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Dancourt

Florent Carton, sieur d'Ancourt, dit Dancourt, est un acteur et auteur dramatique français, né à Fontainebleau le 1er novembre 1661, mort à Courcelles-le-Roy (Loiret) le 6 décembre 1725. Issu d'une famille de vieille bourgeoisie, il descendait par les femmes de Guillaume Budé, et ses parents avaient abjuré la religion protestante. 

Elevé à Paris au collège des jésuites et sollicité vainement par eux d'entrer dans
la compagnie, il fut reçu avocat à dix-huit ans, s'éprit de la fille du comédien La Thorillière, l'enleva et l'épousa peu de temps après : puis ils débutèrent tous deux, en 1685, à la Comédie-Française. Il y tint pendant trente-trois ans avec distinction les emplois de « financiers » et de « raisonneurs »; son meilleur rôle était, dit-on, celui d'Alceste dans le Misanthrope

Doué en outre d'un remarquable talent de lecteur et d'une grande facilité d'élocution, il était chargé par ses camarades de leur présenter les pièces nouvelles et de haranguer le public quand les circonstances l'exigeaient.

Louis XIV lui donna plusieurs marques publiques de sa bienveillance, et cette faveur très enviée dut consoler Dancourt des humiliations qu'un comédien était alors forcé de subir, comme le jour où le marquis de Sablé, pris de vin, croyant saisir dans un couplet une allusion à son nom, alla souffleter l'artiste sur la scène. 

Vers la fin de sa vie, Dancourt, qui n'avait pas toujours témoigné les mêmes sentiments, tomba dans une dévotion profonde, et se retira au château de Courcelles où il entreprit une traduction des Psaumes

De son mariage il eut deux filles qui furent elles-mêmes des actrices distinguées: l'une d'elles, Mimi Dancourt, fut la mère de la première Mme de La Popelinière.

Dancourt n'a pas écrit moins de cinquante-deux pièces de théâtre; son chef-d'oeuvre est, d'un avis unanime, le Chevalier à la mode (1687), comédie en cinq actes et en prose, dont on a voulu, sans preuves, lui contester la paternité, et où il a peint, sous un autre nom et sous d'autres habits, ce personnage amphibie qu'un puissant écrivain, au siècle suivant, a baptisé Monsieur Alphonse

Mais à part diverses incursions dans la comédie de moeurs, telles que les Bourgeoises de qualité (1700) et la Désolation des Joueuses (1700), il s'est surtout attaché à représenter les amours et les intrigues du village dans les Vendanges de Suresnes (1694); la Foire de Bezons (1695); le Moulin de Javel (1695); le Galant Jardinier (1704); les Divertissements de Sceaux (1706); l'Impromptu de Suresnes (1713); le Prix de l'Arquebuse (1717), etc. Aussi Palissot l'a-t-il appelé le Teniers de la comédie, et Voltaire a dit de lui qu'il était « dans la farce à l'égard de Molière ce que Regnard était à celui-ci dans la haute comédie ». (M. Tx.).
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Extrait des Bourgeoises de qualité

[M. Blandineau est un procureur aux goûts simples, et plutôt avare. Mme Blandineau veut paraître.]

« Mme BLANDINEAU, M. BLANDINEAU, LISETTE

Mme BLANDINEAU
A quoi vous amusez-vous donc, mademoiselle Lisette? il y a une heure que je vous fais chercher. Allons vite, mes coiffes et mon écharpe.

LISETTE
Laquelle, madame? celle à réseau, ou celle à frange?

Mme BLANDINEAU
Non, celle de gaze ou celle de dentelle, mademoiselle Lisette; les autres sont des housses, des caparaçons qu'on ne saurait porter. Ah! vous voilà! monsieur Blandineau, je suis bien aise de vous trouver ici. Donnez-moi de l'argent, je n'en ai plus.

M. BLANDINEAU
De l'argent, madame? vous aviez hier vingt-cinq louis d'or.

Mee BLANDINEAU
Cela est vrai, monsieur. J'ai joué, j'ai perdu, j'ai payé, je n'ai plus rien; je vais rejouer, il m'en faut d'autres en
cas que je perde.

M. BLANDINEAU
Mais, ma femme...

Mme BLANDINEAU
En! fi donc, monsieur Blandineau, que de façons! au lieu de me remercier d'en prendre du vôtre.

M. BLANDINEAU
Vous remercier?

Mme BLANDINEAU
Oui, vraiment; c'est un bien mal acquis, qui ne fait point de profit; je perds tout ce que je joue.

M. BLANDINEAU
Et pourquoi jouer, madame Blandineau?

Mme BLANDINEAU
Pourquoi jouer, monsieur? pourquoi jouer? je vous trouve admirable. Que voulez-vous donc qu'on fasse de mieux, et à la campagne, surtout? J'ai la complaisance de venir avec vous dans une chaumière bourgeoisie, avec votre ennuyeuse famille : il se trouve par hasard dans le village des femmes d'esprit, des personnes du monde, des jeunes gens polis; il se forme une agréable société de plaisir et de bonne chère; c'est le jeu qui est l'âme de toutes ces parties; et je ne jouerai pas? Non, monsieur, ne comptez point là-dessus, et donnez-moi de l'argent, s'il vous plait, ou j'en emprunterai, mais ce sera sur votre compte.

M. BLANDINEAU
Oh bien! madame, voilà encore dix louis d'or; mais si vous les perdez...

Mme BLANDINEAU
Si je ne les perds pas, je les dépenserai, ne vous mettez pas en peine. A propos, c'est aujourd'hui la fête du village, nous sommes les plus considérables, on soupe ici, ce soir; je crois que vous en êtes bien et dûment averti?

M. BLANDINEAU
Quoi! votre dessein ridicule continue, et malgré tout ce que je vous en ai dit?

Mme BLANDINEAU
Ce sont vos discours, monsieur, vos remontrances qui ont achevé de me déterminer.

M. BLANDINEAU
Madame Blandineau, vous me pousserez à des extrémités.

Mme BLANDINEAU
Monsieur Blandineau, vous me ferez faire des choses...

M. BLANDINEAU
Je vous défie, madame Blandineau, de faire pis que vous faites.

Mme BLANDINEAU
Comment donc, monsieur! suis-je une coquette?

M. BLANDINEAU
Vous êtes pis que tout cela, madame ma femme. Quelle extravagance de rassembler huit ou dix femmes plus ridicules l'une que l'autre, qui ne sont assurément pas de vos amies, pour leur donner à souper, leur faire manger votre bien!

Mme BLANDINEAU
Que vous avez l'âme crasse, monsieur Blandineau! que vous avez l'âme crasse, et que vous savez peu vous faire valoir! J'aime à paraître, moi, c'est là ma folie.

M. BLANDINEAU
Et vous devriez vous cacher d'être aussi peu raisonnable.

Mme BLANDINEAU
Vous voyez, monsieur, comme vous vous révoltez contre le souper. Oh bien! nous aurons les violons, de la musique, un petit concert, le bal, et une espèce d'opéra même, si vous continuez à me contredire.

M. BLANDINEAU
Ah ! quel abandonnement! quel désordre ! Mais quand vous seriez la femme d'un traitant, vous ne feriez pas plus d'impertinences.

Mme BLANDINEAU
C'est ma soeur qui fait cette dépense-là; ne vous chagrinez pas.

M. BLANDINEAU
La malheureuse!

LISETTE
Voilà votre écharpe, madame.

Mme BLANDINEAU
Adieu, mon ami. Appelez Cascaret, qu'il vienne porter ma queue.

(Lisette sort).

M. BLANDINEAU
Votre queue? madame Blandineau! vous, vous faites porter la queue?

Mme BLANDINEAU
Oui, monsieur Blandineau, moi-même; puisque j'ai eu la complaisance de prendre une queue tout unie, je me la ferai porter, s'il vous plaît, pour ne pas figurer avec la
populace.

(Lisette rentre avec Cascaret).

M. BLANDINEAU
Mais, ma femme...

Mme BLANDINEAU
Mais, mon mari, point de dispute. Quantité, de bougies dans la salle, et surtout que le couvert soit propre, Lisette.

LISETTE
Oui, madame.

Mme BLANDINEAU
Jasmin et Cascaret rinceront les verres, le filleul et le cousin de monsieur verseront à boire, et le maître-clerc mettra sur table.

M. BLANDINEAU
Mon maître clerc? Il n'en fera rien.

Mme BLANDINEAU
Il le fera, mon ami, je l'en ai prié : il n'est pas si impoli que vous, il n'oserait me contredire.

M. BLANDINEAU
Mais, madame Blandineau, songez...

Mme BLANDINEAU
Ne vous gênez point, mon fils, si la compagnie ne vous plaît pas, nous n'avons que faire de vous, on vous dispense d'y être.

M. BLANDINEAU
Oh! parbleu, j'y serai, je vous en réponds, et vous verrez...

(Mme Blandineau sort; Cascaret lui porte la queue). »
 

(Dancourt, Les Bourgeoises de qualité, Acte I, scènes 5 et 6).
Thérèse Lenoir de la Thorillière, épouse Carton-Dancourt), épouse du précédent, est une comédienne, née le 15 juillet 1663, morte le 11 mai 1725. Aussi célèbre par son talent que par sa beauté, elle débuta à la Comédie-Française, en même temps que son mari, en 1685, fut bientôt, ainsi que lui, reçue sociétaire, et se fit remarquer d'une façon toute particulière dans l'emploi des amoureuses, qu'elle ne cessa de remplir jusqu'à sa retraite, qui eut lieu en 1720, bien qu'elle approchât alors de la soixantaine. 

C'était une actrice charmante, dont l'autorité sur le public était considérable. Elle fit, dans le cours de sa longue carrière, un grand nombre de créations, parmi lesquelles on cite surtout les rôles d'Araminthe dans l'Homme à bonnes fortunes, de Lucile dans la Coquette, d'Angélique dans le Joueur, de Claire dans le Distrait, de Criséis dans Démocrite, de Glycérie dans l'Andrienne, etc. 

Cette actrice eut deux filles,qui comme elle appartinrent à la Comédie-Française, où elles parurent d'abord tout enfants, en 1695, dans une pièce de leur père, la Foire de Bezons

L'aînée, connue sous le nom de Manon Dancourt, née vers 1685, débuta sérieusement le 10 décembre1699, demeura plusieurs années à la scène, mais n'obtint que de médiocres succès, et se retira pour épouser un commissaire des guerres nommé Fontaine. Elle mourut vers 1745. 

La cadette, Marie-Anne, connue sous le nom de Mimi Dancourt, plus jeune d'une année, débuta ainsi que sa soeur le 10 décembre 1699 et fut reçue aussitôt pour jouer l'emploi des amoureuses comiques et des soubrettes, où elle se fit une réputation brillante. Elle ne se retira qu'en 1728, après avoir fait un grand nombre d'importantes créations, notamment dans Démocrite, les Trois Cousines, le Mariage fait et rompu, l'Impatient, la Belle-Mère, l'Indiscret, etc. Elle avait épousé un nommé Deshayes et mourut, plus que nonagénaire, en 1780. (A. Pongin). 

L.-H. Dancourt est un acteur et écrivain français, né vers 1725, mort à l'hospice des Incurables de Paris le 29 juillet 1801. Parent, selon toute vraisemblance, de Florent Dancourt (ci-dessus), il joua la comédie en province et à l'étranger, tout en écrivant lui-même pour le théâtre. 

Après avoir obtenu un ordre de début à la Comédie-Française (1761), il y fit représenter l'année suivante les Deux Amis, comédie en trois actes et en prose, qui tomba le même jour (11 août 1762); Esope à Cythère, opéra-comique (Comédie-Italienne, 15 décembre 1766), musique de Trial et de Vachon, n'eut pas un sort beaucoup plus heureux. 

Par contre, les contemporains s'accordèrent à placer au premier rang des réfutations de la Lettre sur les spectacles de Rousseau une brochure intitulée : L. H. Dancourt, arlequin de Berlin, à J.-J. Rousseau, citoyen de Genève (Amsterdam, 1759, in-8), dédiée à Frédéric II. Mais une autre brochure : Lettre de l'Arlequin de Berlin à M. Fréron sur la retraite de M. Gresset (Amsterdam, 1760, in-8), attribuée aussi à L.-H. Dancourt, a été restituée par Barbier à P.-A. Laval, comédien français, qui avait également réfuté Rousseau dans une lettre sur l'Effet moral du théâtre (1758, in-8). (M. Tx.).

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