Combat des
Horaces et des Curiaces
«
[...] On donne le signal, et ces braves héros marchent trois à
trois, les uns contre les autres, portant entre eux six le courage de deux
grandes armées. Insensibles de part et d'autre à leur propre
péril, ils n'ont devant les yeux que la servitude ou la liberté
de leur patrie, dont le sort désormais dépend uniquement
de leur courage. Dès qu'on entendit le choc de leurs armes et qu'on
vit briller leurs épées, les spectateurs, saisis de crainte
et d'alarme, sans que l'espérance penchât encore d'aucun côté,
restèrent tellement immobiles, qu'on eût dit qu'ils avaient
perdu l'usage de la voix et de la respiration.
Ensuite,
lorsqu'en étant venus aux mains, ce ne fut plus seulement le mouvement
des bras et l'agitation des armes qui servirent de spectacle, mais qu'on
aperçut des blessures et qu'on vit couler le sang, deux Romains
tombèrent morts aux pieds des Albains, qui tous trois avaient été
blessés. A leur chute, l'armée ennemie poussa de grands cris
de joie, pendant que de l'autre côté les légions romaines
demeurèrent sans espérance, mais non sans inquiétude,
tremblant pour le Romain qui était resté seul, et que les
trois Albains avaient entouré.
Heureusement
il était sans blessure; ainsi, trop faible contre tous ensemble,
mais plus fort que chacun d'eux, il use d'un stratagème qui lui
réussit. Pour diviser ses ennemis, il prend la fuite, persuadé
qu'ils le suivront plus ou moins vite, selon qu'il leur reste plus ou moins
de force. Déjà il était assez loin de l'endroit où
l'on avait combattu, lorsque, tournant la tête, il voit les Curiaces
à une assez grande distance les uns des autres, et l'un d'eux tout
proche de lui. Il revient sur celui-ci de toute sa force : tandis que l'armée
d'Albe crie à ses frères de le secourir, déjà
Horace, vainqueur de ce premier ennemi, court à une seconde victoire.
Alors
les Romains animent leur guerrier par des cris, tels que le mouvement subit
d'une joie inespérée en fait pousser, et lui, de son coté,
se hâte de mettre fin au second combat. Avant donc que l'autre, qui
n'était pas fort éloigné, ait pu l'atteindre, il couche
son ennemi par terre. Il ne restait plus de chaque côté qu'un
combattant; mais si le nombre était égal, les forces et l'espérance
ne l'étaient pas. Le Romain, sans blessure et fier d'une double
victoire, marche plein de confiance à ce troisième combat.
L'autre, au contraire, affaibli par le sang qu'il a perdu et épuisé
par la course, se traîne à peine et, déjà vaincu
par la mort de ses frères, comme une victime sans défense,
présente la gorge à son vainqueur. Aussi ne fut-ce point
un combat.
Horace,
triomphant déjà par avance : J'ai immolé, dit-il,
les deux premiers aux mânes de mes frères; j'immolerai le
troisième à ma patrie, afin que Rome devienne maîtresse
d'Albe et lui fasse la loi. A peine Curiace pouvait-il soutenir ses armes
il lui enfonce son épée dans la gorge, et ensuite le dépouille.
Les Romains reçoivent Horace dans leur camp avec une joie et une
reconnaissance d'autant plus vives, qu'ils avaient été plus
près du danger. »
(Tite-Live,
Histoire
romaine). |