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Les Aztèques
Le commerce aztèque

La pêche, la chasse et les arts qu'ils cultivaient firent naître chez les Aztèques plusieurs branches de commerce. Dès qu'ils furent établis sur le lac de Texcoco, ils commencèrent à trafiquer, vendant à leurs voisins le poisson qu'ils pêchaient et les nattes de jonc qu'ils tressaient. En échange, ils achetaient le maïs, le coton, les pierres, la chaux, le bois, qui leur manquaient. A mesure qu'ils agrandirent leur territoire par la force des armes, ils augmentèrent leurs transactions, qui bientôt s'étendirent jusqu'aux provinces les plus reculées de leur empire.

Très entreprenants et très hardis, les négociants aztèques jouèrent un rôle important dans leur pays, et leurs puissantes corporations préparèrent presque toutes ses conquêtes. Ils étaient, dans leurs entreprises à l'étranger, moralement et matériellement soutenus par leurs souverains, qui ne leur marchandaient ni les privilèges, ni les récompenses pécuniaires, ni les honneurs, ni au besoin leur appui ostensible. Les trafiquants, véritables colonisateurs, cheminaient toujours en nombre. Ils allaient s'établir dans les contrées lointaines, et là, grâce à leurs richesses, à leur finesse, à leur astuce, ils se rendaient peu à peu maîtres de tout le commerce. Un beau jour, sous des prétextes qu'ils excellaient à faire naître, ces émigrés se déclaraient lésés dans leurs intérêts ou en danger, et une année de leurs compatriotes accourait aussitôt pour les protéger. Ils devenaient ses éclaireurs, la guidaient, la renseignaient, l'instruisaient des forces de l'ennemi, et une province nouvelle s'ajoutait bientôt à celles de l'empire. Cet ingénieux procédé de conquête a été celui des Carthaginois.
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Yacatecuhtli et commerçants.
Yacatecuhtli, le dieu aztèque des marchands, 
et scènes représentant des transactions commerciales.

Dans tous les centres de population aztèques il y avait des marchés en permanence, et, de cinq en cinq jours, il s'en tenait un général. Une entente s'établissait entre les villes pour choisir des dates différentes, afin de ne pas se causer de préjudice. Les grands marchés de Mexico étaient célèbres et avaient lieu chaque semaine.

Jusqu'au règne d'Axayacatl, sixième roi du Mexique, le marché se tint sur la place située en face du palais du roi. Mais, après la conquête de Tlatélolco, on le transporta dans ce faubourg, sur une place qui, au dire de Cortez, était deux fois aussi vaste que celle de Salamanque. De forme carrée, cette place était entourée de portiques sous lesquels s'abritaient les vendeurs. La, chaque espèce de marchandise s'étalait sur un point désigné par « les juges de commerce ». Les bijoux, les étoffes de coton, les
mosaïques de plumes, etc., ne pouvaient se vendre qu'à l'endroit qui leur était assigné. Comme, en dépit de ses dimensions, la place n'eût pu contenir toutes les marchandises qu'on y apportait et que la circulation eût été gênée, on laissait sur le canal, ou dans les rues voisines, les pierres, les poutres, la chaux; en un mot, les matériaux encombrants.

Le nombre des vendeurs qui se pressaient chaque jour au marché dépassait, selon Cortez, le chiffre de cinquante mille; toutefois, d'après le Conquérant anonyme, ce n'était que chaque cinquième jour de la semaine qu'une pareille affluence se produisait, et vingt ou vingt-cinq mille marchands approvisionnaient les marchés ordinaires. La quantité et la variété des denrées qui se vendaient ou se troquaient à Mexico étaient si considérables que les historiens, après d'interminables énumérations, déclarent renoncer à les nommer toutes. Au résumé, apparaissaient dans ces halles non seulement les productions de l'empire, mais celles des États voisins, soit qu'elles eussent pour objet les nécessités premières de la vie ou ses commodités, soit qu'elles fussent destinées à flatter le goût, la curiosité ou la vanité des acheteurs. On voyait là nombre d'animaux vivants ou morts, tous les comestibles en usage, tous les métaux exploités, toutes les espèces de pierres fines. Les plantes, gommes, résines, terres minérales, onguents, huiles, emplâtres dont faisait usage la médecine aztèque, avaient leur emplacement, ainsi que les tissus d'agave, de coton, de palmiers, de plumes ou de poils d'animaux. On vendait là des esclaves, puis des barques pleines de fumier humain, employé pour la préparation des peaux d'animaux; en un mot, tout ce qui pouvait se troquer ou s'acheter se donnait rendez-vous en ce lieu, car, dans l'intérieur de la ville, il n'existait d'autres boutiques que celles où l'on s'approvisionnait de comestibles. C'était au grand marché de Mexico que les joailliers de Cholula, les argentiers d'Azcapotzalco, les peintres de Texcoco, les cordonniers de Ténayucan, les chasseurs de Xilotépec, les pêcheurs de Cuitlahuac, les jardiniers des Terres chaudes et les horticulteurs de Xochimilco apportaient leurs produits renommés.

Les transactions ne se réduisaient pas à de simples échanges; on achetait et l'on vendait réellement. Il y avait, dans l'empire, quatre sortes de monnaie courante, mais aucune frappée. La première consistait en grains de cacao, différents de ceux qui
servaient à préparer le chocolat, et ces grains passaient de main en main. On comptait ce cacao par mesure de huit mille grains, et, pour les marchandises de haut prix, par sacs de vingt-quatre mille. 

La deuxième espèce de monnaie consistait en petits carrés d'étoffe de coton; elle servait aux menus achats du ménage. La troisième se composait de pépites d'or renfermées dans des tuyaux de plumes de canards, tuyaux dont la transparence permettait de voir le précieux métal et d'estimer sa valeur. La quatrième, mentionnée par Cortez, qui a négligé de la décrire, était en étain et se rapprochait de nos pièces monnayées. Au nombre des monnaies aztèques, on a rangé des morceaux de cuivre ayant la forme d'un T, dont plusieurs spécimens sont conservés dans le musée de Mexico. D'après Orozco et J. Sanchez, ces prétendues monnaies étaient des instruments agricoles.

Les marchandises se vendaient au nombre ou à la mesure. Bien que les balances fussent connues de plusieurs peuples d'Amérique, les Aztèques n'en faisaient pas usage. Ils les dédaignaient, paraît-il, à cause de la facilité avec laquelle on pouvait altérer les poids.

Pour empêcher les fraudes et les désordres, des commissaires parcouraient sans cesse les halles, observant tout ce qui s'y passait. Un tribunal, composé de deux juges, siégeait en permanence dans une maison voisine, tranchait les différends et punissait sur l'heure les délits.

Chaque denrée payait un droit au roi, lequel, en échange, garantissait aux marchands l'action impartiale de la justice, la sûreté de leurs biens et de leurs personnes. Du reste, les vols sur les marchés étaient rares, tant à cause de la vigilance des surveillants que de la crainte inspirée par le prompt et terrible châtiment qui suivait le moindre délit. Motolinia raconte, comme témoin oculaire, que deux femmes, s'étant prises de querelle sur le marché de Texcoco, une d'elles frappa l'autre jusqu'au sang. La coupable, aux applaudissements de la foule, non accoutumée à ces voies de fait, fut condamnée à mort. Du reste, tous les Espagnols qui ont parlé des marchés aztèques ne tarissent pas en éloges sur leur belle ordonnance, sur l'ordre qui régnait aussi bien parmi les commerçants que dans la disposition de leurs marchandises. Ajoutons que cette belle ordonnance s'est en partie conservée. Les modernes marchés mexicains sont encore pourvus de provisions de toute espèce, des produits de l'industrie aussi bien que de ceux de la nature. 

Lorsqu'un négociant se disposait à entreprendre un voyage, il invitait à dîner les hommes les plus considérables de son métier, ceux que leur âge rendait sédentaires, et il leur exposait les raisons qui le poussaient à visiter d'autres pays que le sien. Les convives le louaient de sa résolution, le stimulaient à suivre les traces de ses aïeux, surtout s'il s'agissait pour lui d'un premier voyage, et ils lui donnaient des conseils puisés clans leur propre expérience.

Presque toujours les marchands voyageaient par caravane, afin de mieux assurer leur sécurité. Ils portaient généralement à la main un bâton noir, lisse, qui représentait pour eux leur dieu protecteur, Xacateuctli. Ainsi armés, ils se croyaient à l'abri de
tout péril, et, lorsqu'ils arrivaient dans une hôtellerie, ils réunissaient leurs bâtons et les adoraient; souvent, dans la nuit, ils se saignaient en l'honneur de leur dieu.

Pendant l'absence d'un négociant, sa femme et ses enfants pouvaient se baigner, mais ils ne devaient se laver la tête que tous les quatre-vingts jours, autant en signe de tristesse que pour mériter, par cette pénitence, la protection des dieux. Si le marchand mourait durant son voyage, on transmettait cette nouvelle aux plus anciens négociants de sa ville, et ils la communiquaient aux proches du défunt. Ceux-ci fabriquaient aussitôt une statue en bois de sapin qui représentait le mort, et, à l'heure des funérailles, on traitait le mannequin comme s'il eût réellement été le corps de l'absent.

Pour la commodité des voyageurs, des chemins existaient sur toute la surface de l'empire, et on les réparait chaque année, après la saison des pluies. Dans les forêts et dans les lieux déserts, des abris publics étaient construits, et les rivières étaient pourvues de ponts ou de barques afin que l'on pût les traverser. Les barques, de forme carrée, se mouvaient à l'aide de rames; leurs dimensions variaient. Les plus petites, creusées dans un tronc, contenaient deux personnes; les grandes en portaient jusqu'à vingt.

Outre les barques, les Aztèques, pour traverser les rivières, se servaient de radeaux particuliers, nommés balsas par les Espagnols. Ces radeaux, longs de cinq pieds, dont les Indiens modernes n'ont pas perdu l'usage, se composent d'une claie de bambous posée sur de grandes calebasses vides. Cinq ou six personnes prenaient place sur ces embarcations, que des nageurs entraînaient vers la rive que l'on voulait atteindre.

Les ponts étaient le plus souvent en bois, rarement en pierre. Les plus communs étaient ces hardis et pittoresques ponts de lianes qui, aujourd'hui encore, servent à traverser les torrents ou les ravins de la Cordillère, et dont la nature fournit les matériaux. 

On ne sait rien sur le commerce maritime de l'ancien empire aztèque, qui du reste devait être à peu près nul. Les barques, en effet, ne s'éloignaient guère des côtes qui bordent les deux océans, et ne servaient que pour la pêche. Le seul trafic par eau se faisait sur le lac de Texcoco, où les canots fourmillaient. C'étaient principalement des barques qui, des villes ses voisines, amenaient à Mexico le maïs, les poutres, les pierres, les légumes, les fleurs et même l'eau potable dont la population avait besoin.

Les marchandises qui ne se transportaient pas par eau devaient, par suite du manque absolu de bêtes de somme, cheminer à dos d'homme; aussi les portefaix  ne manquaient-ils pas au Mexique. Leur charge était de soixante livres, et ils franchissaient cinq lieues par jour environ. Ils entreprenaient de longs voyages à la suite des marchands, s'ouvraient un passage dans les forêts, gravissaient les montagnes abruptes et franchissaient les rivières à la nage. (L. Biart).

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