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Au
service des papes
Le 1er
novembre 1503, après la mort de Pie III, le cardinal Julien della
Rovere devenait le pape Jules II. Cet homme puissant séduisit Michel-Ange
qui, attiré par lui, revint à Rome en 1505. Il semblait que
quelque chose de grand dût naître à la rencontre de
ces deux intelligences, et Michel-Ange fut ému de joie quand au
mois d'avril de cette année Jules Il lui commanda son monumental
tombeau. Il vit l'oeuvre colossale à faire sans prévoir aussitôt
les innombrables misères dont allait être l'occasion pour
lui ce tombeau qui ne devait se terminer qu'en 1545, si différent
de ce qu'il avait entrevu d'abord avec les quarante-deux figures dont il
devait le composer, sans prévoir les quarante années qu'allait
durer pour lui la tragedia della sepultura. Il partit de suite pour
Carrare où d'abord il passa huit mois à chercher des marbres
et à en dégrossir plusieurs afin de diminuer les frais de
transport; et quand les marbres arrivèrent à Rome, ils remplirent
la moitié de la place Saint-Pierre. Michel-Ange se mit au travail,
mais bientôt Jules II et lui se fâchèrent. L'artiste
s'enfuit de Rome, arriva à Florence au mois de juillet 1506
et là il songea un instant à accepter les offres du sultan
ottoman
qui lui demandait de construire un pont de Stamboul à Péra
( Constantinople).
Mais Jules II réclamait Michel-Ange
au gonfalonier Soderini et, à force de pourparlers, Buonarroti consentit
à se rendre à Bologne ,
où se trouvait le pape venant faire la guerre aux Bolonais révoltés
qui, abandonnés par Louis XII et mal défendus
par Bentivoglio, s'étaient à
la fin soumis à lui. Le pape lui commanda sa statue en bronze pour
la ville de Bologne; Michel-Ange dut faire deux fontes de cette figure
qui avait 3,50 m de haut : il fit la seconde le 10 novembre 1507. La statue
fut inaugurée le 21 février 1508; elle lui fut payée
1000 ducats, mais, d'après une lettre de Michel-Ange conservée
au British Museum, il n'en resta que 4,5 pour lui. A la révolution
de 1511, les Bentivoglio rentrant à Bologne, la statue fut brisée
et les morceaux vendus au duc Alphonse de Ferrare
qui en fondit un canon qu'il appela la Julienne : la tête
conservée seule au Palais ducal a disparu depuis. Au mois de mars
1508, Michel-Ange est à Florence où Soderini lui commande,
pour faire pendant à son David ,
l'Hercule
et Cacus ,
que Bandinelli exécutera; au mois de
mai, il est à Rome. Il y reprend son oeuvre du tombeau, mais Jules
II, que Bramante a persuadé que cela
portait malheur, l'arrêta, et, tandis que Bramante reconstruit Saint-Pierre
et que Raphaël peint les Stanze, le pape
charge Michel-Ange de décorer la voûte de la chapelle Sixtine.
Les fresques de
la Sixtine.
Ce ne fut pas, comme on l'a dit, sur l'insistance
de Bramante espérant perdre Michel-Ange
dans une oeuvre impossible, mais de lui seul que Jules II prit sa décision
Michel-Ange, qui n'avait pas peint à la fresque
depuis ses premières années d'étude chez Ghirlandajo,
hésita d'abord, puis le 10 mai 1508 il se mit à l'oeuvre.
Bramante lui ayant construit un échafaudage qui lui convenait mal,
il le fit démolir et s'en construisit un en inventant un système
pour les besoins de son travail; puis, après avoir d'abord essayé
de se faire aider, il renvoya tout le monde, broyant lui-même ses
couleurs, vivant seul, presque oublieux de son existence matérielle,
se faisant une vie impénétrable dans la solitude de la Sixtine.
La première partie de la voûte terminée fut montrée
au public le 1er novembre 1509 au milieu
d'un enthousiasme de la foule qui donna l'idée à Bramante
de proposer Raphaël au pape pour continuer
l'oeuvre; mais Jules Il ne l'entendit pas, et Michel-Ange s'étant
remis au travail termina en 1512 la décoration de la voûte.
Cette oeuvre prodigieuse, une des plus puissantes et une des plus belles
de l'esprit humain, et dont Raphaël lui-même allait s'inspirer
dans ses Sibylles
de la Pace, se compose de neuf compartiments - quatre grands prenant
toute la largeur du plafond et cinq petits encadrés chacun par quatre
figures - qui représentent les actes de la Genèse
: Dieu
le Père porté par les anges ,
la
Création de la lumière, la Création de l'homme,
la
Création de la femme, la Tentation d'Adam
et d'Eve ,
leur Expulsion du Paradis ,
le Sacrifice de Noé ,
le Déluge
et l'Ivresse de Noé; dans les pendentifs sont peints sept prophètes
: Zacharie ,
Jérémie, Joël, Daniel ,
Isaïe ,
Ezéchiel
et Jonas ,
et cinq Sibylles
: la Lybique, la Persique et celles de Delphes,
d'Erythrée et de Cumes ;
aux quatre angles : David
vainqueur de Goliath ,
le Serpent d'airain, la Punition d'Aman et Judith
venant de couper la tête à Holopherne; dans les huit tympans
: la Généalogie du Sauveur. Michel-Ange, les yeux
fatigués, dut se reposer pendant deux ans.
-
Michel-Ange
: les fresques de la Chapelle Sixtine.
Entre Tombeau
et
Jugement
dernier.
En 1512, Jules II avait ordonné
que l'oeuvre de son tombeau fût reprise; le tombeau, déjà
diminué de magnificence, devait comprendre encore un sarcophage
monumental et une enceinte de marbre à deux étages avec de
nombreuses figures. Jules II mourut en 1513 et, aux termes d'un nouveau
traité passé avec ses exécuteurs testamentaires, le
tombeau dut être terminé en sept ans et Michel-Ange dut recevoir
16 500 ducats d'or; en 1516, neuf ans furent accordés : c'est vers
ce temps sans doute que Michel-Ange travailla au Moïse .
Cependant Léon X avait succédé à Jules II et,
interrompant d'autorité le tombeau de son prédécesseur,
il avait prié Michel-Ange de se faire architecte, le chargeant de
terminer à Florence l'église des Médicis,
en faisant une façade au San Lorenzo qu'avait commencé Brunelleschi.
Michel-Ange partit en 1515 chercher des marbres à Carrare; mais
Léon X le rappela bientôt, ayant appris qu'il existait des
carrières de marbre dans la montagne de Santa Pietra sur le territoire
de Florence; Michel-Ange partit pour la montagne de Santa Pietra et là,
au milieu de carrières inexploitées, il passa cinq ans, de
1516 à 1521, à extraire avec les plus grandes difficultés
des marbres inutiles, car la façade ne se fit pas. Léon X,
qui sentait si bien la nature de Raphaël,
ne comprit pas Michel-Ange : il ne craignit pas de lasser son génie
à lui demander et lui redemander sans cesse des plans pour sa façade
de San Lorenzo, jamais satisfait, et insouciamment il épuisa sa
vigueur dans le lamentable exil de Santa Pietra; mais heureusement il devait,
avant de mourir en pleine jeunesse, lui commander au mois de mars 1520
les tombeaux des Médicis. Pendant les rares séjours qu'il
fit alors à Rome, Michel-Ange avait commencé à exécuter
le Christ à la Croix qui est à l'église de
la Minerve, mais, découragé de voir son temps émietté
par les capricieuses exigences de Léon X, il l'abandonna, le faisant
terminer par Federigo Frizzi. Le Christ à la Croix fut mis
en place en 1521 et eut un grand retentissement : François
Ier écrivit
à Michel-Ange pour lui demander quelqu'un de ses ouvrages. Léon
X mourut le 15 mars 1521 et le pape Adrien VI - un Hollandais austère
- qui lui succéda ne s'occupa pas de Buonarroti qui put travailler
en 1522 et en 1523 au tombeau de Jules II; mais le 19 novembre 1523 un
nouveau Médicis, Clément VII,
fut élu pape, et Michel-Ange dut se remettre aux tombeaux de San
Lorenzo.
Cependant les troupes allemandes et espagnoles
de Charles-Quint ayant saccagé Rome,
Clément
VII fut fait prisonnier et Florence soulevée contre les Médicis
les chassa une seconde fois au mois de mai 1527. Mais le pape et l'empereur
se réconcilièrent et Michel-Ange, resté jusqu'alors
éloigné de la politique par attachement à la mémoire
de Laurent de Médicis
de qui la famille ambitieuse exaspérait sa conscience, se déclara
contre Clément VII. Le 6 avril 1529, il est nommé par la
Seigneurie commissaire général des fortifications et il entoure
la colline de San Miniato de bastions qui existent encore et qui devaient
faire un jour l'étude et l'admiration de Vauban.
A la fin d'avril il va à Livourne ,
au mois de juin à Pise
où il prépare les travaux de défense de l'Arno .
Pendant les six mois qui précèdent le siège, Michel-Ange
surveille tout, vivant presque constamment à San Miniato d'où
il ne descend dans Florence, dit Vasari, que pour
travailler secrètement aux tombeaux des Médicis : tels étaient
et l'inquiétude et les besoins de son âme. Puis tout à
coup, s'étant rendu à la Seigneurie pour y dénoncer
au milieu des divisions de la ville le condottiere Malatesta comme un défenseur
dangereux et voyant sa personne injuriée par le gonfalonier Carduccio
et ses avis méprisés, il quitte Florence à la fin
de septembre, pris d'un vertige d'esprit, et s'enfuit avec tout ce qu'il
possède à Venise
où il est reçu triomphalement, mais où il ne reste
que quatorze jours, car, si la Seigneurie l'a déclaré rebelle,
plus puissante qu'elle la ville de Florence le réclame et, au mois
de novembre, traversant l'armée ennemie, Michel-Ange revient aussitôt
à son poste de défense : assiégée par Clément
VII, Florence résista jusqu'au 12 août 1530 où elle
lui fut livrée par la trahison de Malatesta.
Pour se sauver de la mort, Michel-Ange
dut alors se cacher, mais Clément VII
lui pardonna très vite, et il put continuer les tombeaux des Médicis
même par un bref du 21 novembre 1531 le pape, pour ménager
sa santé fatiguée, lui interdisait de faire aucun travail
en dehors de son oeuvre de San Lorenzo sous peine d'excommunication. La
chapelle des Médicis, commencée
en 1520, fut terminée en 1533. Cette chapelle séparée
de l'église San Lorenzo, petite, carrée, d'un style froid
et sobre, qui contient dans ses murs les chefs-d'oeuvre de la statuaire
moderne, fut faite à travers les plus grandes tristesses de la vie
de Michel-Ange, que ses beautés reflètent : au fond est l'autel;
sur les deux côtés, les tombeaux de Julien, le frère
de Léon X, et de Laurent, le petit-fils du Magnifique et le père
de Catherine de Médicis; Julien,
en triomphateur romain, et Laurent, Il Pensieroso, sont assis au-dessus
de leurs tombeaux, tandis que les figures du Jour et de la Nuit,
de l'Aurore et du Crépuscule, étendues sur les sarcophages,
sont couchées à leurs pieds; en face de l'autel est la Vierge
avec l'Enfant Jésus, dont il existe une maquette en bronze au
Louvre
à la collection Thiers : près d'elle deux figures de saints
exécutées par des élèves de Michel-Ange, Raffaelo
da Montelupo et Fra Giuvanagnelo; et presque tout cela est resté
inachevé dans sa vigoureuse splendeur.
Dans les deux ou trois années qui
suivirent le siège de Florence, Michel-Ange peignit les Parques
du palais Pitti et la Léda
qui, commandée par le duc Alphonse de Ferrare
et vendue à
François Ier
est aujourd'hui à la National Gallery, en partie repeinte, et il
sculpta l'Apollon
portant la main à son carquois du Musée national de Florence.
Puis en 1532 il revient à Rome et Clément
VII lui demande de peindre les deux extrémités de la
chapelle Sixtine; il devait y représenter la Chute des anges
rebelles et le Jugement dernier .
Presque aussitôt il se mit à l'étude des cartons; mais
Clément VII étant mort en 1534, Michel-Ange songeait à
renoncer à ce travail pour reprendre le tombeau de Jules II, quand
le pape Paul IIl s'y opposa et le nomma par bref en 1535 architecte, peintre
et sculpteur du Vatican. Le Jugement dernier
fut seul exécuté et terminé en 1541 après un
travail ininterrompu de près de huit ans : cette fresque
terrible et colossale - de 17 m de haut et de 13 m de large - décorait
le fond de la chapelle Sixtine avec ses onze parties ou ses onze scènes
dont huit se passaient au ciel et trois sur la terre : les Squelettes
sortant de leurs tombeaux, la Caverne du Purgatoire et la Barque
ailée de Caron ;
elle souleva des admirations et des discussions bruyantes. (Étienne
Bricon). |
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