et il resté le plus célèbre des disciples que Pélage se fit alors.
Il était avocat, auditorialis scolasticus; il abandonna sa profession
pour se vouer à la propagation des idées de Pélage. Il nous semble même
qu'il dut beaucoup contribuer à les développer et à les systématiser;
car en la forme où elles nous sont parvenues, non seulement elles apparaissent
comme la protestation d'un ascète austère contre une théologie qu'il
accusait d'affaiblir chez les humains le sentiment de leur responsabilité
et de fomenter leurs inconséquences et leurs défaillances, en leur présentant
les illusions de la grâce, mais elles sont aussi, peut-être surtout,
la revendication énergique des principes et des règles de justice qui
doivent présider aux sentences des juges, dans les tribunaux terrestres.
Le
pélagisme
La doctrine de Pélage et de Coelestius
concerne les conséquences de la désobéissance d'Adam .
Pour rendre exactement compte des évolutions qu'elle a produites ou occasionnées
dans les dogmes sur cette matière, il est nécessaire d'indiquer quelles
étaient alors les opinions des théologiens.
Tous reconnaissaient que le péché d'Adam
a eu des résultats désastreux pour sa postérité, en ce que tous les
humains sont devenus mortels, en ce que leurs instincts ont acquis une
puissance pernicieuse, et en ce qu'ils ont été plus exposés aux séductions
du Démon .
A ces idées, les docteurs de l'Église latine ajoutaient l'opinion émise
par Tertullien d'une peccabilité héréditaire,
c.-Ã -d. d'une corruption produite par la chute d'Adam et transmise, comme
un héritage, à sa postérité. Hilaire (In Psalmo 118 appelle
cette peccabilité originis vitium.
Cependant, les Pères
de cette Église étaient très éloignés de penser que cette corruption
naturelle a détruit la liberté de l'humain. Ils affirment expressément
que l'Humain a le pouvoir de faire le bien, par sa propre force. Hilaire
(In .Psalmo 118) lui attribue positivement le commencement du bien
: Est quidem in fide manendia Deomunus, sed incipiendi a nobis origo
est. Ils étaient tout aussi éloignés de l'idée que le péché d'Adam
doit être imputé comme faute à ses descendants.
Dans ses premiers écrits et surtout dans
ceux qu'il avait rédigés contre les Manichéens ,
Augustin lui-même s'était montré complètement
d'accord avec les autres docteurs de l'Église latine. Il avait admis un
péché ou vice originel, qui se manifeste dans l'ignorance ou la faiblesse
de l'humain et dans son penchant pour les choses visibles et terrestres,
mais par lequel sa liberté ne se trouve nullement atteinte. Il avait,
au contraire, nettement affirmé (De liberto arbitrio, II, c. 4)
que l'humain peut, par sa propre force, triompher de cet obstacle et vivre
comme il le doit, pourvu qu'il le veuille. Recte vivere homo, cum vult,
potest. Mais avant sa controverse avec Pélage, il s'était déjÃ
tourné vers une opinion plus rigoureuse. Dans la lutte, elle se développa
et parvint à une terrible rigidité.
Le nom et la doctrine du péché ou du
vice originel sont complètement étrangers aux docteurs de l'Église grecque.
Ils s'accordaient bien à reconnaître les funestes effets de la chute
d'Adam pour sa postérité, mais ils ne les concevaient pas comme un état
maladif de l'âme, transmis par la génération. Suivant eux, la nature
morale de l'humain n'a pas été métamorphosée par la chute; mais une
des conséquences de la chute a été d'exposer davantage cette nature
aux tentations des démons, au moyen des convoitises et des passions. A
propos du passage du psaume LI, 7 : "J'ai été engendré dans le péché".
Chrysostome enseigne formellement que l'humain
doit combattre et peut vaincre les convoitises et les passions par l'exercice
de sa raison et la force de sa volonté (Hom. II). Grégoire
de Nysse (De iis qui mature abripiuntur), déclarait que les
enfants n'ont besoin d'aucune purification, puisqu'ils ne sont atteints
d'aucune maladie de l'âme. Athanase assure
qu'il y a eu, avant Jésus ,
un assez grand nombre de saints qui sont restés purs de tout péché.
Il cite, en particulier, Jérémie et Jean-Baptiste.
Ainsi , tous les docteurs et tous les pères
des deux Églises, antérieures à Augustin, affirmaient, de la manière
la plus positive, que la volonté humaine est pleinement libre et capable
de céder ou de résister aux séductions du péché. Non seulement les
Orientaux, mais même les Occidentaux, reviennent fréquemment sur ce sujet,
à l'égard duquel ils s'expriment énergiquement, parce qu'ils considéraient
la liberté humaine comme la condition essentielle de toute moralité.
L'opinion, répandue dans l'Église d'Occident,
que tous les humains ont hérité d'Adam une inclination au péché, qui
les empêche d'arriver au bien, et que, pour cette raison, ils ne peuvent
arriver à la vertu qu'avec la grâce de. Dieu, paraissait à Pélage et
à Coelestius une source d'idées dangereuses pour la morale. Ils croyaient
remarquer que les humains, à qui l'on promettait qu'ils seraient portés
à la vertu par cette grâce, négligeaient les efforts nécessaires pour
l'atteindre. Augustin rapporte qu'un jour (vers
405), Pélage manifesta une vive indignation, en entendant un évêque
citer ces paroles, d'une des prières du livre des Confessions
: Da quod jubes et jube quod vis, donne ce que tu ordonnes, et
ordonne ce que tu veux". II estimait que ces paroles anéantissaient
la liberté de l'humain, et qu'elles faisaient de lui une poupée entre
les mains de Dieu. Pour réagir contre une pareille doctrine, ils lui opposèrent
les propositions qui leur semblaient les plus propres à relever le sentiment
de la liberté, de la responsabilité et de la dignité humaines. Nous
ne savons pas bien quelles étaient ces propositions; mais il est vraisemblable
qu'elles ne différaient point sensiblement de celles qu'ils formulèrent
plus tard. Ils ne furent pas inquiétés à Rome, soit que leur enseignement
y ait en peu de retentissement, soit qu'eux-mêmes eussent été protégés
par le respect qu'inspirait l'intégrité de leur vie. En 309, ils quittèrent
Rome, menacée par l'invasion d'Alaric, et ils
passèrent en Sicile; de là , en Afrique.
Augustin, qui soutenait alors une lutte
ardente contre les donatistes, ne fit ni n'écrivit rien contre eux. Pélage
quitta l'Afrique pour aller en Palestine. En 411, Coelestius, qui était
resté à Carthage ,
sollicita un office de prêtre. Mais Paulin, diacre de Milan,
qui se trouvait dans ce temps-là en Afrique, l'accusa d'hérésie, sur
les sept points suivants :
I. Adam
a été créé mortel; il serait mort, même s'il n'avait pas péché.
II. Le péché
d'Adam n'a fait tort qu'à lui seul, non à toute l'espèce humaine.
III. Les enfants,
à leur, naissance, sont dans le même état qu'Adam, au moment de sa création.
IV. Ni la mort ni
la chute d'Adam n'ont produit la mort de l'espèce humaine, pas plus que
la résurrection du Christ n'a produit la résurrection de tous les hommes.
V. La Loi introduit
les hommes dans le royaume des cieux, aussi bien que l'Évangile.
VI. Même avant la
venue du Christ, il y a en des hommes sans péché.
VII. Les enfants
morts sans avoir été baptisés obtiennent la via éternelle.
Un concile
tenu à Carthage
(412) condamna ces propositions et excommunia Coalestius, quoiqu'il eut
reconnu la nécessité du baptême des enfants, à l'aide d'une distinction
entre le royaume des cieux, où les baptisés seuls peuvent être admis,
et la vie éternelle, que tous les enfants peuvent obtenir.
Augustin n'avait point assisté au concile
qui prononça cette condamnation; mais, en la même année, sur la demande
de son ami Marcellin, que troublaient quelques-unes des assertions des
pélagiens, il fit des sermons pour les réfuter, et il écrivit son traité
De peccatorum meritis et remissione ac de baptismo parvulorum. Il
s'y exprime en termes respectueux sur le caractère de Pélage, peut-être
parce qu'il espérait encore le convertir.
Coelestius avait appelé à l'évêque
de Rome, de la sentence qui le condamnait. Mais au lieu de suivre sur cet
appel, il se retira à Ephèse. En Orient,
où était professée la doctrine que nous avons précédemment relatée,
Pélage avait trouvé un excellent accueil, notamment anprès de Jean,
évêque de Jérusalem. Mais Lazare, évêque
d'Aix ,
Héros, évêque d'Arles, qui avaient été
exilés en Palestine, et Orose, qu'Augustin
avait chargé d'une mission auprès de Jérôme, l'accusèrent d'hérésie,
lui reprochant principalement d'avoir enseigné qu'il était possible Ã
l'humain de vivre sans péché, et d'observer, avec sa seule forcé, les
commandements
de Dieu. La cause fut portée devant un concile assemblé à Jérusalem
(415). Jean y prit parti pour Pélage, et ses adversaires ne purent obtenir
sa condamnation. Pour atténuer l'effet de ce jugement, Orose avait demandé,
ce qui ne pouvait être refusé, que l'affaire fut déférée à l'évêque
de Rome, comme appartenant aux Églises d'Occident. Cependant Lazare et
Héros s'obstinèrent à la poursuivre, dès la même année, en Orient.
Ils relevèrent contre Pélage douze chefs d'accusation, qui furent produits
devant un concile tenu à Diospolis (anciennement Lydda) et présidé par
Euloge, évêque de Césarée. Les cinq premiers reproduisaient des points
sur lesquels Coelestius avait été condamné à Carthage .
Parmi les sept autres, nous ne relaterons que ceux qui se rapportent au
libre arbitre et à la grâce.
«
La grâce et le secours de Dieu ne sont point accordés pour chaque acte
isolément; mais ils consistent dans le don du libre arbitre, dans la connaissance
de la loi divine et de la doctrine chrétienne. - Le libre arbitre n'existe
pas s'il a besoin du secours de Dieu : chacun possède dans sa volonté
le pouvoir de faire ou de ne pas faire une chose. - La grâce divine nous
est attribuée selon nos mérites. - Le pardon est accordé aux repentants,
non en vertu de la grâce et de la miséricorde de Dieu, mais selon leurs
mérites et leurs efforts, quand, par leur pénitence, ils sa sont rendus
dignes de pardon. - La victoire nous vient du libre arbitre, non du secours
de Dieu. »
Pélage déclina toute responsabilité, Ã
l'égard des propositions de Coelestius, qu'on prétendait lui imputer,
et il en approuva la condamnation; mais sur celles qu'il maintint, comme
lui appartenant personnellement, il fut déclaré orthodoxe. Cette décision
indigna Augustin, qui s'efforça de démontrer aux évêques orientaux
(De gestis Pelagii) qu'ils s'étaient laissé tromper par l'éloge.
Mais il ne réussit point à les persuader. Théodore
de Mopsueste, chef de l'école d'Antioche,
répondit :
«
que la mortalité, tout en étant le châtiment du péché, n'en est pas
moins une condition imposée, dès l'origine, à la nature humaine, pour
l'utilité même de l'homme. Quoique affecté par l'influence charnelle,
l'homme est resté libre et responsable de ses actes, Le péché n'est
qu'une transition dans le développement spirituel de l'humanité. Ce développement
doit aboutir au rétablissement de toutes choses. Prétendre que Dieu a
condamné tout le genre humain pour le péché d'un seul homme, c'est lui
attribuer un jugement indigne d'un homme sage et juste. »
Comme nous nous occupons ici de doctrine théologique
plutôt que de procédure canonique, nous ne relaterons point les incidents
des poursuites qui aboutirent à la condamnation définitive du pélagianisme.
Il nous parait suffisant d'en énoncer sommairement les résultats, Le
1er mai 418, un concile de Carthage
confirma et étendit les condamnations prononcées dans cette ville et
à Milève en 412 et 416. Préalablement, Augustin s'était assuré l'appui
du bras séculier. Sur ses instances, Honorius
avait, dès le 30 avril précédent, ordonné au préfet du prétoire de
rechercher et de chasser de Rome tous les partisans du pélagianisme. Alors,
le pape Zozime, qui pendant longtemps était resté fort hésitant, écrivit
une lettre dans laquelle il déclarait adhérer aux décisions des conciles
africains et à la doctrine d'Augustin sur le
péché originel, le baptême et la grade, et invitait les évêques occidentaux
à condamner avec lui l'hérésie pélagienne. Dix-huit évêques italiens
furent bannis par l'empereur, pour avoir refusé de signer ce document.
Le plus célèbre est Julien, évêque d'Esclanum, en Apulie, qui continua
la lutte contre la dogmatique d'Augustin, et réussit à donner à la doctrine
pélagienne une cohésion qu'elle n'avait pas due jusqu'alors. Il dirigea
contre ses adversaires des arguments puissants, auxquels Augustin s'efforça
de répondre dans ses livres De nuptiis et concupiscentia; Contra
Julianum libri VI (421) et son Opus imperfectum.
En orient, le pélagianisme avait été
compromis par la protection qu'il avait reçue de l'école d'Antioche
et par un appel de Coelestius à Nestorius,
quoique cet appel n'eut point été favorablement accueilli. Il fut condamné,
en même temps que cet évêque de Constantinople,
par le concile oecuménique d'Ephèse (431).
Mais comme la sentence ne contenait pas de définition dogmatique sur les
points discutés, les orientaux gardèrent leur doctrine.
Sons l'impulsion de la controverse, Augustin
avait été amené à prendre des positions directement opposées à celles
des pélagiens, et à formuler une doctrine qui constitue le terme définitif
des évolutions de sa pensée. Il nous semble que cette doctrine peut être
ainsi résumée : Adam a été créé complètement libre, en sorte qu'il
pouvait pécher on ne pas pécher. Mais par sa chute, la nature humaine
a été physiquement et moralement corrompue. Les conséquences de cette
chute sont la mort physique, la corruption des instincts (Concupiscentia)
et par suite la révolte de la chair contre l'esprit, la sueur tombant
du front des travailleurs, les ronces et les épines que produit la terre,
les douleurs de l'enfantement, en un mot, tous les maux physiques et moraux.
La concupiscence fait perdre à l'humain
la faculté de choisir le bien, par amour de Dieu, c'est-à -dire de faire
véritablement le bien. Par suite de la perte de cette faculté, il a perdu
la liberté vraie de sa volonté; car il ne lui reste plus que la liberté
d'agir par des motifs sensuels, c.-à -d. de pécher. Cet état de peccabilité
a été transmis par Adam à ses descendants, par la voie de la génération,
si bien que même les enfants s'en trouvent déjà affectés lorsqu'ils
naissent. Le péché originel se manifeste en ce que la concupiscence domine
tellement l'humain qu'il ne se laisse diriger que par elle dans sa conduite:
Augustin affirme, en beaucoup de passages, que le libre arbitre est aboli
par la chute. Il est vrai que l'humain n'en est point privé, au point
d'être lerésistiblement poussé à des actes déterminés par les motifs
de la concupiscence, puisqu'il peut choisir entre plusieurs motifs différents;
mais tous ces motifs proviennent de la concupiscence, et ils sont les seuls
qui opèrent en lui : en fait, il est complètement incapable d'obéir
à un plus noble mobile, et de faire ce qui est agréable à Dieu, uniquement
par amour de Dieu. Comme sa volonté est ainsi enfermée dans un cercle
de considérations impures, il lui manque la liberté qui résulte de la
communion avec Dieu, et qui consiste dans une entière soumission à sa
volonté. En somme, les actes extérieurs de l'humain déchu dépendent
bien de son libre arbitre ; mais non ses motifs. Or, comme ce sont les
motifs qui déterminent le mérite des actions, toutes ses actions sont
nécessairement mauvaises. D'où il résulte que les vertus des païens
ne sont que de brillants péchés.
Non seulement le péché originel souille
par la concupiscence toutes les actions des humains; mais, même avant
toute action, Il en résulte une coulpe qui s'étend sur toute la postérité
d'Adam. En Adam, toute l'humanité a perdu la grâce de Dieu, et a été
soumise à la domination de Satan
et à la damnation éternelle; elle est devenue une masse corrompue, perditionis
massa, en sorte que les enfants nouveau-nés eux-mêmes se trouvent en
l'état de damnation. Pour justifier cette assertion, Augustin
se servait de Ia traduction erronée d'un texte de saint
Paul.
En comparant la doctrine antérieure de
l'Église chrétienne avec les opinions des pélagiens et celles d'Augustin
sur les conséquences de la désobéissance d'Adam, on pout constater que
les pélagiens s'écartaient de cette doctrine, en refusant presque complètement
d'admettre que cette chute ait eu des conséquences funestes pour la postérité
d'Adam ; en niant même pour la plupart que la mortalité fut une de ces
conséquences, et en enseignant que la pratique du bien était aussi facile
aux descendants d'Adam
qu'à Adam lui-même avant son péché. Tandis que les premiers docteurs
de l'Église
admettaient généralement, non seulement que la mort
est une conséquence du péché d'Adam, mais que les convoitises et les
mauvais penchants avaient acquis par suite de ce péché une plus grande
puissance sur l'humain, devenu depuis lors beaucoup plus exposé à la
séduction des démons .
Le système d'Augustin s'écartait plus
encore de l'ancienne doctrine. Car l'idée d'un vice originel n'était
admise que par les docteurs de l'Occident, non par ceux de l'Orient. En
outre, l'opinion qu'avec ce vice se transmettait une coulpe suffisant Ã
elle seule, pour rendre l'humain passible de la damnation éternelle, n'avait
jamais été enseignée jusqu'alors. Ce qui n'était pas moins nouveau,
c'était l'idée d'Augustin de refuser à l'humain toute liberté et de
le déclarer réellement incapable de faire aucune espèce de bien devant
Dieu. Car jusqu'alors les Orientaux et les Occidentaux s'étaient accordés
sur l'affirmation de la liberté de l'humain.
On a attribué, non sans quelque apparence
de raison, la tendance d'Augustin à l'empreinte qu'il avait gardée de
ses anciennes accointances avec le manichéisme
(V. t. 1V, pp. 664-666; t. XXII). Sans doute, il s'était éloigné essentiellement
du système manichéen, en ce qu'il ne concevait plus le mal comme une
substance, ni comme la création spéciale d'un être mauvais ; mais il
paraît aboutir à des résultats analogues, en montrant la terre et l'humain
en particulier, dominés par le mal, en enseignant que le péché exerce
une puissance invincible sur la volonté humaine, et que l'humain doit
nécessairement succomber au mal. Une particularité qui semble attester
le retour inconscient d'Augustin vers la doctrine manichéenne, c'est que
dans le temps où il la combattait, il insistait résolument sur la valeur
et la puissance du libre arbitre, tandis que, en ses dernières années,
au temps de la lutte contre les pélagiens, ii ne calmait plus que la grâce
divine, indépendante de tout fait initial et de toute résistance provenant
de l'humain qui en est l'objet (
Prédestination).
Semipélagianisme.
Même en Occident, malgré les décisions
des conciles et des papes, la doctrine d'Augustin ne parvint point à dominer
généralement. Les moines surtout s'en trouvaient blessés ou inquiétés
; car ils s'imaginaient non seulement accomplir tous les commandements
de Dieu, mais même faire plus que Dieu n'exigeait d'eux; tandis que cette
doctrine leur déclarait que l'humain ne peut absolument rien faire par
sa propre force. Ce fut dans un couvent d'Adrumète (Afrique) que se manifesta
la première opposition. Mais à Marseille, il s'en forma une autre, plus
durable et plus raisonnée, à laquelle. Jean Cassien,
disciple de Chrysostome, prit la part la
plus importante. Il enseignait que la mort et les maux physiques sont des
conséquences de la chute d'Adam ; mais que cette chute n'avait point retiré
à Adam l'intelligence, la sagesse et la connaissance de la nature dont
il avait été doué. Il les avaitt transmises à la postérité de Seth .
Les descendants de Seth ne les perdirent que par suite de leurs mariages
avec les descendants de Caïn .
Dès lors, ils furent entraînés à toutes sortes d'erreurs, de superstitions
et de désordres; et la promulgation d'une loi écrite devint nécessaire.
D'autre part, les avantages moraux de l'humain, spécialement ceux qui
reproduisent en l'humain l'image de Dieu, tels qu'une entière liberté
de volonté et l'absence complète d'antagonisme entre l'esprit et la chair,
avaient certainement été fort amoindris par la chute; mais ils n'avaient
pas été anéantis. Cassien ne niait pas le péché originel; mais il
ne le concevait point, ainsi qu'Augustin, comme la cause d'une corruption
complète; il n'y voyait que l'affaiblissement de la nature morale de l'humain;
il prétendait même que cet affaiblissement provenait non uniquement de
la chute d'Adam, mais aussi de la dégénérescence résultant des unions
des descendants de Seth avec les descendants de Caïn. Ainsi, suivant lui,
la liberté existe toujours dans l'humain; il peut, de son propre mouvement,
commencer le bien; mais pour y persévérer, il a besoin de la grâce divine.
Ces opinions eurent beaucoup de succès dans la Gaule méridionale, particulièrement
à Marseille et dans les environs de cette ville. C'est pourquoi Augustin,
qui les combattit dans ses dernières années, donnait à ceux qui les
professaient le nom de Massiliens, auquel les scolastiques
substituèrent plus tard celui de Semipélagiens; fort inexactement, car
ces théologiens relevaient, non de Pélage, mais des docteurs et des pères
de l'Église antérieurs à Augustin.
Les réfutations d'Augustin et l'attaque
plus violente encore de Prosper d'Aquitaine
ne paraissent point avoir en alors de succès en Gaule. La plupart des
théologiens gaulois, notamment Vincent de
Lerins ,
Fauste de Riez, l'auteur anonyme d'un livre intitulé Praedestinatus,
adhérèrent au sémipélagianisme. Ce fut précisément en repoussant
(Commonitorium pro cathoticae fidei antiquitate et universalitate adversus
profanas omnium haereticorum novitates) les nouveautés que l'Augustinisme
introduisait dans la foi traditionnelle de l'Église, que Vincent de Lérins
définit les caractères essentiels de cette foi : quod semper, ubique
et ab omnibus creditur. Par respect pour Augustin,
ils repoussaient sa doctrine sous le nom de prédestinianisme. Les membres
d'un concile tenu à Arles en 475 signèrent le traité de Fauste De
Gratia Dei et humana mentis, libero arbitrio. Mais en 520, des moines
scythes excitèrent les évêques africains; exilés en Sardaigne, à prendre
la défense d'Augustin contre Fauste, mort depuis longtemps. L'un d'eux,
Fulgence, évêque de Ruspa, écrivit dans ce but un traité De veritate
praedestinationis et gratia Dei. Il réussit à faire confirmer la doctrine
augustinienne par un concile assemblé à Orange en 529. Dès lors, le
semipélagianisme se trouva condamné, même en Gaule; théoriquement du
moins, car en fait, l'Église catholique ,
sans le professer, a toujours été contrainte de l'appliquer en sa doctrine
sur le mérite des oeuvres, surtout des oeuvres surérogatoires. (E.-H.
Vollet). |