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Fouquet

Nicolas Fouquet est le dernier surintendant des finances du roi de France, quatrième enfant de François Fouquet et de Marie de Maupeou, né à Paris, rue de la Verrerie, inscrit au baptistère de Saint-Jean-en-Grève le 27 janvier 1615, mort prisonnier au château de Pignerol (suivant les traditions les plus probables, le 23 mars 1680). II eut quatre frères et six soeurs, toutes religieuses. Il suivit d'abord, comme son père, la carrière de la magistrature et de l'administration. De 1642 à septembre 1647, il est intendant à l'armée du Nord, puis intendant de police, justice et finances en Dauphiné, puis de nouveau intendant des armées en Catalogne et en Flandre. L'année du traité de Westphalie et de la Fronde (1648), Mazarin commence à se l'associer étroitement comme intendant de Paris (avril); il en fait le procureur général d'une chambre exceptionnelle de justice, non agréée par le Parlement. Fouquet s'emploie alors, inutilement, à rompre l'union des cours souveraines. Quand l'armée du roi assiège Paris (janvier 1649, mai 1650), c'est encore Fouquet auquel sont confiées les difficiles fonctions d'intendant. 

Procureur général du parlement de Paris en 1650, et, par conséquent, l'homme du roi par excellence, c'est lui qui fait légaliser en quelque sorte la rentrée de Mazarin. Il avait réussi à sauver en partie ou à recouvrer les collections artistiques et littéraires du cardinal. En 1652, il fait décider la translation du parlement à Pontoise, intervient inutilement (octobre) entre Condé et la cour, contribue en somme pour une certaine part à la restauration du pouvoir royal ébranlé par la guerre civile et menacé par l'alliance des nobles et de l'Espagne. En récompense de sa fidélité, il fut nommé en 1653 surintendant des finances, mais avec un collègue, Servien, qu'il ne tarda pas à reléguer au second plan et dont la mort le débarrassa entièrement en 1659.. L'état de la fortune personnelle de Fouquet à cette époque ne permet pas de croire qu'il ait rendu à la couronne et au cardinal des services d'argent proprement dits : mais il savait attirer la confiance et user du crédit. 

Après la paix des Pyrénées et le mariage de Louis XIV, il se brouilla avec Mazarin qui prévoyait en lui un successeur et qui ne demandait sans doute pas mieux, s'il fallait rendre des comptes au maître, que d'en rejeter la charge sur une autre tête : ceci n'est d'ailleurs qu'une hypothèse; on ne connaît pas de fait précis qui explique cette rupture entre le ministre et le cardinal. Ce qui est certain, c'est que, dès lors, Fouquet rédigea pour les siens un plan de conduite détaillé contre Mazarin, dans le cas où celui-ci provoquerait à son égard des mesures de rigueur; qu'il se créa par tous les moyens un parti pour qui il était « l'Avenir »; qu'il acheta Belle-Île (comme Richelieu et Mazarin s'étaient assurés du Havre), mais que de plus il eut l'adresse d'obtenir des lettres pour en fortifier les côtes.
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Fouquet.
Nicolas Fouquet (1615-1680), surintendant des finances.
Gravure de R. Nanteuil.

Parmi ses partisans avoués, on citait, sur la flotte, Neuchèze et Créqui; dans l'armée, Charost et Crussol, ses gendres, les maréchaux d'Aumont et de Gramont; à la tête des affaires extérieures, Hugues de Lionne. Il n'avait pas négligé l'entourage de la reine mère, les filles d'honneur, les femmes d'intrigue comme la comtesse de Soissons, ni même les confesseurs du roi, le père Annat et le père Leclerc. Sa maison est, suivant le mot de Sainte-Beuve, comme un Versailles anticipé. Ambitieux de pouvoir, mais aussi curieux de tout, 

« il aime les lettres, les arts, les poètes, les femmes, les fleurs, les tableaux, les tapisseries, les livres, les antiques, tous les luxes et toutes les élégances : un de ses juges l'appelait omnium curiositatum explorator. C'est un délicat et un clairvoyant, qui choisit tout d'abord Molière et La Fontaine, Le Nôtre et Poussin, Puget, Lebrun et La Quintinie, avec Menneville et du Fouilloux, les deux plus jolies filles de la cour, au dire de Racine, qui s'y connaissait. » 
A plus d'un point de vue, et particulièrement par les noms des artistes en divers genres que Louis XIV employa dès le début de son règne personne, 
« Versailles et les Gobelins sont les héritiers directs de Vaux-le-Vicomte et de Maincy : l'honneur de l'initiative appartient à Fouquet. » (Bonnaffé).
La Bibliothèque royale acquit 13.000 volumes rares réunis par l'ex-surintendant. Un défenseur de Fouquet, L.-A. Ménard, ira jusqu'à l'appeler « l'homme de la Renaissance, victime de l'intolérance jésuitique ». Rien ne justifie une pareille interprétation des faits. L'usage splendide, généreux, intelligent d'une grande fortune ne saurait en purifier la source. Or l'on connaît très exactement de quelle façon le surintendant avait fait la sienne. 

Il n'avait pas, il est vrai, le maniement des fonds publics : il donnait aux trésoriers de l'épargne des ordres de paiement assignés sur telle ou telle recette expressément désignée (gabelles, aides, taille, etc.); ceux-ci payaient et devaient garder les assignations pour les produire à la chambre des comptes et obtenir décharge. Le vol consistait à assigner des paiements sur des fonds déjà épuisés : les porteurs pressés d'argent vendaient à vil prix leur titres à des financiers qui avaient le crédit d'obtenir des réassignations sur les fonds disponibles, moyennant pot-de-vin attribué au surintendant.

D'autre part, les impôts indirects qu'il était d'usage d'affermer étaient souvent l'objet d'adjudications irrégulières, dans lesquelles le secret des enchères n'était pas observé et où les noms mêmes des fermiers étaient supposés. Enfin les emprunts fournissaient encore un champ plus vaste aux spéculations malhonnêtes. Le taux légal, admis comme maximum par la chambre des comptes, était de 5 5/9 %. Mais le trésor était souvent contraint par les circonstances à donner jusqu'à 20 et 25.

Pour dissimuler l'illégalité, le surintendant majorait le capital encaissé ; puis, pour rétablir la balance entre les recettes et les dépenses, il faisait porter sur les registres des trésoriers de l'épargne, et avec leur complicité, des dépenses imaginaires. Plus de registres des fonds versés depuis 1654 les contrôleurs des finances avaient été alors dispensés de les tenir. Ministres et commis, sous des noms supposés, prêtaient à l'Etat à des taux usuraires ou même supposaient des prêts. 

Bref, le mécanisme des institutions financières étant détestable, et le crédit mal assuré, un honnête homme n'était jamais certain de ne pas passer pour un voleur, et un voleur avare, sans ostentation, pouvait être tenu pour un honnête homme. Ces honnêtes gens-là s'appelaient légion. C'est l'ostentation qui perdit Fouquet. Jal note avec raison que l'écureuil grimpant n'était pas la devise insolente particulière à Nicolas Fouquet, mais la devise de toute sa famille; que, sur plusieurs portraits de ses frères, aucun mot n'accompagne cette devise. Il n'a lu, dit-il, le célèbre Quo non ascendet? que sur le drapeau de la trompette d'une Renommée placée par L'Armessin en haut et à droite de sa planche. Mais ce mot se trouve aussi sur un écusson dessiné par Lebrun pour Nicolas Fouquet, au-dessous d'une couronne soutenue par deux génies (collection Beurdeley). 

Cependant Mazarin, dans les dernières années de sa vie, s'était appliqué à déprécier dans l'esprit du jeune roi l'ambitieux surintendant; il s'était attaché Colbert, et, peut-être un peu pour couvrir sa propre réputation, lui faisait contrôler et réviser, sous les yeux de Louis XIV, les faux états de recettes et de dépenses qui permettaient à Fouquet moins d'augmenter sa fortune que de multiplier ses prodigalités et, par là, ses créatures. 

Après la mort du cardinal, le trésor étant fort obéré et le roi ayant marqué la volonté de gouverner par lui-même, Fouquet fut circonvenu par ceux qui voyaient où était le véritable avenir. On le persuada de vendre sa charge de procureur général du parlement à M. du Harlay, et d'en porter le produit, 1 million, à l'épargne. Le roi n'avait-il pas abandonné aux héritiers de Mazarin les 50 millions que celui-ci avait légués, ou plutôt restitués à la couronne? Fouquet pouvait supposer que le sacrifice d'argent qu'il faisait serait suffisant puisqu'il avait été provoqué et accepté. C'était, d'autre part, déconcerter ses ennemis et agir en beau joueur : procureur général, il n'était justiciable que du parlement de Paris; démisionnaire, il se mettait entièrement entre les mains du roi. L'événement montra qu'il avait trop compté sur la générosité royale.

La fête splendide qu'il donna au roi dans son château de Vaux  (près de Melun), qui lui avait coûté 18 millions, bien loin d'incliner son hôte à la clémence, ne fit que l'indigner (16 août 1661). D'après Choisi, c'est alors même que Louis XIV aurait songé à l'arrêter, et il l'eût fait sans les prières d'Anne d'Autriche. Voici en quels termes Louis XIV décrit lui-même ses sentiments : 

« La vue des vastes établissements que cet homme avait projetés et les insolentes acquisitions qu'il avait faites ne pouvaient manquer qu'elles ne convainquissent mon esprit du dérèglement de son ambition, et la calamité générale de tous mes peuples sollicitait sans cesse justice contre lui. Mais ce qui le rendait plus coupable envers moi était que bien loin de profiter de la bonté que je lui avais témoignée en le retenant dans mes conseils, il en avait pris une nouvelle espérance de me tromper, et bien loin d'en devenir plus sage tâchait seulement d'en devenir plus adroit. Mais quelque artifice qu'il pût pratiquer, je ne fus pas longtemps sans reconnaître sa mauvaise foi : car il ne pouvait s'empêcher de continuer ses dépenses excessives, de fortifier des places, d'orner des palais, de former des cabales, et de mettre sous le nom de ses amis des charges importantes qu'il leur achetait à mes dépens, dans l'espoir de se rendre bientôt l'arbitre souverain de l'Etat. » 
D'après le rapport d'un des nombreux espions de Fouquet, les sentiments de la reine
mère ne différaient pas beaucoup de ceux de son fils :
« Il verra, disait-elle un jour, il verra ce qu'a fait sur l'esprit du roi tout l'argent qu'il a bâillé de sa propre bourse pour le marquis de Créqui. Le roi aime d'être riche et n'aime pas ceux qui le sont plus que lui, puisqu'ils entreprennent des choses qu'il ne saurait faire lui-même et qu'il ne doute point que les grandes richesses des autres ne lui aient été volées. » 
Quant à la rivalité amoureuse de Fouquet et du roi auprès de Mlle de La Vallière, elle est douteuse. Il est vraisemblable que le surintendant ait, suivant son système, essayé d'entrer dans les bonnes grâces de la favorite à seule fin de mieux tenir le roi, qu'il ait parlé d'argent, et qu'il se soit attiré la juste indignation d'un coeur égaré, mais sincère. 
Quoi qu'il en soit, le procès de Fouquet n'est pas seulement une affaire individuelle ; c'est une affaire générale, coup de police et coup d'Etat tout ensemble; c'est la manifestation éclatante de cette ferme volonté que Louis XIV avait témoignée, de gouverner par lui-même et de voir clair dans les affaires de son royaume. Cependant le jeune roi ne se crut pas assez fort pour se passer de cette dissimulation sans laquelle un de ses prédécesseurs avait déclaré que l'on ne saurait régner. Il entreprit le voyage de Nantes sous le prétexte d'aller tenir les Etats de Bretagne, et y invita Fouquet, très puissant dans cette province. 

Comblé de prévenances et de marques de faveur, celui-ci ne crut pas ou ne voulut pas croire aux billets inquiétants de Mme du Plessis-Bellière, sa meilleure amie, et de Gourville. Il fut arrêté à Nantes même, après le conseil tenu le 5 septembre au matin, par les soins de d'Artagnan, capitaine-lieutenant des mousquetaires; puis transféré sur-le-champ à Amboise, de là à Vincennes, à Moret, et enfin à la Bastille le 18 juin 1663. Pélisson, son premier commis, fut aussi mis à la Bastille. Sa famille fut dispersée en province, Mme du Plessis-Bellière reléguée à Montbrison, etc. Tout d'abord, l'opinion publique s'était déclarée contre lui. A Angers, les habitants criaient à d'Artagnan, qui le gardait : 

« Ne craignez pas qu'il sorte; car si nous l'avions entre nos mains, nous le pendrions nous-mêmes. » 
Mais les surintendants des finances, bons ou mauvais, avaient-ils jamais connu la popularité? D'ailleurs, l'opinion publique n'était alors que celle de la cour et de la ville. La longueur d'un procès qui dura plus de quatre ans et où tant de personnes étaient ou pouvaient être impliquées, permit aux amis de Fouquet de signaler leur dévouement. Dans le nombre, on doit citer La Fontaine (Elégie aux nymphes de Vaux), Mme de Sévigné (Lettre à Pomponne), Saint-Evremond, Mlle de Scudéry, Loret, Brébeuf, Gourville, Hesnault (Epigramme contre Colbert). 

Pélisson refusa d'aggraver par aucune déclaration la position de son ancien protecteur, et, de la Bastille, envoya deux Discours au roi et des Considérations sommaires, etc., chefs-d'oeuvre de l'éloquence judiciaire au XVIIe siècle. Les falsifications de pièces commises par Berryer, commis de Colbert, avec un excès de zèle que celui-ci dut désavouer, les mauvais traitements que subirent de la part du public les juges qui en étaient soupçonnés, l'acharnement tout personnel du chancelier Séguier et du procureur général Talon, contribuèrent sans doute à sauver la tête de Fouquet. Sans doute, ce n'est pas « être innocent que d'être malheureux », suivant la morale accommodante de La Fontaine; mais c'est une heureuse chance pour un coupable de se voir poursuivi par des moyens perfides et malhonnêtes, et défendu par d'honnêtes gens. 

Ne pas oublier d'ailleurs que la chambre de justice avait été formée de commissaires tirés de tous les parlements du royaume, et assurément triés sur le volet. Sur 22 juges, 9 conclurent à la peine capitale, que requérait Talon, 13 au bannissement perpétuel et à la confiscation des biens (20 décembre). Le roi réforma ce jugement comme insuffisant pour la sûreté du royaume, et le bannissement fut commué en prison perpétuelle, ce qui, dans les cas ordinaires, n'était pas considéré comme une aggravation, puisque les prisonniers étaient nourris et logés aux frais du roi, tandis que les bannis n'avaient plus ni feu, ni lieu, ni existence assurée. Mais l'aggravation de peine était évidente en ce qui concerne un personnage comme Fouquet. 

A Pignerol, où il fut conduit le 23 décembre 1664 et où il arriva le 10 janvier 1665, il fut placé sous la garde vigilante de Saint-Mars, et mis au secret absolu, sans plume ni papier. Toutes les semaines, Louvois exigeait des nouvelles du prisonnier ou la notification qu'il n'y en avait aucune. Il ne pouvait se confesser qu'aux quatre grandes fêtes, et jamais au même prêtre. On pendit ou l'on mit aux galères des soldats qui avaient communiqué avec lui. Toutefois, la lecture lui était permise. En juin 1665, la foudre démolit une partie de sa prison et l'épargna. 

Sa captivité fut adoucie en 1672; en 1679, on lui permit de voir sa femme et ses enfants. Il mourut en mars 1680 (Lettre de Mme de Sévigné du 3 avril) : le corps fut, croit-on, inhumé à Paris le 28 mars de l'année suivante, mais sans aucune inscription, aux filles de la Visitation-Sainte-Marie. 

P. Lacroix a vu, dans Fouquet, le Masque de fer, mais cette opinion n'a pas prévalu. Dans les dernières années de sa vie, le prisonnier s'était jeté dans la dévotion. On lui attribue : les Conseils de la Sagesse, édités en 1677 et une seconde fois en 1682, avec une suite en 1683; la Méthode pour converser avec Dieu (1684, in-16); le Théologien dans les conversations avec les sages et les grands du monde (1683, in-4). 

Fouquet avait eu de sa première femme, Marie Fourché de Quéhillac, une fille, Marie, qui épousa le comte Armand de Béthune-Charost; de sa seconde femme, Marie-Magdeleine de Castille-Villemareuil (morte en 1716), naquirent Louis-Nicolas Fouquet, comte de Vaux, mort en 1705; Charles-Armand, prêtre de l'Oratoire; Louis, marquis de Belle-Isle; Marie-Magdeleine, femme d'Emmanuel de Crussol d'Uzès. 

Avec Bonnaffé, on peut estimer en Fouquet l'homme de goût, l'amateur d'art qu'était également Mazarin. On peut répéter avec Voltaire qu' « il n'appartient pas à tout le monde de faire les mêmes fautes ». Mais ces fautes, il est impossible de les nier historiquement. Ni l'hypothèse dénuée de preuves qui attribue à Molière le Livre abominable de 1665, ni les circonstances atténuantes déduites avec tant d'habileté par J. Lair, ne feront oublier ces paroles du président Lamoignon à l'ouverture de la chambre de justice de 1664 :

« Il y a bien longtemps que tous les véritables magistrats, que tous les gens de bien, que tous les bons Français étaient touchés d'une douleur très sensible, voyant qu'en même temps que la France était triomphante au dehors, qu'elle étendait au loin ses frontières de toutes parts et qu'elle portait la terreur dans les pays voisins, elle était dans la désolation au dedans et paraissait comme abandonnée au pillage et aux rapines de cette sorte de gens qui font tout leur bien du mal des autres. » 
La condamnation de Fouquet fut la rançon du ministère de Mazarin. (H. Monin).-
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