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Guillaume le Conquérant

Guillaume le Conquérant (Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, Guillaume Ier d'Angleterre) est un roi d'Angleterre (1066-1087), né à Falaise le 14 octobre 1027, mort à Rouen le 9 septembre 1087, fils de Robert le Diable et d'Arlète, fille d'un humble tanneur de Falaise, que le duc de Normandie avait rencontrée par hasard un jour qu'elle lavait du linge dans un ruisseau et qu'il aima à cause de sa douceur et de son incomparable beauté. Guillaume fut élevé avec autant de soin que s'il eût été fils légitime, et lorsque Robert partit en pèlerinage à Jérusalem (1033) il le fit reconnaître par ses barons comme son héritier. Le duché de Normandie était un des plus turbulents de la chrétienté; aussi à peine eut-on appris que Robert le Diable était mort à Nicée (1035) qu'une rébellion éclata. Les seigneurs déclaraient « qu'un bâtard ne pouvait commander aux fils des Danois ». Le jeune duc, appuyé par le roi de France, reconquit son duché, après une grande bataille de cavalerie au Val des Dunes (1047). Il témoignait déjà d'une indomptable énergie, d'un courage à toute épreuve et de réelles qualités d'homme d'Etat : la largeur de vues et la patience. Sa taille gigantesque, sa force prodigieuse lui valurent des partisans passionnés. Il guerroya avec succès contre ses voisins d'Anjou et de Bretagne
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Guillaume le Conquérant.
Guillaume le Conquérant (1027-1087).

Au siège d'Alençon, les habitants s'étant permis de railler l'humilité de sa naissance en criant du haut de leurs murs « La peau! la peau! » et en battant des cuirs, il fit sur le champ couper les pieds et les mains de ses prisonniers et ordonna à ses frondeurs de lancer dans la ville les membres mutilés. Cette féroce vengeance le rendit redoutable. En 1051, il vint en Angleterre visiter son cousin le roi Edouard le Confesseur qui, entouré de longue date de conseillers normands, lui promit, dit-on, sa succession. Une telle promesse, eût-elle été réellement faite, était sans valeur, puisqu'elle devait être ratifiée par une élection. D'autres préoccupations allaient d'ailleurs assaillir Guillaume. De nouveau son duché était en pleine révolte. Il lui fallut six années de rudes combats et deux grandes victoires à Mortemer et à Varaville pour réduire les mécontents. Mais en 1060, après avoir soumis le Maine et la Bretagne, il était un des plus puissants princes de France. Il employa les loisirs de la paix à favoriser l'agriculture et l'enseignement. C'est à cette époque que l'abbaye du Bec brilla du plus vif éclat.

Cependant Guillaume avait épousé Mathilde, fille de Baudouin V, comte de Flandre (1053). C'était sa parente à un degré prohibé par l'Eglise. Le mariage fut dénoncé à Rome; le pape Léon IX refusa de le sanctionner. Guillaume consulta, sur la validité de son union, le prieur du Bec, le fameux Lanfranc, qui donna raison au pape. Le duc furieux le bannit de ses Etats et vint surveiller son départ. Lanfranc, monté sur un cheval boiteux et usé, ne se hâtait pas assez et fut brutalement apostrophé; il eut la hardiesse de répondre : 

« Donne-moi un meilleur cheval et je partirai plus vite! » 
Guillaume ne put s'empêcher de rire et depuis cette aventure Lanfranc devint son conseiller le plus écouté et le dépositaire de ses secrets. En 1059, le moine plaidait auprès du Saint-siège et gagnait la cause du duc. Bien mieux, il rapporta de Rome l'assurance que le pape encourageait les prétentions de Guillaume sur l'Angleterre. Tout paraissait les favoriser. Le roi Edouard n'avait pas d'enfants : il aimait les Normands et la Normandie; il pouvait désigner son parent à l'élection du grand conseil national. Le duc de Normandie intriguait en Angleterre, gagnait à son parti de puissants seigneurs. Harold, le fils de Godwin était son ennemi le plus redoutable, car il jouissait comme son père d'une immense popularité auprès des Anglo-Saxons. Guillaume eut l'adresse de lui arracher la promesse de l'aider à obtenir le royaume, de lui faire jurer la confirmation de cette promesse devant le conseil des hauts barons de Normandie réuni à Bayeux et de le fiancer à sa fille Adelize (1065). Bientôt Edouard mourut (15 janvier 1066) en prophétisant : 
« Le Seigneur a tendu son arc, le Seigneur a préparé son glaive; il le brandit comme un guerrier : son courroux se manifestera par le fer et la flamme. » 
Il avait désigné Harold pour son successeur et, le jour même de ses funérailles, Harold était élu par les grands et les nobles et sacré par l'archevêque Stigand.

Guillaume, désappointé, résolut de recourir aux armes, mais il était prudent et il rumina longtemps sa vengeance. Il expédia d'abord un émissaire à Harold pour lui rappeler le serment prêté « sur de bons et saints reliquaires ». Le roi anglais objecta que ce serment n'était pas valable, car il y avait été contraint; qu'il avait promis ce qui ne lui appartenait pas, que sa royauté n'était point à lui et qu'il ne pouvait s'en démettre sans l'aveu du pays. Alors le duc de Normandie envoya partout des ambassadeurs : au Danemark, en Allemagne, en France, en Bretagne, en Anjou, en Flandre, à Rome pour dénoncer « l'injustice et le sacrilège du Saxon ». Les négociations habilement conduites lui valurent l'appui moral de tout le continent.

Le pape Alexandre Il lança une bulle d'excommunication contre Harold et tous ses partisans, permit au duc Guillaume d'entrer en Angleterre à main armée « pour y établir son droit comme héritier du royaume en vertu du testament du roi Edouard », lui adressa une bannière de l'Eglise romaine et un anneau. C'étaient là les fruits de la mission antérieure de Lanfranc. Mais il fallait l'appui effectif et le consentement des barons normands. Guillaume les obtint après des discussions épineuses et grâce aux ressources de sa fine diplomatie. Le 27 septembre 1066, il s'embarquait enfin à la tête d'une armée de 60 000 hommes. 
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Construction, préparatifs et départ
de la flotte de Normandie (1066)

« Guillaume fit publier son ban de guerre dans les contrées voisines; il offrit une forte solde et le pillage de l'Angleterre à tout homme robuste qui voudrait le servir de la lance, de l'épée ou de l'arbalète. Il en vint une multitude, par toutes les routes, de loin et de près, du nord et du midi. Il en vint du Maine et de l'Anjou, du Poitou et de la Bretagne, de la France et de la Flandre, de l'Aquitaine et de la Bourgogne, des Alpes et des bords du Rhin. Tous les aventuriers de profession, tous les enfants perdus de l'Europe occidentale accoururent à grandes journées; les uns étaient chevaliers et chefs de guerre, les autres simples piétons et sergents d'armes, comme on s'exprimait alors; les uns offraient de servir pour une solde en argent, les autres ne demandaient que le passage et tout le butin qu'ils pourraient faire. Plusieurs voulaient de la terre chez les Anglais, un domaine, un château, une ville. Tous les voeux, toutes les prétentions de l'avarice humaine se présentèrent: Guillaume ne rebuta personne, dit la chronique normande, et fit plaisir à chacun selon son pouvoir. Il donna d'avance à un moine de Fécamp un évêché en Angleterre.

Durant le printemps et l'été, dans tous les ports de la Nor mandie, des ouvriers de toute espèce furent employés à construire et à équiper des vaisseaux; les forgerons et les armuriers fabriquaient des lances, des épées et des cottes de mailles; et des portefaix allaient et venaient sans cesse pour transporter les armes des ateliers sur les navires.

Le rendez-vous des navires et des gens de guerre était à l'embouchure de la Dive, rivière qui se jette dans l'Océan, entre la Seine et l'Orne. Durant un mois, les vents furent contraires et retinrent la flotte normande au port. Ensuite une brise du sud la poussa jusqu'à l'embouchure de la Somme au mouillage de Saint-Valery. Là, les mauvais temps recommencèrent, et il fallut attendre plusieurs jours. La flotte mit à l'ancre et les troupes campèrent sur le rivage, fort incommodées par la pluie qui ne cessait de tomber à flots. Pendant ce retard, quelques-uns des vaisseaux, fracassés par une tempête violente, périrent avec leurs équipages; cet accident causa une grande rumeur parmi les troupes, fatiguées d'un long campement.

Dans l'oisiveté de leurs journées, les soldats passaient des heures à converser sous la tente, à se communiquer leurs réflexions sur les périls du voyage et les difficultés de l'entreprise. Il n'y avait point encore eu de combat, disait-on, et déjà beaucoup d'hommes étaient morts; l'on calculait et l'on exagérait le nombre des cadavres que la mer avait rejetés sur le sable. Ces bruits abattaient l'ardeur des aventuriers d'abord si pleins de zèle; quelques-uns même rompirent leur engagement et se retirèrent. Pour arrêter cette disposition funeste à ses projets, le duc Guillaume faisait enterrer secrètement les morts, et augmentait les rations de vivres et de liqueurs fortes. Mais le défaut d'activité ramenait toujours les mêmes pensées de tristesse et de découragement. « Bien fou, disaient les soldats en murmurant, bien fou est l'homme qui prétend s'emparer de la terre d'autrui; Dieu s'offense de
 pareils desseins, et il le montre en nous refusant le bon
vent. »

Guillaume, en dépit de sa force d'âme et de sa présence d'esprit habituelle, était en proie à de vives inquiétudes qu'il avait peine à dissimuler. On le voyait fréquemment se rendre à l'église de Saint-Valery, patron du lieu, y rester longtemps en prières, et chaque fois qu'il en sortait, regarder au coq qui surmontait le clocher quelle était la direction du vent. S'il paraissait tourner au sud, le duc se montrait joyeux; mais s'il soufflait du nord ou de l'ouest, son visage et sa contenance redevenaient tristes. Soit par un acte de foi sincère, soit pour fournir quelque distraction aux esprits abattus et dé
couragés, il envoya prendre processionnellement, dans l'église, la châsse qui contenait les reliques du saint, et la fit porter en grande pompe à travers le camp. Toute l'armée se mit en oraison; les chefs firent de riches offrandes; chaque soldat, jusqu'au dernier, donna sa pièce de monnaie, et la nuit suivante, comme si le ciel eût fait un miracle, les vents changèrent et le temps redevint calme et serein. Au point du jour, c'était le 27 septembre, le soleil, jusque-là obscurci de nuages, parut dans tout son éclat. Aussitôt le camp fut levé, tous les apprêts de l'embarquement s'exécutèrent avec beaucoup d'ardeur et non moins de promptitude, et, quelques heures avant le coucher du soleil, la flotte entière appareilla. Sept cents navires à grande voilure et plus d'un millier de bateaux de transport se mirent en mouvement pour gagner le large, au bruit des trompettes et d'un immense cri de joie poussé par soixante mille bouches. »
 

(A. Thierry, Histoire de la conquête de l'Angleterre
par les Normands, livre III, 1825).

Cependant le roi Harold avait à surmonter des obstacles aussi considérables. Son frère Tolstig s'était révolté contre lui et avait obtenu l'alliance du roi de Norvège qui débarqua une armée dans le Yorkshire. Les Norvégiens furent battus à Stamford Bridge; mais, pendant que Harold se hâtait de retourner à Londres, les Normands arrivaient sans encombre à Pevensey, puis campaient près d'Hastings après avoir ravagé toute la côte. Harold accourut à Hastings et se retrancha fortement derrière un rempart de pieux et de claies d'osier. Le 14 octobre, au matin, s'engagea une bataille épique. Les Normands furent repoussés à plusieurs reprises : une panique les débanda; le bruit courait que Guillaume était mort. Il fallut qu'il tombât à grands coups de lance sur les fuyards en criant de sa voix de tonnerre : 

« Me voilà! regardez-moi! je vis encore et avec l'aide de Dieu je vaincrai! »
Enfin, une retraite simulée attira les Saxons hors de leurs retranchements. Les Normands y pénétrèrent et un combat désespéré s'engagea autour de l'étendard royal puis autour du corps de Harold tué d'un coup de flèche. La nuit couvrit la déroute de l'armée anglaise. Guillaume assura ses communications avec la Normandie en prenant Rommey et Douvres, puis il marcha sur Londres où l'on avait proclamé roi un tout jeune homme, l'oetheling Edgar. Mais les Anglais étaient disposés à la soumission. La veuve d'Edouard rendit Winchester. Les évêques inclinaient pour la paix. Les puissants comtes de Mercie et de Northumbrie, Eadwin et Morkere, demeuraient les seuls soutiens du trône. Guillaume, traversant la Tamise à Wellingford, essaya de leur couper la retraite vers leurs Etats, ce qui les obligea à y retourner en toute hâte. Alors l'oetheling Edgar vint lui-même à la tête d'une députation offrir la couronne au duc de Normandie. Le 25 décembre 1066, il était couronné à Westminster aux acclamations de ses nouveaux sujets. Il s'attacha à gagner leur affection et n'eut garde de rien changer à leurs lois et à leurs coutumes. Nous dirons plus loin comment il répartit et organisa sa conquête.
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Sceau de Guillaume le Conquérant.
Sceau de Guillaume Ier d'Angleterre.

Après avoir assuré le maintien de l'ordre par une promenade militaire dans les provinces envahies, Guillaume revint en Normandie (1067). Il laissait l'Angleterre à la garde de son frère Eudes, évêque de Bayeux, et de son ministre William Fitz Osbern. Pendant qu'il triomphait sur le continent, distribuant aux monastères l'or et les objets précieux, Eudes, par ses exactions et ses tyrannies, compromettait son oeuvre. Les habitants du Kent se soulevèrent et appelèrent à leur secours Eustache, comte de Boulogne, qui faillit s'emparer de Douvres. Mais la garnison tint bon, les Boulonnais se découragèrent et les chefs du mouvement s'exilèrent d'eux-mêmes. Guillaume Le Conquérant repassa en hâte le détroit en décembre. Il marcha sur la ville d'Exeter demeurée le centre de la résistance aux Normands, s'en empara et se dirigea sur York où s'étaient rassemblés nombre de mécontents autour des comtes Eadwin et Morkere. York fut pris et reçut une garnison de 3000 hommes. Il faut noter que ces deux expéditions s'étaient faites à l'aide de contingents anglais. Mais bientôt éclatait une immense révolte (1068). En même temps que le roi du Danemark envoyait une flotte, l'oetheling Edgar soulevait la Northumbrie. Tout le Sud-Ouest prit part au mouvement (Devon, Somerset, Dorset). Exeter fut assiégé. La garnison normande d'York fut massacrée. Guillaume fit face au péril avec sa promptitude et son habileté ordinaires. Il commença par acheter la retraite de la flotte danoise, puis il ravitailla Shrewsbury, pendant que William Fitz Osbern dégageait Exeter. 

Guillaume Le Conquérant pénétra dans York et voulant détruire par un terrible exemple tout germe de rébellion ultérieure, il fit saccager le pays, brûla les villes et villages, massacra les habitants, détruisit les cultures, si bien qu'une terrible famine se déclara qui fit périr plus de cent mille personnes. Cette épouvantable vengeance accomplie, Guillaume songea à réduire Chester. L'entreprise était ardue; il fallait traverser les hauteurs qui coupent en deux l'Angleterre du Nord au Sud par des chemins à peine frayés. L'armée épuisée par la conquête du Northumberland, sans provisions, forcée de manger ses chevaux, éclata en murmures et fit mine de se révolter. Elle fut domptée par l'incroyable énergie de son chef qui supportait les privations et travaillait à l'ouverture des chemins comme le dernier de ses soldats. Guillaume put entrer en vainqueur à Chester. Tout le pays anglo-saxon était conquis; il fut couvert de forteresses. Solidement établi, le Conquérant réprima sans difficulté une dernière révolte d'Eadwin et de Morkere en 1071, détruisit le camp du Refuge, dernier asile des mécontents dans l'île d'Ely (1072), et comme l'oetheling Edgar, réfugié en Ecosse, était l'instigateur de toutes les intrigues qui troublaient sa sécurité, il passa la Tweed. Le roi Malcom, effrayé, vint au camp du roi Guillaume et se déclara son vassal et son homme-lige.

Cette série d'expéditions heureuses devait assurer à l'Angleterre plusieurs années de tranquillité. Guillaume Le Conquérant revint en Normandie et fit campagne dans le comté du Maine qu'il soumit à sa suzeraineté (1073). Cependant les réformes qu'il avait accomplies dans l'organisation intérieure de son royaume, notamment la suppression des grands comtés qui fut le premier facteur de l'unité nationale de l'Angleterre, avaient mécontenté les grands seigneurs. Roger, fils de William Fitz Osbern, et le Breton Ralph de Guader, comte de Norfolk, essayèrent, en 1075, de restaurer ces comtés à leur profit. Cette rébellion fut rapidement comprimée. Roger fut jeté en prison et Ralph dut repasser la mer. Les barons intrigants eurent bientôt trouvé un nouveau chef dans le propre frère du roi, Eudes, évêque de Bayeux, qui, sous le prétexte d'aspirer à la papauté, se mit à lever une armée et à recueillir de l'argent. Guillaume l'arrêta de sa main au milieu de sa cour et le fit emprisonner. Enfin, en 1083, il eut à redouter une grande expédition méditée par le roi Knut du Danemark sur les côtes anglaises et il réunit même une armée. Mais la flotte danoise fut dispersée par une révolte et Knut massacré par ses soldats (juillet 1086). Ce péril écarté, les frontières fortement protégées du côté de l'Ecosse par la construction d'une forteresse à Newcastle-sur-Tyne, du côté du pays de Galles par l'établissement de trois grands barons sur les marches, Guillaume le Conquérant fut attiré en 1087 en Normandie par une révolte suscitée par son fils Robert Courteheuse qu'appuyait ouvertement le roi de France. Il voulut d'abord négocier, étant fort malade et obligé même de garder le lit à Rouen sur le conseil de ses médecins qui tentaient de réduire par la diète son embonpoint excessif. Philippe ler ne put se tenir de le railler. 

« Sur ma foi, disait-il, le roi d'Angleterre est long à faire ses couches ! » 
Le propos fut rapporté à Guillaume Le Conquérant qui, furieux, jura par la splendeur de Dieu d'aller faire ses relevailles dans le pays de Philippe et d'y apporter des milliers de lances en guise de cierges. Il tint parole, pénétra en juillet dans le Vexin, foulant les moissons, arrachant les vignes et coupant les arbres fruitiers, incendiant les villes et les villages. Il galopait dans la grande rue de Mantes livrée aux flammes, lorsque son cheval s'abattit dans les décombres. Le Conquérant grièvement blessé fut ramené en hâte à Rouen et soigné au couvent de Saint-Gervais. Il occupa ses dernières heures à distribuer ses trésors aux pauvres et aux églises de ses domaines. Le 9 septembre, alors que la cloche sonnait prime, il mourut dévotement les mains jointes en murmurant une prière.

Tapisserie de Bayeux : la prise de Dinan.
L'armée de Guillaume le Conquérant s'empare de Dinan, quelle assiégeait
Conan remet les clefs de la ville. A remarquer que les soldats mettent le feu avec
des torches au donjon, qui est de bois (Broderie de Bayeux).

Il se passa alors une scène incroyable. Nobles et prêtres s'enfuirent, laissant le cadavre presque nu sur le plancher. Les officiers pillèrent le mobilier, la vaisselle, les vêtements et les bijoux et gagnèrent la campagne. Les fils de Guillaume le Conquérant l'abandonnèrent également. Guillaume le Roux n'avait pas même attendu qu'il rendit le dernier soupir pour s'embarquer pour l'Angleterre. Henri Beauclerc mettait en sûreté l'or que son père lui avait légué. Les habitants de Rouen, rapporte Orderic Vital, couraient çà et là dans la ville, comme ivres, s'attendant à voir paraître à leurs portes une multitude d'ennemis. Tous étaient conscients de la force immense de Guillaume et il semblait qu'ils eussent tout perdu avec leur protecteur. Personne ne songeait aux funérailles du roi. Enfin un gentilhomme normand nommé Herlwin en prit l'initiative. A ses frais, il fit transporter le corps vers l'abbaye Saint-Etienne de Caen où il fut enfin inhumé.

De son mariage avec Mathilde, Guillaume avait eu quatre fils et cinq filles : Richard, mort en 1081, Robert Courteheuse, qui fut duc de Normandie; Guillaume le Roux et Henri Beauclerc, qui furent rois d'Angleterre; Aude, mariée à Etienne, comte de Blois; Constance, mariée à Allain, duc de Bretagne, morte le 13 août 1090; Adelize, qui fut fiancée à Harold et mourut avant son mariage; Adèle, qui épousa Etienne, comte de Chartres, et Cécile, qui fut abbesse de la Trinité de Caen, morte en 1127.

C'est une physionomie singulière et attachante que celle de Guillaume le Conquérant. Elle est faite de contrastes : une taille gigantesque, une voix de tonnerre, une force colossale, une bravoure désespérée, des colères furieuses, d'épouvantables vengeances, tous les attributs et les instincts de la brute; le tempérament froid d'un politique, un profond mépris des humains, les plus rares qualités de général, de stratégiste et de diplomate, le sens du gouvernement, tous les dons et toutes les aptitudes des grands hommes d'Etat modernes, alliées à une piété sincère, à une tendresse et à une douceur qui étonnent chez lui, dans ses relations avec sa femme et ses enfants ou dans ses entretiens avec Anselme d'Aoste. C'était un homme de génie, et les vieilles chroniques l'avaient déjà discerné lorsqu'elles disent : 

« Aucun chevalier sous le ciel n'est le pair de Guillaume. » 
On le verra mieux par un court aperçu du système qu'il suivit dans l'organisation de sa conquête.

Guillaume Le Conquérant appliqua à l'Angleterre la féodalité, mais non pas telle qu'elle était pratiquée sur le continent, car il en corrigea certaines conséquences par de larges emprunts aux procédés de l'ancienne royauté anglaise. L'organisation militaire fut simple : les barons normands furent substitués aux seigneurs anglais. Les grands propriétaires fonciers étaient d'ailleurs presque tous tombés sur le champ de bataille; d'autres furent exilés, d'autres enfin ne restèrent en possession que d'une petite partie de leurs domaines. Guillaume le Conquérant distribua tous ces fiefs à ses compagnons. Ainsi 200 manoirs du Kent et 200 situés dans d'autres comtés furent l'apanage de son frère Eudes, William Fitz Osbern en eut presque autant, comme aussi les Clare, les Mowbray. Le moindre soldat de fortune reçut sa part des dépouilles. Mais, par contre, grands et petits s'obligèrent à prendre le service du roi, au premier appel. Une armée entière, toujours prête, se trouva ainsi campée sur le sol. D'autre part, Guillaume voulant éviter les exigences impérieuses et les intrigues des barons qui lui avaient causé tant d'embarras en Normandie, eut soin de répartir les grands feudataires de manière à rendre impossible une union entre eux contre la couronne. Par surcroît de précaution, il exigea que ses sous-tenanciers en rendant hommage aux tenanciers jurassent en même temps fidélité et loyauté au roi. En fait, il était donc, comme l'a écrit Green, le chef de la grande garnison qui occupait l'Angleterre.
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Tapisserie de Bayeux : Guillaume le Conquérant.
Guillaume le Conquérant (Broderie de Bayeux).

Mais il était également le roi élu du peuple anglais; aussi maintint-il la vieille organisation judiciaire et administrative. Seulement, il supprima les quatre grands comtés qui avaient toujours été un obstacle à la formation de l'unité nationale. Le shire devint dès lors l'unité la plus considérable du gouvernement local, et comme dans chaque shire les shérifs étaient nommés par le roi, le souverain concentrait entre ses mains tout le pouvoir exécutif. De même il voulut avoir la haute main sur la justice. Les cours locales des Hundred furent maintenues, mais la cour du roi eut le droit d'appeler devant elle tout procès de n'importe quelle juridiction secondaire. Quant aux finances, le Danegeld ou impôt foncier perçu depuis Ethelred fut maintenu. Des droits furent frappés sur tous les manoirs avec affectation spéciale à la couronne. C'étaient là les grosses ressources. Il faut y ajouter les revenus de l'ancien domaine de la couronne largement accru par la conquête, les produits des taxes judiciaires imposées par les juges des cours royales, ceux des taxes perçues pour garantie ou renouvellement de tout privilège ou charte, enfin les droits perçus sur les commerçants juifs pour le libre exercice de leur commerce. Nous ne ferons que mentionner ici le Domesday Book.

La manière dont Guillaume Le Conquérant entendit l'organisation de l'Eglise est extrêmement remarquable. Il s'attacha à la mettre dans une forte dépendance du pouvoir royal et chercha à s'en faire une garantie contre les barons. Le roi se réserva le choix des prélats, et l'évêque dut lui prêter hommage ainsi que les barons. Aucune excommunication ne put être lancée contre un tenant royal, sans la permission du souverain; aucun synode ne put légiférer sans son assentiment préalable et sans que ses décrets fussent ensuite confirmés par lui. Aucune bulle ne put être reçue dans le royaume sans son autorisation. Lorsque Grégoire VII émit la prétention de faire prêter à Guillaume le serment de féodalité à la cour de Rome, le roi normand s'y opposa énergiquement en soutenant que ce serment n'avait jamais été prêté par ses prédécesseurs, que lui-même n'avait rien promis à cet égard et qu'il ne le voulait pas prêter. Du reste, la plupart des prélats anglais furent, comme l'avaient été les seigneurs, dépossédés de leurs sièges et remplacés par des Normands. Lanfranc, nommé archevêque de Canterbury, fit beaucoup, avec l'appui du roi, pour rétablir la discipline. Enfin Guillaume enleva à la connaissance des juges laïques les délits commis par les clercs. C'était une innovation considérable, car jusqu'alors les décrets en matière spirituelle et temporelle avaient été rendus par les deux pouvoirs réunis. Les princes, les comtes, les évêques étaient élus par des cours plénières composées de seigneurs laïques et des ecclésiastiques présidés par le roi et qui étendaient leur juridiction sur tous les grands tenanciers pour toute espèce de matières judiciaires. Les statuts destinés à régler la juridiction des évêques furent promulgués à Lillebonne en 1080. (René Samuel).
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Caen : tombe de Guillaume le Conquérant.
Tombe de Guillaume le Conquérant
dans l'église Saint-Etienne de Caen. Source : The World Factbook.
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Dictionnaire biographique
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