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L'individualisme

L'individualisme est le contraire du collectivisme. Considéré du point de vue psychologique, c'est la tendance de l'individu à se prendre lui-même pour fin, à subordonner le bien des autres au sien propre. Politiquement, c'est le système ou le mode d'organisation sociale qui prend pour base théorique où réalise plus ou moins dans la pratique l'indépendance de l'individu à l'égard de la communauté, le libre épanouissement des aspirations personnelles. Il ne semble guère douteux que le progrès politique dans le passé n'ait eu lieu dans le sens de l'individualisme, s'il a consisté essentiellement dans l'affranchissement graduel des personnes, devenues de plus en plus maîtresse d'elles-mêmes et de leurs biens, de mieux en mieux garanties dans leurs droits.

La constitution anglaise, celle des États-Unis, la Révolution française avec sa Déclaration des droits de l'homme, la République, issue finalement de cette Révolution, ont été regardées comme les dernières étapes de ce progrès. Or, l'élément commun à toutes ces formes politiques, et mesure leur valeur comparative, n'est-ce pas précisément la part qu'elles font à la liberté; et cette liberté, qu'est-ce autre chose, en dernière analyse, que l'autonomie du citoyen dans la cité? On a peine à croire que les sociétés humaines aient fait fausse route en se développant dans ce sens. Pour l'admettre, il faudrait changer radicalement notre idée de la civilisation, renoncer, par exemple et avant tout, à la conception morale qui semble rallier le mieux tous les esprits éclairés de notre temps, la morale du respect des personnes et de l'autonomie des volontés.

Cependant l'individualisme à outrance serait, à la limite, destructif de toute société et radicalement immoral. On s'en aperçoit aujourd'hui, ceux-là même qui ne s'en étaient pas d'abord avisés; d'où le juste discrédit des doctrines et, à la longue, des institutions qui abonderaient uniquement dans le sens de l'égoïsme individuel sans le corriger par le sentiment de ce que la partie doit au tout, le citoyen à la cité. L'analogie des sociétés naturelles avec les organismes, prisée par la sociologie du XIXe siècle, a fait apparaître la solidarité des individus comme aussi nécessaire au bien de la société que la solidarité des cellules est nécessaire au bien de l'organisme. L'esprit de solidarité, qui, s'il n'est pas le contraire de l'individualisme, en est au moins le correctif, apparaît dès lors comme le complément indispensable de l'esprit de liberté, lequel, faute d'être tempéré de la sorte, conduit en morale à l'égoïsme sans scrupule, en politique à l'anarchie, dans l'ordre économique à tous les effets de l'implacable concurrence, dans l'ordre social, à toutes les laideurs de la lutte sans merci des intérêts. De même que, pour les organismes, l'hypertrophie de quelques cellules aux dépens des autres est une sûre cause de destruction, de même l'est, pour les sociétés, l'hypertrophie monstrueuse de certains individus aux dépens des autres, ou, ce qui ne vaut pas mieux, l'exaltation furieuse de toutes les individualites au mépris du bien public. 

« Quand tous sont isolés par l'égoïsme, a dit Benjamin Constant, il n'y a que de la poussière, et dès qu'un orage arrive, c'est de la fange. »
Si donc l'individualisme garde ses droits en sociologie (car comment la société qui n'est faite, après tout, que d'individus atteindrait-elle ses fins en dehors du bien de ses membres ?) ce n'est jamais qu'au même titre et dans la même mesure que la liberté même, laquelle n'est respectable qu'à la condition de respecter les autres, n'est sacrée moralement que comme sujette du devoir, et serait mortelle socialement si elle n'était, non seulement contenue par la justice, mais transfigurée par l'amour. La liberté ivre de son propre vin n'est qu'un dissolvant; l'individualisme sans frein est odieux. Point de société qui résiste à l'esprit de dispersion si l'esprit d'union n'était plus fort, c.-à-d. l'esprit de solidarité, de fraternité qui fait que l'individu s'oublie pour les autres, trouve son plus grand bonheur au besoin dans le sacrifice. (H. Marion).
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