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Les Portugais qui
découvrirent-la route maritime vers l'Inde en profitèrent
immédiatement; vainqueurs des trafiquants arabes sur la côte
de Malabar, ils fondèrent sur les côtes de l'océan
Indien leur grand empire colonial; leurs concurrents arabes et vénitiens
armèrent une flotte égyptienne qui fut détruite par
Almeida (1509), c'est un des plus remarquables exemples de guerres commerciales.
Le gouvernement portugais, qui avait eu l'initiative des découvertes
et en avait supporté les frais, s'en réserva les bénéfices.
Le commerce se faisait par des flottes qui partaient en février
ou mars de Lisbonne pour Goa d'où elles revenaient au bout de dix-huit
mois; elles étaient formées de galions et plus tard de navires
plus grands, les caraques qui jaugeaient jusqu'à 2000 tonnes; les
négociants chargeaient leurs marchandises sur les navires de l'Etat,
moyennant une taxe de 30% de leur valeur; sur toutes les caraques l'Etat
se réservait la disposition de 500 tonnes; de plus, il avait le
monopole du commerce du poivre. A l'aller on longeait la côte d'Afrique
jusqu'au cap de Bonne-Espérance, puis au Natal, de là ou
de Mozambique on se laissait porter en Inde par les moussons; au retour,
on passait par Sainte-Hélène et les Açores. Le commerce
avec les Indiens était réglé par des traités
accordant aux Portugais le monopole de ce commerce et même de la
navigation; le commerce de l'Inde avec les autres pays, la Perse et l'extrême
Orient, était un monopole de la couronne.
Un trafic intermédiaire fut organisé
entre l'Afrique et l'Inde, Goa et Mozambique, les produits de l'Afrique,
esclaves, ivoire, ébène, surtout
l'or, payaient les marchandises indiennes en échange desquels les
Européens n'avaient guère à offrir que des métaux,
l'argent américain et l'or africain; les monnaies d'or portugaises
frappées à Goa circulèrent dans toute l'Inde. Par
Ormuz ,
les Portugais possédaient le commerce du golfe Persique ,
les marchandises persanes, tapis, soie, chevaux, argent; marchandises arabes,
drogues, épiceries, chevaux; perles et sel du golfe; ils échangeaient
ces produits contre ceux de l'Inde; eux-mêmes faisaient leur commerce
direct avec la côte de Malabar, principal marché du poivre;
du Sri Lanka (Ceylan) ils tiraient des perles, de la cannelle, des pierres
précieuses et toutes les denrées coloniales; ils portaient
vers la Péninsule indochinoise
l'opium et les toiles de l'Inde. A l'Est, leur grand entrepôt fut
Malacca,
centre du commerce avec l'extrême Orient; au Pégou on vendait
du poivre, du santal, du camphre, de la porcelaine, en échange d'or,
d'étain, de plomb, de cuivre, de musc, de rubis, de saphirs; du
Siam (l'ancienne Thaïlande) venaient l'aloès et les bois de
teinture; des Moluques, les muscades et les clous de girofle qu'on put
ainsi se procurer de première main; en Chine, le comptoir de Macao
vendait les produits de l'Inde, quelques marchandises européennes,
draps écarlates, verrerie, et surtout portait l'argent (de Perse
et d'Europe). Les convois marchands partaient de Goa en octobre, chargeaient
encore à Cochin des épices et des pierres précieuses,
arrivaient à Malacca où le gouverneur donnait le passeport
exigé ou y échangeait les articles européens et indiens,
surtout les cotonnades, contre les métaux et épices de la
Péninsule indochinoise, des îles de la Sonde; à Macao
on achetait de l'or, de la soie, des laques, de la porcelaine et toutes
les chinoiseries qui auront encore longtemps leur vogue en Europe. De Macao
on allait au Japon (du milieu du XVIe au
milieu du XVIIe siècle) auquel on
portait les produits de la Chine et de l'Inde et beaucoup de blanc d'Espagne;
on en tirait de l'argent qui y était à bas prix et du cuivre
que l'on revendait en Chine ou en Inde. Tout ce commerce intermédiaire
entre les peuples asiatiques, Japonais, Chinois, Malais, Indochinois, Indiens,
Perses, Arabes, sans oublier les Africains, procurait de grands bénéfices;
néanmoins la branche principale demeura le commerce avec l'Europe
qui fit de Lisbonne la première place commerciale du XVIe
siècle; la consommation des denrées coloniales se développa
beaucoup; les épices, matières tinctoriales, pierres précieuses,
étoffes et bibelots de l'Inde et de la Chine étaient distribués
à toute l'Europe. Le commerce de l'océan Indien périclita
avec l'empire colonial des Portugais, en raison même du système
adopté par eux.
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Une
réplique du Flor de la Mar
(musée maritime de Malacca). Ce vaisseau portugais
chargé
de richesses était en route pour le Portugal lorsqu'il a coulé
dans le détroit de Malacca .
Ils trouvèrent en Amérique
une compensation; leur colonie pénitentiaire du Brésil fit
fortune par les plantations de canne à sucre; pour cultiver on importa
des esclaves arrachés à l'Afrique subsaharienne, et ce trafic
enrichit les comptoirs de la côte occidentale d'Afrique. L'exploitation
des forêts du bassin de l'Amazone et les plantations qu'y organisèrent
les Jésuites donnèrent des bois de teinture, de la salsepareille,
de la vanille, du cacao, du café, du coton; Para en fut le marché.
Le sucre resta le grand article d'exportation, mais la production de cacao,
de coton et de tabac se développa; en échange, le Brésil
recevait du vin, de la farine et les objets manufacturés qu'il lui
était interdit de produire. A la fin du XVIIe siècle la découverte
des mines de diamants et d'or donna lieu à un commerce lucratif
que le gouvernement monopolisa et qui fit la fortune du port de Rio
de Janeiro. Mais le gouvernement négligea le sucre, concéda
en 1755 et 1759 des privilèges excessifs aux compagnies de l'Amazone
et de Pernambouc et paralysa ainsi sa colonie. La traite avait été
à peu près exclusivement faite par les Portugais de 1525
à 1640, mais ensuite ils perdirent la fourniture des colonies espagnoles
et toutes les autres nations lui firent concurrence. Pour compléter
le tableau du commerce portugais, il faut mentionner les riches îles
de l'Atlantique, Madère surtout.
Pendant tout le XVIe
siècle le commerce de l'Inde passa par Lisbonne, qui fut le premier
grand port de l'Atlantique; les chantiers étaient alimentés
par les forêts du Tage qui fournissaient des bois de construction
réputés les meilleurs; la grande pêche du banc de Terre-Neuve
était exercée surtout par les Portugais; leurs marchés
au nord de l'Europe étaient Anvers et Londres, plus tard Amsterdam.
Leur ruine fut l'oeuvre des rois espagnols qui les épuisèrent
systématiquement, tarissant les revenus, transportant en Espagne
les approvisionnements publics, engageant leur marine en des guerres où
elle périt; les Hollandais leur succédèrent, et seul
le commerce du Brésil rendit quelque prospérité à
Lisbonne; des navires étrangers vinrent y charger, et le dédain
qu'on avait eu pour le commerce intérieur ne permit pas au Portugal
de se relever; la production nationale avait été négligée
pour le grand commerce; la politique acheva sa ruine. Pour se défendre
contre l'Espagne et la France, le Portugal conclut en 1703 avec l'Angleterre
un traité négocié par Methuen. En échange d'une
concession d'un tiers sur les droits qui frappaient ses vins, le Portugal
admit les laines anglaises au droit de 23%; l'industrie des draps qui se
développait fut frappée de mort. A ses lainages, l'Angleterre
joignit tous les autres produits de sua industrie, vivres, munitions de
guerre; les constructions navales du Portugal se firent chez elle; la banque
aussi; l'argent obtenu à 3,5% à Londres se plaçait
à Lisbonne à 10%; l'excédent des importations anglaises,
ne pouvant être soldé en denrées coloniales dont l'Angleterre
réservait le monopole à ses colonies, le fut en or; le change
sur Lisbonne fut de 15 % et accrut le bénéfice des maisons
anglaises qui s'y établirent et s'emparèrent de tout le commerce
intérieur, même de la commission pour le Brésil; les
2400 millions d'or exportés de cette colonie en soixante années
passèrent intégralement eu Angleterre, malgré les
prohibitions. Vainement Pombal s'efforça de régénérer
son pays au XVIIIe siècle; ses mesures autoritaires firent autant
de mal que de bien; son oeuvre ne lui survécut pas et le commerce
du Brésil resta presque la seule ressource.
(A.-M. B). |
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