.
-

Les Grandes Chroniques de France

L'Abbaye de saint-Denis, gardienne des tombes royales et de l'oriflamme, passait pour s'être constitué de bonne heure un autre trésor, un riche dépôt de documents d'histoire. Les auteurs des chansons de geste ne se lassent pas de célébrer le «-mostier seignori », La ou les gestes de France sont escrites.

En sa « librarie », disent-ils, sont conservés les « rolles », les livres « de vraie estoire-», « de grant ancesserie ». De fait, nous avons conservé plusieurs manuscrits du XIIe et du XIIIe siècle, qui ont été écrits par des religieux de cette maison : on y trouve, rangées en bel ordre et reliées entre elles par des pièces de raccord, les plus célèbres chroniques latines, les Gesta Dagoberti d'Aimoin, puis les Annales Laurissenses, puis la Vita Caroli d'Eginhard, etc., et chacun de ces recueils, dont une tradition vraisemblable attribue à Suger la première idée, forme une histoire continue de la France.

Or, l'abbaye ne s'était pas contentée d'assembler de vieilles chroniques des temps anciens; pour les périodes récentes, elle en composait de nouvelles. Après Suger, biographe de Louis VI, elle avait compté parmi ses moines Rigord, biographe de Philippe Auguste. Au XIIIe siècle, le haut privilège lui était presque officiellement conféré d'écrire l'histoire de France : pouvait-elle s'en tenir désormais a l'écrire en latin? Elle connaissait - on en a des preuves - les deux livres en français déjà composés à l'intention de l'élite des seigneurs et des bourgeois : celui de l'Anonyme de Béthune et celui du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers. Les religieux de la « maistre abeïe » eurent regret sans doute de s'être laissés devancer.

Toujours est-il qu'un jour - ce fut probablement en l'an 1274 l'abbé de Saint-Denis, ce Mathieu de Vendôme que naguère, à son départ pour la croisade de Tunis saint Louis avait choisi comme unis, régent du royaume, se présenta devant Philippe le Hardi. Ses moines l'escortaient. L'un d'eux, nommé Primat, s'agenouilla devant le roi et lui offrit un livre qu'il venait d'achever : les Grandes Chroniques de France  (ou de Saint-Denis).

Primat avait translaté en une saine et forte prose française, non pas, comme ses devanciers, quelque modeste manuel, mais tout l'ample corpus dionysien des anciens chroniqueurs, depuis Aimoin jusqu'à Rigord. Ce long travail, il l'avait entrepris, dit-il, «-par le commandement de tel homme qu'il ne put ni ne dut refuser » : c'est saint Louis qu'il a voulu désigner. On lit dans sa préface :

« Ceste estoire est mireors de vie; ci pourra chascuns trover bien et mal, bel et lait, sens et folie, et faire son preu [= son profit] de tout. »
En ces propos pleins de simplicité et de grandeur, et aussi dans l'éloge qu'il fait de la nation française, « fort et fière et cruel contre ses anemis et pourtant misericors et debonaire, et dame renommée seur autres nations », c'est sans doute la voix même de saint Louis qu'il faut reconnaître.

Vingt ans plus tard, le recueil de Primat s'augmentait des biographies de Louis IX et de Philippe III, composées par Guillaume de Nangis, autre religieux de Saint-Denis; et ainsi continûment; et chacune de ces biographies est un modèle de sincère et grave simplicité.

A partir de Charles V, la charge de continuer l'ouvrage sera transférée à des laïques, comme Pierre d'Orgemont, chancelier de France, mais qui resteront fidèles à l'esprit de l'abbaye, esprit de candeur et de probité. Aussi la vénération qui, dès le temps de Primat, s'était attachée à ce recueil, se maintint à travers les âges, s'accrut à mesure que Juvénal des Ursins, puis Alain Chartier, puis Jean Castel, puis Pierre Desreys l'enrichissaient de compléments, et le premier livre français qui ait été imprimé en France est une édition, en trois volumes in-folio, datée du 16 janvier 1476 (nouveau style, 1477), des Grandes Chroniques

Du XIIIe siècle au XVIIe, cette belle vulgate de l'histoire de France  a grandement agi sur les imaginations et sur les coeurs. Elle a servi à propager hors du monde étroit des clercs, en opposition à I'idée féodale, l'idée nationale, l'idée de la nation une et indivisible : car c'est d'abord et surtout par elle que des générations de Français ont appris à remonter vers leurs plus lointains ancêtres et à se reconnaître entre eux. (J.B et P. H.).

.


Dictionnaire Le monde des textes
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2015. - Reproduction interdite.