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Napoléon
avait usé la France. La servilité prolongée du Sénat,
loin
de préserver son autorité, la rendait plus odieuse encore.
Le Corps législatif, où depuis Longtemps, dans le huis clos
des commissions, les « idéologues » s'exprimaient librement,
recouvra soudain la parole : une adresse encore respectueuse dans la forme
suppliait l'empereur de ne penser qu'à la paix. Il s'emporta contre
une aussi tardive opposition, et s'indigna, non sans raison, des bonnes
intentions que les députés supposaient à la coalition
vis-à-vis de la France. Entre lui et la nation, la solidarité
était entière; la passivité de l'une avait trop longtemps
absous et glorifié l'omnipotence de l'autre.
«
La France, écrit Guizot, était une
nation de spectateurs harassés, qui avaient perdu toute habitude
d'intervenir dans leur propre sort, et qui ne savaient quel dénouement
ils pouvaient espérer ou craindre de ce drame terrible, dont ils
étaient l'enjeu. »
Metternich eut encore une fois l'habileté
de mettre de son côté l'apparence de la modération
en proposant vaguement de traiter sur la base des limites de 1795 (mission
de Saint-Aignau); mais le prétendu congrès de Francfort fut
vite rompu, et Murat prit prétexte de cette « folie »
pour se ranger du côté de l'Autriche. La levée des
300000 célibataires, décrétée en novembre 1813,
ne rencontra presque partout qu'inertie ou révolte ouverte (Provence,
Vendée, Bretagne). Seules, les populations les plus directement
menacées, les paysans de l'Est, se souvinrent de 1792. Au milieu
d'une telle lassitude, les proclamations de style révolutionnaire,
que l'empereur adresse aux «-citoyens
français-», sonnent faux et dénoncent
le désarroi politique et militaire. L'armée de la levée
en masse ne dépassa pas 40000 à 60000 hommes; ces aveugles
défenseurs du sol natal, qui croyaient encore aux miracles du patriotisme,
se serrèrent autour du chef que trahissait une partie de sa famille,
que vilipendaient presque tous ceux qui avaient grandi avec lui en fortune
et en dignités, et dont il était comme la raison sociale.
Si le génie militaire de ce chef avait parfois subi des éclipses,
on peut dire qu'il retrouva tout son éclat dans la campagne de France,
et cet éclat put se faire jour à cause même de la hâte
que ses adversaires avaient d'en finir, de leur confiance d'ailleurs fondée
dans le dénouement final, enfin de leur concert devenu incertain,
depuis que ce dénouement n'était plus douteux, même
sans doute pour Napoléon lui-même. La campagne eut pour principal
théâtre la Champagne et l'lle-de-France
où les accidents de terrain sont déterminés surtout
par l'emboîtement semi-circulaire du tertiaire dans le crétacé
(Fontainebleau, Montereau, Sézanne,
Vertus, Epernay, Reims, Berry-au-Bac, Laon).
En janvier 1814, Bernadotte
est dans les Pays-Bas (100000 hommes);
Blücher (60000) a passé le Rhin au château
de Pfalz, près de Mayence, avec
Nancy
comme premier objectif; Schwarzenberg (160000) arrive par Bâle,
afin de marcher sur le plateau de Langres.
Celui-ci n'a rien à craindre sur sa gauche, car la neutralité
de la Suisse n'arrête pas les Autrichiens.
Bubna et Bellegarde (80000 hommes) tournent le Jura et menacent Lyon. Quant
au sud-ouest, ni Suchet, ni Soult
ne peuvent défendre la frontière pyrénéenne
contre les 160000 Anglo-Espagnols de Wellesley. Dans de telles conditions,
c'est pour l'honneur que Napoléon combat.
L'armée de Bernadotte fut quelque temps arrêtée par
Maison en Belgique, ou occupée à des sièges, et l'empereur
n'a d'abord devant lui que Blücher (sur la Marne) et Schwarzenberg
(sur la Seine); au premier, il oppose Marmont, Mortier et Macdonald; au
deuxième, Victor et Oudinot; lui-même manoeuvre dans l'intervalle,
avec Ney et la garde. Blücher est battu à
Saint-Dizier
(27 janvier) et à
Brienne (29), mais
Schwarzenberg accourt, et gagne avec Blücher la victoire de la Rothière
(1er février) qui n'empêche
toutefois pas Napoléon de se replier sur Troyes. Mais ses deux adversaires,
la route de Paris étant presque libre,
se séparent pour allonger plus commodément leurs colonnes,
et reprennent leur marche, l'un par la Marne, l'autre par la Seine et l'Aube.
A l'avant-garde de Blücher, York se hâte fiévreusement
vers Château-Thierry, afin d'achever
Macdonald; suivaient Sacken, près de Montmirail, Olsouviev à
Champaubert, Blücher lui-même à Etoges (vallée
du Petit-Mocin); Napoléon prend par Sézanne, met en déroute
le troisième de ces corps à Champaubert (10 février),
repousse Sacken à Montmirail (11), York à Château-Thierry
(12) et, lorsque Blücher se porte au secours de ses lieutenants, il
lui épargne les deux tiers du chemin en se reportant à sa
rencontre à Vauchamps (14).
L'armée de Silésie
était désorganisée, mais l'empereur n'avait pas les
forces suffisantes pour empêcher les morceaux de se rejoindre, car
il lui fallait immédiatement penser à Schwarzenberg, que
Victor et Oudinot n'avaient pu arrêter et dont l'avant-garde atteignait
Fontainebleau.
Napoléon
revient donc sur la Seine par Meaux et Guignes,
bat des corps isolés à Mormant, Nangis et Dannemarie (16
et 17); mais l'ennemi est averti et replie son avant-garde de Fontainebleau
sur Montereau, où le maréchal Victor arriva quelques heures
plus tard. Un brillant combat nous rendit le pont de Montereau et la ville,
et les Autrichiens reculèrent encore ,jusqu'à Méry-sur-Seine,
où l'empereur battit un corps prussien venu à leur aide (22),
puis sur Troyes et Chaumont. Cependant Blücher s'était reformé,
mais, lorsque Napoléon revient sur lui, le général
prussien ne l'attend pas dans la vallée de la Marne; averti de l'arrivée
de l'armée du Nord, il cherche à la joindre dans la vallée
de l'Aisne. L'empereur comptait sur la place de Soissons pour l'arrêter
au passage mais Bülow et Wintzigerode venaient de prendre Soissons,
et Blücher fut sauvé. Napoléon remonte encore la rive
gauche
de l'Aisne, qu'il franchit à Berry-au-Bac, afin d'aborder par le
sud-est le plateau de Laon. Blücher est encore débusqué
de Craonne, avant-terrasse de ce plateau (7 mars), mais Laon, garni de
80000 hommes, est imprenable (9 et 10 mars).
Un coup de main dégage Reims pour
quelques jours. Mais l'expérience a profité aux alliés.
Blücher et Schwarzenberg restent désormais en contact et remportent
la victoire décisive d'Arcis-sur-Aube
(20 et 21 mars). Pendant cette campagne avait été tenu le
dérisoire congrès de Châtillon,
rompu dès le 10 mars, Napoléon
ayant refusé d'accepter les limites de 1792. Le jour même
de la défaite suprême, l'empereur apprit par Caulaincourt
la signature du traité de Chaumont,
par lequel les puissances s'engageaient à rétablir Louis
XVIII. Napoléon crut encore pouvoir tenir la campagne en se
portant à Saint-Dizier (26 mars); mais les alliés le négligent
et continuent leur marche. Paris n'avait que
des fortifications improvisées. Après L'héroïque
combat de La Fère-Champenoise, où se distinguèrent
les « Marie-Louise », les alliés s'emparent, sur Moncey,
Marmont et Mortier, des hauteurs de Romainville et de Montmartre,
et Marmont, qui veut éviter à une ville désormais
ouverte les horreurs de la guerre, signe la capitulation de Paris, le 30
mars. Lyon, sous le commandement d'Augereau, avait capitulé. Le
12 mars, le duc d'Angoulême était entré à Bordeaux,
où le maire Lynch et les Anglais proclamèrent Louis XVIII.
Enfin, malgré une bataille sanglante livrée par Soult (10
avril), Toulouse ouvrit ses portes aux Anglo-Espagnols.
-
Le
Duc d'Angoulême.
La Régence établie, à
tout événement, dès le 23 janvier (Marie-Louise, Joseph,
Cambacérès,
Montalivet, Clarke, Savary), n'avait rien fait ou pu faire, soit pour coordonner
la défense de Paris, soit pour mettre
réellement en sûreté les précieux otages sur
lesquels comptaient les alliés, Marie-Louise et le roi
de Rome (lettre de Napoléon à
Joseph, 16 mars), ni pour s'opposer aux intrigues royalistes dont l'hôtel
de la rue Saint-Florentin était devenu le centre. L'empereur était
revenu en toute hâte, par la rive gauche de la Seine, du côté
de Paris; il apprit, à Fromenteau, la convention signée par
Marmont. Il partit pour Fontainebleau,
pendant que Talleyrand prépare un gouvernement provisoire avec Beurnonville,
Jaucourt, Dalberg, Montesquiou; Joseph, Marie-Louise et le roi de Rome
s'étaient enfuis à Blois. Le
31 mars, les alliés entrèrent à Paris, qui fut traité
avec une extrême modération : la rente monta de 2,50 F. Alexandre,
au nom des souverains, proclame :
«
qu'ils ne traiteront plus avec Napoléon Bonaparte,
ni avec aucun de sa famille; qu'ils respectent l'intégrité
de l'ancienne France, telle qu'elle a existé sous ses rois légitimes;
qu'ils peuvent même faire plus; [...] que, pour le bonheur de l'Europe,
il faut que la France soit, grande et forte; qu'ils reconnaîtront
et garantiront la constitution que la nation française se donnera
».
Dès le lendemain, le conseil départemental
et municipal de la Seine publie la première proclamation royaliste
officielle :
«
[...] Nous abjurons toute obéissance envers l'usurpateur pour retourner
à nos maîtres légitimes» (11 avril).
Le Sénat institue le gouvernement provisoire
déjà formé en secret par Talleyrand. Le gouvernement
confère au général Dessolles le commandement de la
garde parisienne et du département de la Seine, et « dégage
» les armées françaises de leurs serments à
Napoléon,
déclaré déclin en raison des nombreuses violations
de la Constitution de l'an XII que les considérants énumèrent
avec complaisance. Marmont, qui s'était retiré sur l'Essonne,
traite avec Schwarzenberg : les troupes qu'il a sous ses ordres se retireront
en Normandie; si Napoléon tombe
entre les mains des alliés,
«
sa vie et sa liberté lui seront garanties [...] dans un pays circonscrit,
au choix des puissances alliées et du gouvernement français
».
Napoléon,
qui avait d'abord cru pouvoir négocier (échec de Caulaincourt),
qui avait pensé ensuite à faire sur la Loire ou ailleurs
la guerre de partisans, se voit abandonné. Le 4 avril, il abdique
en faveur du roi de Rome. Le tsar exigea une abdication sans condition,
qui fut signée le 5. Mais le 6 avril, le Sénat, après
avoir voté à la hâte et sans droit aucun une constitution,
appelle au trône Louis XVIII; l'empereur,
cette fois, s'imagina que ses généraux (Oudinot, Berthier,
Macdonald, Ney, etc.) se joindraient à lui par intérêt
bien entendu; il fut cruellement détrompé; rédigea
une troisième abdication, celle-là définitive (11
avril); le même jour, le tsar lui faisait attribuer la souveraineté
de l'île d'Elbe, avec 2 millions et demi de pension et une garde
de 400 hommes, cela malgré les craintes de l'Angleterre
et de l'Autriche.
François
Ier exigea
d'ailleurs que Marie-Louise et son fils se rendissent à Vienne et
non à l'île d'Elbe. Après les célèbres
adieux de Fontainebleau (20 avril),
le souverain déchu partit lentement pour l'île d'Elbe, en
voiture, non sans être insulté dans le Midi et menacé
même dans sa vie. Il y trouva d'abord un repos indispensable, une
meilleure santé, affecta d'oublier le passé et de vivre en
« juge de paix ». Aux Anglais de passage, il faisait l'éloge
des institutions de leur pays. Mais pendant le Congrès
de Vienne, il fut question de le déporter en Afrique;
il ne manquait plus au protocole que la signature d'Alexandre.
Averti par les amis des mauvais jours, personnages secondaires pendant
la période de gloire, Fleury de Chaboulon, Lavallette, Regnault-de-Saint-Jean-d'Angély,
confiant dans le résultat sur l'opinion française des fautes
commises par la première Restauration, mal surveillé, peut-être
à dessein, par l'escadre anglaise, Napoléon quitta l'île
d'Elbe (1er mars 1815), rallia les corps
envoyés contre lui (La Bédoyère, Ney) et rentra aux
Tuileries
le 20 mars.
On appelle les Cent-Jours,
la période qui va du 20 mars 1815, date à laquelle Napoléon
ler, revenu de l'île d'Elbe, arriva
à Paris, et le 28 juin 1815, date de
la réintégration des Bourbons .
C'est le préfet de Paris M. de Chabrol,
qui, en recevant le 8 juillet, Louis XVIII à la barrière
de Saint-Denis, prononça dans sa
harangue cette expression des Cent-Jours, devenue historique.
(H.
Monin). |
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