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La Logique, de Hegel
La Science de la logique ou simplement la Logique est un ouvrage de Hegel (1812-1816, 3 volumes). Il ne faut pas se laisser tromper par le titre : la Logique de Hegel n'est pas proprement une logique, C'est plutôt une oeuvre purement métaphysique. Nous ne pouvons prétendre donner en quelques paragraphes une analyse complète et raisonnée de cet important travail. C'est d'ailleurs une de ces oeuvres d'un caractère géométrique dont les parties sont tellement liées entre elles qu'elles se refusent à toute analyse, qu'elles tombent en poussière aussitôt qu'on veut les disséquer membre à membre, articulation à articulation. Nous nous contenterons d'exposer avec quelques détails le point de vue fondamental et les aperçus les plus originaux de ce travail, une des plus belles et des plus originales conceptions de l'esprit humain. 

L'ancienne logique, telle qu'Aristote l'a fondée, ne se propose qu'une chose : nous apprendre à analyser les opérations de l'esprit dans l'acte du raisonnement. Elle n'a pas à s'inquiéter d'ordonner les éléments de la pensée, d'en rechercher et d'en définir la valeur. Se contentant d'une suprématie purement formelle que lui donne le raisonnement qui fait son objet propre et dont nulle autre science ne peut se passer, elle ne se préoccupe nullement de ses rapports avec les autres sciences. En un mot, elle est une science purement subjective. La réforme hégélienne consiste à faire de la logique la science de l'absolu. Comment? Laissons la parole à Véra, le traducteur de Hegel :

"S'il y a, dit-il, une science absolue, c'est bien la logique qui est cette science. Car toutes les sciences la présupposent, tandis qu'elle n'en présuppose aucune. Toutes les sciences emploient les notions et les procédés logiques, et il n'en est aucune qui puisse atteindre son objet et élaborer ses matériaux sans leur concours. Or, il serait irrationnel et logique d'admettre que la logique, qui constitue l'instrument universel de la connaissance, n'eût pas de rapport objectif, un rapport de nature, avec les êtres que l'on connaît par son concours. Et en concevant ainsi la logique, non seulement nous lui enlevons le caractère essentiel qui constitue la science, mais nous admettons implicitement qui il y a deux logiques : une logique infinie et une logique finie, une logique éternelle et absolue, suivant laquelle les choses sont faites et ordonnées et pensées, et une logique accidentelle, relative, et comme inventée pour nos facultés et pour notre usage. Mais il est évident qu'il ne saurait y avoir qu'une seule logique, et que cette logique ne doit pas seulement être une logique absolue, mais former un élément intégrant de l'être absolu. Car si nous admettons que la logique est une science absolue, et qu'elle ne constitue pas en même temps une partie de l'absolu, nous admettons qu'il y a quelque chose d'absolu qui n'appartient pas à l'absolu. Si, d'un autre côté nous admettons deux logiques, l'une absolue et l'autre relative, nous soulèverons des difficultés plus insolubles encore. Il faut donc admettre qu'il y a une seule logique, qui est, par cela même, l'absolue logique ou le logos absolu, suivant laquelle les choses sont rationnellement et absolument faites et pensées, et qu'ainsi tout ce qui est ou qui peut être, tout ce qui se meut dans le ciel ou vit sur la terre, tout est soumis à des lois logiques. Ainsi considérée, la logique devient métaphysique, et ainsi cesse cette distinction, arbitraire aux yeux de Hegel, de la raison et du raisonnement, de la vérité logique et de la vérité métaphysique."
Il n'y a donc qu'une seule logique, une logique absolue. Il faut maintenant déterminer l'objet et les caractères essentiels de cette logique, en analyser les divers éléments et montrer quel rôle elle joue dans la science et dans l'ensemble des choses. Les Anciens, et après eux les Modernes jusqu'à Hegel, ont considéré la logique comme la science de la forme et de le méthode purement subjectives. La nouvelle logique absolue démontre par une méthode absolue, qui est fondée sur la nature même des choses éternelles et absolues. Or, ce qui nous apparaît comme l'être le plus réel, comme le principe de toute réalité, c'est l'idée. Mais s'il est vrai que l'essence des choses réside dans l'idée, la vraie, l'absolue méthode sera celle qui connaît les choses selon les idées; par conséquent, cette méthode est absolue au même titre que les idées. Cette méthode absolue est systématique par nature. Tout, dans l'univers, est un système; l'univers est le système général des choses; chaque partie de l'univers, chaque être pris en particulier est un système partiel dans le système total; l'ordre, la proportion, l'harmonie règnent partout dans le monde, et qui dit ordre et harmonie dit système. Là où il n'y a pas de système, il n'y a pas de connaissance; le désordre dans le monde amènerait la folie dans l'esprit humain. Mais la logique absolue devant retrouver le fond absolu des choses, et ce fond n'étant lui-même rien autre chose qu'harmonie et système, il s'ensuit nécessairement que la logique est systématique par essence.
 
 L'être. Le néant. Le devenir

Identité de l'être pur et du non-être

«L'être pur, ainsi conçu, c'est L'abstraction pure, l'être dont on ne peut rien affirmer (pas même qu'il est), sans le nier par cela même, car cette affirmation suppose à côté de l'être au moins la pensée de l'être, soit que l'être s'affirme lui-même, soit qu'il soit affirmé par un autre que lui. L'être pur est donc l'être absolument indéterminé. Mais l'être absolument indéterminé, c'est l'être qui n'est rien, c'est l'être et autre chose que l'être, c'est l'être et ce qui n'est pas l'être, c'est en un mot l'être et sa négation, le non-être. »

Réponse aux objections 
contre l'identité de l'être et du non-être

« Si l'être, objecte-t-on, et le non-être sont identiques, ma maison, mon bien, l'air à l'égard de la respiration, telle ville, le soleil, le droit, l'esprit, Dieu, sont et ne sont pas, et il m'est indifférent qu'ils soient ou qu'ils ne soient pas.

Mais d'abord, dans ces exemples, on substitue à l'être et au néant purs et abstraits des fins particulières et des choses qui ont utilité pour moi, et l'on se demande ensuite s'il m'est indifférent que telle chose, qui m'est utile, soit ou ne soit pas! Au reste dans le fait, la philosophie est précisément la science qui doit affranchir l'homme de ce nombre infini de fins et de vues particulières, et le placer dans un état d'indifférence telle, que ce soit une seule et même chose pour lui, que tel objet particulier existe ou n'existe pas.

Ensuite, dans ces exemples, il est question d'objets qui n'existent que par leur rapport avec d'autres existences et d'autres fins, lesquelles sont supposées comme ayant une réalité. L'on substitue par là à la différence abstraite de l'être pur et du néant la différence des existences concrètes [...]. Ainsi, en substituant un objet concret à l'être et au néant purs, l'on tombe dans ce vice habituel de la pensée, qui consiste à se représenter les choses tout autrement qu'elles ne sont, à confondre des objets distincts et à parler des unes comme on devrait parler des autres. C'est ce qui arrive ici, où il n'est vraiment question que de l'être et du non-être abstraits. »
 
 

Vérité du devenir universel. 
Fausseté du « nihil ex nihilo »

« En regard de notre proposition, que le devenir fait le passage de l'être au néant et du néant à l'être, se trouvent les propositions vulgaires : « Rien ne peut venir du néant. Ce qui est ne peut tenir que de l'être », lesquelles établissent l'éternité de la matière et sont le fondement du panthéisme. Les Anciens ont déjà fait cette réflexion bien simple, que ces propositions suppriment au fond tout devenir. Et en effet, si on les admet, ce qui devient et ce dont il devient seront une seule et même chose. Ces propositions sont fondées sur les identités abstraites de l'entendement; et l'on doit s'étonner de les voir admettre, de notre temps, avec une entière confiance, sans comprendre qu'elles sont la source du panthéisme, et sans savoir que les anciens ont déterminé définitivement la valeur et le sens de ces propositions.

Il ne serait pas difficile de prouver que l'unité de l'être et du néant se rencontre dans tous les événements, dans tous les objets et dans toutes les pensées. L'on doit dire de l'être et du néant [...]. qu'il n'y a rien au ciel ni sur la terre qui ne les contienne tous les deux.

Lorsqu'on palle d'une chose réelle, ces deux déterminations, être et néant, s'y traduisent par l'élément positif et par l'élément négatif.

[...]

En Dieu lui-même, la qualité, l'activité, la création, la puissance, etc., contiennent essentiellement des déterminations négatives, par exemple la production. »
 
 

(Hegel, extraits de la Logique).

La logique absolue doit-elle être exclusivement la science de la forme absolue? Hegel ne le croit pas. Par cela même qu'elle est la forme de la science absolue, la logique doit avoir un contenu adéquat à son objet, c'est-à-dire absolu comme elle-même. Ainsi, par exemple, quand on dit : "Dieu est", on veut dire : "Dieu n'est ni ne peut être de telle ou telle façon; mais il est nécessairement ce qu'il est ". La nécessité indivisible est le contenu de l'idée de Dieu. Donc le contenu est inséparable de la forme. Cette forme et ce contenu étant absolus, la logique, qui est nécessairement la science universelle, pénètre toutes les sciences et s'y reproduit avec sa forme et son contenu. Par conséquent, saisir les idées pures et absolues, les saisir par la ansée pure et absolue comme elles, voilà l'objet de la logique. A ce propos, essayons de résoudre une difficulté très grande du système hégélien; déterminons, sil se peut, un point fort obscur de cette doctrine qui, mal compris le plus souvent, a fait donner à Hegel le nom de sophiste. La maxime fondamentale de sa doctrine est celle-ci : l'être est identique au non-être. Prise à la lettre, cette maxime est absurde, et elle donne beau jeu aux adversaires de l'hégélianisme, qui, se hâtant de triompher, s'écrient : 

"Ainsi, pour Hegel, l'être, c'est le néant; les ténèbres sont la lumière; la nécessité, c'est la liberté; le bien, c'est le mal ; l'infini, c'est le fini; le positif, c'est le négatif; y-y = 2y, etc." (P. Gratry, Logique et sophistique contemporaine).
Un système aussi grand, aussi fécond que le système hégélien ne saurait débuter par une absurdité aussi manifeste. L'être est identique au non-être! C'est, aux termes près, la maxime idéaliste de l'école d'Elée. Hegel ne veut pas dire que l'être concret, déterminé, soit égal au néant. Voici sa pensée. Supposez par l'entendement l'être antérieur à toute détermination, à toute limitation, à toute manifestation, l'être possible, mais non réalisé, qui sera ceci ou cela, mais qui n'est encore ni l'un ni l'autre. Que pourrez-vous affirmer de cet être indéterminé? Rien absolument. Mais, d'autre part, que pouvez-vous affirmer du néant? Rien non plus. Par conséquent, l'être indéterminé est identique au néant, puisque vous ne pouvez également rien affirmer ni de l'un ni de l'autre. Ainsi, cette formule, qui semble contradictoire à un esprit superficiel, n'est rien moins que la suprême abstraction de la pensée. Ainsi, l'être, tout en étant dans le futur, n'est pas, et le non-être, tout en n'étant pas actuellement, est en puissance, est possible. La notion d'être et a notion de non-être sont inséparables; elles s'opposent l'une à l'autre pour se combiner dans le devenir, ce devenir qui est le développement, la manifestation sensible de l'être et du non-être.
"Ces deux moments abstraits et vides, où leur contenu identique se trouve encore à l'état de rapport, se détruisent en passant l'un dans l'autre. Leur contenu n'est rien autre chose que leur identité; ce sont eux qui achèvent l'évolution de l'essence dans la sphère de l'apparence. La manifestation de la force pose l'existence de l'élément interne de l'essence, et cette position s'accomplit par l'intermédiaire de ces deux moments abstraits. Mais cet état de médiation disparaît, ce qui amène un état immédiat où l'élément interne et l'élément externe de l'essence sont identiques en soi et par soi, et leur différence n'est plus qu'un moment que la notion a traversé. Cette identité est la réalité concrète. "
Nous voyons comment l'idée passe, dans la réalité concrète, de la logique dans Ia nature. Mais est-ce à dire pour cela qu'il y ait scission dans l'idée, que l'idée soit autre dans la logique, autre dans la nature? Distinguons l'idée dans la logique est l'idée possible, c'est la puissance. L'idée dans la nature est l'idée réalisée. Dans la logique, c'est-à-dire dans la sphère de l'universel et de l'absolu, l'idée n'a pas conscience d'elle-même, elle n'est pas encore l'idée de l'idée, la pensée de la pensée, comme le disait Aristote; elle n'arrive à cette conscience qu'en passant dans la nature. Ce passage de la logique dans la nature est un progrès, loin d'être une déchéance, ainsi que l'ont voulu certains critiques. Il y a progrès, car l'idée passe de la sphère abstraite et immobile dans le domaine de la réalité et du mouvement. C'est à peu près l'idée qu'avait exprimée, longtemps avant Hegel, Aristote dans sa Physique. Pour lui, l'être réellement digne de ce nom est l'être qui a passé du domaine indéterminé, abstrait de la matière, de la puissance, dans le domaine concret et déterminé de la réalité, de l'acte, de la forme. Ce passage s'opère par le mouvement. De même, pour Hegel, l'idée, en entrant dans la réalité extérieure, cesse d'être une unité abstraite; son unité ne se brise pas; mais elle s'extériorise et devient manifeste. Cette opposition de la pensée abstraite et de la pensée concrète nous prouve d'une manière éclatante l'excellence incomparable de la pensée.

Telle est en résumé la Logique de Hegel, si souvent attaquée, mais peu connue. (PL).

Nous l'avons dit au début de cet article, l'analyse complète et raisonnée d'une couvre aussi profonde que la Logique de Hegel est chose à peu près impossible. Nous avons dû nous borner à exposer avec quelques détails le point de vue fondamental et les aperçus les plus originaux de ce vaste travail. Nous croyons aider à l'intelligence de son système par le tableau suivant, ou sont classées les idées développées dans la Logique.
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Logique comme...
...Science de l'être Qualité 1er moment. Etre Thèse. Etre pur


Antithèse. Néant pur


Synthèse. Devenir
2e moment. Existence Thèse. Existence en tant que réelle (affirmation)


Antithèse. Existence s'opposant à une autre (négation)


Synthèse. Existence limitée (limitation)
3e moment. Etre pour soi Thèse. Etre un


Antithèse. Etre multiple


Synrhèse. Etre total
Quantité Thèse. Quantité pure.


Antithèse. Nombre.


Synthèse. Degré.
Mesure Thèse. Mesure spécifique


Antithèse. Mesure réelle.


Synthèse.Devenir de l'essence.
Science de l'essence 1ermoment : 
de l'essence (comme réflexion ou fondement de l'existence)
Thèse. Réflexion pure


Antithèse. Diversité


Synthèse. Existence
2e moment :
de la phénoménalité
Thèse. Existence de la chose
Antithèse. Phénomène
Synthèse. Rapport 1. Du tout avec les parties.


2 De la chose avec ses manifestations


3. De la puissance à l'acte
2e moment : 
de la réalité.
Thèse. Possibilité


Antithèse. Contingence


Synthèse. Nécessité
Science de la notion 1° Subjectivité
ou notion subjective
Thèse. Notion Universelle


Particulière


Individuelle
Jugement Existentiel
ou de qualité
Positif


Négatif


Indéfini ou limitatif
De réflexion 
ou de quantité
Individuelle


Particulière


Universelle
Nécessaire ou de relation Catégorique


Hypothétique


Disjonctif
De notion ou de moralité Assertorique


Problématique


Démonstratif
Raisonnement
2° Objectivité
ou notion objective
Mécanisme


Chimisme


Téléologie
3° Idée 
ou sujet-objet
Thèse. Vie Individu vivant
Processus de la vie
Espèce
Antithèse. Connaissance Thèse. Bien final posé comme essentiel


Antithèse. Bien final posé comme possible


Synthèse. Devoir
Synthèse. Idée absolue Thèse. origine


Antithèse. Progrès


Synthèse. Fin
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