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Discours de la méthode 
pour bien conduire sa raison 
et chercher la vérité dans les sciences
René Descartes

Sixième partie
Choses requises pour aller plus avant
en la recherche de la nature


Présentation Ire partie IIe partie IIIe partie IVe partie Ve partie VIe partie

 
 


Descartes
1637 

Descartes n'a publié les premiers résultats obtenus par lui en métaphysique et en physique que comme un exemple de la méthode qu'il a suivie. Il se promet bien d'autres découvertes, grâce à la même méthode, surtout dans l'étude de la nature, et il se propose de consacrer le reste de sa vie à l'avancement de la médecine.

Or il y a maintenant trois ans [1] que j'étais parvenu à la fin du traité qui contient toutes ces choses [2] , et que je commençais à le revoir afin de le mettre entre les mains d'un imprimeur, lorsque j'appris que des personnes à qui je défère [3], et dont l'autorité ne peut guère moins sur mes actions que ma propre raison sur mes pensées, avaient désapprouvé une opinion de physique publiée un peu auparavant par quelque autre [4], de laquelle je ne veux pas dire que je fusse, mais bien que je n'y avais rien remarqué avant leur censure que je pusse imaginer être préjudiciable ni à la religion ni à l'état, ni par conséquent qui m'eût empêché de l'écrire si la raison me l'eût persuadée; et que cela me fit craindre qu'il ne s'en trouvât tout de même quelqu'une entre les miennes en laquelle je me fusse mépris, nonobstant le grand soin que j'ai toujours eu de n'en point recevoir de nouvelles en ma créance dont je n'eusse des démonstrations très certaines, et de n'en point écrire qui pussent tourner au désavantage de personne. Ce qui a été suffisant pour m'obliger à changer la résolution que j'avais eue de les publier; car, encore que les raisons pour lesquelles je l'avais prise auparavant fussent très fortes, mon inclination, qui m'a toujours fait haïr le métier de faire des livres, m'en fit incontinent trouver assez d'autres pour m'en excuser. Et ces raisons de part et d'autre sont telles, que non seulement j'ai ici quelque intérêt de les dire, mais peut-être aussi que le public en a de les savoir.

[4]Par Galilée L'ouvrage de Galilée avait paru à Florence en 1632, sous ce titre : Quatre dialogues sur les systèmes du monde de Ptolémée et de Copernic. D'après la lettre de Descartes à Mersenne, à la date du 28 novembre 1633, il n'aurait connu que par ouï-dire et l'ouvrage de Galilée, et son opinion, et les poursuites dont elle était l'objet. Écrits en italien, ces dialogues furent traduits en latin par Bernegger (Strasbourg, 1656). Galilée, né en 1564 à Pise, mourut en 1642. Cette « opinion de physique » était que la Terre tourne, et Descartes la partageait certainement; car elle découle directement de l'hypothèse des tourbillons, et il écrivait à Mersenne le 28 novembre 1633 : « Si le mouvement de la Terre est faux, tous les fondements de ma philosophie le sont aussi, car il se démontre par eux évidemment; et il est tellement lié avec toutes les parties de mon Traité, que je ne l'en saurais détacher sans rendre tout le reste défectueux. » On n'a pas moins d'opiniâtreté. Dans une autre lettre au même, du 10 janvier 1634, nous lisons encore : « vous savez sans doute que Galilée a été repris depuis peu par les inquisiteurs de la foi, et que son opinion touchant le mouvement de la Terre a été condamnée comme hérétique. Or, je vous dirai que toutes les choses que j'expliquais en mon Traité, entre lesquelles était aussi cette opinion du mouvement de la Terre, dépendaient tellement les unes des autres, que c'est assez de savoir qu'il y en ait une qui soit fausse pour connaître que toutes les raisons dont je me servais n'ont point de force, et quoique je pensasse qu'elles fussent appuyées sur des raisons très certaines et très évidentes, je ne voudrais toutefois pour rien au monde les soutenir contre l'autorité de l'Église ». La condescendance extrême de Descartes, qui se montre, en ce passage du Discours, disposé à mettre l'opinion théologique des Inquisiteurs avant « les démonstrations très certaines » qu'il possédait, est loin de lui faire honneur; et nous considérons comme un châtiment ces paroles de Bossuet, qui ne fut pas, on le sait, un modèle de tolérance : «-M. Descartes a toujours craint d'être noté par l'Église, et on lui voit prendre sur cela des précautions qui allaient jusqu'à l'excès. » Peut-être Descartes ne méritait-il pas l'honneur d'être frappé lui aussi par l'Inquisition, qui défendit, le 20 novembre 1663, la lecture de ses ouvrages, donec corrigantur.
Je n'ai jamais fait beaucoup d'état des choses qui venaient de mon esprit; et pendant que je n'ai recueilli d'autres fruits de la méthode dont je me sers, sinon que je me suis satisfait touchant quelques difficultés qui appartiennent aux sciences spéculatives, ou bien que j'ai tâché de régler mes moeurs par les raisons qu'elle m'enseignait, je n'ai point cru être obligé d'en rien écrire. Car, pour ce qui touche les moeurs, chacun abonde si fort en son sens, qu'il se pourrait trouver autant de réformateurs que de têtes, s'il était permis à d'autres qu'à ceux que Dieu a établis pour souverains sur ses peuples, ou bien auxquels il a donné assez de grâce et de zèle pour être prophètes, d'entreprendre d'y rien changer; et, bien que mes spéculations me plussent fort, j'ai cru que les autres en avaient aussi qui leur plaisaient peut-être davantage. Mais, sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusques à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu'il est en nous le bien général de tous les hommes [5]; car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature'[6]. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie [7]; car même l'esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possibles de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher [8]. Il est vrai que celle qui est maintenant en usage contient peu de choses dont l'utilité soit si remarquable. Mais, sans que j'aie aucun dessein de la mépriser, je m'assure qu'il n'y a personne, même de ceux qui en font profession, qui n'avoue que tout ce qu'on y sait n'est presque rien à comparaison de ce qui reste à y savoir; et qu'on se pourrait exempter d'une infinité de maladies tant du corps que de l'esprit, et même aussi peut-être de l'affaiblissement de la vieillesse, si on avait assez de connaissance de leurs causes et de tous les remèdes dont la nature nous a pourvus [9]. Or, ayant dessein d'employer toute ma vie à la recherche d'une science si nécessaire, et ayant rencontré un chemin qui me semble tel qu'on doit infailliblement la trouver en le suivant, si ce n'est qu'on en soit empêché ou par la brièveté de la vie ou par le défaut des expériences [10], je jugeais qu'il n'y avait point de meilleur remède contre ces deux empêchements que de communiquer fidèlement au public tout le peu que j'aurais trouvé, et de convier les bons esprits à tâcher de passer plus outre, en contribuant, chacun selon son inclination et son pouvoir, aux expériences qu'il faudrait faire, et communiquant aussi au public toutes les choses qu'ils apprendraient, afin que les derniers commençant où les précédents auraient achevé, et ainsi joignant les vies et les travaux de plusieurs, nous allassions tous ensemble beaucoup plus loin que chacun en particulier ne saurait faire [11].
[8] Descartes se fait une si haute idée de l'importance de la médecine, qu'il forme un peu plus loin le projet d'y consacrer le reste de sa vie : l'espérance, qu'il exprime quelques lignes plus bas, de voir la vie indéfiniment prolongée par l'art médical devenu parfait, était partagée de ses amis : on raconte même que ceux-ci avaient une telle confiance dans son génie, qu'ils attendaient de lui ce progrès définitif de la médecine et qu'ils ne voulurent pas croire tout d'abord à la nouvelle de sa mort.

[9] On voit que Descartes se laisse emporter jusqu'à des chimères bien peu justifiables.

[10] A mesure que le progrès de son étude le conduit aux détails du monde physique et tout particulièrement à ceux de la vie physiologique, l'expérience paraît à Descartes de plus en plus indispensable.

[11] Ces réflexions sur l'accumulation successive des travaux des humains et de leurs découvertes particulières seront reprises par Pascal, avec plus d'éloquence sans doute, dans son petit écrit de l'Autorité en matière de philosophie : « De là vient que, par une prérogative particulière, non seulement chacun des hommes s'avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès, à mesure que l'humanité vieillit, parce que la même chose arrive dans la succession des hommes que dans les âges différents d'un particulier. De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de plusieurs siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement... » (Pensées).

Même je remarquais, touchant les expériences, qu'elles sont d'autant plus nécessaires qu'on est plus avancé en connaissance; car, pour le commencement, il vaut mieux ne se servir que de celles qui se présentent d'elles-mêmes à nos sens, et que nous ne saurions ignorer pourvu que nous y fassions tant soit peu de réflexion, que d'en chercher de plus rares et étudiée : dont la raison est que ces plus rares trompent souvent, lorsqu'on ne sait pas encore les causes des plus communes, et que les circonstances dont elles dépendent sont quasi toujours si particulières et si petites, qu'il est très malaisé de les remarquer [12]. Mais l'ordre que j'ai tenu en ceci a été tel. Premièrement, j'ai tâché de trouver en général les principes ou premières causes de tout ce qui est ou qui peut être dans le monde, sans rien considérer pour cet effet que Dieu seul qui l'a créé, ni les tirer d'ailleurs que de certaine semences de vérités[13] qui sont naturellement en nos âmes. Après cela, j'ai examiné quels étaient les premiers et plus ordinaires effets qu'on pouvait déduire de ces causes; et il me semble que par là j'ai trouvé des cieux, des astres, une terre, et même sur la terre de l'eau, de l'air, du feu, des minéraux, et quelques autres telles choses, qui sont les plus communes de toutes et les plus simples, et par conséquent les plus aisées à connaître [14]. Puis, lorsque j'ai voulu descendre à celles qui étaient plus particulières, il s'en est tant présenté à moi de diverses, que je n'ai pus cru qu'il fût possible à l'esprit humain de distinguer les formes ou espèces de corps qui sont sur la Terre, d'une infinité d'autres qui pourraient y être si c'eût été le vouloir de Dieu de les y mettre, ni par conséquent de les rapporter à notre usage, si ce n'est qu'on vienne au-devant des causes par les effets, et qu'on se serve de plusieurs expériences particulières [15]. Ensuite de quoi, repassant mon esprit sur tous les objets qui s'étaient jamais présentés à mes sens, j'ose bien dire que je n'y ai remarqué aucune chose que je ne pusse assez commodément expliquer par les principes que j'avais trouvés. Mais il faut aussi que j'avoue que la puissance de la nature [16] est si ample et si vaste, et que ces principes sont si simples et si généraux, que je ne remarque quasi plus aucun effet particulier que d'abord je ne connaisse qu'il peut en être déduit en plusieurs diverses façons, et que ma plus grande difficulté est d'ordinaire de trouver en laquelle de ces façons il en dépend [17]; car à cela je ne sais point d'autre expédient que de chercher derechef quelques expériences qui soient telles que leur événement ne soit pas le même si c'est en l'une de ces façons qu'on doit l'expliquer que si c'est en l'autre [18]. Au reste, j'en suis maintenant là que je vois, ce me semble, assez bien de quel biais on se doit prendre à faire la plupart de celles qui peuvent servir à cet effet: mais je vois aussi qu'elles sont telles, et en si grand nombre, que ni mes mains ni mon revenu [19], bien que j'en eusse mille fois plus que je n'en ai, ne sauraient suffire pour toutes; en sorte que, selon que j'aurai désormais la commodité d'en faire plus ou moins, j'avancerai aussi plus ou moins en la connaissance de la nature: ce que je me promettais de faire connaître par le traité que j'avais écrit, et d'y montrer si clairement l'utilité que le public en peut recevoir, que j'obligerais tous ceux qui désirent en général le bien des hommes, c'est-à-dire tous ceux qui sont en effet vertueux [20], et non point par faux semblant ni seulement par opinion, tant à me communiquer celles qu'ils ont déjà faites, qu'à m'aider en la recherche de celles qui restent à faire.
[16] Les lois mécaniques auxquelles sont soumis les corps matériels.

[17] Si Descartes s'était aperçu dès le principe que les lois de la nature peuvent être contingentes, il aurait accordé une place d'honneur it la méthode expérimentale, au lieu de la reléguer au second plan, comme il a fait, et il ne se serait pas contenté d'y faire seulement appel pour discerner entre tous les possibles, que conçoit l'esprit, ceux qui ont été réellement appelés à l'existence.

[18] Descartes considère à juste titre l'expérience scientifique comme la vérification d'une hypothèse créée par l'esprit; mais il n'est pas bon que l'esprit conçoive absolument a priori l'hypothèse, qui risquerait d'être toujours chimérique; il vaut mieux qu'elle soit conçue à la suite d'observations préalables des faits et des êtres, et que, par là même, elle s'éloigne le moins possible de la réalité.

[19] Descartes n'était pas riche : il avait seulement de l'aisance; et il sut gérer ses biens avec tant d'ordre et d'économie qu'il eut toujours de quoi suffire à son bien-être, à ses voyages et à ses études.

[20] On remarquera que Descartes fait de l'amour de l'humanité l'élément indispensable de la vertu.

Mais j'ai eu depuis ce temps-là d'autres raisons qui m'ont fait changer d'opinion, et penser que je devais véritablement continuer d'écrire toutes les choses que je jugerais de quelque importance, à mesure que j'en découvrirais la vérité, et y apporter le même soin que si je les voulais faire imprimer, tant afin d'avoir d'autant plus d'occasion de les bien examiner, comme sans doute on regarde toujours de plus près à ce qu'on croit devoir être vu par plusieurs qu'à ce qu'on ne fait que pour soi-même, et souvent les choses qui m'ont semblé vraies lorsque j'ai commencé à les concevoir, m'ont paru fausses lorsque je les ai voulu mettre sur le papier, qu'afin de ne perdre aucune occasion de profiter au public, si j'en suis capable, et que si mes écrits valent quelque chose, ceux qui les auront après ma mort en puissent user ainsi qu'il sera le plus à propos; mais que je ne devais aucunement consentir qu'ils fussent publiés pendant ma vie, afin que ni les oppositions et controverses auxquelles ils seraient peut-être sujets, ni même la réputation telle quelle qu'ils me pourraient acquérir, ne me donnassent aucune occasion de perdre le temps que j'ai dessein d'employer à m'instruire. Car, bien qu'il soit vrai que chaque homme est obligé de procurer autant qu'il est en lui le bien des autres, et que c'est proprement ne valoir rien que de n'être utile à personne, toutefois il est vrai aussi que nos soins se doivent étendre plus loin que le temps présent, et qu'il est bon d'omettre les choses qui apporteraient peut-être quelque profit à ceux qui vivent, lorsque c'est à dessein d'en faire d'autres qui en apportent davantage à nos neveux. Comme en effet je veux bien qu'on sache que le peu que j'ai appris jusques ici n'est presque rien à comparaison de ce que j'ignore et que je ne désespère pas de pouvoir apprendre. Car c'est quasi le même de ceux qui découvrent peu à peu la vérité dans les sciences, que de ceux qui, commençant à devenir riches, ont moins de peine à faire de grandes acquisitions, qu'ils n'ont eu auparavant, étant plus pauvres, à en faire de beaucoup moindres. Ou bien on peut les comparer aux chefs d'armée, dont les forces ont coutume de croître à proportion de leurs victoires, et qui ont besoin de plus de conduite pour se maintenir après la perte d'une bataille, qu'ils n'ont, après l'avoir gagnée, à prendre des villes et des provinces. Car c'est véritablement donner des batailles que de tâcher à vaincre toutes les difficultés et les erreurs qui nous empêchent de parvenir à la connaissance de la vérité, et c'est en perdre une que de recevoir quelque fausse opinion touchant une matière un peu générale et importante; il faut après beaucoup plus d'adresse pour se remettre au même état qu'on était auparavant, qu'il ne faut à faire de grands progrès lorsqu'on a déjà des principes qui sont assurés. Pour moi, si j'ai ci-devant trouvé quelques vérités dans les sciences (et j'espère que les choses qui sont contenues en ce volume [21] feront juger que j'en ai trouvé quelques unes), je puis dire que ce ne sont que des suites et des dépendances de cinq ou six principales difficultés que j'ai surmontées, et que je compte pour autant de batailles où j'ai eu l'heur de mon côté; même je ne craindrai pas de dire que je pense n'avoir plus besoin d'en gagner que deux ou trois autres semblables pour venir entièrement à bout de mes desseins; et que mon âge n'est point si avancé que, selon le cours ordinaire de la nature, je ne puisse encore avoir assez de loisir pour cet effet. Mais je crois être d'autant plus obligé à ménager le temps qui me reste, que j'ai plus d'espérance de le pouvoir bien employer; et j'aurais sans doute plusieurs occasions de le perdre, si je publiais les fondements de ma physique. Car, encore qu'ils soient presque tous si évidents qu'il ne faut que les entendre pour les croire, et qu'il n'y en ait aucun dont je ne pense pouvoir donner des démonstrations, toutefois, à cause qu'il est impossible qu'ils soient accordants avec toutes les diverses opinions des autres hommes, je prévois que je serais souvent diverti par les oppositions qu'ils feraient naître [22].

On peut dire que ces oppositions seraient utiles, tant afin de me faire connaître mes fautes, qu'afin que, si j'avais quelque chose de bon, les autres en eussent par ce moyen plus d'intelligence, et, comme plusieurs peuvent plus voir qu'un homme seul, que, commençant dès maintenant à s'en servir, ils m'aidassent aussi de leurs inventions. Mais encore que je me reconnaisse extrêmement sujet à faillir, et que je ne me fie quasi jamais aux premières pensées qui me viennent, toutefois l'expérience que j'ai des objections qu'on me peut faire m'empêche d'en espérer aucun profit: car j'ai déjà souvent éprouvé les jugements tant de ceux que j'ai tenus pour mes amis que de quelques autres à qui je pensais être indifférent, et même aussi de quelques uns dont je savais que la malignité et l'envie tâcherait assez à découvrir ce que l'affection cacherait à mes amis; mais il est rarement arrivé qu'on m'ait objecté quelque chose que je n'eusse point du tout prévue, si ce n'est qu'elle fût fort éloignée de mon sujet; en sorte que je n'ai quasi jamais rencontré aucun censeur de mes opinions qui ne me semblât ou moins rigoureux ou moins équitable que moi-même. Et je n'ai jamais remarqué non plus que par le moyen des disputes qui se pratiquent dans les écoles, on ait découvert aucune vérité qu'on ignorât auparavant: car pendant que chacun tâche de vaincre, on s'exerce bien plus à faire valoir la vraisemblance qu'à peser les raisons de part et d'autre; et ceux qui ont été longtemps bons avocats ne sont pas pour cela par après meilleurs juges [23].

Pour l'utilité que les autres recevraient de la communication de mes pensées, elle ne pourrait aussi être fort grande, d'autant que je ne les ai point encore conduites si loin qu'il ne soit besoin d'y ajouter beaucoup de choses avant que de les appliquer à l'usage. Et je pense pouvoir dire sans vanité que s'il y a quelqu'un qui en soit capable, ce doit être plutôt moi qu'aucun autre [24] : non pas qu'il ne puisse y avoir au monde plusieurs esprits incomparablement meilleurs que le mien, mais pour ce qu'on ne saurait si bien concevoir une chose et la rendre sienne, lorsqu'on l'apprend de quelque autre, que lorsqu'on l'invente soi-même. Ce qui est si véritable en cette matière, que, bien que j'aie souvent expliqué quelques unes de mes opinions à des personnes de très bon esprit, et qui, pendant que je leur parlais, semblaient les entendre fort distinctement, toutefois, lorsqu'ils les ont redites, j'ai remarqué qu'ils les ont changées presque toujours en telle sorte que je ne les pouvais plus avouer pour miennes. A l'occasion de quoi je suis bien aise de prier ici nos neveux de ne croire jamais que les choses qu'on leur dira viennent de moi, lorsque je ne les aurai point moi-même divulguées; et je ne m'étonne aucunement des extravagances qu'on attribue à tous ces anciens philosophes dont nous n'avons point les écrits, ni ne juge pas pour cela que leurs pensées aient été fort déraisonnables, vu qu'ils étaient des meilleurs esprits de leurs temps, mais seulement qu'on nous les a mal rapportées [25]. Comme on voit aussi que presque jamais il n'est arrivé qu'aucun de leurs sectateurs les ait surpassés; et je m'assure que les plus passionnés de ceux qui suivent maintenant Aristote se croiraient heureux s'ils avaient autant de connaissance de la nature qu'il en a eu, encore même que ce fût à condition qu'ils n'en auraient jamais davantage. Ils sont comme le lierre, qui ne tend point à monter plus haut que les arbres qui le soutiennent, et même souvent qui redescend, après qu'il est parvenu jusques à leur faîte; car il me semble aussi que ceux-là redescendent, c'est-à-dire se rendent en quelque façon moins savants que s'ils s'abstenaient d'étudier, lesquels, non contents de savoir tout ce qui est intelligiblement expliqué dans leur auteur, veulent outre cela y trouver la solution de plusieurs difficultés dont il ne dit rien, et auxquelles il n'a peut-être jamais pensé [26]. Toutefois leur façon de philosopher est fort commode pour ceux qui n'ont que des esprits fort médiocres; car l'obscurité des distinctions et des principes dont ils se servent est cause qu'ils peuvent parler de toutes choses aussi hardiment que s'ils les savaient, et soutenir tout ce qu'ils en disent contre les plus subtils et les plus habiles, sans qu'où ait moyen de les convaincre. En quoi ils me semblent pareils à un aveugle qui, pour se battre sans désavantage contre un qui voit, l'aurait fait venir dans le fond de quelque cave fort obscure; et je puis dire que ceux-ci ont intérêt que je m'abstienne de publier les principes de la philosophie dont je me sers [27]; car étant très simples et très évidents, comme ils sont, je ferais quasi le même en les publiant que si j'ouvrais quelques fenêtres, et faisais entrer du jour dans cette cave où ils sont descendus pour se battre. Mais même les meilleurs esprits n'ont pas occasion de souhaiter de les connaître; car s'ils veulent savoir parler de toutes choses, et acquérir la réputation d'être doctes, ils y parviendront plus aisément en se contentant de la vraisemblance, qui peut être trouvée sans grande peine en toutes sortes de matières, qu'en cherchant la vérité, qui ne se découvre que peu à peu en quelques unes, et qui, lorsqu'il est question de parler des autres, oblige à confesser franchement qu'on les ignore. Que s'ils préfèrent la connaissance de quelque peu de vérités à la vanité de paraître n'ignorer rien, comme sans doute elle est bien préférable, et qu'ils veuillent suivre un dessein semblable au mien, ils n'ont pas besoin pour cela que je leur die rien davantage que ce que j'ai déjà dit en ce discours: car s'ils sont capables de passer plus outre que je n'ai fait, ils le seront aussi, à plus forte raison, de trouver d'eux-mêmes tout ce que je pense avoir trouvé; d'autant que n'ayant jamais rien examiné que par ordres il est certain que ce qui me reste encore à découvrir est de soi plus difficile et plus caché que ce que j'ai pu ci-devant rencontrer, et ils auraient bien moins de plaisir à l'apprendre de moi que d'eux-mêmes; outre que l'habitude qu'ils acquerront, en cherchant premièrement des choses faciles, et passant peu à peu par degrés à d'autres plus difficiles, leur servira plus que toutes mes instructions ne sauraient faire. Comme pour moi je me persuade que si on m'eût enseigné dès ma jeunesse toutes les vérités dont j'ai cherché depuis les démonstrations, et que je n'eusse eu aucune peine à les apprendre, je n'en aurais peut-être jamais su aucunes autres, et du moins que jamais je n'aurais acquis l'habitude et la facilité que je pense avoir d'en trouver toujours de nouvelles à mesure que je m'applique à les chercher. Et en un mot s'il y a au monde quelque ouvrage qui ne puisse être si bien achevé par aucun autre que par le même qui l'a commencé, c'est celui auquel je travaille [28].

[24] Descartes était plutôt dans le vrai quand il disait plus haut « Je jugeais qu'il n'y avait point de meilleur remède [...] que de communiquer fidèlement au public tout le peu que j'aurais trouvé, et de convier les bons esprits à tâcher de passer plus outre, en contribuant, chacun selon son inclination et son pouvoir, aux expériences qu'il faudrait faire [...], afin que, les derniers commençant ou les précédents auraient achevé, et ainsi joignant les vies et les travaux de plusieurs, nous allassions tous ensemble beaucoup plus loin que chacun en particulier ne saurait faire ».  II est vrai que la science progresse en passant de main en main, tandis qu'un système métaphysique, à la façon d'une oeuvre d'art, ne saurait devenir parfait qu'entre les mains de son auteur, tant les disciples sont portés à altérer la pensée du maître. Il y a donc une distinction à faire chez Descartes entre la pensée du savant et celle du métaphysicien.

[25] Ne peut-on pas trouver ici que Descartes montre un bien grand mépris pour le commun des hommes et des savants, et qu'il s'en est ôté le droit? Car s'il a raison à présent de tant se défier du jugement de tous et de chacun sur ses doctrines, pourquoi a-t-il déclaré, dès la première ligne, en guise d'axiome : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », et quatre lignes plus bas : « la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens, est naturellement égale en tous les hommes? » N'est-ce pas à présent qu'il est le plus près du vrai?

Il est vrai que pour ce qui est des expériences qui peuvent y servir, un homme seul ne saurait suffire à les faire toutes: mais il n'y saurait aussi employer utilement d'autres mains que les siennes, sinon celles des artisans, ou telles gens qu'il pourrait payer, et à qui l'espérance du gain, qui est un moyen très efficace, ferait faire exactement toutes les choses qu'il leur prescrirait [29]. Car pour les volontaires qui, par curiosité ou désir d'apprendre, s'offriraient peut-être de lui aider, outre qu'ils ont pour l'ordinaire plus de promesses que d'effet, et qu'ils ne font que de belles propositions dont aucune jamais ne réussit, ils voudraient infailliblement être payés par l'explication de quelques difficultés, ou du moins, par des compliments et des entretiens inutiles, qui ne lui sauraient coûter si peu de son temps qu'il n'y perdît. Et pour les expériences que les autres ont déjà faites, quand bien même ils les lui voudraient communiquer, ce que ceux qui les nomment des secrets [ = les alchimistes] ne feraient jamais, elles sont pour la plupart composées de tant de circonstances ou d'ingrédients superflus, qu'il lui serait très malaisé d'en déchiffrer la vérité; outre qu'il les trouverait presque toutes si mal expliquées, ou même si fausses, à cause que ceux qui les ont faites se sont efforcés de les faire paraître conformes à leurs principes, que s'il y en avait quelques unes qui lui servissent, elles ne pourraient derechef valoir le temps qu'il lui faudrait employer à les choisir. De façon que s'il y avait au monde quelqu'un qu'on sût assurément être capable de trouver les plus grandes choses et les plus utiles au public qui puissent être, et que pour cette cause les autres hommes s'efforçassent par tous moyens de l'aider à venir à bout de ses desseins, je ne vois pas qu'ils pussent autre chose pour lui, sinon fournir aux frais des expériences dont il aurait besoin, et du reste empêcher que son loisir ne lui fût ôté par l'importunité de personne. Mais, outre que je ne présume pas tant de moi-même que de vouloir rien promettre d'extraordinaire, ni ne me repais point de pensées si vaines que de m'imaginer que le public se doive beaucoup intéresser en mes desseins, je n'ai pas aussi l'âme si basse que je voulusse accepter de qui que ce fût aucune faveur qu'on pût croire que je n'aurais pas méritée.

Toutes ces considérations jointes ensemble furent cause, il y a trois ans, que je ne voulus point divulguer le traité que j'avais entre les mains, et même que je pris résolution de n'en faire voir aucun autre pendant ma vie qui fût si général, ni duquel on pût entendre les fondements de ma physique [30]. Mais il y a eu depuis derechef deux autres raisons qui m'ont obligé à mettre ici quelques essais particuliers [31], et à rendre au public quelque compte de mes actions et de mes desseins. La première est que si j'y manquais, plusieurs, qui ont su l'intention que j'avais eue ci-devant de faire imprimer quelques écrits, pourraient s'imaginer que les causes pour lesquelles je m'en abstiens seraient plus à mon désavantage qu'elles ne sont. Car, bien que je n'aime pas la gloire par excès, ou même, si j'ose le dire, que je la haïsse en tant que je la juge contraire au repos, lequel j'estime sur toutes choses [32], toutefois aussi je n'ai jamais tâché de cacher mes actions comme des crimes, ni n'ai usé de beaucoup de précautions pour être inconnu, tant à cause que j'eusse cru me faire tort, qu'à cause que cela m'aurait donné quelque espèce d'inquiétude, qui eût derechef été contraire au parfait repos d'esprit que je cherche; et pour ce que, m'étant toujours ainsi tenu indifférent entre le soin d'être connu ou de ne l'être pas, je n'ai pu empêcher que je n'acquisse quelque sorte de réputation, j'ai pensé que je devais faire mon mieux pour m'exempter au moins de l'avoir mauvaise. L'autre raison qui m'a obligé à écrire ceci est que, voyant tous les jours de plus en plus le retardement que souffre le dessein que j'ai de m'instruire, à cause d'une infinité d'expériences dont j'ai besoin, et qu'il est impossible que je fasse sans l'aide d'autrui, bien que je ne me flatte pas tant que d'espérer que le public prenne grande part en mes intérêts, toutefois je ne veux pas aussi me défaillir tant à moi-même que de donner sujet à ceux qui me survivront de me reprocher quelque jour que j'eusse pu leur laisser plusieurs choses beaucoup meilleures que je n'aurai fait, si je n'eusse point trop négligé de leur faire entendre en quoi ils pouvaient contribuer à mes desseins.

[31] On voit dans une lettre de Descartes à Mersenne quels étaient ces traités particuliers, et quelle suite ils formaient dans sa pensée. Le Discours de la Méthode y figurait en première ligne sous un titre pompeux qui ne laissait pas au lecteur la peine d'en deviner les ambitieuses espérances. « Afin que vous sachiez ce que j'ai envie de faire imprimer, il y aura quatre traités, tous français, et le titre, en général, sera : Le Projet d'une science universelle qui puisse élever notre nature à son plus haut degré de perfection; plus la Dioptrique, les Météores et la Géométrie, où les plus curieuses matières que l'auteur ait pu choisir pour rendre preuve de la science universelle qu'il propose sont expliquées en telle sorte que ceux même qui n'ont point étude les peuvent entendre. En ce projet je découvre une partie de ma méthode; je tâche à démontrer l'existence de Dieu et de l'âme séparée du corps, et j'y ajoute plusieurs autres choses qui ne seront pas, je crois, désagréables au lecteur. En la Dioptrique, outre la matière des réfractions et l'invention des lunettes, j'y parle aussi fort particulièrement de l'oeil, de la lumière, de la vision et de tout ce qui appartient à la catoptrique et à l'optique. Aux Météores je m'arrête principalement sur la nature du ciel, les causes des vents et du tonnerre, les figures de la neige, les couleurs de l'arc-en-ciel, ou je tâche aussi à démontrer généralement quelle est la nature de chaque couleur, et les couronnes, Ou halones [ = halos], et les soleils, ou parhélies, semblables à ceux qui parurent à Rome il y a six ou sept ans. Enfin, en la Géométrie, je tâche à donner une fas çon générale pour résoudre tous les problèmes qui ne l'ont encore jamais été. » Les trois derniers traités ont gardé leurs titre primitifs, mais le Projet d'une science universelle qui, etc., est devenu modestement le Discours de la Méthode, etc.
Et j'ai pensé qu'il m'était aisé de choisir quelques matières qui, sans être sujettes à beaucoup de controverses, ni m'obliger à déclarer davantage de mes principes que je ne désire, ne laissaient pas de faire voir assez clairement ce que je puis ou ne puis pas dans les sciences. En quoi je ne saurais dire si j'ai réussi, et je ne veux point prévenir les jugements de personne, en parlant moi-même de mes écrits; mais je serai bien aise qu'on les examine; et afin qu'on en ait d'autant plus d'occasion, je supplie tous ceux qui auront quelques objections à y faire de prendre la peine de les envoyer à mon libraire, par lequel en étant averti, je tâcherai d'y joindre ma réponse en même temps; et par ce moyen les lecteurs, voyant ensemble l'un et l'autre, jugeront d'autant plus aisément de la vérité: car je ne promets pas d'y faire jamais de longues réponses, mais seulement d'avouer mes fautes fort franchement, si je les connais, ou bien, si je ne les puis apercevoir, de dire simplement ce que je croirai être requis pour la défense des choses que j'ai écrites, sans y ajouter l'explication d'aucune nouvelle matière, afin de ne me pas engager sans fin de l'une en l'autre. 

Que si quelques unes de celles dont j'ai parlé au commencement de la Dioptrique et des Météores choquent d'abord, à cause que je les nomme des suppositions, et que je ne semble pas avoir envie de les prouver, qu'on ait la patience de lire le tout avec attention, et j'espère qu'on s'en trouvera satisfait. Car il me semble que les raisons s'y entresuivent en telle sorte, que comme les dernières sont démontrées par les premières qui sont leurs causes, ces premières le sont réciproquement par les dernières qui sont leurs effets [33]. Et on ne doit pas imaginer que je commette en ceci la faute que les logiciens nomment un cercle [ = un cercle vicieux], car l'expérience rendant la plupart de ces effets très certains, les causes dont je les déduis ne servent pas tant à les prouver qu'à les expliquer; mais tout au contraire ce sont elles qui sont prouvées par eux [34]. Et je ne les ai nommées des suppositions qu'afin qu'on sache que je pense les pouvoir déduire de ces premières vérités que j'ai ci-dessus expliquées; mais que j'ai voulu expressément ne le pas faire, pour empêcher que certains esprits, qui s'imaginent qu'ils savent en un jour tout ce qu'un autre a pensé en vingt années, sitôt qu'il leur en a seulement dit deux ou trois mots, et qui sont d'autant plus sujets à faillir et moins capables de la vérité qu'ils sont plus pénétrants et plus vifs, ne puissent de là prendre occasion de bâtir quelque philosophie extravagante sur ce qu'ils croiront être mes principes, et qu'on m'en attribue la faute; car pour les opinions qui sont toutes miennes, je ne les excuse point comme nouvelles, d'autant que si on en considère bien les raisons, je m'assure qu'on les trouvera si simples et si conformes au sens commun [35], qu'elles sembleront moins extraordinaires et moins étranges qu'aucunes autres qu'on puisse avoir sur mêmes sujets; et je ne me vante point aussi d'être le premier inventeur d'aucunes, mais bien que je ne les ai jamais reçues ni pour ce qu'elles avaient été dites par d'autres, ni pour ce qu'elles ne l'avaient point été, mais seulement pour ce que la raison me les a persuadées.

Que si les artisans ne peuvent sitôt exécuter l'invention qui est expliquée en la Dioptrique '[36], je ne crois pas qu'on puisse dire pour cela qu'elle soit mauvaise; car, d'autant qu'il faut de l'adresse et de l'habitude pour faire et pour ajuster les machines que j'ai décrites, sans qu'il y manque aucune circonstance, je ne m'étonnerais pas moins s'ils rencontraient du premier coup, que si quelqu'un pouvait apprendre en un jour à jouer du luth excellemment, par cela seul qu'on lui aurait donné de la tablature [37]qui serait bonne. Et si j'écris en français, qui est la langue de mon pays [38], plutôt qu'en latin, qui est celle de mes précepteurs, c'est à cause que j'espère que ceux qui ne se servent que de leur raison naturelle toute pure jugeront mieux de mes opinions que ceux qui ne croient qu'aux livres anciens; et pour ceux qui joignent le bon sens avec l'étude, lesquels seuls je souhaite pour mes juges, ils ne seront point, je m'assure, si partiaux pour le latin, qu'ils refusent d'entendre mes raisons pour ce que je les explique en langue vulgaire.

[37] On entendait par tablature des signes arrangés sur des lignes et représentant des sons : c'était de la véritable musique.

[38] Descartes rompait avec toutes les habitudes de son temps en publiant en français le Discours de la Méthode et les trois ouvrages scientifiques qui suivaient : il n'y avait pas en France de langue philosophique, il la créa; voici ce qu'écrivait à ce sujet Victor Cousin dans la préface du Rapport à l'Académie française sur les Pensées de Pascal : « Pour exprimer toutes ses grandes créations, il a créé un langage digne d'elles; naïf et hardi, cherchant avant tout la clarté et trouvant par surcroît la grandeur. C'est Descartes qui a porté le coup mortel, non pas seulement à la scolastique qui partout succombait, mais à la philosophie et à la littérature maniérée de la Renaissance. Il est le Malherbe de la prose; ajoutons qu'il en est le Malherbe et le Corneille tout ensemble. Dès que le Discours de la Méthode parut, à peu près en même temps que le Cid, tout ce qu'il y avait en France d'esprits solides, fatigués d'imitations impuissantes, amateurs du vrai, du grand et du beau, reconnurent à l'instant même le langage qu'ils cherchaient. Depuis on ne parle plus que celui-là, les faibles médiocrement, les forts en y ajoutant leurs qualités diverses, mais sur un fond invariable devenu le patrimoine et la règle de tous. »

Au reste, je ne veux point parler ici en particulier des progrès que j'ai espérance de faire à l'avenir dans les sciences, ni m'engager envers le public d'aucune promesse que je ne sois pas assuré d'accomplir; mais je dirai seulement que j'ai résolu de n'employer le temps qui me reste à vivre à autre chose qu'à tâcher d'acquérir quelque connaissance de la nature, qui soit telle qu'on en puisse tirer des règles pour la médecine, plus assurées que celles qu'on a eues jusques à présent; et que mon inclination m'éloigne si fort de toute sorte d'autres desseins, principalement de ceux qui ne sauraient être utiles aux uns qu'en nuisant aux autres, que si quelques occasions me contraignaient de m'y employer, je ne crois point que je fusse capable d'y réussir. De quoi je fais ici une déclaration que je sais bien ne pouvoir servir à me rendre considérable dans le monde; mais aussi n'ai aucunement envie de l'être; et je me tiendrai toujours plus obligé à ceux par la faveur desquels je jouirai sans empêchement de mon loisir, que je ne serais à ceux qui m'offriraient les plus honorables emplois de la terre. (R. Descartes, 1637; notes d'après : G. Vapereau; T.-V. Charpentier; L. Carrau, et al.).

 
 

[1] C'est-à-dire en 1634.

[2] Cette opinion était la théorie du mouvement de la Terre.

[3] Les Inquisiteurs du Saint-Office.

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[5] C'est ce devoir qui obligeait Descartes à publier son Traité du Monde.

[6]Passage remarquable. Descartes marque ainsi le vrai caractère de la philosophie moderne. Il est impossible de prédire en un plus magnifique langage les résultats que devait produire l'application à l'industrie des sciences de la nature.

[7] Avec Descartes la médecine entre dans la voie du progrès sous l'inspiration de ses théories mécanistes, les savants s'aperçurent enfin que, quel que soit au fond le principe qui donne la vie aux cellules, tous les phénomènes qui s'y produisent sont absolument conformes aux lois de la mécanique, de la physique et de la chimie ordinaires; tous les éléments chimiques qui les constituent sont identiques aux éléments des corps inorganiques. Il faut donc fournir aux cellules malades les substances dont l'absence produit une altération des organes.

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[12] Nous avons dit que la philosophie de Descartes est une philosophie a priori. On voit pourtant que notre auteur fait une très grande part à l'expérience. Cela sera développé plus loin.

[13] Les idées innées, les idées mathématiques.
 
 

[14] Il serait aisé de faire la part de l'expérience dans ces premières découvertes, qui ne sont pas dues à la déduction pure.

[15] Il semble donc que les lois générales de l'univers sont nécessaires, puisqu'on peut les déduire facilement a priori de la nature de Dieu, mais que les phénomènes multiples qui suivent de ces lois sont contingents. Spinoza ne sera-t-il pas plus conséquent avec ses principes lorsqu'il prétendra que nous déclarons contingents les faits dont nous ignorons les causes, et que tout ce qui est, est nécessaire d'une nécessité absolue?

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[21] Outre le Discours de la méthode, l'ouvrage comprenait la Géométrie, la Dioptrique et les Météores.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

[22] Descartes prit en effet l'habitude de répondre aux objections de ses adversaires; c'est à cette habitude que nous devons la publication des Objections faites à Descartes sur les six Méditations et ses Réponses; le tout constitue une polémique très intéressante et très instructive, dans laquelle Descartes éclaircit bien des points obscurs de sa métaphysique.
 
 
 
 
 
 
 
 

[23] La discussion, surtout en matière de philosophie, ne servirait-elle qu'à faire sentir vivement à chacun les faiblesses de son système, qu'elle serait de la plus grande utilité.
 

[24]
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

[25]
 
 
 
 
 
 
 
 
 

[26] Toutes ces observations sont d'une remarquable justesse. 
 
 
 
 
 

[27] Attaque dirigée contre la scolastique.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

[28] Admirable passage, où malheureusement on sent que Descartes plaide les circonstances atténuantes et s'excuse de n'avoir pas publié son Traité du Monde.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

[29] Descartes ignorait quelle place l'expérience prendrait au centre de toute méthode dans les sciences physiques, et que l'interprétation des faits devait exiger de la part de l'observateur une finesse, une pénétration parfois inouïes : c'est parce qu'il ne prévoyait pas l'avenir de la méthode expérimentale qu'il propose assez dédaigneusement de confier l'expérience à des manoeuvres.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

[30] Descartes n'a pas tenu cette résolution. Toute sa physique est exposée dans son livre des Principes (1644).

[31]
 
 

[32] Descartes parle souvent de son amour du repos, de son éloignement pour l'éclat et le bruit. Il dit, dans une lettre à Mersenne, qu'il a pris pour devise : Bene vixit bene qui Iatuit. S'il a vraiment cherché l'obscurité, il faut avouer qu'il y a assez mal réussi.
 
 
 
 
 
 
 
 

[33] Et qui sont confirmées par l'expérience - C'est la vraie méthode scientifique déjà indiquée plus haut.

[34] Les causes déduites immédiatement des lois générales expliquent les effets, mais ne sont que des hypothèses; lorsque la constance des effets a vérifié l'hypothèse, celle-ci devient une loi partiulière de la nature. Et ainsi Descartes peut dire que les causes expliquent les effets, et que les effets prouvent la réalité des causes.

[35] A cette raison universelle que partage chaque humain, et qui le rend accessible aux idées claires et distinctes.
 
 

[36]  L'invention qu'il évoque dans ce paragraphe est celle de la taille des lentilles de surface hyperbolique. « En la Dioptrique, écrira Descartes à Mersenne, outre la matière des réfractions et l'invention des lunettes, j'y parle aussi fort particulièrement de l'oeil, de la lumière, de la vision et de tout ce qui appartient à la catoptrique et à l'optique. »

[37]

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Dictionnaire Le monde des textes
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