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Napoléon
qui avait envahi l'Espagne
en 1807-1808, s'y était trouvé confronté à
une résistance inattendue, qui l'avait embourbé dans une
guerre devenue rapidement comme une plaie dévorante qui consumait
la plus pure substance de ses armées. L'exemple de l'héroïsme
espagnol ne fut pas perdu pour l'Allemagne .
La « Ligue du courage » (Tugendbund) réunit peu
à peu dans les mêmes espérances nationales les jeunes
gens des universités. Les 40000 hommes de l'armée prussienne
sont renouvelés tous les ans; les grades y deviennent accessibles
aux roturiers. Quant à l'Autriche ,
en paix depuis quatre ans, elle s'illusionne sur la valeur de ses chefs
et de ses troupes. Elle compte sur la rupture de l'accord franco-russe;
elle trouve des subsides à Londres,
arme fiévreusement et forme avec les pays, déjà en
lutte contre la France ,
la cinquième coalition. Mais le conseil aulique de la guerre conserve
la haute main sur les opérations militaires, et, comme dans les
campagnes précédentes, accumule les fautes et les ordres
donnés à contre-temps.
L'Autriche avait cependant, suivant son
compte, plus de 500 000 hommes sous les armes, y compris la landwehr,
et la France n'en avait pas la moitié en ligne, même avec
les contingents de la Confédération. En Italie ,
le prince Eugène, battu à Sacile, résiste péniblement
à l'archiduc Jean, derrière le Livenza. En Allemagne, l'archiduc
Charles passe l'Inn à Braunau ,
la Salza à Bürghausen; le maréchal Berthier,
en l'absence de Napoléon, engage mal à propos le corps du
maréchal Davout, encore isolé sur
Ratisbonne;
Davout, de qui dépend en ce moment le sort de la campagne, n'hésite
pas à désobéir au chef de l'état-major et opère
une marche de flanc de cette ville sur Abensberg ;
à Tann, il arrête le choc de l'armée autrichienne,
et fait sa jonction avec le corps bavarois .
L'armée autrichienne
est ainsi coupée en deux parties, dans des directions contraires.
L'empereur arrive le lendemain (20 avril), bat l'archiduc Louis avec le
général Hiller à Abensberg, puis à Landshut
(21) et atteint l'archiduc Charles à Eckmühl; celui-ci, après
une honorable défensive, quitte sa position, mais prend Ratisbonne
aux Français; il se retire au Nord du Danube en laissant 2000 prisonniers
(22); le lendemain, Ratisbonne, qui n'a que de vieilles fortifications,
est reprise d'assaut et partiellement incendiée. Napoléon
fut légèrement blessé dans cette affaire.
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Napoléon
harangue les troupes bavaroises et wurtembergeoises à Abensberg
(20 avril 1809).
L'armée passe l'Inn, puis, sur deux
ponts de bois improvisés, la Salza, sans que l'ennemi fasse mine
de s'y opposer. Masséna, au Nord, avait traversé Passau et
rejetait les corps autrichiens du côté des défilés
de Bohème, afin de ménager à l'empereur la route la
plus directe sur Vienne, route qui ne présente plus comme obstacles
que les restes des corps de l'archiduc Louis et du général
Hiller, et quelques hauteurs comme celle d'Ebersberg, à l'assaut
de laquelle 5000 hommes sont inutilement sacrifiés, au moment même
où Lannes réussissait à tourner cette position (4
mai). Le 13 mai, après un bombardement de deux jours Napoléon
entrait à Vienne. Le prince Eugène avait réparé
son échec du début par les victoires de Caldiero et de la
Piave sur l'archiduc Jean. C'est de Vienne que l'empereur data le décret
du 17 mai, par lequel l'État romain
était réuni à l'Empire français; le pape conservera
la faculté de résider à Rome, avec un revenu de 2
millions. Dans les considérants, Napoléon
allègue que l'influence exercée dans son empire par un prince
étranger, contrairement à ses vues, est menaçante
pour sa sûreté, et c'est pourquoi il révoque la donation
faite à l'évêque de Rome par «-Charlemagne,
son illustre prédécesseur ».
La campagne de 1809 avait bien commencé
pour Napoléon; mais elle était
loin d'avoir eu les résultats presque foudroyants de la campagne
de 1805. Cette fois, les ponts du Danube avaient été coupés
au Nord de Vienne. Il fallut franchir ce fleuve en présence de l'archiduc
Charles, qui, de Bohème
avait passé en Moravie .
Napoléon occupe en aval de Vienne la grande île Lobau et essaie
vainement, les 21 et 22 mai de déboucher sur la rive gauche. Une
crue du fleuve ayant rompu les ponts jetés de la rive droite sur
l'île, Lanne et Masséna se trouvèrent isolés,
l'un à Aspern, l'autre Essling, et les deux maréchaux durent
opérer leur retraite dans l'île Lobau, sous les feux convergent
de l'artillerie autrichienne. Lannes fut mortellement blessé. Pendant
un mois et demi, l'empereur fortifie l'île Lobau pour éviter
toute surprise; il appelle à lui Eugène et Macdonald, d'Italie
Marmont, de Dalmatie
Charles rallie l'archiduc Jean, battu au Raab par Macdonald (14 juin),
et l'archiduc Ferdinand, qui avait pris Varsovie .
Mais la fausse attaque sur Aspern et Essling (Masséna) trompa l'archiduc
Charles, qui perdit, le 5 juillet la bataille de Wagram .
Dans le reste de l'Allemagne ,
les soulèvements partiels et spontanés du duc de Brunswick-Oels,
du major Schill, avaient été réprimés. Le maréchal
Lefebvre avait eu raison du Tyrol ,
révolté à la voix de l'aubergiste patriote et mystique,
Andreas Hoefer Toutefois, l'armée de l'archiduc Charles se retirait
en bon ordre le 6, et était arrivée à Znaïm sans
se laisser entamer, lorsque l'empereur d'Autriche
prit subitement le pari de demander la paix. Une suspension d'armes est
conclue et les Autrichiens se retirent en Bohème .
Il est vrai que la Russie
avait déclaré, assez tard (3 mai), la guerre à son
alliée d'Austerlitz, mais la seule
intention d'Alexandre était d'épier
la marche des Polonais
de Poniatowski, plutôt que de les soutenir contre l'archiduc Ferdinand.
L'archiduc Charles, qui pensait pouvoir très bien attirer en Bohème
le gros des forces françaises et les user par une guerre de partisans,
pendant que Vienne se soulèverait et appellerait les Hongrois
au secours de la monarchie, ne l'emporta pas auprès du conseil aulique
et déposa le commandement.
L'empereur des Français
sacrifiait les vies humaines à la conquête des territoires;
l'empereur d'Autriche
aimait mieux perdre du terrain que des soldats. Le 14 octobre fut signé
le traité de Vienne. L'Autriche cède à la France Goritz,
Montefalcone, Trieste, le cercle de Villach
en Carinthie ,
et tous les pays situés à droite de la Saxe jusqu'à
la frontière turque
(cette région, avec la Dalmatie ,
forma les sept provinces illyriennes ).
Le roi de Bavière
reçoit Salzbourg. Le roi de Saxe recouvre entièrement le
duché de Varsovie, qui est agrandi de la Galicie
occidentale (Cracovie) et du cercle de Zamox
dans la Galicie orientale. La Russie
gagne, à bon compte, le reste de la Galicie orientale (500 000 âmes
environ). François Ier,
reconnaît tous les changements survenus « ou à survenir
» du fait de Napoléon, en Italie ,
en Espagne
et Portugal .
Il adhère au système continental.
A Rome, le décret de réunion
avait été promulgué le 10 juin. Le 11, Napoléon
fut excommunié. Le pape s'exprime comme un Grégoire
VII ou un Innocent III :
«
Que les souverains apprennent encore une fois, porte la bulle, qu'ils sont
soumis par la loi de Jésus-Christ
à notre trône et à notre commandement. Car nous aussi
nous exerçons une souveraineté, et qui est bien plus noble
: à moins que l'on ne prétende que l'esprit doit céder
à la chair, et les choses du ciel à celles de la terre. »
L'empereur, exaspéré, donna
l'ordre à Miollis et à Murat de transférer le pape
hors de Rome. Le château Saint-Ange, où il s'était
réfugié, fut occupé par le général Radet
(6 juillet). Pie VII fut enlevé nuitamment, en voiture; il fut envoyé
d'abord à Grenoble, puis à
Savone, où il fut gardé à vue, sans autre liberté
que de dire sa messe. Napoléon augmenta
sa pension et écrivit au prince Eugène :
«
Vous avez appris le bien que je viens de faire au pape. »
Du moment que le pape eut perdu son pouvoir
temporel, il ne plia plus devant Napoléon
dans les questions religieuses.
Le bourbier espagnol.
Dans la Péninsule ibérique ,
la campagne de 1809 avait bien débuté ; toutefois, Wellesley
refit son armée, rejeta Soult
en Galice, et poussa sur la route de Madrid
jusqu'à Talavera de la Reina, ou Joseph
Bonaparte lui livra une bataille indécise (17 juillet) : mais
Mortier, Victor, Soult, Sébastiani opérèrent des mouvements
convergents; Sébastiani fut vainqueur à Almonacid, Soult
à Ocaña, et les Anglo-Espagnols regagnèrent le Portugal ,
où ils se maintinrent (novembre). En 1810, au lieu de les en chasser,
tout l'effort de la campagne se porte sur les provinces méditerranéennes
et sur l'Andalousie ,
dont les ressources supérieures, la fertilité relative, le
climat attirent et fixent généraux et soldats. Il n'y a pas,
il ne pouvait guère y avoir de plan d'ensemble. Soult, major général,
agit à sa guise dans la vallée du Guadalquivir ,
où il aspire à un établissement particulier. Suchet
s'est réservé le bassin de l'Ebre. Masséna tient à
grand-peine, sous sa main, des lieutenants non moins ambitieux, Ney,
Reynier, Junot surtout qui avait commandé en chef. Tous escomptent
plus ou moins une parole imprudente que Napoléon
avait laissé échapper à Madrid, dans un discours public
(15 décembre 1808) :
«
Il me serait facile de gouverner l'Espagne ,
si j'y étais obligé, en y établissant autant de vice-rois
qu'il y a de provinces. »
Soult, occupé au siège de Cadix ,
reçut l'ordre de soutenir Masséna dans une nouvelle offensive
contre Wellesley; il se contenta de prendre Badajoz ,
et Masséna, qui avait emporté Almeïda et Coïmbra,
afin de tourner par la vallée du Mondego et par le littoral le bassin
inférieur du Tage, ne put forcer les lignes que le général
anglais avait établies à loisir au Nord de Lisbonne,
à Torres Vedras (octobre 1810 février 1811), se retira
par la route qu'il venait de conquérir pied à pied, et fut
battu (3 mai) à Fuentes de Oñoro. La campagne de Suchet en
Catalogne ,
où il occupait Lerida, Tortosa, Tarragone, et dans la vallée
du Guadalaviar
(prise de Valence), ne servait à rien, si pénible et si glorieuse
qu'elle fût, pour couper les communications des patriotes de la péninsule
avec les Anglais, d'où venaient les armes, les munitions, les subsides
et les chefs les plus expérimentés. Cette situation pénible
et incertaine, les pertes de plus en plus cruelles des armées napoléoniennes,
la gravité, au point de vue de l'opinion catholique, des querelles
avec le pape, déterminèrent l'Empereur à chercher,
en Europe ,
une alliance plus voisine et plus sûre que celle de la Russie .
(H.
Monin). |
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