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Histoire de la France
Le règne des Valois
Fortifiée pendant les trois siècles capétiens, la France put, sous les Valois, malgré la déplorable administration des deux premiers, et ses luttes intérieures, résister aux Anglais, quand la terrible guerre de Cent ans, 1337-1453, née de la rivalité des deux peuples pour la Guyenne et de leurs rois pour la couronne de France, vint à deux reprises menacer son indépendance. Vaincue à Crécy, 1346, à Poitiers, 1356, elle fut une première fois relevée par la prudente temporisation de Charles V et l'énergie militaire de Du Guesclin, 1364-1380; battue encore à Azincourt, 1415, à Cravant, 1423, à Verneuil, 1424, cédée, dans le traité de Troyes, 1420, au roi d'Angleterre Henri V par tous les pouvoirs du pays, royauté, parlement, états généraux, elle trouva un second souffle au temps de Jeanne d'Arc, 1429-1331, dont la fougue combattive rendit le courage à Charles VII. De toutes leurs provinces, il ne resta aux Anglais qu'une ville, Calais; de tant d'épreuves pour la France, naquit une plus forte unité, sortie de cette résistance séculaire, commune à ses diverses provinces. Pour représenter et mettre à profit cette unité, il lui manquait une royauté indépendante et vraiment souveraine : Louis XI et sa fille Anne de Beaujeu, 1461-1491, la lui donnèrent, en abattant la puissance de cette féodalité apanagée, qu'avait élevée, depuis le règne de Louis IX, l'imprudent favoritisme des rois en faveur de leurs enfants. 

La succession des Capétiens

La question de l'hérédité au trône de France fut tranchée avant l'extinction de la ligne directe des Capétiens. Le fils aîné de Philippe le Bel, Louis X, avait eu une fille (la princesse Jeanne) d'un premier lit et laissait sa femme enceinte (1316). C'était la première fois qu'un Capétien mourait sans héritier mâle. Son frère Philippe V (le Long), comte de Poitiers, s'empara de la régence. La reine accoucha d'un fils qui fut Jean ler et mourut. Le régent Philippe se fit couronner aussitôt à Reims.

La loi salique.
Il n'est pas établi que Philippe ait allégué contre la princesse Jeanne la vieille loi franque qui excluait les femmes de la terre salique, tant qu'il restait des parents mâles. Le titre 69 de la loi des Francs Saliens ne fut invoqué par les juristes qu'à la fin du XIVe siècle. C'était une loi privée, nullement une loi fondamentale du royaume.

L'acte prompt et hardi de Philippe parut une usurpation à quelque seigneurs. La vieille duchesse de Bourgogne, Agnès, fille de saint Louis, protesta au nom de la fille de Louis X. Philippe se fit couvrir par les Etats (composés de nobles, de prélats, de docteurs de l'Université et de bourgeois de Paris).

Comme il ne laissa en mourant que des filles, son frère Charles de la Marche s'autorisa de son précédent et prit la couronne, sous le nom de Charles IV, et, cette fois, sans rencontrer de difficultés.

Ce troisième et dernier fils de Philippe le Bel se maria trois fois: il n'eut pas d'enfants de sa première femme; le fils qu'il eut de la seconde mourut en bas âge; la troisième n'eut que des filles. Elle était enceinte quand il mourut, mais c'était encore d'une fille. Effet, selon les bonnes gens, de la malédiction du pape Boniface.

Philippe de Valois (1328-1350) et Edouard III. 
La soeur de ces trois rois qui ne laissèrent pas de postérité mâle, Isabelle de France, avait épousé le roi d'Angleterre Edouard II, dont elle eut un fils, Edouard III.

Les neveux et les oncles sont également des parents au troisième degré Edouard III était le neveu, Philippe VI (fils d'un frère cadet de Philippe le Bel) était l'oncle de Louis X, de Philippe V et de Charles IV.

Philippe de Valois ne se proclama pas lui-même régent, ainsi qu'avait fait Philippe le Long; il réunit une assemblée de pairs et de barons qui se saisirent, comme dit un chroniqueur du XVIe siècle, de « la plus noble cause qui fut jamais ». Il s'agissait, en effet, du plus important trône d'Europe.

Des docteurs réclamèrent la régence pour Edouard III, en sa qualité de duc de Guyenne. Les seigneurs écartèrent sans hésitation les filles des derniers rois; décidèrent, en bonne logique, qu'une femme ne pouvait pas transmettre un droit dont elle était incapable elle-même de jouir, et établirent, en conséquence, la régence de Philippe (1328).

Quand la reine Jeanne accoucha, quelque temps après, d'une fille, Philippe fut aussitôt reconnu roi par les barons. Couronné à Reims, il crut habile d'abandonner la Navarre à la fille de Louis X, mais il garda la Champagne, bien que l'une et l'autre provinces fussent venues à la couronne par la femme de Philippe le Bel.

Edouard III ne prêta l'hommage qu'il devait à Philippe VI qu'après de longues négociations et avec toutes sortes de réticences. Il se réservait de renier son serment et, à son heure, de revendiquer le trône.

La loi salique, qui ne s'appliquait pas aux fiefs, s'appliquait elle au trône? On en peut discuter sans fin. On a vu qu'elle ne fut invoquée ni à la mort de Louis X ni à celle de Charles IV. Quand les barons déclarèrent que « femme, ni, par conséquent, son fils, ne pouvait par coutume succéder au royaume de France », la coutume alléguée n'était que la couverture de la volonté de la noblesse française d'avoir un roi français, non anglais.

Ce ne fut pas une vieille loi ou un préjugé, ce fut l'intérêt de la classe dirigeante qui décida. On fit passer cela pour le droit des hommes de se choisir un gouvernement et une patrie.

Ce fut aussi l'origine de la guerre de Cent ans. La France y faillit devenir province anglaise. Mais, dans le même temps, l'extrême péril qu'elle courut l'émancipa. La France a été jusqu'alors moins France que « chrétienté ». Le règne des Valois, maintenu par les armes, au profit d'une dynastie et de ses affidés, va se légitimer en forgeant l'idée nationale, le concept d'une France devant être défendue contre une domination étrangère.

La Guerre de Cent ans

La Guerre de Cent Ans que tous les historiens s'accordent à finir en 1453, à la prise de Bordeaux par Charles VII, et qui fut coupée par de nombreuses trêves, dura plus qu'un siècle.

Elle s'étend sur 116 ans si on la fait partir du mois d'octobre 1337, quand Edouard III prit dans ses actes le titre de roi de France, rompit avec Philippe VI et, dans une lettre au pape, le qualifia de soi-disant roi de France. On la fait commencer aussi trois ans plus tard, au mois de janvier 1340, où Edouard III prit les armes de France écartelées d'Angleterre, scella ses actes du sceau de France, data ses chartes de la première année de son règne en France et commença les hostilités pour recouvrer « sa couronne ».

On a vu qu'une cause de la guerre la plus longue et la plus affreuse du Moyen âge, c'est le droit féodal. Il avait permis qu'un roi d'Angleterre possaidât des fiefs en France. Les prétentions d'Edouard III n'étaient pas insoutenables dans le droit d'alors; elles n'étaient que contraires à l'intérêt des Valois.

A cette cause accidentelle il faut joindre les causes profondes de la guerre. La rapidité avec laquelle la monarchie capétienne avait étendu sa domination n'avait pas permis d'assimiler les grandes provinces réunies à la couronne. En outre, le royaume était désorganisé par le déclassement de la noblesse féodale dans les campagnes et celui du patriciat dans les villes. Les fiefs et seigneuries s'étaient constitués par l'union des vasseaux avec leurs seigneurs, les villes avaient prospéré et grandi par l'union des artisans avec les négociants qui formaient le patriciat. Cette union était devenue haine et antagonisme. Nobles et patriciens ne comprenaient plus les devoirs que leur « patronat » leur imposait, tout en prétendant continuer d'en accaparer les avantages et les bénéfices. Sur bien des points, ce patronat était devenu inutile, ne répondant plus à rien, tandis que toutes les charges en subsistaient au profit des nobles et des patriciens. Il faut y joindre les luttes de seigneurie à seigneurie, de ville à ville. Ainsi se perpétua la guerre. En quelque endroit qu'ils vinssent, les Anglais trouvaient une faction empressée à les soutenir contre la faction adverse.

Ajoutons les raisons économiques. L'Angleterre entretenait un grand commerce, surtout de laines, avec les « bourgeoisies » (communes) des Flandres; Philippe y était le protecteur de l'aristocratie féodale qui sollicita son intervention et qu'il appuya de ses armes contre les communes révoltées. La bataille de Cassel, qui rétablit l'autorité des seigneurs, accrut l'influence française au détriment du commerce anglais. Edouard en vint à croire que vaincre le roi de France était, pour lui, le plus sûr moyen de devenir maître en Flandres.

Pour les prétextes, ils ne font presque jamais défaut à la fatalité. Le roi d'Angleterre, qui voulait la guerre, et le roi de France, qui ne la redoutait pas, en trouvèrent de plusieurs sortes : machinations de Philippe en Ecosse et en Guyenne, d'Edouard avec l'empereur d'Allemagne; révolte de Jacques Artevelde, qui était tout aux Anglais, à Gand; héritage de Bretagne disputé entre Jean de Montfort, favorable aux Anglais, et Charles de Blois, neveu de Philippe.

Cet état de guerre chronique eut pour historien (de 1325 à 1400) un mémorialiste de Valenciennes, Jean Froissart, grand admirateur de la chevalerie et juge assez impartial des choses et des hommes parce qu'indifférent à tout, sauf au spectacle que lui donnait le monde.

Les quatre époques de la guerre. 
L'incendie fut long à s'allumer. La victoire navale des Anglais (1340), au port de l'Ecluse, leur donna la maîtrise du détroit (le Pas-de-Calais). La lutte se localisa ensuite en Bretagne.

La grande guerre ne commença qu'en 1346, après ce prologue. On peut la diviser en quatre époques :

Premier acte.
Durant la première, qui s'étend de l'origine de la guerre au traité de Brétigny (1360), les Anglais, conduits par de véritables chefs de guerre, le roi Edouard III et son fils, s'opposent à une chevalerie française, qui va à la bataille comme au tournoi et qui a aussi contre elle l'indiscipline et une organisation vicieuse de ses troupes. Les partisans de Philippe de Valois, après quelques succès, sont écrasés à Crécy (1316); Charles de Blois, le chef du parti français en Bretagne, est pris par les Anglais à La Roche-Derrien (1347), et Calais, après un siège héroïque, ouvre ses portes aux Anglais (1317). Jean II, qui avait succédé à Philippe de Valois, est battu et fait prisonnier à Poitiers (1356). La paix est alors signée à Brétigny

Second acte.
La deuxième période correspond au règne de Charles V (1364-1350). Charles V, dit le Sage, né en 7337, succéda sur le trône de France à son père Jean II. Formé à l'école de l'adversité, tandis qu'il gouvernait le royaume, pendant la captivité de son père. Son règne fut inauguré par une victoire du connétable Du Guesclin sur les troupes du roi de Navarre, qui fut réduit à demander la paix. La guerre recommença en 1360 avec l'Angleterre, et la France reconquit successivement, par les exploits de Du Guesclin et d'Olivier de Clisson, le Poitou, la Saintonge, le Rouergue, une partie du Limousin, la Guyenne et le comté de Ponthieu. Charles mourut en 1380 par l'effet d'un poison lent. que lui avait donné le roi de Navarre. Il fixa la majorité des rois à l'âge de 14 ans, créa la Bibliothèque royale, fit élever la Bastille, favorisa les lettres.  Le roi et son connétable meurent la même année 1350.

Troisième acte.
Avec Charles VI s'ouvre la troisième période, la plus triste, la plus terrible de la guerre de Cent ans. Charles VI (1380-1422) n'avait pas encore douze ans quand il monta sur le trône, et à vingt-trois ans il devint fou. Les oncles du jeune roi commencèrent par piller le trésor ou les provinces qu'ils devaient administrer; puis, avec le meurtre du duc d'Orléans par le duc de Bourgogne Jean sans Peur (1407), commença la querelle sanglante des Armagnacs et des Bourguignons. En 1413 eut lieu le mouvement stérile des Cabochiens. A la faveur de ces désordres Henri V d'Angleterre envahit la France, gagna la bataille d'Azincourt (1415) et obtint au traité de Troyes  (1420) le droit de succéder à Charles VI sur le trône de France. Mais Henri V et Charles VI moururent à peu de mois de distance en 1422.
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Quatrième acte
La quatrième période coïncide avec le règne de Charles VII : c'est la période de délivrance et de rénovation (1429-1453). Jeanne d'Arc apparaît pour les Valois comme une auréole d'espérance : délivrance d'Orléans (1429), victoire de Patay (1429), sacre de Charles VII à Reims (1429). Le traité d'Arras (1435) amène la réconciliation du roi de France et du duc de Bourgogne, entraînant la réconciliation des deux grandes factions qui déchiraient la France. Les victoires de Formigny (1451), de Castillon (1453) et la capitulation de Bordeaux (1453) terminent la guerre Cent ans. Aucun traité n'est signé, mais les Anglais sont expulsés du continent, où ils ne conservent que Calais.

Fin du Moyen âge 

De nouvelles conditions sociales se formèrent durant la tourmente séculaire et la concorde revint. Le roi et son conseil, composé de gens de la classe moyenne, « les petites gens du conseil du roi », créèrent les rouages d'une administration adaptée aux besoins nouveaux. L'armée est réformée, les institutions féodales sont vaincues. Un prodigieux travail législatif s'accomplit : une multitude d'ordonnances sur les lois criminelles et civiles, sur la procédure, sur les impôts, sur les monnaies, sur le commerce. Une aristocratie nouvelle se forma, produite, dans les campagnes, par la petite noblesse rurale, et, dans les villes, par les corps de métiers. L'union des classes devint féconde. La rapidité avec laquelle la France reprit corps et prospérité, immédiatement après la guerre de Cent ans, sembla aux étrangers tenir du prodige.

Cette même année 1453, qui vit la fin de la domination anglaise en France, vit s'écrouler l'Empire byzantin en Orient; Constantinople tomba au pouvoir de Méhémet II, sultan des Turcs ottomans.

Les historiens ont fermé le livre du Moyen âge et ouvert celui des Temps modernes à la prise de Constantinople. Ces sortes de divisions sont commodes; elles n'en ont pas moins quelque chose d'arbitraire. Le Moyen âge s'est survécu. Si la France et l'Angleterre du XVe siècle en gardèrent seulement les habitudes, les institutions s'en perpétuèrent dans l'Europe centrale germanique.

Pourtant, c'est bien un âge nouveau qui commence. Aux dernières années de Charles VII et encore aux premières de Louis XI, le ciel est crépusculaire, dans la bataille de la lumière et de l'ombre. A la mort de Louis XI, le soleil paraîtra déjà haut sur l'horizon. Gutenberg a développé en Occident l'imprimerie à caractères mobiles; Colomb va découvrir l'Amérique; Luther naît ; la civilisation grecque a reflué de l'Orient sur l'Occident; l'entreprise de la maison d'Autriche pour la domination universelle sort du mariage de Bourgogne; l'Angleterre, monarchie parlementaire, a pris décidément la route de la liberté; la France, monarchie absolue, devra encore attendre pour celle de l'égalité : c'est un autre monde qui s'annonce.
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La Praguerie

On a donné le nom de Praguerie, en souvenir du soulèvement des Hussites dans Prague, à la révolte des seigneurs et du dauphin (Louis XI) contre Charles VII, avril-août 1440. Irrités des efforts faits par le roi pour le rétablissement du bon ordre, et surtout de l'ordonnance d'Orléans sur les gens de guerre, 2 novemnre 1439, les ducs Charles Ier de Bourbon et Jean II d'Alençon, les comtes de Vendôme et de Dunois, prétendirent chasser les conseillers du roi, le connétable de Richemont et le comte du Maine. Ils se réunirent dans Blois à La Trémoille. Alexandre, bâtard de Bourbon, Blanchefort, Chabannes, les autres chefs de routiers se mirent en campagne, 1440, et leurs conseils décidèrent, à Loches, le dauphin à prendre parti contre son pire et à chasser le comte de la Marche, son gouverneur. Charles VII fit arrêter Blanchefort, sauva Saint-Maixent, à demi occupé déjà par la Praguerie, gagna Dunois, prit Chamhon, Evaux, Montaigu, Ébreuille, Aigueperse, et ramena à lui les routiers du Languedoc. Le dauphin ayant refusé d'accéder aux promesses de soumission faites par d'Alençon et Bourbon, la guerre continua : Charles VII prit Vichy, La Palisse, Roanne, Charlieu. Le duc d'Alençon fit sa paix à part, et le dauphin, peu à peu abandonné, vint s'humilier à Cusset, 19 juillet 1440, avec le duc de Bourbon, qui rendit les forteresses de Beauté, Vincennes, Corbeil, Brie-Comte-Robert, les villes de Loches et de Sancerre, occupées pondant la guerre. Louis fut privé de tous ses offices, mais chargé du gouvernement du Dauphiné, avec cette réserve que ses actes seraient scellés par le chancelier de France. Le bâtard de Bourbon, dont les crimes de tous genres faisaient horreur, fut arrêté, cousu dans un sac est jeté dans l'Aube. La Praguerie, quoique promptement étouffée, eut deux funestes conséquences : elle retarda l'application de l'ordonnance du 2 novembre1539, et permit aux Anglais de reprendre une dernière fois l'offensive. (A. C.).

Louis XI.
Louis XI, turbulent et avide de pouvoir, avait pris part à la révolte de la Praguerie, 1440, contre son père Charles VII, avec les grands et les chefs de bandes. En vain le roi lui concéda le gouvernement du Dauphiné, 1440, et le mit à la tête d'une expédition contre les Suisses, qu'il battit près de Bâle, au profit de l'empereur Frédéric III, 1444. Louis aima mieux se les attacher que de les combattre davantage, fit avec eux le traité d'Ensisheim, où ils lui promettaient 4000 hommes quand il le voudrait, attira les mécontents dans sa province, refusa de la quitter sans garantie, et, quand Charles VII irrité envoya contre lui Chabannes avec une armée, 1457, s'enfuit chez le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, plutôt que de se remettre aux mains de son père. 

Devenu roi, il consacra tout ce qu'il avait d'intelligence et d'adresse, de passion et d'énergie, à lutter par tous les moyens, guerre ouverte, astuce, cruauté, contre cette aristocratie qu'il avait jadis soutenue, à ruiner cette maison de Bourgogne qui l'avait accueilli, mais qui, avec celles d'Anjou et de Bretagne, formait une barrière formidable aux progrès du pouvoir central. Il compromit d'abord sa cause par ses imprudentes tracasseries : en attaquant la noblesse étourdiment, par la suppression du droit de chasse ou des droits régaliens, en mécontentant les princes de Bourgogne par le rachat des villes de la Somme, et le clergé par l'abandon de la pragmatique sanction, il ne ménageait pas davantage les bourgeois, augmentait les impôts et punissait d'affreux supplices les soulèvements que ces innovations excitaient. Par ses façons roturières, la simplicité de son costume, le choix de ses conseillers intimes, tirés des derniers rangs, Olivier Le Dain, son barbier, Tristan l'Hermite, son prévôt ou son bourreau, La Balue, qu'il fit évêque d'Évreux et cardinal, il semblait chercher à s'appuyer sur les classes moyennes contre la noblesse. 

La Ligue du Bien public.
Le renvoi, dans un esprit de vengeance, de quelques anciens serviteurs de son père, renvoi qu'il blâma lui-même par la suite; des réformes fiscales audacieuses : la suppression de nombre d'offices inutiles et coûteux; l'obligation imposée aux prêtres et aux moines, sous peine de confiscation, de déclarer leurs biens; l'abolition du droit de chasse pour les nobles, s'ils n'étaient pas pourvus d'un permis royal; et d'autres mesures encore, les unes judicieuses, les autres vexatoires, firent à Louis XI de nombreux ennemis.

Comme les grands vassaux ne pouvaient se résigner à ne pas être des princes souverains dans leurs apanages, ils exploitèrent ces mécontentements, puis se révoltèrent, entraînant avec eux une partie de la petite noblesse. ils eurent l'audace de s'intituler "Ligue du bien public", alors qu'ils ne poursuivaient que des ambitions particulières. Ces sortes de mensonges et piperies sont fréquentes dans la politique, où les choses ne s'appellent pas toujours par leurs noms et sont couvertes par de fausses étiquettes.

Les ligueurs (Charles de Charolais (dit le Téméraire), héritier des Etats de Bourgogne, du duc de Bretagne François II, du duc de Bourbon, du frère même du roi, etc) s'appuyèrent sur le frère du roi, le duc de Berry, personnage falot qui ne fut jamais qu'un jouet aux mains des habiles, et cherchèrent des secours au dehors, en Angleterre, en Allemagne et, surtout, en Bourgogne. Après une bataille indécise à Montlhéry, 1465, Louis XI ne se tira de ce premier danger que par deux traités (Conflans et Saint-Maur, 1465), qui récompensaient ses ennemis et le« mettaient lui-même au pillage » (Commines), en lui enlevant les villes picardes récemment rachetées, et la Normandie, qui fut donnée a son frère : il se réservait de déchirer ces traités à la première occasion, et les viola en effet presque aussitôt, en reprenant à Charles de Berry la province cédée, et en imposant au duc de Bretagne le traité d'Ancenis.

Aussi malheureux vis-à-vis d'une seconde ligue, que forma en 1467 Charles le Téméraire, devenu duc de Bourgogne, il commit l'imprudence de se livrer, à Péronne, aux mains de ce prince, au moment où Liège se révoltait contre lui : il ne sortit de ce « mauvais pas » qu'en « travaillant et gagnant » les ministres du duc, et en signant une nouvelle convention, qui agrandissait encore en Picardie, aux dépens de la sienne, la puissance de ce rival acharné (Péronne, 1468); il y promit à son frère la Champagne, au lieu de laquelle il lui donna la Guyenne, marcha lui-même contre Liège, et se vengea de toutes ses humiliations, en condamnant à une cruelle captivité de dix ans, dans une cage de fer, La Balue, qui le trahissait, 1469. 

L'universelle araigne.
Dans la deuxième partie de son règne, 1469-1483, Louis XI montra plus d'habileté et de prévoyance. C'est alors qu'il mérite vraiment le nom d' « universelle araigne », que lui donne le chroniqueur bourguignon Chastellain. Quand la rupture du traité de Péronne, cassé par les notables assemblées à Tours en 1470, eut excité une nouvelle prise d'armes, soutenue au dehors par 2 rois étrangers, 1471, les circonstances vinrent aussi à son aide : son frère. qui avait pris une grande part à toutes les révoltes, mourut subitement en 1472, et Charles le Téméraire, en voulant, après son échec devant Beauvais, 1472, réunir à ses États la Lorraine, l'Allemagne rhénane, la Suisse, ne parvint qu'à se faire tuer après trois défaites sanglantes (Granson, Morat, 1476; Nancy, 1477). Le roi, pendant ce temps, s'était débarrassé de tous ses ennemis de Jean II d'Aragon, en lui reprenant Perpignan un instant perdue, d'Édouard IV d'Angleterre, en lui achetant le traité de Picquigny, 1475; il avait écrasé impitoyablement les plus remuantes des maisons féodales secondaires, Armagnac, 1473, Alençon, 1474, Saint-Pol, 1475, Nemours, 1477. A la mort du duc Charles, qui ne laissait qu'une fille, il détacha de sa succession la Bourgogne et les villes de la Somme, portions du domaine royal soumises à la même loi que lui, et par conséquent fiefs masculins, et, de plus, l'Artois et la Franche-Comté, provinces réunies par les ducs de Bourgogne, et sur lesquelles ses droits étaient plus que contestables. Malgré les efforts de Maximilien d'Autriche, devenu l'époux de Marie de Bourgogne (bataille indécise de Guinegate, 1479 ; traité d'Arras, 1482). il conserva les deux premiers pays sans condition, les deux autres comme dot de Margnerite d'Autriche, fille de Maximilien et de Marie, qui épouserait plus tard l'héritier du trône. En 1480 et 1481, une combinaison de testaments habilement ménagée le rendit maître des trois grandes provinces de la maison d'Anjou (Anjou, Maine, Provence). Il se faisait céder en outre les droits de cette famille sur le royaume de Naples. Mais il se garda bien de les faire valoir. Le Roussillon et la Cerdagne, engagés par Jean II en 1462, et vainement attaqués par lui, restaient au royaume. 

Louis XI avait donc été l'un des principaux ouvriers de l'unité territoriale de la France. Il aurait voulu lui donner aussi l'unité administrative, et « désiroit fort que l'on usast d'une coustume, d'un poiz et d'une mesure »; il facilita l'action du pouvoir central sur les provinces par la création des postes, 1467, et par l'institution de trois parlements nouveaux, qui mettaient la justice royale plus à la portée des justiciables (Grenoble, 1433; Bordeaux, 1462; Dijon, 1477). 

En même temps, « prêtant l'oreille à toutes gens et s'enquérant de toutes choses, » il ne négligeait rien de ce qui pouvait faire riche, grande et forte la nation qu'il gouvernait, accroissant sans mesure les impôts, mais dépensant tous ses revenus, ouvrant de nouveaux marchés, attirant les ouvriers habiles de Grèce et d'Italie, provoquant la fondation de nouvelles manufactures, s'occupant des routes, des canaux, de la marine marchande, de l'exploitation des mines, établissant l'imprimerie à Paris, 1469, à Lyon, à Angers, à Poitiers, à Caen, etc., tenant sur pied des armées quatre fois plus nombreuses que par le passé, fortifiant les places comme ne l'avaient jamais fait ses prédécesseurs. On lui doit l'inamovibilité de la magistrature, qu'il institua, mais qu'il ne respecta pas toujours. 

Et cependant, malgré tous les services rendus au pays, Louis XI, malheureux lui-même, toujours inquiet et en défiance, toujours tremblant devant la mort, qu'il avait, dit Commines, à redouter plus que d'autres, et contre laquelle sa religion superstitieuse ne suffisait pas à le fortifier, fut détesté de ses contemporains, « des menus comme des grands. » Il passa ses dernières années, dominé par son médecin Coythier, dans le château du Plessis-lez-Tours; il croyait prolonger ses jours en s'entourant de reliques, et fit venir de Calabre François de Paule, pour obtenir de lui par un miracle la santé et la vigueur.

On lui attribue à tort les Cent nouvelles Nouvelles, imitées de Boccace, et le Rosier des Guerres, qui furent seulement rédigés sous ses yeux, sous sa direction par Et. Porchier pour l'instruction du Dauphin, et imprimé en 1522.   Il fonda les universités de Valence, de Bourges, de Caen et de Besançon.

La régence des Beaujeu. Charles VIII.
La fille aînée de Louis XI, Anne de Beaujeu, et son gendre Pierre de Beaujeu, lieutenant général du royaume, restèrent fidèles à sa politique pendant la minorité de Charles VIII. Ils accordèrent toutefois aux Etats généraux de Tours (1484), les premiers où toute la France fut représentée, des réductions d'impôt, et des réparations à quelques-uns des seigneurs que le feu roi avait emprisonnés ou privés de leurs biens. Ces concessions ne satisfirent pas les mécontents, qui avaient pour chef l'autre gendre de Louis XI, le duc d'Orléans. Ils recommencèrent une nouvelle Ligue du bien public, qu'on appela très bien la guerre folle, avec l'appui de Richard III d'Angleterre et de Maximilien.

Madame Anne marcha droit à l'ennemi, battit et fit prisonnier le duc d'Orléans (à la bataille de Saint-Aubin du Cormier) et réduisit non moins promptement le duc de Bretagne, François II.

Succession de Bretagne. 
Le duc François étant mort peu de jours après qu'il eut tait sa soumission, son héritage devint une affaire pareille à celle de Bourgogne pour les compétitions qu'elle suscita autour de la fille du duc. Le mariage des princes continuant à faire le destin des peuples, qui épousera la petite princesse épousera avec elle la Bretagne.

On se souvient que Maximilien d'Autriche était devenu veuf de Marie de Bourgogne et, aussi, qu'il avait promis par le traité d'Arras sa fille au dauphin. Il se porta candidat à la main de l'héritière de Bretagne, ce qui le devait installer, s'il était accueilli, dans l'ouest de la France comme il était déjà à l'est par les Flandres.

La duchesse Anne de Bretagne avait déclaré qu'elle n'aurait jamais « d'autre mari que roi ou fils de roi ». Maximilien étant fils d'empereur et roi des Romains, ce qui lui assurait l'Empire, elle l'épousa par procuration.

Charles VIII unit aussitôt le siège devant Rennes, s'en fit ouvrir les portes et, moins de trois jours après, épousa effectivement Anne qui avait consenti à l'annulation de son mariage autrichien, comme avant été contracté sans le consentement du roi de France, son suzerain. Elle s'engagea, si son mari français mourait sans enfants, à ne donner sa main qu'à son successeur ou au plus proche héritier du trône.

En même temps, Charles VIII mandait à Maximilien qu'il lui renvoyait sa fille Marguerite, d'ailleurs avec sa dot, c'est-à-dire la Franche-Comté et l'Artois. Irrité de se voir prendre-sa femme et retourner sa fille, Maximilien repartit en guerre, après s'être assuré l'alliance des Anglais.

Les successions transalpines. 
C'était pour Charles VIII, en raison de l'état magnifique de son armée et des faibles ressources de l'Autrichien, qui n'avait pu obtenir un florin de subsides de la Diète, l'occasion de reprendre à titre de conquêtes les provinces qu'il avait reçues
et rendues à titre de dot. Par malheur, ayant la tête pleine de romans de chevalerie, il tonna le projet de revendiquer « son royaume de Naples », en vertu des droits de la maison d'Anjou (de Charles d'Anjou, frère de saint Louis), puis, sitôt qu'il eu serait maître, de se croiser, de reprendre aux Turcs Constantinople où il se ferait empereur d'Orient.

Madame Anne et les vieux conseillers de Louis XI eurent beau lui déconseiller « le voyage d'Italie » : le roi ne voulut rien entendre, encouragé dans son entreprise par la jeune noblesse, qui rêvait de belles aventures dans un beau pays, par son cousin Louis d'Orléans, qui songeait à réclamer le Milanais pour son propre compte, du chef de sa grand-mère Valentine Visconti, et par l'évêque de Saint-Malo, qui voulait être cardinal.

En conséquence, il sacrifia à ses ambitions italiennes et orientales la  terre de France : Calais qu'il aurait pu reprendre aux Anglais - il les paya pour lever le siège de Boulogne; - le Roussillon qu'il céda à l'Espagne, pour prix de sa neutralité, et la Comté de Bourgogne et l'Artois qu'il restitua à Maximilien, pour le renvoi de Marguerite, son « épousée » du traité d'Arras.

Le carrefour de l'histoire.
Ainsi la persistance de l'hérédité féodale valait à la France la Bretagne, qui lui fut réunie définitivement, mais elle lui coûtait la Franche-Comté et l'Artois, qui ne lui devaient revenir que deux siècles plus tard, après avoir passé de l'Autriche à l'Espagne; et elle justifiait aux yeux d'un roi « aussi faible d'esprit que de corps  » (Guichardin) ses entreprises sur le Milanais et sur Naples.

Bien que le droit féodal fût toujours comme le droit public de l'Europe, il avait déjà conduit à tant d'absurdités et d'injustices qu'il n'était plus guère qu'un masque pour les ambitions conquérantes. C'était à la politique de distinguer entre les ambitions judicieuses et les autres. (J. Reinach / NLI / A19)

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