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![]() | Élisabeth Ire Tudor, reine d'Angleterre![]() ![]() Sir Thomas, beau, brillant, fastueux, homme à bonnes fortunes, avait formé le projet d'acquérir par mariage une influence égale à celle du protecteur : il rechercha la main d'Élisabeth et, repoussé de ce côté, épousa Catherine Parr. Une fois installé en mari dans la maison de Chelsea où résidaient la reine douairière et Élisabeth, il recommença ses poursuites galantes auprès de celle-ci. La fille de Henri VIII, savante et intelligente, mais peu scrupuleuse, souffrit sans révolte les privautés de sir Thomas : on le sut plus tard, par les dépositions des domestiques. Catherine Parr mourut de suites de couches le 5 septembre 1548, et sir Thomas, veuf, intrigua de nouveau pour s'unir en légitime mariage à l'une des héritières en expectative de la couronne, cette Élisabeth dont il avait déjà fait la conquête. Mais le protecteur jaloux veillait : il fit conduire son frère à la Tour de Londres sous l'inculpation de haute trahison, en janvier 1549, et arracha à l'intendant, à la gouvernante d'Élisabeth, les aveux les plus mortifiants pour la délicatesse de la jeune fille. Seymour fut exécuté le 20 mars : Élisabeth accueillit cette nouvelle avec impassibilité : « Il est mort, dit-elle, s'il en faut croire Leti, en homme de beaucoup d'esprit et de peu de jugement. »Mais cette impassibilité n'était que prudente dissimulation; elle souffrit pendant une année entière d'une maladie de langueur. Elle trouva heureusement de puissantes distractions dans l'étude; et c'est ici le lieu de dire quelle étonnante érudition elle acquit sous la discipline de son précepteur Roger Ascham. Ascham écrivait à Sturm, recteur du gymnase protestant ![]() « Tout ce qu'Aristote requiert de qualités s'est donné rendez-vous dans sa personne. Elle a un peu plus de seize ans, et elle a la passion de la vraie religion et de la meilleure littérature. Elle parle le français et l'italien comme l'anglais; le latin avec facilité, propriété et jugement; le grec médiocrement, mais souvent et volontiers dans ses entretiens. Elle est fort habile en musique, sans y prendre grand plaisir. »Un autre réformé, John Hooper, écrivait à Bullinger, de l'église de Zurich, en 1550, que miss Élisabeth « était devenue si forte en latin et en grec qu'elle était en état de défendre la vraie religion avec les arguments les plus justes et le plus heureux talent, de sorte qu'elle rencontrait pou d'adversaires dont elle ne triomphât ».Édouard VI lui avait donné le château de Hatfield, à 19 milles au Nord de Londres, séjour qui lui resta toujours très cher; son livre de comptes qui nous a été conservé d'octobre 1551 à septembre 1552, accuse un revenu annuel de 5890 liv. st.; les dépenses étaient très minimes; Élisabeth, espoir du parti calviniste, affectait alors la plus grande simplicité dans sa mise et dans son train de vie. Pendant les troubles qui suivirent la mort d'Édouard VI, en 1553, elle eut une maladie très opportune qui lui permit de ne se pas déclarer soit pour lady Jane Grey, soit pour Marie Tudor; elle ne guérit que pour aller saluer à Londres Marie, décidément victorieuse. Marie la reçut bien; toutefois, entre les deux soeurs, l'antagonisme était fatal. « Comment l'empêcher, lorsque l'une des deux princesses ne pouvait être réputée fille légitime de Henri VIII sans que l'autre fût, en conséquence, réputée illégitime? »De plus « Marie avait un attachement invincible pour le catholicisme; au contraire, Anne Boleyn avait mis le protestantismeComme Élisabeth n'avait pas de goût pour le martyre, le différend au sujet du catholicisme n'était pas des plus graves; elle assista à la messe et consentit à une abjuration tout en laissant deviner aux mécontents que cette, abjuration n'était pas volontaire. Mais le problème relatif à la légitimité était insoluble : la reine fit proclamer par le Parlement l'illégalité du procès intenté à sa mère, Catherine d'Aragon ![]() Édouard Courtenay, de sang royal, qui avait passé toute sa jeunesse en prison, avait été mis en liberté à l'avènement de Marie. Un grand nombre d'historiens, Gregorio Leti, Burnel, D. Hume, Vertot, rapportent que Marie s'éprit de ce brillant cavalier, mais que lui, insensible à l'appât du trône, engagea son coeur à Élisabeth, plus jeune et plus jolie. C'est alors que Marie, blessée, aurait usé des pires sévérités envers sa soeur. C'est là, on l'a prouvé, une légende. Il est possible que Marie ait songé quelque temps à Courtenay avant de se décider pour Philippe d'Espagne, mais les scandales du jeune homme « superbe et luxurieux », qui ne se pouvait, après une longue captivité, «-saouler des délices de la liberté », la dégoûtèrent. De compétition amoureuse d'une soeur avec l'autre, il y en eut si peu que Marie n'était nullement éloignée de donner Élisabeth pour femme à Courtenay. Mais il est vrai que Courtenay eut l'idée, d'accord avec les Français et les réformés, d'épouser la fille d'Anne de Boleyn et de tenter une révolution. Quand la conspiration mal préparée de sir Thomas Wyatt éclata, Élisabeth se conduisit, heureusement pour elle, avec une prudence consommée. Elle ne bougea pas, et, suivant son habitude, se dit malade. Si l'insurrection échouait, elle ne se souciait pas d'être compromise; si elle réussissait, ses chefs ne pouvaient rien faire sans elle. ![]() Elisabeth Ire. L'insurrection échoua. Le soir même de la défaite de Wyatt, Renard, ambassadeur de Charles-Quint, conseilla à la reine, qui l'avait mandé, de délibérer sur l'arrestation de Courtenay et d'Élisabeth, et de faire rigoureuse justice de ces traîtres. Élisabeth fut amenée prisonnière du château d'Ashbridge à Whitehall. On espérait tirer, sinon d'elle, au moins de Wyatt et de ses complices, dont le procès allait commencer, des confessions A Woodstock, le gouverneur, sir Henry Bedingfield, le même qui avait surveillé la reine Catherine d'Aragon « Les angoisses de ses jeunes années lui avaient fortifié et affilé l'entendement, mais le coeur s'y était étrangement resserré et endurci. Du règne de Marie, elle sortit offensée à jamais, affamée de représailles, sourde aux inspirations de générosité et de pardon. Sa nature de lionne, comme elle se plaisait à la nommer, était doublée d'un goût de dissimulation que les circonstances avaient développé. Ayant été rudement ballottée pendant de longues années entre la crainte et l'espoir, elle sera sujette à des hésitations qui l'arrêteront court et déconcerteront ses ministres au milieu des entreprises les plus savamment combinées. Ombrageuse à l'excès, elle aura la défiance prompte et le bras terrible. »Elle avait réfléchi longtemps d'avance à ce qu'elle ferait si elle était reine; elle arrivait avec une politique toute prête à caresser les communes, qui avaient été sa sauvegarde, courber les nobles sous une autorité aussi inflexible que celle de Henri VIII, assumer le rôle populaire de justicier, enfin glorifier sa patrie. « Je suis, disait-elle, la femme la plus anglaise du royaume. »En religion, malgré sa conversion au catholicisme, elle avait gardé au fond du coeur les traditions protestantes ![]() ![]() ![]() « Elle ne voulait d'Église réformée que celle qui s'avouerait de la couronne et contribuerait à en accroître l'éclat et la solidité, comme sous Henri VIII; »Quant au dogme et à la liturgie, elle pencha plutôt du côté de Rome que du côté de Genève; elle retint toute sa vie certains usages et symboles de l'Église papiste, comme le crucifix, les cierges, les fêtes des saints ![]() « la culture de l'esprit se rehaussait en elle des dons qui ennoblissent l'extérieur de la fonction souveraine; belle de haute taille, la dignité de son attitude imposait ».Il ne faut pas se fier à la boutade d'H. Walpole sur les portraits d'Élisabeth reine : « Nez aquilin, pâle, la tête tout en cheveux, chargée de couronnes et poudrée de diamants, vaste fraise, vertugadin plus vaste, perles au boisseau, voilà ce qui fait reconnaître à l'instant les portraits d'Élisabeth. »La figure était régulière, le nez arqué, les lèvres minces, les yeux clairs, le front haut sous un casque de cheveux roux. Figure belle, mais froide. « On est frappé de l'expression impérieuse et renfermée de quelqu'un qui à beaucoup observe, qui a rongé son frein à l'école de l'expérience. »La reine Marie était morte le 17 novembre; la reine Élisabeth appointa le 20 sir William Cecil, son homme de confiance, chief secretary. Catholiques ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Le Parlement de 1563 prit de très imposantes mesures relativement à la religion il imposa le serment de suprématie, à beaucoup de personnes qui en étaient exemptes jusque-là, punissant de mort le refus de le prêter comme haute trahison; en second lieu, il promulgua en trente-neuf articles le corps officiel des doctrines anglicanes. Sur ces entrefaites se produisirent en Écosse les tragédies dont on a dit quelques mots à la page consacrée à Marie Stuart. Marie Stuart se réfugia en Angleterre (1565) et Élisabeth résolut de l'y garder prisonnière. C'était s'exposer à de grands embarras qui ne tardèrent pas à se produire. Le duc de Norfolk, chef du parti catholique anglais, prétendit à la main de la reine d'Écosse, en feignant d'oublier l'existence de Bothwell, prisonnier de son côté en Danemark. En novembre 1569 éclata la grande rébellion des comtés catholiques du Nord qu'Élisabeth réprima avec une si sauvage cruauté. Le 25 février 1570, le pape Pie V lança la bulle Regnans in excelsis, qui contenait une excommunication nominative de la reine d'Angleterre et défiait ses sujets de tout serment de fidélité. Ce document n'eut d'autre effet que de faire pendre un certain John Felton qui l'avait affiché à la porte du palais de l'évêque de Londres. Le duc de Norfolk fut décapité à la suite de l'échec du complot de Ridolfi, dirigé contre la vie delà reine; Ce fut ensuite le tour de Northumberland, livré par les Écossais. Marie Stuart passait pour être au fond de toutes ces machinations et, à chaque session, les communes protestantes Élisabeth, pendant ce temps, entretenait une correspondance amoureuse avec le duc d'Alençon Durant soixante-dix ans, elle battit, sans presque jamais en sortir, une aire de quelques lieues carrées autour de Londres, de château en château. Comment sa vue n'aurait-elle pas été limitée? Se dévouer à soutenir une grande cause, celle du protestantisme Les catholiques, expulsés d'Angleterre au début du règne, avaient fondé, sur le continent, des séminaires (Louvain, Douai), afin d'y former des prêtres capables de prêcher « en missionnaires » la foi catholique dans leur pays d'origine, quand la génération des prêtres du temps de Marie Tudor aurait fondu au feu de la persécution. Treize de ces missionnaires ordonnés à Douai débarquèrent en Angleterre en 1578, sachant qu'ils s'exposaient à encourir des pénalités terribles (mort, forfaiture), édictées par l'acte fameux de 1571 contre les prêtres qui donneraient l'absolution ou «-réconcilieraient » les sujets de la reine à l'Église de Rome. Vingt et un autres traversèrent la Manche en 1579; vingt-neuf en 1580 avec les pères jésuites Celle-ci résolut de débarrasser son chemin de cette rivale. Les complices de Babington furent jugés le 13 septembre 1586; le 8 octobre, Marie Stuart fut mise en accusation « pour avoir comploté l'assassinat de la reine et préparé une invasion étrangère ». La sentence de mort fut prononcée par les juges, et les deux Chambres du Parlement supplièrent que cette sentence eût son effet au plus tôt. C'était aussi l'avis de Burghley et du conseil des ministres. On vit alors Élisabeth hésiter, comme Henri VIII avait hésité jadis, pendant des journées, avant de se décider au divorce avec Catherine d'Aragon Le roi d'Espagne, Philippe II, voulut se poser en vengeur de Marie Stuart; aussi bien, la guerre était depuis longtemps inévitable entre l'Angleterre protestante « Son avarice nous a frustrés de la plus belle victoire maritime que notre nation aurait jamais remportée. »Élisabeth ne passa la revue de l'armée de terre à Tilbury (8 août 1588) que lorsque l'Armada eut été dispersée par les vents. Elle avait donné le commandement suprême de cette armée à son favori Leicester, celui qu'elle appelait son « sweet Robin »; celui-ci mourut trois semaines après (4 septembre); la reine mit aussitôt la main sur les biens du défunt et les fit vendre aux enchères, sous prétexte de certaines sommes dont Leicester aurait été redevable au Trésor public. Telle était la fille de Henri VIII. Le Parlement de 1589 vota en vain des sommes considérables pour la continuation de la guerre si heureusement commencée. Quand Norris et Drake firent voile sur l'Espagne en avril, ce ne fut pas avec une flotte royale; la reine se contenta de prendre pour 20 000 livres d'actions dans leur gigantesque entreprise de piraterie. Norris et Drake firent du mal à l'Espagne, mais ils perdirent beaucoup de monde et leur expédition ne rapporta rien aux actionnaires. Cela dégoûta Élisabeth de toutes représailles. L'expédition de 1595 dans les Antilles fut encore plus malheureuse : John Hawkins et Francis Drake y périrent; Frobisher était mort l'année précédente. Ces grands hommes de mer ne furent pas remplacés. Aussi bien, les marins d'Élisabeth ne réussirent jamais à accomplir le seul exploit qui lui eût plu : la capture en haute mer des galions d'Amérique. Du côté de la France et des Pays-Bas, Élisabeth s'arrangea, on le pense bien, pour débourser le moins possible. Lord Willoughby de Eresby mena, il est vrai, quatre mille hommes en Normandie L'Irlande catholique, pendant ce temps-là, était soumise à une oppression impitoyable. L'année même où la reine fonda (1593) l'université de Dublin, éclata dans le malheureux pays la grande rébellion de Tyrone, qui tint en échec pendant des années les troupes anglaises, soigneusement ménagées par l'étroite économie d'Élisabeth. Le 14 août 1598, la maréchal de l'armée royale, sir Henri Bagnell, fut battu par Tyrone devant Blackwatertown, près d'Armagh Dix jours avant le désastre de Blackwatertown était mort le grand ministre lord Burghley. Leicester, Hatton, Walsingham, avaient déjà disparu à cette date. La scène, vidée des anciens acteurs, fut livrée, pendant la fin du règne, à des personnages nouveaux : Essex, Walter Raleigh, jeunes, égoïstes, aussi impétueux que leurs anciens avaient été prudents et réfléchis, bien moins assouplis. Ils n'avaient pas passé sous la verge de fer des premiers Tudors. Il est même extraordinaire qu'Élisabeth vieillie ait supporté si longtemps l'insolence d'Essex. Un jour qu'elle lui avait tiré l'oreille, il mit la main sur la garde de son épée, et elle lui pardonna cela. En mars 1595; elle le nomma « lieutenant et gouverneur général d'Irlande »; il ne fut pas heureux, et il osa conclure une trêve avec Tyrone, sans autorisation; la reine en fut très fâchée et lui défendit de quitter son poste; il le quitta néanmoins et vint à Londres : désobéissance flagrante qui ne fut encore punie (5 juin 1600) que de sa dégradation de toutes ses charges et honneurs. II fallut une ridicule tentative d'insurrection de la part du favori disgracié pour décider la reine, jadis plus prompte, à le faire décapiter (25 février 1601). Élisabeth ne convoqua que treize Parlements en quarante-quatre ans de règne; c'est dire qu'elle n'en réunit qu'en cas de nécessité absolue. Elle ne les aimait pas, même silencieux et empressés à lui complaire. Elle ne leur permettait que de voter des subsides, et coupait court brutalement aux plus timides remontrances. Les communes protestantes Élisabeth mourut à soixante-dix ans. De très grandes choses ont été faites, en Angleterre, sous son règne; elle y a peu contribué. Elle n'a pas plus encouragé ou compris sir Francis Drake que Shakespeare, Spencer et Richard Hooker, qui moururent obscurs. William Camden est peut-être le seul homme de lettres de son temps pour lequel elle ait eu quelque estime. Elle était savante, mais sans goût. Belle, vigoureuse, avec des muscles et un cerveau infatigables, elle n'avait pas de pitié pour une faiblesse, pas de bonté, pas de réserve. Elle jurait «-comme une marchande de poissons »; elle crachait sur les habits des courtisans qui ne se présentaient pas devant elle vêtus à sa mode; elle battait ses dames d'honneur; elle embrassait ou giflait les gens en public sans se gêner; elle prenait le menton des jeunes gentilshommes qui lui étaient présentés, quand ils étaient jolis garçons; elle avait donné des surnoms de toutes sortes aux plus graves personnages de sa cour. Elle avait les colères sanguines, les rancunes inexplicables et l'orgueil des Tudor; de sa mère Anne de Boleyn, elle avait la coquetterie, les besoins amoureux, la passion de la splendeur et des plaisirs, la gaieté triviale. « Cette femme, écrivait un ambassadeur de Philippe II, est possédée par cent mille diables. »Peu de souverains ont été, malgré tout, plus populaires en leur temps et, depuis, que la « belle vierge d'Occident. » C'est qu'elle fut vraiment Anglaise, en communion instinctive avec son peuple, et qu'elle fut bien servie. (Ch: V. L.). |
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