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La Grande Guerre
La Première Guerre mondiale
Campagne de 1916
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Conférences de Chantilly

Il n'y avait pas eu, depuis les grandes invasions  barbares, un autre moment où bataille eût fait rage à la fois sur tant de pays mais tout se tenait dans cette lutte en apparence dispersée, et il eût fallu considérer l'Europe tout entière comme un seul champ de bataille.

Les Empires centraux, servis par les lignes intérieures, et leurs alliés, les Bulgares et les Turcs, recevaient leurs directions de l'empereur allemand. En Occident, quelques hommes clairvoyants réclamèrent en vain l'unité de commandement. Tout au moins fallait-il la réaliser au plus tôt, selon la formule d'Aristide Briand, « l'unité d'action sur l'unité de front ».

Joffre, qui n'avait été jusqu'alors que commandant en chef des armées du Nord et du Nord-Est, fut nommé par Gallieni commandant en chef de toutes les armées françaises (2 décembre 1915). Il devait à la «splendide retraite », à la Marne et à « la course à la mer », un immense prestige et il fut écouté par tous les Etats-Majors alliés lorsqu'aux conférences de Chantilly, il proposa de prendre, en 1916, des offensives simultanées, concordantes, sur les principaux fronts de guerre.

L'offensive «générale » se déclenchera à l'été, sur les fronts russe, italien et macédonien, au signal de l'offensive franco-britannique qui sera « une attaque jointive, à cheval sur la Somme ».

L'Allemagne assiégée. 
Bien que le conseil de Chantilly eût gardé ses résolutions secrètes, le fait même de sa réunion parlait; le but apparut aussitôt, comme le sommet au-dessus des nuages.
Falkenhayn, successeur de Moltke, à la tête des armées d'occident, avait ainsi expliqué la nouvelle phase de la guerre : 

« Nous faisons le siège de la France, la forteresse France. » 
De fait, c'était l'Allemagne qui était assiégée, bloquée de toutes parts. D'où, pour l'Allemagne, un double intérêt : ne pas attendre l'offensive générale et rompre le siège par une puissante sortie.

La bataille de Verdun

Offensive allemande contre Verdun. 
Dans quelle direction? Des raisons historiques et politiques, beaucoup plus que militaires, firent choisir Verdun, qui occupait depuis des siècles une vaste place dans l'imagination allemande, à cause du traité de 843 d'où sortit la première figure de l'Empire germanique. Le kronprinz, depuis le début de la guerre, se réservait Verdun; il y aurait son bâton de maréchal. On frappera donc, avec les meilleures troupes de l'Empire, « à la porte d'airain derrière laquelle commencera une nouvelle époque de l'histoire du monde. » [Article de Maximilien Harden]

En outre, Verdun était un point faible, parce qu'il faisait saillant dans le tracé général du front français et que le saillant était coupé par la Meuse.

La défense de Verdun.
La défense de la ville fut organisée par le général Herr, l'un des maîtres de l'artillerie, mais, faute de main-d'oeuvre, de façon encore insuffisante. Castelnau, que Joffre avait choisi comme major général, visita par son ordre les travaux et les fit accélérer (janvier 1916).

Quatre corps d'armée, avec une masse d'artillerie lourde, furent rassemblés dans la région à l'arrière, d'où ils se porteraient soit sur Verdun, qui voyait grossir l'orage, soit sur le front de Champagne, qui se sentait également menacé.
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Carte de la bataille de Verdun.
Carte de la bataille de Verdun.

La ruée sur Verdun. 
Réglée comme pour le théâtre, « la dernière offensive contre la France », ainsi que l'annonçait le général Deimling, commença le 21 février, par un obus lourd, qui, à 4 heures du matin, annonça « joyeusement » le combat.

La première ruée, formidable, mais seulement sur la rive droite de la Meuse, emporta tout, malgré d'héroïques résistances, et au prix de pertes effroyables, jusqu'à la côte du Poivre, le bois de la Vauche et le fort de Douaumont (21-26 février .

L'empereur allemand était sur les lieux, prêt à faire à Verdun l'entrée triomphale qu'il avait manquée à Nancy et à Paris.

Il n'y avait à Douaumont qu'une équipe de vingt-trois canonniers; elle dormait au petit jour. Une patrouille du 24e brandebourgeois, trouvant baissé le pont-levis, pénétra dans le fort, et, sans tirer de coups de fusil, s'y installa.

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Première guerre mondiale : reprise du fort de Vaux.
Première guerre mondiale : ambulance sur la route de Verdun.
Reprise du fort de Vaux.
Une ambulance en route vers Verdun.

De cette surprise d'un fort qui aurait dù être une caserne et n'était plus, depuis des mois, qu'une sorte d'hôtellerie de passage, le kaiser fit, dans une dépêche retentissante, un splendide assaut :  « Le fort cuirassé de Douaumont », le pilier angulaire de la défense de Verdun, était tombé. L'impérial mensonge, sur l'heure, remplit le monde d'angoisse.

Pétain
Mais déjà le flot s'arrêtait. Castelnau, envoyé par Joffre, confirma son ordre impératif : 

« Résister sur la rive droite, au nord de Verdun ; tout chef qui donnera un ordre de retraite sera traduit en conseil de guerre. » 
Puis, Pétain prit le commandement. Pétain, le même qui moins d'un quart de siècle plus tard allait être à la tête d'un régime collaborationniste et antisémite, était encore un jeune colonel au début de la guerre. Tenace, calme, prévoyant, il avait gagné ses grands éperons à la Marne et à Carency. Tout de suite, il mit de l'ordre dans la confuse bataille, prescrivit à chacun son rôle et, avec les forces nombreuses qui, jour et nuit, arrivèrent au secours, exécuta la consigne de Joffre  :
« Vous sentez comme moi que la meilleure manière d'enrayer l'effort que prononcera l'ennemi est de l'attaquer à notre tour. »
Bataille d'arrêt de Verdun. 
Ainsi engagée, - « contre-attaque immédiate pour toute parcelle de terrain qui sera arrachée par l'ennemi », - la bataille d'arrêt de Verdun, bientôt étendue à la rive gauche (cote 304 et Mort-Homme), dura jusqu'au 11 mars, au milieu d'une émotion intense, tous les yeux du monde fixés sur ce petit coin du monde.
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Première guerre mondiale : Verdun (cote 304).
Verdun. Le versant sud de la cote 304. (Cl. Berthelomier).

Le soldat de Verdun, dans la boue et dans la neige, sous un ouragan ininterrompu de mitraille, fut, du premier jour, sûr de lui-même : « Passeront pas.... » Les Allemands ne passèrent pas, malgré de terribles hécatombes, certains corps perdant jusqu'à 50% de leur effectif.

Ordre du jour de Joffre : 

« Vous serez de ceux dont on dira : ils ont barré aux Allemands la route de Verdun. »
Ordre du jour de Pétain, parlant « poilu » comme César parlait « latin » :
« Les Allemands attaqueront encore... Courage, on les aura ! »
La tactique offensive n'est pas toute la guerre. Pétain multiplia les travaux défensifs, tranchées, réseaux, abris. Il construisit des routes, des lignes ferrées, des ponts, élargit la chaussée de Bar-le-Duc à Verdun (surnommée alors « la Voie sacrée »), où, jour et nuit, pendant des semaines, les convois se succédèrent dans l'ordre.
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Les forts de Douaumont et de Vaux.
Carte du secteur des forts de Douaumont et de Vaux.

Siège de Verdun.
Si violente qu'eût été la déception, le kronprinz s'obstina. Il ne réussit qu'à faire de la vallée de la Meuse le plus vaste des ossuaires allemands. S'il parvint, au printemps, à s'emparer du fort de Vaux, où le commandant Raynal écrivit une page d'épopée, il se brisa devant la côte de Froide-Terre et le fort de Souville.

Joffre, inébranlable, ordonna de continuer à défendre Verdun à l'Est sur la rive droite de la Meuse. Pétain, ayant pris le commandement du groupe des armées du Centre, transmit le mot d'ordre : « Ils ne passeront pas... », au général Nivelle, comme lui simple colonel à la Marne, tenace et hardi, qui deviendra, « le second sauveur de Verdun », et au général Mangin, officier des guerres d'Afrique, entraîneur d'hommes.

En août, l'initiative changea de camp.
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Nivelle.
Pétain.
Fayolle.
Nivelle. Pétain. Fayolle.

Le deuxième semestre de 1916.

Malgré que Verdun dominât toutes les pensées, Joffre avait poursuivi méthodiquement son plan d'une offensive générale.

Sauf en Roumanie, l'avantage resta partout aux alliés; mais ils n'en mesurèrent pas les dimensions. Ils connurent, trop tard toute la gravité de la crise que l'Allemagne traversa dans le même temps où, touchant à la victoire, ils s'irritaient de ne l'avoir pas encore remportée.

Les Autrichiens qui, à l'exemple des Allemands, avaient pris les devants sur les Alpes, bousculèrent d'abord les Italiens dans le val d'Adige, puis furent arrêtés sur le plateau des Sept Communes; ils perdirent ensuite Gorizia et tout le sud du Carso jusqu'à 20 kilomètres de Trieste.
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Armée russe dans les Carpates.
Les Russes dans les Carpates. L'avant-garde traverse le col de Tuchta.

Les Russes, devançant leur heure par solidarité avec les Italiens, obligèrent les Autrichiens à reporter leur principal effort vers la Galicie et la Bukovine; poussant sur un vaste front, ils avancèrent de nouveau jusqu'aux Carpates et ramassèrent plus de 400.000 prisonniers.

Pendant que ses victoires illustraient le nom de Broussiloff, le grand-duc Nicolas, qui avait emporté Erzeroum en plein hiver et Trébizonde au printemps, achevait la conquête de l'Arménie, où les Turcs et les Kurdes, avec la complicité de l'ambassadeur allemand, avaient massacré par milliers les populations chrétiennes.

La flotte allemande, s'étant décidée à sortir du canal de Kiel, fut attaquée par l'amiral Beatty dans les eaux du Skagerrak et, dès qu'elle vit à l'horizon les fumées de l'amiral Jellicoe et de la « grande flotte », prit la fuite.

A l'automne, une victorieuse avance de l'armée de Macédoine chassa les Bulgares de Monastir. Comme le roi Constantin s'enfonçait dans la trahison, Venizelos quitta Athènes et prit la tête d'un gouvernement provisoire à Salonique.

Les Allemands et leurs alliés ne remportèrent de succès qu'en Roumanie. A la fin de l'été, les Roumains étaient entrés à leur tour en guerre, mais trop tard, alors que l'offensive voisine de Broussiloff était à bout de souffle.

Attaqués à l'Est par les Bulgares, les Turcs et un gros renfort d'Allemands; à l'Ouest, en Transylvanie, par la principale armée austro-allemande, ils subirent plusieurs défaites, malgré la bravoure de leurs admirables soldats-paysans, et durent évacuer Bucarest.
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Beatty.
Jellicoe.
Haig.
Beatty. Jellicoe. Haig.

Bataille de la Somme. 
Telle était, hors de France, la carte de guerre. Cependant les plus lourdes inquiétudes (avouées plus tard par les plus grands chefs) vinrent à l'Allemagne du front occidental.

D'une part, Foch, avec les deux armées de Fayolle et de Micheler, et Douglas Haig, avec les armées de Rawlinson et d'Allenby, avaient attaqué à l'heure dite, Ie 1er juillet, sur la Somme, en direction de Bapaume et de Péronne; et la bataille se poursuivit pendant quatre mois, bataille très rude, «exactement comme l'enfer, mais pire », où, sans doute, les alliés progressèrent lentement, après l'enlèvement du plateau de Flaucourt par les coloniaux français, mais où les pertes des Allemands furent énormes, tout près de trois cent mille hommes tués, blessés, prisonniers.

Joffre, d'autre part, dès que le kronprinz eut été obligé de dégarnir son front à l'appel des armées du Nord-Est, décida, avec Pétain et Nivelle, des opérations de grande envergure devant Verdun; Mangin, qui en fut chargé, reprit Douaumont et Vaux, puis, par une attaque s'étendant de la Meuse aux Côtes de Voivre, ramena les Allemands jusqu'aux environs du point de départ de leur ruée.
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Desvarreux : Sénégalais à la bataille de la Somme.
Les Sénégalais à la bataille de la Somme, par R. Desvarreux.

Ainsi, tout cet immense effort avait été dépensé en vain; Verdun, c'était « l'ulcère qui avait dévoré les forces allemandes.  [Mémoires de Ludendorff] »

Falkenhayn, rendu responsable de la sanglante faillite, fut remplacé au commandement en chef par le maréchal Hindenburg, avec Ludendorff pour quartier-maître général. Les deux « Dioscures » visitèrent le front de la Somme : 

« Les troupes s'usaient, nous étions toujours à la veille de la catastrophe. [Ibid.] »
Joffre et Foch, avec le sûr instinct de la situation, eussent voulu continuer jusqu'au printemps la pression anglo-française contre le front allemand; ils ne purent obtenir de Haig que la promesse de reprendre en février une action élargie jusqu'à l'Oise et à la Scarpe.
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Hindenburg et Ludendorff.
Hindenburg et Ludendorff, les "frères jumeaux" de l'état-major allemand, par Hugo Vogel.

Disgrâce de Joffre.
Mais les batailles ont leur destin comme des livres. Cette bataille de la Somme où Foch ne fut pas inégal à lui-même, où Fayolle s'affirma comme un grand chef, dont le butin se chiffrait par 35 000 prisonniers et 150 canons, qui avait enfoncé sur 10 kilomètres de profondeur les lignes ennemies, et, par contre-coup, dégagé Verdun, on ne comprit pas que c'était une victoire. La Somme ne fut pas populaire.

L'armée du Rhin, éclipsée par l'armée d'Italie, avait connu autrefois une injustice semblable. Bazentin, Dampierre, Estrées, Flaucourt, Combles, Bouchavesnes pâlirent dans le rayonnement de Douaumont et de Vaux. La solidarité des deux batailles échappa.

L'opinion, surtout le monde agité des Chambres, avaient attendu la percée qui n'était pas l'objet, du moins immédiat, de l'offensive; il semblait aux stratèges civils que la guerre piétinât sur place.
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Poste d'observation français
au nord de la Somme (1916).

Briand, qui n'avait obtenu qu'avec peine son dernier vote de confiance, crut s'assurer un nouveau bail en reconstituant son ministère (d'où les ministres d'État furent éliminés) et en sacrifiant, du même coup, Joffre à ses détracteurs parlementaires.

Comme il était trop intelligent pour n'en avoir pas un peu d'embarras, il entoura la mesure de toute sorte de témoignages d'estime Joffre reçut le bâton de maréchal, et fut adjoint comme conseiller technique au Comité de guerre qui venait d'être institué..
Le commandement en chef passa à Nivelle, que Joffre avait lui-même éventuellement désigné. Foch fut relégué dans une mission d'études.

L'implication du Maroc. 
Le ministre de la Guerre fut Lyautey qui, depuis 1912, commandait au Maroc. Il était arrivé à Fès en plein soulèvement des Berbères. Un an après, la plus grande partie de l'Empire chérifien était soumise. Au début de la guerre, le gouvernement eût voulu qu'il se repliât à la côte. Il fit prévaloir son avis de maintenir le drapeau tricolore partout où il l'avait planté.

Tout en envoyant à la métropole des troupes marocaines en grand nombre, il poursuivit en pleine guerre l'organisation du vaste protectorat. S'il n'eût pas tenu son front du Maroc avec autant d'habileté que d'énergie, tout l'empire africain des Français aurait risqué d'être ébranlé aux profondeurs. (J. Reinach).

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