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Ferdinand II d'Aragon

Ferdinand II d'Aragon (Ferdinand V de Castille), le Catholique, est un roi de Castille et d'Aragon, né le 10 mars 1452, mort le 23 janvier 1516, à Madrigalejo. Il était fils de Juan II, roi d'Aragon, et de sa seconde femme, Juana Enriquez, fille de Fadrique Enriquez, almirante de Castille. 

Tout jeune encore, Ferdinand seconda son père contre les Catalans révoltés, après la mort de son frère Carlos de Viana et fut proclamé roi de Sicile et héritier d'Aragon par les trois Etats, réunis à Saragosse (1468). Pendant que la guerre continuait entre Juan II et ses sujets de Catalogne, les nobles et le peuple de Castille s'étaient soulevés contre leur roi, Enrique IV, dit l'Impuissant, refusant de prêter serment à sa fille, doña Juana (la Beltraneja), que l'on prétendait née de l'adultère de la reine avec Beltran de La Cueva, comte de Ledesma. Dans la plaine, sous les murs d'Avila, l'image d'Enrique IV, revêtue des ornements royaux et placée sur une estrade élevée, fut solennellement dépouillée du sceptre et de la couronne, puis précipitée du trône (1465). Les rebelles avaient d'abord acclamé l'infant don Alonso, frère du roi dégradé. Comme il mourut peu après, ils forcèrent l'Impuissant à déclarer sa soeur Isabelle, fille du roi Juan II de Castille, héritière du royaume, au détriment de doña Juana.

Dès qu'on apprit qu'Isabelle serait un jour reine de Castille, Ferdinand d'Aragon, le roi du Portugal et le duc de Guyenne, frère de Louis XI, se disputèrent sa main. Dans cette lutte, Ferdinand l'emporta. Isabelle partit secrètement pour Valladolid, avec 300 hommes d'armes, en dépit du marquis de Villena qui voulut l'arrêter et n'osa. De son côté, l'infant Ferdinand était venu à sa rencontre, déguisé et accompagné de quatre chevaliers seulement. L'archevêque de Tolède se hâta de les marier, le 18 octobre 1469, sans pompe, presque en cachette. 

Villena, furieux de n'avoir pu empêcher ce mariage, extorqua facilement au triste Enrique IV une déclaration par laquelle il annulait tous les droits d'Isabelle au trône de Castille et déclarait son héritière Juana la Beltraneja. On lui fit épouser par procuration le duc de Guyenne, mais les envoyés de Louis XI exigèrent de la reine un étrange serment. Juana de Portugal dut affirmer publiquement que sa fille était bien l'enfant du roi, non celui de Beltran de La Cueva. Le mari attestait la chose à son tour. Ce mariage du reste ne fut jamais consommé, le duc de Guyenne étant mort en France (1472) sans être jamais venu en Espagne

A la suite d'une réconciliation entre Ferdinand d'Aragon et le roi de Castille, celui-ci mourut à Ségovie le 12 décembre 1474. Isabelle Ire fut proclamée reine de Castille et Léon avec son époux Ferdinand V, et l'élection confirmée par les Cortés. Aussitôt, le fils du marquis de Villena et l'archevêque de Tolède, Alonso Carrillo, s'armèrent en faveur de doña Juana et appelèrent à leur aide le roi du Portugal, Alphonse V, qui entra en Castille et épousa la fille d'Enrique IV, à Palencia (1475). Zamora et Toro se rendirent sans résistance; le comte de Benavente fut vaincu et pris dans Valtanas, après un combat désespéré dans les rues de la ville; la plupart des nobles abandonnèrent la cause du roi.
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Ferdinand II d'Aragon.
Le roi Ferdinand II d'Aragon (1452-1516).

Tandis que les Portugais attaquaient la Castille, le maître de Santiago, Alonso de Cardenas, et le duc de Medina Sidonia, pénétraient chez eux et ravageaient leur pays. Ferdinand , qui venait de secourir Burgos et de reprendre Zamora, repoussait Alphonse V vers Toro et le battait dans les plaines de Pelayo Gonzalez pendant que son allié Louis XI était vaincu devant Fontarabie (1476). Les rebelles se soumirent, sauf l'archevêque de Tolède qui résista longtemps et qu'il fallut réduire par les armes. Enfin, le roi du Portugal, après avoir été lui-même en France implorer vainement le secours de Louis XI, renonça au titre de roi de Castille aux conférences d'Alcàntara (septembre 1479). Le pape retira la dispense accordée pour son mariage, et, l'année suivante, doña Juana prit le voile au couvent de Sainte-Claire, à Coïmbra. Le 19 janvier 1479, le vieux Juan II était mort, et Ferdinand, déjà roi de Castille et Léon du fait de sa femme, était devenu souverain de Sicile et d'Aragon. Ce fut le premier pas vers l'unité espagnole qui devait s'achever plus tard par l'expulsion des Maures (L'Espagne musulmane) et la conquête de la Haute-Navarre.

L'affirmation de l'autorité royale.
Dès que Ferdinand et Isabelle se virent affermis sur le trône, ils attaquèrent la féodalité, le brigandage et l'hérésie. Aux Cortès de 1476, tenues en la ville de Madrigal, ils avaient institué la Santa Hermandad (Sainte-Confrérie) destinée à réprimer les voleurs et les routiers qui infestaient leurs royaumes (La criminalité au Moyen âge). Aucun privilège ne pouvait arrêter cette terrible juridiction. Les condamnés étaient mis à mort à coups de flèches. Non content de rendre les barons justiciables des tribunaux royaux, Ferdinand profita de la conquête de Grenade pour réunir à la couronne la grande maîtrise des trois ordres militaires et monastiques de Calatrava, Alcantara et Santiago. 

En 1480, Ferdinand et Isabelle réorganisèrent l'Inquisition, en vertu d'une bulle du pape Sixte IV, datée de 1478. (Le Saint-Office existait déjà en Aragon depuis le XIIIe siècle. C'est lui qui brûla les Albigeois. Au XIVe siècle, Nicolas Eymerich composa  un manuel de procédure inquisitoriale. En Castille, les évêques jugeaient les crimes contre la foi.) Les premiers inquisiteurs nommés par Ferdinand furent Miguel de Morillo et Juan San Martin, comme assesseur Juan Ruiz de Medina, docteur en droit canon. Les autodafés commencèrent au Quemadero de Séville (janvier 1481). Cordoue suivit.

La nouvelle Inquisition rencontra cependant une assez vive résistance au Nord de l'Espagne, surtout en Aragon. Ce n'était pas le bûcher qui faisait horreur, mais les confiscations au profit de l'Eglise et du roi, contraires aux fueros. Un inquisiteur ayant été massacré à Saragosse, Pedro Arbués (béatifié en 1664), Ferdinand châtia durement la population et l'Aragon se soumit. Sous le dominicain Fray Tomas de Torquemada, confesseur d'Isabelle, la persécution redoubla. 

De 1482 à 1498, 8800 personnes furent brûlées vives, 6500 en effigie, 90.000 condamnées à l'infamie, à l'amende honorable, à la prison perpétuelle; 6000 manuscrits arabes, traitant, disait-on, de judaïsme et de sorcellerie, furent détruits par les flammes, à Salamanque, des cadavres déterrés, des ossements jetés à la voirie. Le code ou recueil des instructions inquisitoriales (1482) contenait à l'origine vingt-huit articles; onze y furent ajoutés, en 1490, et quinze autres, en 1498. 

« L'utilité de cette institution, dit Mariana, parlant du Saint-Office, a dépassé de beaucoup les espérances qu'on avait osé concevoir... » 
Les premières victimes de l'Inquisition furent presque toutes des juifs; ensuite on brûla des musulmans relaps, encore en petit nombre, des protestants et des mystiques catholiques égarés hors de l'orthodoxie romaine.

La conquête de Grenade.
Comme les trêves faites avec les Maures venaient d'expirer (1476), le roi de Grenade, Mouley Aboul-Hassan, avait demandé leur renouvellement. Ferdinand voulut exiger que l'émir se déclarât son tributaire (La Reconquista). Le Grenadin répondit aux envoyés castillans : 
« Allez, et dites à vos maîtres qu'ils sont morts, les rois qui payaient tribut aux chrétiens, et qu'en cette ville on ne forge qu'alfanges et fers de lance pour nos ennemis. »
La guerre n'éclata pourtant qu'en 1481. Par une nuit d'orage, les Maures surprirent Zahara, en pleine paix (27 décembre). L'année suivante, Alhama était enlevée par le marquis de Cadix, Rodrigo Ponce de Léon. Aboul-Hassan essaya vainement de la reprendre, mais les chrétiens furent vaincus sous les murs de Loja, où périt le maître de Calatrava, Ruy Tellez Giron, atteint d'une flèche empoisonnée (13 juillet 1482). 

A ce moment, le peuple de Grenade se souleva; on proclama Mohammed Abou-Abdallah (Boabdil), le fils d'Aboul-Hassan, et le roi détrôné s'enfuit dans Malaga. Malgré la guerre civile, les musulmans, conduits par Reduan ben Egas, défirent encore le marquis de Cadix, le maître de Santiago et le comte de Cifuentes, dans la montagne, aux environs de Malaga (21 mars 1483). Les Espagnols y perdirent plus de 1500 hommes et le lieu s'appela dès lors Côte de la Tuerie (Cuesta de la Matanza). 

Le comte de Cabra, don Diego Fernandez de Cordoba et Alonso de Aguilar vengèrent cet échec : ils battirent les Maures à Lucena et firent prisonnier Abou-Abdallah. Aussitôt Aboul-Hassan reprit Grenade et rentra dans l'Alhambra d'où son fils l'avait chassé peu de temps auparavant. Conseillé par sa mère Aïcha (Aixa) ou Zoraya, comme l'appelle Antonio Conde, le lâche Abdallah se reconnaissait vassal du roi d'Espagne, s'engageait à lui payer tribut, à l'aider contre les musulmans, à siéger aux Cortès, à la condition qu'il lui rendit la liberté et lui prêtât main-forte pour reconquérir les villes occupées par son père. Ferdinand s'empressa d'accepter, pensant entretenir ainsi des troubles dont il profitait. En effet, le roi vaincu rentra dans Grenade, soutenu par les chrétiens, et la guerre civile recommença.

On combattit dans les rues, avec acharnement. Enfin, le vieil Aboul-Hassan se démit du pouvoir, espérant ainsi sauver l'islam, et les Grenadins proclamèrent émir son frère Abd-Allah El-Zagal, wali de Malaga. A son entrée dans Grenade, une centaine de têtes chrétiennes, pendant à l'arçon de ses cavaliers, enthousiasmèrent le peuple (1484). Abdallah, fils d'Aboul-Hassan, refusa d'abdiquer, et les deux partis en vinrent aux mains de nouveau. Les Espagnols s'emparèrent de Ronda (1485). Illora, Moclin, Loja, Velez-Malaga succombèrent. A ce siège, un musulman, renommé pour sa sainteté, avait pénétré dans le camp et poignardé un seigneur portugais qu'il prenait pour le roi. Ferdinand et Isabelle prirent Malaga (1481). El-Zagal cependant résista bravement; il vainquit l'ennemi devant Taberna et reprit même quelques places perdues. 

Ferdinand renouvela son traité avec Abou-Abdallah; le roi maure promettait de livrer Grenade et de prêter hommage en échange d'une principauté en Andalousie, à la condition d'être soutenu contre son oncle. Baza, assiégée pendant sept mois, se défendit héroïquement. Il avait fallu, pour arrêter les sorties désespérées des assiégés et protéger le camp, l'entourer d'un fossé et d'une muraille garnie de tours, construites par les prisonniers arabes. Vaincu et résigné à la volonté d'Allah, El-Zagal se rendit auprès du vainqueur et lui remit toutes les villes qu'il possédait encore (1490). II abdiqua, partit pour l'Afrique et s'établit à Tlemcen où il mourut. (Suivant d'autres, le roi de Fès lui aurait fait brûler les yeux). 

Resté seul, Abou-Abdallah répondit qu'il ne pouvait obéir aux conditions du traité secret sans être renversé ou massacré par son peuple. Il fit partout proclamer la guerre sainte; les villes occupées se soulevèrent; les garnisons espagnoles furent égorgées ou chassées; les musulmans reprirent la forteresse d'AIhendin, défendue par Mendo de Quesada, et remportèrent quelques avantages à Boloduy et à Marchena. Devant Salobreña, Hernan Perez del Pulgar les repoussa, et les Maures durent lever le siège. Le 21 avril 1491, Ferdinand s'avança vers Grenade et pénétra dans la Vega, avec 40.000 hommes de pied et 10.000 chevaux. (Un décret daté de Séville, 10 février, obligeait les juifs à faire en grande partie les frais de cette guerre).

Tous les villages des environs furent incendiés, les oliviers coupés, les vignes arrachées, les huertas ravagées afin d'empêcher l'ennemi de ravitailler Grenade assiégée. Le camp était entouré de fossés et de retranchements formidables. La reine Isabelle avait rejoint son époux et veillait aux approvisionnements. Comme les tentes prirent feu et que tout fut détruit par la flamme, elle fit construire une ville nouvelle, en face de Grenade, pour affirmer ainsi son dessein de ne jamais aban donner le siège; on la nomma Santa Fé (Sainte-Foi). Ce travail énorme s'accomplit en deux mois. Quand les vivres commencèrent à manquer, la foule, entassée dans Grenade, menaça de se révolter; Abou-Abdallah dut traiter. Son vizir, Aboul-Kassem Abd-eI-Melek partit pour le camp chrétien où il conféra avec Gonzalve de Cordoue et Hernan de Zafra. Grenade devait se rendre si elle n'était secourue par terre ou par mer dans l'espace de deux mois. 

Aucune armée ne vint d'Afrique. D'après la capitulation, signée le 25 novembre 1491, les musulmans conservaient tous leurs biens, armes et chevaux; ils ne livraient que leurs canons. Ferdinand leur accordait le libre exercice de leur religion; ils gardaient leurs mosquées et leurs écoles, pouvaient parler leur langue et porter leur costume; ils étaient jugés par les cadis, gouvernés suivant leur loi; ils ne devaient d'autres impôts que ceux qu'ils payaient à leurs anciens maîtres; Abou-Abdallah recevait des terres dans les Alpujarras. C'était en somme les mêmes conditions que celles imposées jadis à Séville, à Valence et à Tolède. En vain Moussa, qui avait héroïquement défendu Grenade, déclara-t-il au conseil que les Espagnols victorieux ne tiendraient pas longtemps leurs promesses, que les musulmans seraient un jour brûlés comme les juifs. Il exhorta les Maures à la résistance acharnée. 

« Si la terre manque pour nous ensevelir, le ciel du moins ne manquera pas pour nous couvrir », s'écria-t-il. 
Chacun pleurait, silencieusement. Moussa sortit du conseil, et, tout armé, sur son cheval, il abandonna la ville. Craignant un soulèvement populaire, Abou-Abdallah vint, le 2 janvier 1492, remettre les clefs à Ferdinand et à Isabelle qui l'attendaient, au front de l'armée rangée en bataille au bord du Génil. Le 6, ils firent leur entrée et montèrent à l'Alhambra. Les captifs chrétiens les entouraient, montrant leurs chaînes brisées. Le farouche Ximenez de Cisneros, archevêque de Tolède, fit un autodafé de tous les livres arabes. 
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La reddition de Boabdil, à Grenade.
La reddition de Boabdil (Abou-Abdallah), par Francisco Pradilla y Ortiz (1882).

Le dernier souverain de l'Espagne musulmane vécut d'abord dans les Alpujarras, vendit bientôt après tout ce qu'il possédait dans la vallée de Purchena et partit pour l'Afrique avec sa famille (1493). Il mourut en combattant pour le roi de Fès, Mouley Ahmed ben Mérin, à la bataille du gué de Bakouba, contre les Marocains. C'est à l'occasion de leur victoire sur les musulmans que le pape Innocent VIII accorda le titre de rois Catholiques à Ferdinand d'Aragon et à Isabelle de Castille, titre qui est resté depuis à tous les rois d'Espagne. 

L'année même où s'achevait de s'écrouler la domination musulmane, Christophe Colomb découvrait l'Amérique (13 octobre) et débarquait à Palos, le 3 août 1493.

L'expulsion des Juifs et la persécution des Morisques.
Le 30 ou 31 mars 1492, Ferdinand et Isabelle rendaient à Grenade un décret d'expulsion contre tous les Juifs résidant en Espagne, à moins qu'ils n'embrassassent la religion catholique. Espérant acheter le droit de séjourner dans le pays, les juifs offrirent au roi de lui payer 30.000 ducats. Ils se soumettaient aux règlements les plus humiliants : ne pas porter de souliers, sinon des alpargates, encore faites de sparterie, ne pas monter un cheval sellé, ne pas chevaucher en ville, sous aucun prétexte, mais y entrer toujours à pied. Leurs femmes s'engageaient à sortir le visage découvert, à ne pas avoir des coiffes violettes, etc. 

Ferdinand et Isabelle hésitaient entre le fanatisme et l'avarice, quand Torquemada l'Inquisiteur saisit le crucifix, le brandit à la face des rois Catholiques. 

« Judas Iscariote, s'écria-t-il, a vendu son Dieu pour trente deniers, vous allez le vendre pour trente mille. Tenez! le voici, vendez-le! »
Les Juifs partirent en masse, après avoir cédé tous leurs biens à vil prix, dans le délai fixé à quatre mois. Ceux qui s'embarquèrent durent encore payer deux ducats par tête. Beaucoup passèrent au Portugal où les attendaient la persécution et le massacre. Le nombre des bannis fut de 400.000, d'après Zurita, de plus de 800.000, prétend Mariana. Prescott ne l'évalue qu'à 160.000, chiffre approximatif donné par Bernaldez. Le reste, converti en apparence, préféra rester sous l'oeil vigilant du Saint-Office. (Ils étaient 35.000 environ).

Une nouvelle pragmatique, du 5 septembre 1499, condamnait à mort tout Juif qui tenterait de revenir en Espagne, avec confiscation de ses biens au profit de l'Etat. Après les Juifs, vint le tour des Musulmans ou Morisques. L'archevêque de Grenade, Fray Hernando de Talavera, qui procédait par la douceur, en avait baptisé 3000 en un seul jour. Malgré ces succès, Ferdinand trouvait que la conversion des infidèles marchait avec trop de lenteur; il envoya pour l'activer Ximenez de Cisneros, alors archevêque de Tolède et plus tard cardinal (1499). Dès son arrivée, les renégats ou fils de renégats, dont le nombre était considérable, reçurent l'ordre de rentrer à l'instant dans l'Eglise, et la persécution commença. 

Les Maures de l'Albaicin se soulevèrent; le comte de Tendilla, gouverneur de Grenade, rétablit l'ordre. Des bandes armées couraient la campagne et les sierras d'Andalousie, massacrant les chrétiens. Le pillage et le meurtre vengeaient les exécutions du Saint-Office. Un chef de brigands, Arroba, aurait assassiné 4000 personnes, prétend Perez de Hyta. « Beaucoup de chrétiens étaient mis à mort et coupés en morceaux secrètement », affirme le même historien. Ces crimes amenaient des représailles atroces. Les révoltés se retranchèrent dans la sierra Bermeja; on dut les attaquer. Un frère de Gonzalve de Cordoue, Alonso de Aguilar, périt en les combattant (1501). Ferdinand lui-même réprima l'insurrection, très durement. L'Inquisition s'établit à Grenade, et les musulmans, sommés de se convertir, quittèrent en grand nombre l'Andalousie, laissant le pays sans culture et les villes sans habitants. 

Vainqueur de l'islam en Espagne, le roi Catholique le poursuivit avec acharnement jusqu'en Afrique. En 1505, Diego Hernandez de Cordoba, alcaide de Los Donceles, et Ramon de Cardona s'emparèrent de Mers-el-Kébir (Mazalquivir); Pedro Navarro prit la forteresse de Peñon de Velez (1508). Une expédition dirigée par Ximenez conquit Oran, en 1509. Tripoli et Bougie (Béjaia) furent emportées d'assaut par Pedro Navarre (1510); Tunis et Tlemcen devinrent un instant tributaires de l'Espagne. Alger ne trouva pas d'autre moyen d'échapper à la domination castillane que de se donner au pirate Horoudj qui l'asservit.

Les guerres d'Italie.
L'année où succombait Grenade, Ferdinand et Isabelle avaient signé avec Charles VIII le traité de Barcelone, par lequel ils s'engageaient à ne marier aucun de leurs enfants avec les rois d'Angleterre ou les princes de la maison d'Autriche. En échange, le Roussillon et la Cerdagne, si laborieusement acquis par Louis XI, étaient restitués aux rois Catholiques. Ce traité dura peu. Trois ans après, Charles VIII s'étant emparé du royaume de Naples sur Ferdinand II, un descendant d'Alonso V d'Aragon, Ferdinand d'Espagne, se joignit à la ligue formée par Maximilien Ier d'Allemagne, le pape Alexandre VI et les Etats italiens. Gonzalve de Cordoue (Gonzalo Fernandez de Cordoba) débarqua à Messine avec 5000 fantassins et 600 chevaux pour aider Ferdinand de Naples à chasser les Français, pendant que la flotte vénitienne les attaquait par mer (1495). 

Les Espagnols reprirent d'abord quelques villes, mais, à Seminara, d'Aubigny les battit, par la couardise des Napolitains qui s'enfuirent dès le commencement du combat. Le roi de Naples réussit cependant à rentrer dans sa capitale, et Gonzalve enferma le vice-roi, Gilbert de Montpensier, dans Atella. Celui-ci capitula, trahi par les lansquenets; les prisonniers français, entassés sur les vaisseaux, moururent presque tous par les privations et l'épidémie (1496). D'Aubigny rendit Gaète; Gonzalve reconquit Ostie, à la demande d'Alexandre VI qui le reçut magnifiquement à Rome (1497). La dernière place occupée par les Français, Diano, succomba et le Grand Capitaine, comme on l'appelle en Espagne, put s'embarquer sans laisser un seul ennemi derrière lui (1498). 

La guerre ne tarda pas à recommencer en Italie. Charles VIII était mort en 1498. Son successeur Louis XII s'unit avec Ferdinand par le traité secret de Grenade pour dépouiller Frédéric III de Naples et se partager entre eux son royaume (1500). Frédéric, chassé par Gonzalve de Cordoue qu'il avait reçu en allié dans ses forteresses, se rendit au roi de France (1501). Cette conquête à peine terminée, les Français en vinrent aux mains avec les Espagnols. Le duc de Nemours, vice-roi de Louis XII, leur reprit presque tout le pays. Gonzalve, dont les troupes étaient inférieures en nombre, se retira dans Barletta (1502) et s'y maintint sept mois, à force de courage, de ruses et de fausses négociations, avec une armée découragée et presque affamée.

Dès qu'il eut reçu les renforts envoyés par le roi Catholique, il reprit la campagne; d'Aubigny fut vaincu à Seminara, La Palice fait prisonnier, le duc de Nemours défait et tué à la journée de Cerignola (1503), Naples reprise; les châteaux où s'était réfugiée la garnison ne purent résister aux mines de Pedro Navarre. Une invasion du maréchal de Rieux en Roussillon fut repoussée. La même année, le marquis de Saluces était écrasé dans les marais du Garigliano où les Français laissèrent 8000 hommes et toute leur lourde artillerie. Gaète capitula et Louis d'Ars sortit de Venosa, sur un ordre du roi de France, avec ce qui lui restait encore de soldats. 

L'ancien allié de Louis XII, César Borgia, chassé de la Romagne par le nouveau pape Jules II, après la mort d'Alexandre VI, fut arrêté à Castel Novo, malgré le sauf-conduit que lui avait accordé Gonzalve de Cordoue, et envoyé prisonnier en Espagne (1503), «- car ayant tant de fois rompu sa foy aux uns et aux autres, Dieu voulut qu'on luy en fist de mesmes » (Brantôme). S'étant échappé de Medina del Campo, il périt dans une embuscade, près de Viana, combattant pour le roi de Navarre. Le 12 octobre 1505, Louis XII abandonnait à Ferdinand tous ses prétendus droits sur le royaume de Naples. Celui qui l'avait conquis par son habileté autant que par ses victoires, Gonzalve de Cordoue, mourut en disgrâce, le 2 décembre 1515.

Après la mort d'Isabelle.
Au milieu de ces triomphes, Ferdinand et Isabelle perdirent successivement plusieurs enfants. Leur fils unique, l'infant don Juan, mourut le premier, deux mois après son mariage avec l'archiduchesse Marguerite, fille de l'empereur Maximilien (1497). Sa soeur Isabelle, mariée en secondes noces à Manuel de Portugal, et déclarée héritière de Castille et d'Aragon, périt en mettant au monde un fils qui ne survécut que deux ans à sa mère (1498). Enfin, doña Juana qui avait épousé Philippe le Beau, fils de Maximilien et de Marie de Bourgogne, devint folle vers 1503. La reine Isabelle en conçut un tel chagrin qu'elle tomba malade et mourut à Medina del Campo, le 26 novembre 1504. Par son testament, sa fille doña Juana devait régner en Castille et Léon, conjointement avec l'archiduc Philippe. Ferdinand était chargé de la régence jusqu'au jour où son petit-fils don Carlos aurait atteint l'âge de vingt ans, au cas où l'aliénation de doña Juana la rendrait incapable de gouverner. Il conservait durant sa vie la grande maîtrise des trois ordres, Calatrava, Santiago, Alcantara, et recevait la moitié des richesses du Nouveau-Monde.

Dès qu'Isabelle eut cessé de vivre, la noblesse, courbée longtemps sous une rude main, se redressa; chacun courut vers l'archiduc. Presque abandonné par les Castillans, Ferdinand eut recours à son ennemi Louis XII : il fit la paix en grande hâte et prit pour femme une nièce du roi de France, Germaine de Foix, à la condition de laisser le royaume de Naples aux enfants qui pourraient naître de ce mariage. Il avait d'abord conçu le singulier projet d'épouser la Beltraneja, alors religieuse à Coïmbra, et de faire valoir à son profit les droits de la prétendue fille d'Enrique IV, jadis tant méprisée par lui. Quand Philippe le Beau débarqua à La Corogne (28 avril 1506) et vint réclamer son royaume, il ne put ou n'osa le lui disputer par les armes.

Il fallait traiter. Le beau-père et le gendre se rencontrèrent au milieu d'un bois de chênes, dans une cabane de laboureur nommée le Remesal : l'archiduc, superbement vêtu, à la tête d'un pompeux cortège de seigneurs allemands, espagnols et flamands, avec 2000 piquiers en ordre de bataille, le roi Catholique, vieilli, chétif comme un Louis XI, bien pauvrement accompagné de 200 fidèles sans armures et montés sur des mules (1506). A la suite de cette entrevue, tous deux se séparèrent, défiants et malcontents. 

Le 27 juin, Ferdinand dut plier; il abandonna la Castille, renonça à la tutelle du prince don Carlos et se retira en Aragon, puis dans le royaume de Naples. Trois mois après, Philippe le Beau, premier roi de la maison d'Autriche, mourait de la fièvre, à Burgos, le 25 septembre 1506. Les ennemis de Ferdinand voulurent empêcher son retour en Castille; il réussit cependant à ressaisir la régence et à gouverner au nom de son petit-fils, énergiquement secondé par Ximenez de Cisneros qu'il fit nommer cardinal et grand inquisiteur en récompense de ses services (1507). Retournant en Espagne, le roi Catholique s'arrêta à Savone pour visiter Louis XII qui venait de soumettre Gênes révoltée. 

Le roi de France fit grand accueil à Gonzalve de Cordoue qui accompagnait son maître, l'invita à manger à sa table et remit au vainqueur du Garigliano sa propre chaîne d'or en souvenir de cette entrevue. Ayant brisé toutes les résistances et réuni de nouveau la Castille à l'Aragon, le roi d'Espagne entra dans la ligue de Cambrai, formée par Louis XII, Jules II et Maximilien pour démembrer la république de Venise (1508). Profitant de la bataille d'Agnadel (1509), il reprit les villes de Brindisi, d'Otrante et de Gallipoli, cédées jadis aux Vénitiens par le roi de Naples en échange de leurs secours contre Charles VIII. Le pape Jules II, qui venait d'humilier Venise, tourna tous ses efforts contre les Français et fut l'instigateur de la Sainte Ligue, dirigée contre eux. Henri VIII, les Suisses, les Vénitiens et l'Espagne s'unirent pour les chasser d'Italie (1511). Gaston de Foix vainquit Ramon de Cardona à Ravenne et mourut dans sa victoire avec quinze plaies, du front au menton. Pedro Navarre fut pris. L'infanterie, fort maltraitée, se retira fièrement, à petit pas, sans qu'aucune charge pût l'entamer.

« Oncques gens ne firent plus de deffense que les Espaignolz, qui, encores n'ayant plus bras ne jambe entière, mordoient leurs ennemys. » 
C'était la plus rude mêlée qu'on eût encore vue durant les guerres d'Italie (11 avril 1512). Malgré ce sanglant avantage, les Français reculèrent, vaincus par les troupes de la Ligue et par le soulèvement des villes italiennes; ils perdirent presque tout ce qui leur restait encore dans la péninsule. Ferdinand, qui préparait une attaque en Guyenne de concert avec Henri VIII, époux de sa fille Catherine d'Aragon, fit demander au roi de Navarre Jean d'Albret et à Catherine de Foix le passage à travers leur royaume. Tous deux refusèrent de laisser entrer l'armée castillane. Or Jean d'Albret était excommunié depuis le 10 février 1510, comme partisan du roi de France et de l'empereur d'Allemagne, comme adhérent au concile schismatique de Pise, ses sujets déliés du serment de fidélité, ses terres et seigneuries offertes à qui pourrait ou voudrait s'en emparer.

Appuyé par le pape et soutenu par 8000 Anglais qui venaient de débarquer au port de Pasajes (Guipuzcoa), le roi Catholique fit envahir la Navarre, en vertu de l'excommunication de Jules II. Le duc d'Albe, Fadrique de Tolède, franchit la frontière, le 21 juillet 1542, marchant sur Pampelune. Les Navarrais, chargés de défendre la montagne, s'enfuirent presque sans combat. Le 23, il arrivait à deux lieues de Pampelune, s'emparait du château de Garayon, et jurait, au nom du roi son maître, le maintien des libertés, fueros et immunités de la Navarre. Pampelune se rendit (25 juillet) et les autres places ouvrirent leurs portes. Jean d'Albret se réfugia dans le Béarn. Il tenta vainement de reprendre son royaume, secondé par Louis XII qui lui fournit une armée et deux vaillants capitaines, Bayard et La Palice.

Les Français s'avancèrent jusqu'à Pampelune, mais levèrent le siège en grand désordre à l'approche des Espagnols conduits par le comte de Ribagorza, le marquis d'Aguilar et l'alcaïde de Los Donceles, Diego Fernandez de Cordoba. Serrés de près, affamés (ils avaient tout ravagé à leur entrée dans le pays), les envahisseurs durent abandonner leur belle artillerie au passage des Pyrénées. (Suivant les mémoires de Robert de La Mark, seigneur de Fleurange, les lansquenets l'auraient traînée à travers les montagnes). Jean d'Albret réussit cependant à conserver un lambeau de royaume, la Basse-Navarre. Tout le reste appartint dès lors à la monarchie espagnole. Ainsi fut achevée l'unité territoriale, commencée par l'union de la Castille et de l'Aragon, continuée par la prise de Grenade et l'anéantissement de l'islam ibérique, complétée par l'annexion de la Haute-Navarre et l'abaissement des grands barons. 
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Ferdinand II devant les Cortès catalanes.
Ferdinand le Catholique présidant les
 corts (parlement) de Catalogne.

La guerre durait toujours en Italie, mêlée de négociations et de marchés honteux. Louis XII, qui cherchait encore à reprendre le Milanais, s'était allié à son ancienne ennemie, Venise, contre Léon X, successeur de Jules II, et le roi d'Espagne. Ramon de Cardona battit le général vénitien Barthélemy d'Alviano à Vicence (1513) et mit tout à sac jusqu'aux lagunes. En 1515, quand François Ier, vainqueur à Marignan, descendit en Italie, Ramon de Cardona dut se replier sur le royaume de Naples que le roi de France songeait à reconquérir. Une coalition se forma contre lui. Ferdinand, Henri VIII et Maximilien s'unirent pour l'expulser du duché de Milan. Les rois d'Angleterre et d'Espagne fournissaient de l'argent à l'empereur qui s'engageait à commencer la guerre. 

C'est au milieu de ces préparatifs que Ferdinand V mourut dans un misérable village d'Estrémadure, à Madrigalejo, où il s'était arrêté, comme il se rendait à Séville avec la reine. Il était, disait-on, tombé malade pour avoir pris des breuvages aphrodisiaques dont l'unique effet fut de ruiner sa santé. Il espérait obtenir ainsi un héritier de sa jeune femme, Germaine de Foix, afin de lui léguer à sa mort les royaumes d'Aragon et de Navarre, avec la Catalogne, Naples et la Sicile, au détriment du prince don Carlos, tant était grande sa haine contre la descendance de Philippe le Beau et de Juana la Folle. 

Le corps du roi Catholique repose auprès de celui d'Isabelle de Castille, dans la chapelle royale de Grenade qu'ils avaient fait construire, la destinant à leur sépulture. Ferdinand laissait ses couronnes à Carlos Ier (Charles-Quint). Jusqu'à l'arrivée du nouveau monarque, le gouvernement de l'Espagne était confié au cardinal Ximenez de Cisneros. (Lucien Dollfus).

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Dictionnaire biographique
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