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Louis XI

Louis XI est un roi de France, né à Bourges le 3 juillet 1423, mort à Plessis-lez-Tours le 30 août 1483. Fils aîné de Charles VII et de Marie d'Anjou, il passa son enfance auprès de sa mère et eut pour gouverneurs Amaury d'Estissac et Bernard d'Armagnac, comte de la Marche, pour premier écuyer Joachim Rouault, pour précepteur Jean d'Arcouville. Son éducation différa sensiblement de celle des jeunes seigneurs de son temps et sa jeunesse fut studieuse. D'Arcouville lui apprit le latin et Jean Majoris les bonnes lettres, et il semble qu'il ait bien profité de leurs leçons : d'un esprit naturellement mûr et réfléchi, il donna des preuves d'un jugement précoce et d'une raison au-dessus de son âge. Dès 1436, on le voit paraître aux côtés de son père, dans un voyage en Lyonnais, en Dauphiné et en Languedoc; cette même année, bien qu'il n'eût que treize ans, il fut marié à la jeune princesse d'Ecosse, Marguerite : union convenue depuis déjà huit ans. Trois ans plus tard, Charles VII crut pouvoir lui confier la délicate mission de soumettre plusieurs seigneurs récalcitrants du Poitou, qui opprimaient le pays par abus de leur titre seigneurial, et d'obliger les officiers de finances à rendre compte des deniers publics : le jeune dauphin justifia par un plein succès la confiance de son père qui, l'année suivante, en 1440, le chargea d'aller en son nom rétablir l'autorité royale en Guyenne et en Languedoc. Ces pays étaient désolés, moins peut-être par la guerre anglaise (La Guerre de Cent Ans) que par des bandes de routiers, rebelles à la grande ordonnance de 1438 et qui, sous prétexte de servir les intérêts de grands seigneurs méridionaux, tels que les comtes d'Armagnac et de Comminges, ravageaient et pillaient à qui mieux mieux (La criminalité au Moyen âge). Le futur Louis XI, après une solennelle entrée dans Toulouse (25 mai), prit des mesures sages et énergiques : il pourvut à la défense de la province contre l'invasion anglaise qui tentait à ce moment un nouvel effort, se posa en arbitre entre les comtes de Comminges et d'Armagnac, et fit rentrer dans l'ordre les routiers. Mais, rappelé contre son gré par son père, il ne put continuer son oeuvre de pacification. Jusque-là, il s'était conduit en fils soumis et respectueux de l'autorité paternelle : il n'allait pas tarder à prendre la première place parmi les rebelles et à adopter cette nouvelle attitude dont il ne devait pour ainsi dire pas se départir jusqu'à son avènement au trône.

Au lendemain de la reprise de Paris sur les Anglais, les princes du sang, désireux de conserver une indépendance que leur avaient assurée les guerres civile et étrangère, avaient recommencé à s'agiter : un premier complot échoua. En 1440, ils renouvelèrent leurs menées et réussirent à y associer le dauphin Louis, alors âgé de dix-sept ans. Déjà tourmenté par une soif jalouse du pouvoir et désireux de la satisfaire, le jeune prince n'hésita pas à s'allier aux ducs de Bourbon et d'Alençon, aux comtes de Vendôme et de Dunois et aux autres chefs des révoltés, et, sous le prétexte de venger sa mère, dédaignée pour une favorite, à prendre les armes contre le roi. Ce fut cette prise d'armes, courte d'ailleurs et aisément réprimée, que les contemporains surnommèrent Praguerie. Charles VII, par une marche rapide en Poitou, en Auvergne, en Bourbonnais, fit tomber les principaux remparts des révoltés qui s'empressèrent de faire amende honorable; le dauphin dut à son tour implorer sa grâce et fut relégué dans son apanage du Dauphin. Il s'y tint plus de quinze ans, se conduisant en souverain indépendant, instituant un parlement à Grenoble et une université à Valence, épousant, sans l'aveu de son père et pour se faire un allié, la fille du duc de Savoie, Charlotte, qui n'était encore qu'une enfant. A de rares intervalles, il apparaissait à la cour où il intriguait à l'écart et ralliait autour de lui les mécontents. Il n'avait toutefois pas encore perdu complètement la confiance de Charles VIl, qui en 1444, le mit à la tête de l'expédition chargée d'aller guerroyer contre les Suisses au secours du roi des Romains, Frédéric III; en envoyant une armée sur les bords du Rhin, le roi voyait surtout là un moyen de débarrasser la France des bandes de routiers qui y continuaient encore leurs ravages, et, suivant la forte expression du président Fauchet, d' «oster le mauvais sang qui si longtemps avait altéré le corps du royaume». Le dauphin sut maintenir d'aussi redoutables combattants et mener habilement la campagne, qui fut marquée par la bataille de Saint Jacques (26 août), l'occupation de l'Alsace et les conférences d'Ensisheim. Légèrement blessé au siège de Lambach, le jeune prince vint rejoindre son père à Nancy, mais se tint à l'écart des fêtes splendides qui furent données en 1444 et 1445 à Nancy et à Châlons; c'est à ce moment-là que mourut d'une mort restée mystérieuse sa première femme, Marguerite d'Ecosse; il ne l'aimait pas et cette mort le laissa indifférent. Retiré dès lors définitivement en Dauphiné, il harcèle son père de plaintes continuelles, fait conclure contre son gré le mariage d'Amédée, prince de Piémont, avec sa soeur Yolande de France, et, par ses menées avec le duc de Savoie, oblige Charles VII à diriger une expédition contre ce prince. Au commencement de 1452, il se voit privé de sa pension et peu après des quatre châtellenies de Rouergue que le roi rend au comte d'Armagnac; à une offre qu'il fait à son père à la fin de cette année de venir le servir contre les Anglais en Guyenne, Charles VII défiant répond par un refus. Dès lors, ne dissimulant plus, le dauphin poursuit ses préparatifs de guerre, réunit la noblesse du Dauphin, fortifie ses places et n'attend qu'un prétexte pour se tourner contre son beau-père le duc de Savoie, réconcilié avec le roi, et l'attaquer à main armée. Mais Charles VII surveille très étroitement son fils et dans ce but s'avance en personne jusqu'en Bourbonnais. Après de longues négociations où le dauphin ne cherche qu'à faire traîner les choses en longueur, il se voit obligé, par l'énergique attitude de son père, à quitter son apanage du Dauphiné, qui est peu après occupé au nom du roi par Dammartin, et à se réfugier d'abord à Saint-Claude en Franche-Comté, puis dans les Etats du duc de Bourgogne (août 1456); il finit par s'installer au château de Genappe, près de Bruxelles, que Philippe le Bon lui assigne pour résidence.

Louis resta à Genappe de 1457 à 1461 : il y mena joyeuse vie; c'est là qu'avec le concours d'une pléiade de beaux esprits entretenus à prix d'or, furent composés ces contes licencieux restés célèbres sous le titre de Cent Nouvelles nouvelles. Largement pensionné par le duc de Bourgogne, entretenant des intelligences à la cour de France, avec la maîtresse même du roi, il attendit patiemment la mort de son père qui survint le 22 juillet 1461. Louis XI, que cette mort faisait roi, ne dissimula guère sa joie. Comme il craignait quelque tentative de la part de son jeune frère Charles, à qui Charles VII avait un moment songé à transférer la couronne, il dépêcha à ses bonnes villes l'ordre de se bien garder, puis il rentra en toute hâte dans ses Etats, se dirigeant sur Reims. Le duc de Bourgogne l'accompagnait avec une forte escorte et en prenant des allures de protecteur; il éclipsa son nouveau suzerain par sa magnificence, lui conféra l'ordre de chevalerie et à l'entrée solennelle dans Paris (31 août), ainsi qu'au sacre, parut être le vrai roi. En apparence, l'avènement de Louis XI semblait un triomphe pour la féodalité, dont la puissance territoriale était considérable encore à la mort de Charles VII : le nouveau roi était l'ancien chef de la Praguerie; on pensait qu'il allait ruiner toute l'oeuvre du dernier règne, et de fait ses premiers actes purent en faire concevoir l'espérance au parti féodal. Il donne le Berry en apanage à son jeune frère, le gouvernement de Normandie au comte de Charolais, fils du duc de Bourgogne, un commandement sur la Loire au duc de Bretagne; il signe le pardon du duc d'Alençon et celui du comte d'Armagnac, qu'il charge tout aussitôt d'une ambassade en Espagne. Il éloigne et disgracie les plus anciens serviteurs de son père, Chabannes, Des Ursins, Brezé, Gaston de Foix et s'entoure d'auxiliaires aptes à seconder ses desseins, les choisissant de préférence parmi les gens de moyen état : Jean Balue, Pierre Doriole, Jean Bourré, Jean de Doyat, Jean du Lude deviennent ses conseillers, et, dans un ordre inférieur, le prévôt Tristan Lermite, qu'il nommait son compère, le barbier Olivier Le Dain, le médecin Coictier. Le monde féodal lui fournit aussi de précieux auxiliaires : Lescun, Jean Jouffroy, Commines, Crèvecoeur, presque tous vassaux d'autrui, qui, en venant à lui, se compromettent sans retour envers leurs anciens maîtres.

Bien que servie par des instruments nouveaux, la politique royale resta, quant à son but, la même que sous Charles VII; avec moins de patience et de scrupules, Louis XI poursuivit les mêmes desseins que son père. Il importait surtout d'abattre et de détruire la grande puissance bourguignonne, de plus en plus forte et compacte, de plus en plus menaçante pour l'unité de la monarchie française. Aussi Louis XI, comme Charles VII, subordonna-t-il à cette entreprise le sens de ses alliances extérieures. En Lorraine, tout en renonçant à Epinal, il essaye sournoisement de placer Metz sous sa dépendance (1464). Au delà du Rhin, il entretient de son mieux la défiance des Allemands à l'égard de la Bourgogne et conclut de nouveaux traités avec les seigneurs de la Haute-Allemagne. En Italie, par une action exclusivement diplomatique, il prépare l'intervention armée de ses successeurs : s'il abandonne son protectorat sur Gênes, s'il ne soutient qu'en paroles les projets de la maison d'Anjou sur le royaume de Naples, il arrache le duc de Milan à l'alliance bourguignonne, surveille étroitement le duc de Savoie, son beau-frère, réconcilie Florence avec le pape Sixte IV (1478), use à l'égard du Saint-siège tour à tour de concessions ou de menaces et se fait proclamer protecteur de la ligue contre les Turcs (1467). En Espagne, ses ambitions sont d'abord très vastes; il rêve de faire valoir les droits qu'il tient de sa mère et de son aïeule sur l'Aragon, encourage secrètement à la révolte les Catalans soulevés contre leur roi et médite d'accaparer en Navarre la succession du prince de Viane, don Carlos. Mais, jugeant bientôt l'entreprise hasardeuse, il soutient les prétentions du comte de Foix dans ce dernier royaume et en prépare pour plus tard, sinon l'annexion, du moins le protectorat en faisant épouser au fils aîné de ce grand seigneur sa soeur Madeleine de France. En même temps, il conclut avec le roi d'Aragon Jean II le traité de Bayonne (mai 1462), par lequel il reçoit le Roussillon et la Cerdagne en gage de 300,000 écus que son allié promet de lui payer en retour de son aide contre les Catalans révoltés; une armée française, sous les ordres du comte de Foix et du maréchal de Comminges, soumet en partie la Catalogne, entre dans Saragosse et occupe ensuite la Navarre. Nommé arbitre entre les rois d'Aragon et de Castille, Louis XI, les dupant tous deux, réussit à garder le Roussillon et la Cerdagne (traité de Fontarabie, avril 1463). 

En Angleterre, où se poursuit la guerre des Deux Roses, Louis XI, sans se prononcer ouvertement, soutient la Rose rouge, surtout depuis que le duc de Bourgogne prend fait et cause pour la Rose blanche, et réussit un moment à se faire promettre, en échange de faibles secours accordés aux Lancastre, la rétrocession de Calais.

Mais à l'intérieur, dès le début du règne, la féodalité, déçue dans ses espérances, organise un formidable soulèvement. Les deux chefs du parti féodal étaient François II. duc de Bretagne, et le comte de Charolais : le premier peu redoutable, d'un tempérament faible, à peine susceptible d'apporter à ses alliés le concours de diversions, presque toujours inopportunes; le second, au contraire, orgueilleux et ambitieux à outrance, ne cherchant qu'à élargir de tous côtés les frontières de l'Etat bourguignon, rêvant de faire du « grand duché d'Occident » un royaume et justifiant par l'audace de son caractère ce surnom de Téméraire que ses contemporains lui ont donné. Contre les deux, Louis XI ne tarde pas à prendre indirectement l'offensive. Il revendique du duc de Bretagne l'hommage-lige à la couronne et l'exercice du droit de régale sur les évêchés bretons. Il opère, malgré le duc de Bourgogne, le rachat des villes de la Somme, cédées au traité d'Arras, et prépare la rétrocession dans la Flandre française de Lille, Douai et Orchies; il retire enfin au comte de Charolais le gouvernement de la Normandie (1464). Il s'ensuit alors une prise d'armes féodale, couverte du beau nom de ligue du Bien public, qui, sous prétexte de soulager le pauvre peuple, n'avait pour but que de satisfaire les ambitions et les intérêts des grands seigneurs. Toute la grande noblesse de France y prit part, à l'exception du roi René et du comte de Foix qui ne pouvaient être ni l'un ni l'autre d'un grand secours au souverain menacé. Quelques mois à peine après avoir protesté de leur soumission à l'assemblée de Tours (1464), les seigneurs, le duc de Berry à leur tête, se révoltaient ouvertement. On sait quelle fut l'issue de cette guerre, marquée par la bataille de Montlhéry (16 juillet 1465) : la signature des traités humiliants de Conflans et de Saint-Maur (octobre), la Normandie livrée en apanage héréditaire au frère du roi, les villes de la Somme, les comtés de Guines et de Boulogne au comte de Charolais, la garde de Toul et de Verdun au duc de Lorraine, la connétablie au comte de Saint-Pol; à tous les autres des places fortes ou des pensions. 

L'exécution de ces traités ramenait la monarchie au temps des premiers Capétiens : Louis XI s'appliqua immédiatement à annuler une à une les concessions qu'on venait de lui arracher. Il comprit la nécessité d'abandonner la violence pour la ruse, de gagner la petite noblesse, jusque-là sacrifiée par les grands feudataires, de s'attacher sérieusement quelques puissantes maisons pour mieux abattre les autres. Jean de Calabre, fils du roi René, reçut 120,000 livres; le duc de Bourbon obtint le gouvernement d'une grande partie de la France du Centre et du Midi; Chabannes, dont les talents militaires étaient fort appréciés du roi, fut ramené par des promesses et des dons; les Parisiens furent flattés par l'organisation de leurs corps de métiers en une immense armée bourgeoise. Les villes turbulentes de Gand, Dinant et Liège furent soulevées contre le Téméraire, qui dut passer une année entière à les réduire et n'en était pas encore venu à bout quand la mort de Philippe le Bon le fit duc de Bourgogne (1467). Le principal danger était la Normandie : tant qu'elle serait aux mains de Charles de France, le duc de Bretagne et le duc de Bourgogne pourraient unir leurs troupes contre le roi, et la porte restait ouverte aux Anglais, pour une descente sur le continent : « un royaume à deux têtes, un roi de Rouen et un roi de Paris, c'était l'enterrement de la France » (Michelet). 

Louis XI profita d'une brouille entre son frère et François II pour envahir la province sans déclaration de guerre et la reprendre en quelques semaines (1466); 120,000 écus d'or envoyés à propos avaient rendu immobile le prince breton, et Charles le Téméraire, trop occupé en Flandre, n'était pas à craindre. Charles de France, expulsé de Normandie, s'enfuit auprès du duc de Bourgogne, réclamant son appui; vainqueur des Liégeois, ce dernier redevint menaçant. Le roi d'Angleterre Edouard IV obtenait de l'argent de son Parlement pour reprendre la guerre contre la France. Une nouvelle ligue féodale se formait. Louis XI réunit à Tours les députés de soixante villes, qui, dans un simulacre d'Etats généraux, proclamèrent l'inaliénabilité de la Normandie (avril 1468). Fort de leur décision, Louis acheva la conquête de cette province, obligea son frère à se contenter d'une pension de 60,000 livres, puis, avec 40,000 hommes, marcha contre le duc de Bretagne. François II n'osa pas combattre et signa le traité d'Ancenis (septembre), par lequel il renonçait à toute autre alliance que celle du roi et s'engageait à le servir envers et contre tous. 

En même temps, Louis envoyait à Liège des émissaires pour provoquer un nouveau soulèvement contre Charles le Téméraire et brouillait le comte de Warwick, le célèbre « faiseur de rois », avec Edouard IV, qu'il cherchait à renverser. Le roi aurait pu alors se retourner contre le duc de Bourgogne qui restait isolé et prendre une offensive hardie; Chabannes le lui conseillait. Mais il s'imagina que, dans une entrevue personnelle avec Charles, il saurait mieux que tout autre débattre avec le duc les conditions d'une trêve; contre le gré de ses conseillers et du cardinal Balue lui-même, qu'on a représenté à tort comme le principal instigateur de l'entrevue de Péronne, il se rendit donc dans cette dernière ville, muni d'un sauf-conduit et accompagné d'une faible escorte (octobre). Deux jours s'étaient écoulés en pourparlers qui paraissaient devoir aboutir, lorsque Charles apprit une nouvelle révolte des Liégeois, fomentée, disait-on, par des agents royaux. Il entra aussitôt dans une violente fureur et jura de faire payer à Louis XI sa perfidie; il le logea et le retint prisonnier dans une grosse tour près de celle où jadis un comte de Vermandois avait fait mourir Charles le Simple.

Un moment il put songer à détrôner le roi et à le remplacer par son frère Charles de France; mais, cette combinaison présentant de sérieux dangers, il préféra lier son captif par de nouvelles et plus dures conditions. D'ailleurs Louis XI, tout prisonnier qu'il fut, intriguait auprès des conseillers du duc et essayait de les gagner à force d'argent et de promesses; d'autre part, Chabannes, avec 40,000 hommes, faisait des démonstrations sur les frontières de la Picardie et se garda bien de licencier ses troupes, quoiqu'il en eût reçu l'ordre du roi, contraint par Charles le Téméraire; le comte de Foix, à la tête d'une armée, campait entre Meaux et Paris. Le duc se résigna donc à n'imposer au roi qu'un traité onéreux : Louis dut abandonner à son frère Charles la Champagne, au lieu de la Normandie, laisser au Téméraire la Picardie en toute propriété, l'affranchir de l'hommage féodal et le suivre sous les murs de Liège, la croix de Bourgogne au chapeau, pour assister en personne au châtiment de ses alliés. L'humiliation était grande; Louis XI la subit allègrement et à son retour fut accueilli par les moqueries des Parisiens et de leurs « oiseaux parleurs ».

Mais-il était déjà décidé à ne rien exécuter de ce qu'il avait signé. La Champagne aux mains de Charles de France ouvrait aux armées du Téméraire la route libre de Paris; Louis XI fit accepter à son frère, au lieu de la Champagne, la lointaine Guyenne (avril 1469). Pour forcer le duc de Bretagne à se prononcer, il lui offrit le collier de l'ordre de Saint-Michel qu'il venait de créer et dont tous les membres faisaient le serment de ne jamais s'armer contre le roi; François Il refusa cet honneur, ne voulant pas contracter des engagements qu'il savait ne pas pouvoir tenir. Le roi le menaça alors d'une invasion et le contraignit à signer le traité d'Angers. En Angleterre, il provoqua contre le roi Edouard IV, allié du Bourguignon, une restauration, d'ailleurs éphémère, de la Rose rouge. Quand il eut ainsi isolé Charles le Téméraire, il ne craignit pas de le sommer de comparaître en personne devant le parlement, et convoqua à Tours une assemblée de notables (1470) qui annula le traité de Péronne. La guerre recommença: l'armée royale, commandée par Chabannes et le connétable de Saint-Pol, s'empara aussitôt des villes de la Somme, Roye, Montdidier, Amiens, Saint-Quentin, où le roi avait eu soin de pratiquer à l'avance des menées secrètes (1471). Ce fut au tour du duc de solliciter une trêve (avril) pour travailler à reconstituer ses alliances. Il y réussit un moment : Edouard IV venait de reconquérir la couronne; il avait fait périr Henri VI à la Tour de Londres et retenait en captivité Marguerite d'Anjou. Une troisième ligue se forma contre Louis XI; les ducs de Bourgogne et de Bretagne en firent naturellement partie; le duc de Guyenne, qui n'était plus l'héritier du trône depuis la naissance d'un dauphin, en devint le chef nominal. On y voyait figurer encore le duc de Lorraine, le comte d'Armagnac, le comte de Foix lui-même, jusque-là le fidèle allié du roi, mais que ce dernier avait mécontenté en lui suscitant des ennuis en Navarre. 

Il était question du mariage de Charles de Guyenne, tantôt avec la fille de Charles le Téméraire, tantôt avec Eléonore de Foix : c'eût été un égal danger pour Louis Xl. Il arrêta le duc de Bourgogne par des négociations, demanda au pape de refuser les dispenses pour le mariage de Marie de Bourgogne avec son frère et marcha contre ce dernier qui menaçait de soulever tout le Midi. Mais déjà le duc de Guyenne était malade; il mourut le 24 mai 1472, et sa mort jeta le désarroi parmi les ligueurs. Louis XI, que ses ennemis accusèrent sans preuve de l'avoir provoquée, se retourna alors contre ses deux principaux adversaires. Le duc de Bourgogne était entré en campagne sur la Somme, s'était jeté en furieux sur Nesles, où tout fut massacré et brûlé, avait pris Roye et Montdidier, mais s'était vu arrêter par l'héroïque résistance de Beauvais. Il eut beau lancer ses bandes en Normandie, jusqu'aux portes de Dieppe et de Rouen, il ne put donner la main aux Bretons, dont Louis XI surveillait lui-même la frontière. François Il, après avoir perdu Ancenis, Machecoul et Chantocé, dut mettre bas les armes et signer une paix que Louis XI fit à dessein avantageuse. Peu après, il obligeait le Téméraire, à qui il avait enlevé son conseiller Commines, à signer la trêve de Senlis (novembre 1472). En même temps, il punissait sévèrement les autres rebelles : le duc d'Alençon, déjà condamné sous Charles VII, encourut la peine de mort et vit la sentence commuée en une prison perpétuelle, avec confiscation de ses biens. Le comte d'Armagnac, Jean V, dont la conduite privée était particulièrement odieuse (il avait jadis épousé sa propre soeur), fut assiégé dans Lectoure et massacré. Le duc de Nemours, son cousin, fut enfermé au château de Pierre-Encise, condamné à mort et exécuté (1475). Le comte de Foix, rendu prudent par la terrible exécution du comte d'Armagnac, son gendre, se tint tranquille dans ses terres et, malade depuis plusieurs mois, mourut au moment de passer en Navarre (juillet 1472); Louis XI, dont la soeur devenait régente des Etats de Foix et de Béarn, s'empressa d'intervenir dans les affaires de la succession. Le roi d'Aragon, Jean II, ayant tenté de reprendre le Roussillon et la Cerdagne, dut rendre Perpignan à l'armée du roi de France. Tout le Midi était donc pacifié.
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Louis XI à Dieppe.
Louis XI prend la forteresse de Dieppe.

Une quatrième ligue se forma contre le roi. Les ducs de Bourgogne et de Bretagne comptaient sur l'appui des rois d'Aragon et d'Angleterre; mais le roi d'Aragon fut forcé d'abandonner tous ses droits sur le Roussillon. Charles le Téméraire s'acharna au siège de Neuss qui le retint dix mois (1474-1475), au lieu d'attaquer son véritable adversaire. Aussi, quand le roi Edouard IV débarqua à Calais, dans l'espoir de reconquérir « ses duchés de Normandie et de Guyenne », il ne trouva aucun des secours qu'on lui avait promis. Toutes les villes lui fermèrent leurs portes, même Saint-Quentin, où commandait cependant le traître Saint-Pol. Charles le Téméraire, qui était venu presque seul au camp anglais, se hâta de prendre le chemin de l'Allemagne. Edouard IV se laissa facilement arrêter par les promesses de Louis XI, qui lui paya sans compter sa retraite et pensionna grassement ses conseillers (traité de Picquigny, août 1475). Le duc de Bourgogne enfin fut obligé de renouveler pour neuf ans, à Soleure, les trêves des années précédentes (septembre) et de livrer au roi Saint-Pol qui fut décapité. Dès lors Louis XI, tout en observant avec une certaine ostentation de fidélité les conventions conclues avec son rival, ne cessa d'agir par-dessous main contre lui et d'encourager les résistances qui devaient amener sa chute à bref délai. Au moment où le Téméraire est sur le point d'obtenir de l'empereur Frédéric III la reconnaissance d'un royaume de la Gaule Belgique et de marier sa fille à l'héritier de l'Empire, Maximilien, Louis XI met en défiance l'empereur qui s'esquive l'avant-veille du jour où le duc de Bourgogne allait être proclamé roi. Les Suisses, secrètement soutenus par l'argent du roi de France, infligent au duc les sanglants échecs de Granson et de Morat, et au moment ou le duc de Lorraine rentre dans Nancy, sa capitale, Charles le Téméraire, parti en campagne pour s'y opposer, succombe sous les murs de la ville (6 janvier 1477).

Son héritage revenait à une jeune fille de vingt et un ans, Marie de Bourgogne. Il comprenait en partie des terres françaises et parmi elles des apanages revenant dès lors à la couronne, et des biens patrimoniaux n'impliquant que l'hommage. Un mariage pouvait seul les mettre aux mains de Louis XI, qui songea à unir Marie avec le dauphin, bien que celui-ci n'eût que huit ans et fût déjà fiancé à une princesse anglaise. Mais c'eût été trop longtemps attendre, et Louis XI crut devoir agir immédiatement. Malgré les protestations de la jeune héritière, il se fit reconnaître comme souverain dans le duché de Bourgogne et ses annexes. La Franche-Comté, dominée par le prince d'Orange, accepta provisoirement l'occupation française, Mais l'année suivante, les exactions des officiers royaux susciteront une révolte. Les Comtois, aidés des Suisses, reprirent toutes leurs villes, poussèrent jusqu'à Dijon et, en 1478 et 4479, Chaumont d'Amboise dut délivrer la Bourgogne et reconquérir la Comté ; il y réussit et Louis XI vint à Dijon jurer de maintenir les franchises du duché. Au Nord, il acheta les villes de la Somme à leurs gouverneurs, remit la main sur les comtés de Boulogne et de Ponthieu, poussa jusqu'en Artois et en Hainaut. Les Gantois, se croyant trahis par les principaux conseillers de leur souveraine, Hugonet et d'Himbercourt, les firent mettre à mort sous ses yeux (avril 1477). Marie, se voyant abandonnée de tous, chercha un protecteur : elle songea à son ancien fiancé, l'archiduc Maximilien d'Autriche, le plus pauvre prince d'Allemagne, et l'épousa à Gand (août). Une guerre fut la conséquence de ce mariage : elle fut marquée par le combat indécis d'Enguinegatte (août 1479), où le sire d'Esquerdes et le maréchal de Gié ne purent empêcher les pillages et la fuite des francs-archers. La guerre languit pendant quatre ans, entrecoupée par les trêves de Lens, d'Arras et de Douai, suspendue par des négociations peu sincères, jusqu'à la mort soudaine et prématurée de Marie de Bourgogne, à la suite d'une chute de cheval (mars 1482). Louis XI, déjà vieux, en profita pour conclure la paix. Marie laissait deux enfants, Philippe et Marguerite. A l'instigation du roi de France, les Flamands forcèrent leur nouveau comte à conclure une transaction que scellèrent les fiançailles de la jeune Marguerite avec le dauphin Charles de France; Louis XI gardait le duché de Bourgogne, plus, comme dot de la princesse, l'Artois et la Franche-Comté (traité d'Arras, 1482). Ce traité, s'il portait en germe la lutte future entre les maisons de France et d'Autriche, reculait pour le moment d'une façon inespérée la frontière française.

Cette guerre de la succession de Bourgogne n'avait pas empêché Louis XI de poursuivre d'autres annexions. Le roi René, qui avait perdu en 1470 son fils Jean de Calabre, avait disposé du duché de Bar en faveur du fils de sa fille, le duc de Lorraine René II, de l'Anjou et de la Provence en faveur de son neveu Charles, comte du Maine. Louis XI, exaspéré d'être exclus, se saisit du Barrois et de l'Anjou (1474), et, par des flatteries à l'égard de son oncle, s'en assura la possession éventuelle. Les morts successives du vieux roi (juillet 1480) et du comte du Maine lui permirent de recueillir presque intégralement la succession d'Anjou. Il héritait en outre de prétentions sur le royaurne de Naples qu'il n'eut ni le temps ni la volonté de faire valoir et qu'il légua à ses successeurs. 

Le duc Jean II de Bourbon, comblé de bienfaits après la guerre du Bien public, fut réduit à l'impuissance, et, s'il esquissa une attitude hostile lors des affaires de la succession de Bourgogne, il en fut puni par le châtiment de ses conseillers. Le cadet de la maison, Pierre de Beaujeu, mari de la fille aînée de Louis XI, recueillit les faveurs royales. Le chef de la maison d'Orléans, Louis, âgé de quatorze ans, fut lié par un mariage : il dut épouser la seconde fille du roi, Jeanne la Boiteuse, et montra jusqu'à l'avènement de Charles VIII la plus entière soumission. Des anciens ennemis de la France, il ne restait plus que la Bretagne : ce devait être l'oeuvre d'Anne de Beaujeu, l'enfant préférée de Louis XI, de réunir cette province au domaine royal. Partout ailleurs la féodalité, si puissante au début du règne, était abattue : il restait bien dans le Midi la grande maison de Foix qui allait bientôt s'unir à celle d'Albret; mais, absorbée par une grande querelle intestine, préoccupée aussi d'établir sa domination en Navarre, elle n'était pas un danger pour le pouvoir du roi de France. En résumé, Louis XI avait augmenté le domaine royal de huit grandes provinces : Picardie, Bourgogne, Franche-Comté, Artois, Anjou, Maine et Provence, Roussillon et Cerdagne, sans compter une multitude de fiefs moins importants. Il avait rattaché à la royauté par des mariages les puissantes maisons de Bourbon et d'Orléans. Il avait forcé les rois d'Angleterre et d'Aragon à déposer les armes : il était l'allié des Suisses, des Vénitiens, des Sforza, des Médicis, du pape; il était le prince le plus puissant de la chrétienté.

Au cours de tout son règne, il n'avait cessé de consolider l'autorité royale, suivant en cela les traditions de Charles VII; son pouvoir devient personnel et absolu. Il s'entoure de petites gens et éloigne de son conseil les princes et les puissants seigneurs. Il ne réunit qu'une seule fois les Etats généraux et les remplace ensuite par des assemblées de notables. L'armée, la justice, les finances, tout est centralisé en sa main. L'armée est augmentée et disciplinée: les ordonnances de 1467 et 1469 réorganisent les compagnies d'ordonnance, et la milice des francs-archers qui, n'ayant pas rendu les services qu'on attendait d'elle, est supprimée en 1480 et remplacée par des mercenaires étrangers, principalement des Suisses et des Ecossais. L'artillerie est perfectionnée. Le roi songe à créer une marine; il étend les privilèges des tribunaux maritimes, et notamment dans la guerre de 1479 ses flottes rendent de réels services. Louis XI chercha aussi à faire de la justice un des instruments de son gouvernement; il brisa les résistances du parlement de Paris, chaque fois que celui-ci voulut user du droit de remontrances, et, pour diminuer l'étendue de sa juridiction, créa les parlements de Grenoble (1453), de Bordeaux (1463), de Dijon (1479), qui furent toujours dociles à la volonté royale. Mais Louis XI eut le tort, dans tous les grands procès politiques, de substituer aux juges ordinaires des commissions spéciales, présidées généralement par Tristan Lermite, et ne se fit jamais scrupule de partager d'avance les biens de l'accusé entre les juges pour forcer la condamnation. Au point de vue financier, Louis XI fut un grand dépensier : nul roi ne puisa peut-être davantage dans la bourse de ses sujets; il jetait l'argent sans compter lorsqu'il s'agissait du succès d'un dessein politique, et le seul impôt de la taille fut sous son règne accru de près de 3 millions de livres. 

Depuis l'établissement de la pragmatique sanction de Bourges, la France était en quelque sorte constituée en Eglise autonome. Cette indépendance déplaisait à la fois au roi qui ne pouvait plus disposer des élections, et au pape qui ne touchait plus rien des anciennes taxes. Louis XI déclara la Pragmatique abolie (1461) et, après un rétablissement passager, força le parlement à enregistrer la bulle papale qui confirmait cette abolition (1467). L'ancienne constitution fut remplacée par une sorte de concordat, aux termes duquel le pape s'engageait à ne nommer que des Français et à tenir compte de la recommandation du roi. 

Avant Colbert, Louis XI organisa en faveur de l'industrie nationale un véritable système protecteur et conçut plus d'une réforme réalisée après lui : il désirait l'unité des poids et mesures dans tout le royaume, la suppression des péages intérieurs reportés aux frontières il voulait que le commerce ne fût pas une cause de dérogation pour la noblesse; il tenta même, sous le couvert des immunités diplomatiques, une exposition des produits de l'industrie française en Angleterre. Il conclut des traités de commerce avec Venise et la Hanse. C'est à lui qu'est dû l'établissement des postes; mais elles furent, il est vrai, exclusivement réservées à son service et étaient destinées dans le principe à faire sentir partout l'action du pouvoir royal. Sous ce règne le nombre des universités s'accrut; celles de Valence, Bourges et Bordeaux furent créées, pendant que François Il de Bretagne et le roi René instituaient celles de Nantes et d'Angers

Une dernière fois, la querelle des nominalistes et des réalistes fut agitée sur les bancs universitaires et assez vivement pour que Louis XI lui-même intervint, en prohibant pendant plusieurs années les livres des premiers. Il accueillit en France quelques-uns des savants grecs chassés de Constantinople. Enfin c'est en 1469 que pour la première fois l'imprimerie vint à Paris des bords du Rhin. Trois des auxiliaires de Jean Furst, Ulrich Gering, Martin Krantz et Michel Freiburger, appelés par le recteur de l'université, Guillaume Fichet, établirent un atelier dans le collège de Sorbonne et publièrent un certain nombre d'ouvrages religieux ou classiques. Louis XI les exempta du droit d'aubaine, et très rapidement les imprimeries se multiplièrent à Paris et dans les autres villes de France.

Louis XI mourut au château de Plessis-lez-Tours, où il s'était de plus en plus confiné, s'adonnant aux pratiques d'une dévotion superstitieuse, entouré de quelques rares familiers, parmi lesquels Tristan Lermite, Olivier le Dain et le médecin Coictier, dont il avait porté les appointements à un taux excessif pour stimuler son zèle. Perdu sans ressources, mais espérant toujours prolonger son existence, il fit venir de Reims la sainte ampoule et d'Italie le saint ermite François de Paule, pour obtenir par ses prières quelques jours de plus à vivre; mais « le tout n'y faisait rien et fallait qu'il passast par là où tous les autres sont passés ».

On ne saurait sans doute souscrire au jugement de Commines qui déclare qu'il fut celui des princes de son temps dont il y eut le plus de bien et le moins de mal à dire. Il est impossible d'oublier que ses principaux moyens d'action furent l'achat des consciences, la violation des serments et parfois aussi les vengeances cruelles; que, s'il fut brave, il le fut sans loyauté chevaleresque; que, s'il fut habile, sa fertilité en ruses fut parfois malheureuse; qu'il eut toujours les allures et les moeurs d'un tyran; qu'en un mot, il ne fut ni un esprit élevé, ni un grand caractère. Mais on doit reconnaître aussi, et c'est là sa gloire, qu'en combattant la féodalité et la réduisant à l'impuissance, il travailla à fonder l'unité française et qu'il y réussit; l'oeuvre d'agrandissement territorial de la France, qu'il poursuivit toute sa vie, fut immense; en ce sens, aucun de ses prédécesseurs, aucun même de ses successeurs ne lui peut être comparé.

De son mariage avec Charlotte de Savoie, Louis XI eut six enfants, trois fils et trois filles; trois seulement lui survécurent : le dauphin Charles, qui lui succéda sous le nom de Charles VIII; Anne, mariée au sire de Beaujeu, et Jeanne la Boiteuse, mariée au duc d'Orléans, plus tard Louis XII. (Henri Courteault).



 En librairie. - Paul Murray Kendall, Louis XI, Fayard, 2008.
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