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La longue durée
de l'Empire byzantin s'explique en partie
par l'heureuse situation de sa capitale, Constantinople.
Située entre deux mers, aux confins de deux continents, elle dut
au commerce une prospérité remarquable;
les produits de la mer Noire ,
bétail, esclaves, salaisons, blé, miel et cire venaient s'y
échanger contre ceux du littoral de la mer
Egée ,
vin, huile, figues. Mais les opérations commerciales de Byzance
devenue Constantinople ne se bornèrent pas là; elle ne se
contenta pas d'être le marché de la mer Noire et de la mer
Egée, de la Thrace et de la Bithynie,
elle étendit fort loin ses relations. Sans doute les empereurs romains
d'Orient eurent le tort de persévérer dans la mauvaise politique
économique de leurs devanciers; la nouvelle Rome eut comme l'ancienne
ses distributions gratuites de vivres; on organisa au profil du fisc le
monopole du commerce des céréales, monopole insensé;
les impôts mis sur l'industrie et le commerce furent très
nuisibles. Néanmoins le commerce se développa; l'activité
vint en grande partie du dehors, mais Constantinople fut le grand marché
où tous les peuples de l'Orient, les Arabes,
les Italiens, les Francs,
les Allemands et les Slaves
s'y donnèrent rendez-vous.
On peut diviser le commerce byzantin
en trois branches, d'après les routes et les marchés : commerce
de l'Orient, commerce de l'Occident, commerce du Nord. Le dédain
des écrivains anciens pour le commerce nous prive de renseignements
qui seraient très intéressants, et pour les premiers siècles,
jusqu'à l'invasion arabe, nous savons peu de chose. Les grands marchés
d'Alexandrie et d'Antioche
avaient gardé leur importance, et la navigation restait l'industrie
principale des riverains de la mer Egée; le commerce de terre avec
l'Asie
centrale était souvent entravé; c'est parce que les Perses
interceptaient les arrivages de soie, qu'on alla chercher en Chine
le ver à soie pour l'introduire dans l'empire. Quand l'invasion
arabe eut détaché la Syrie et l'Egypte ,
Constantinople resta sans conteste la première place commerciale
de l'empire; la capitale était le centre naturel des provinces conservées,
péninsule balkanique
et Asie Mineure .
Le premier effet de ces événements
fut de restreindre beaucoup le champ d'affaires commerciales de Constantinople,
d'autant plus que l'empire arabe absorba la plus forte part du commerce
de l'Orient. Mais les Byzantins furent conduits à se rapprocher
de l'Occident et les Italiens vinrent à
Constantinople se charger du commerce ( Le
commerce
des Italiens Moyen Âge); les Vénitiens,
sujets de l'empire, firent aux Grecs une concurrence victorieuse dans la
Méditerranée
orientale et jusque dans la mer Noire ;
ils obtinrent au XIe siècle des
privilèges énormes, exemption des droits. Les croisades
généralisèrent les rela tions entre les Byzantins
et les Occidentaux. Il en sera question plus loin. Pour le moment, nous
nous bornons à constater la prépondérance des marins
et commerçants italiens. Constantinople était pour ces régions
un vaste marché richement approvisionné d'articles de toute
sorte; ses fabriques qui, pour la plupart, étaient aux mains d'étrangers,
fournissaient des objets d'échange très demandés,
étoffes de soie, manteaux de pourpre, broderies d'or et d'argent,
etc.
Le commerce du Levant avec l'Europe
était concentré à Constantinople, non seulement en
raison de l'extrême richesse du marché, mais par des motifs
politiques. En 1179 le concile de Latran interdit
le commerce avec les Arabes à toute la chrétienté
d'Occident. Cette interdiction n'arrêta pas tout à fait le
commerce direct, que l'on fit en contrebande, mais elle augmenta la tendance
à s'approvisionner à Constantinople où affluaient
les produits de toutes les provinces arabes ( Le
commerce
des Arabes au Moyen Âge). Le résultat fut aussi
de porter les Vénitiens à chercher une nouvelle route commerciale
vers l'Inde
dont les épices
étaient devenus indispensables aux Européens. Ce commerce
se fit alors par la Boukharie; les marchandises
furent portées par caravanes au Nord de la mer Caspienne
jusqu'à Tana, grande factorerie de la mer d'Azov .
Au XIIIe et au XIVe
siècle cette route fut très suivie; plus tard, on l'abandonna;
en 1345 le pape Benoît XII autorisa les
Vénitiens à commercer avec les Musulmans, et Alexandrie
se releva.
Par Constantinople passait tout le commerce
de la mer Noire; et il y avait là un mouvement d'affaires considérable,
car les contrées arrosées par les grands fleuves qui débouchent
dans cette mer se civilisaient peu à peu. Par la vallée du
Danube
les Byzantins étaient en rapport avec l'Europe centrale. Les Avares
et plus tard les Magyars
favorisèrent ce commerce; de même les Bulgares qui y trouvèrent
une source de richesses par leur intermédiaire, les produits des
pays de la Baltique
arrivaient à Constantinople.
Les monnaies d'or grecques circulaient en abondance dans la Hongrie;
dans la capitale de l'empire byzantin, ce trafic attirait non seulement
des Italiens mais beaucoup de Hongrois et des Allemands; Semlin sur le
bas Danube, plus avant Passau et Ratisbonne
(Regensburg) durent leur prospérité à ce commerce.
«
Les premières grandes entreprises de Ratisbonne, qui fleurit avant
les autres villes de la haute Allemagne, eurent pour objet d'approvisionner
les croisés par le Danube en vivres et en munitions. On songea naturellement
à prendre des chargements de retour sur le marché si bien
assorti de Constantinople. Les bénéfices réalisés
excitèrent à réitérer ces opérations.
» (Scherer, Histoire du commerce, trad. Richelot, t. 1, p.
209.)
Ce trafic était si important que lorsque
Venise
eut repris au XIIIe siècle les relations
directes avec Alexandrie et que les croisés
se rendirent directement en Syrie, les cités commerçantes
du Danube déclinèrent rapidement, ne pouvant soutenir la
concurrence. Le commerce du Levant passa par les ports d'Italie
( Le
commerce
des Italiens Moyen Âge), les cols des Alpes
et la vallée du Rhin
vers les villes de Souabe et des Pays-Bas(
( Le
commerce
des pays du Nord au Moyen Âge).
De grands efforts avaient été
faits pour attirer directement vers l'Europe centrale les produits de l'Inde
et de la Boukharie, sans passer par Constantinople;
les villes de l'Oder
et de la Vistule ,
Breslau (Wroclaw) et Cracovie
notamment, y réussirent dans une certaine mesure; mais la richesse
et la variété de l'assortiment de Constantinople firent qu'on
ne put lui enlever ce caractère d'entrepôt du commerce levantin.
Nul autre n'offrait aux marchands les chances d'un débit aussi prompt
et avantageux. L'Allemagne expédiait
des serfs, pour la plupart Slaves, des peaux,
des lainages, des toiles, des armes, de la sellerie, des métaux
et bois ouvragés; elle achetait des brocarts d'or, des ornements
et vêtements de luxe pour les gens d'église, les seigneurs
et les dames, des épices ,
poivre, gingembre, girofle, muscade, cannelle, etc., des feuilles de laurier,
du safran, des avelines, de l'huile, de la réglisse. Les transports
se faisaient par la voie fluviale. De Crimée
et de la Russie méridionale, Constantinople
tirait surtout ses provisions de bouche, poisson sec et salé, bétail,
miel et céréales; de plus, du fer, des bois de construction,
de la poix, des peaux, de la cire, des esclaves. Les Russes lui achetaient
les denrées du midi et de l'orient que nous avons énumérées
déjà; la grande place du commerce intérieur russe
était Kiev sur le Dniepr ;
Novgorod,
Tchernigov,
Mielniza (en Volynie) doivent être
mentionnés également.
Les Byzantins,
déployant peu d'initiative dans ces operations commerciales, virent
le bénéfice leur en échapper de plus en plus. A l'origine,
ils achetaient aux uns pour revendre aux autres les articles apportés
sur leur marché. Mais les étrangers qui venaient y écouler
leurs denrées et s'y approvisionner, comprirent bientôt l'avantage
qu'il y aurait à se passer de l'intermédiaire des Grecs.
«
Afin de n'être pas devancés dans leurs achats et dans leurs
ventes, et de pouvoir attendre les chances les plus favorables dans les
fluctuations de l'offre et de la demande, ils acquirent à Constantinople
des terrains pour y établir des dépôts de marchandises;
c'étaient de grandes cours bordées de magasins voûtés
et protégés par des murs; ils y installèrent leurs
facteurs qui finirent sans doute par devenir des commandités, de
simples facteurs n'ayant pas les pouvoirs suffisants pour mettre à
profit certaines conjonctures. Il va sans dire que dans le commerce byzantin,
comme dans le commerce du moyen âge en général, chacun
opérait pour son propre compte et qu'on ne connaissait pas la commission.
L'échange, du reste, dans l'acception rigoureuse du mot, ne se pratiquait
pas à Constantinople; car dans l'empire d'Orient les espèces
métalliques étaient partout employées comme mesure
de la valeur. » (Ibid.)
Les Byzantins, mécontents de se voir
enlever les bénéfices du commerce,
s'efforcèrent de les retenir par des mesures impolitiques qui en
hâtèrent la décadence. Pour empêcher les relations
directes des Russes avec les marchands allemands et italiens, ils leur
défendirent de passer l'hiver à Constantinople. Les Russes
ne revinrent pas et les Italiens allèrent les chercherait au Nord
de la mer Noire
où ils fondèrent des comptoirs; le marché fut déplacé
et Constantinople appauvri d'autant. Lorsque les relations directes avec
la Syrie et l'Egypte furent régularisées
au XIVe siècle, la capitale de l'Empire
grec perdit complètement sa prépondérance commerciale.
(A.-M.
B). |
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