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Ivan le Grand a terminé par sa victoire sur les Mongols ce qu'on pourrait appeler le Moyen âge moscovite; par ses guerres contre les Occidentaux, par ses relations avec l'Europe lointaine, par son mariage, en 1472, avec Sophie Paléologue qui lui apporte en dot ses prétentions sur le trône de Byzance et l'aigle à deux têtes des Césars byzantins, Ivan commence les temps modernes de la Russie, et l'histoire lui a décerné le nom de Grand.

Ses successeurs continuent exactement sa politique. Son fils, Vassili III Ivanovitch (1505-1533), annexa les dernières principautés restées indépendantes. Entre temps, il fait à Pskov ce que son père avait fait à Novgorod. Il y supprima l'assemblée populaire, la cloche du beffroi, mit garnison dans la citadelle, déporta à Moscou les chefs des familles aristocratiques. Puis il recommença la lutte contre la Lituanie qui, par l'élection de Sigismond Ier Jagellon, venait de se souder à la Pologne; en 1514, il prit Smolensk et réussit à le garder, après de longues négociations. Du côté de l'Orient musulman, il fut moins heureux; en 1521, le khan de Crimée envahit la Russie, battit les Russes, poussa jusqu'à Moscou, détruisant tout sur son passage : pour l'éloigner, Vassili dut lui promettre un tribut qui, du reste, ne fut jamais payé.

Ivan le Terrible
En 1533, la mort prématurée de Vassili laissa le trône à son fils Ivan, alors âgé de trois ans. Sa veuve, Hélène Glinska, exerça la régence, tint en respect les Tatars et les Lituaniens, mais mourut empoisonnée en 1538. Le pouvoir passa entre les mains des grands, des boïars. Ils s'entre-déchirèrent, laissant le petit prince dans le plus complet abandon jusqu'en 1543. Le ,jour de Noël de cette année, Ivan les fit appeler, leur reprocha leurs fautes, fit saisir André Chouiski, le chef du gouvernement, et le fit jeter, séance tenante, à ses chiens de chasse.

Le règne de ce prince précoce - il avait alors treize ans - est très important par les grandes luttes engagées contre les voisins de la Moscovie, et plus encore, par la crise intérieure qui remplit la seconde moitié du règne.

D'abord Ivan attaque le royaume de Kazan. En juin 1552, avec 150 000 hommes et une artillerie organisée à l'européenne, il vint mettre le siège devant sa capitale. En septembre, elle fut prise d'assaut, la plus grande partie de sa population massacrée ou vendue aux marchands d'esclaves; des colons russes vinrent la remplacer. Les conséquences de ce succès furent considérables. Les peuples finnois ou turks qui avaient dépendu de Kazan passèrent sous le joug moscovite, et, dès ce temps, des missions travaillèrent à leur conversion au christianisme, c.-à-d. à leur russification. D'autre part, leur soumission ouvrit aux vainqueurs la route du moyen et de la basse Volga, et enfin de la Sibérie. En 1556, quatre ans après la chute de Kazan, les Russes occupaient déjà Astrakhan. Vingt ans plus tard, les Cosaques franchiront l'Oural et conquerront le bassin de l'Obi, encore du vivant d'Ivan. On est donc en droit de l'appeler le fondateur de la puissance asiatique de la Russie.
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Ivan IV.
Ivan le Terrible, par Alexeï Kivshenko (1880).

Après la destruction des khanats de Kazan et d'Astrakhan, l'oeuvre qui semblait indiquée aux entreprises russes, c'était la destruction du troisième khanat tatar, celui de Crimée. Mais, de même que nous verrons plus tard Pierre le Grand, après ses premiers succès du côté de l'Orient, se retourner brusquement vers l'Occident; de même, Ivan IV, dès 1554, entame la lutte avec ses voisins de l'Ouest, avec les Porte-Glaives de Livonie d'abord, qui, en 1547, avaient arrêté au passage une colonie d'ingénieurs et d'artisans recrutés en Allemagne par des agents d'Ivan. En 1558, la Livonie fut envahie par les Russes et aux trois quarts conquise. Les Porte-Glaives appelèrent les Polonais, au moment même ou commençait à Moscou une crise qui devait absorber la meilleure part du temps d'Ivan. Polonais et Livoniens en profitèrent largement. La guerre, si heureuse au début, traîna jusqu'en 1570, mêlée de succès et de revers, et compliquée par l'intervention, contre les Moscovites, des Turks et des Tatars de Crimée, qui ne furent repoussés qu'après avoir ravagé la Russie du Sud et brûlé Moscou. De 1570 à 1577, il y eut une trêve, pendant laquelle Ivan essaya vainement de se faire élire roi de Pologne. En 1577, son concurrent heureuxEtienne Bathori envahit la Moscovie et prend une multitude de forteresses, tandis que les Suédois, ses alliés, chassent les Moscovites des bords du golfe de Finlande. La fortune abandonnait Ivan. En 1582, il réussit à conclure, grâce à la médiation du pape Grégoire XIII, une trêve, par laquelle il rendit toutes les conquêtes précédemment faites en Lituanie et en Livonie. La seconde grande entreprise du règne, la conquête des routes de la Baltique et de l'Europe, d'une part, la reprise des terres russes de la Lituanie, de l'autre, avaient donc échoué pour cette fois, peut-être moins parce que les armées de la Moscovie étaient encore trop barbares, qu'en raison des difficultés intérieures au milieu desquelles se débattait Ivan.

Nous avons dit comment, en 1543, il avait mis fin à la régence des boïars. Maître du pouvoir, il le confia, suivant l'usage invariable des princes moscovites, à ses parents maternels, aux Glinski. En 1547, il se fit couronner solennellement, et prit, au lieu de l'ancien titre de grand-prince, celui de tsar (= césar) ou de roi. C'était indiquer: d'une part, l'ambition de prendre, dans le monde oriental chrétien, la place devenue libre par la chute de Constantinople; de l'autre, la tendance à gouverner autocratiquement, à la façon des tsars orientaux.

Ce pouvoir absolu, le tsar ne l'exerça plusieurs années que par l'intermédiaire de favoris tout-puissants, le pope Silvestre, son directeur de conscience, et le noble Adachev. Les années qui précédèrent la prise de Kazan furent, grâce à ces deux ministres, les plus heureuses et les plus calmes du règne. Mais, en 1553, le tsar tomba dangereusement malade; autour de lui, jusque dans sa chambre, les boïars reprirent leur arrogance; Ivan put craindre une révolte, après sa mort, contre son jeune fils Dimitri : Adachev prenait le parti des mutins. Revenu à la santé, Ivan disgracia Adachev et Silvestre, mais ils laissèrent la cour pleine de leurs créatures; de louches intrigues se nouèrent autour du tsar; la tsarine mourut empoisonnée; des exécutions s'ensuivirent, puis des trahisons, entre autres celle du prince Kourbski, le meilleur général d'Ivan, qui passa aux Polonais. Menacé dans son empire, menacé dans sa vie, Ivan devint impitoyable. La noblesse indocile qui avait entouré les anciens princes apanagés et que la conquête moscovite avait laissée maîtresse de ses terres, de ses biens, de sa clientèle, fut décimée. Il y eut des exécutions en masse, des transportations nombreuses d'un bout de la Russie à l'autre. Quinze cents Novgorodiens, soupçonnés d'avoir voulu livrer leur ville aux Polonais, périrent sous la hache du bourreau. Sur toute la terre russe s'étendit une terreur qu'explique, comme celle de 1793, la crainte de l'étranger et de la trahison.

La fin du règne d'Ivan le Terrible, si sombre, fut du moins marquée par un succès, dont on ne comprit pas alors toute l'étendue. En 1580, le chef des Cosaques, Irmak, lui fit hommage de la Sibérie conquise sur les peuples indigènes. Si l'Occident ne se laissait pas encore entamer par les Moscovites, du moins l'Orient leur appartenait-il et sa conquête est le dernier titre de gloire des souverains de la dynastie de Rurik qui allait s'éteindre, quelques années après la mort d'Ivan (1584), en la personne de son fils, Feodor Ivanovitch.

Feodor Ivanovitch
Le règne de Feodor Ivanovitch (1581-1598) est, à la terreur près, la répétition de celui de son père. Après de vaines négociations pour se faire élire au trône de Pologne, Feodor fait la guerre à son concurrent heureux, Sigismond Vasa, de Suède, et cette guerre, comme sous Ivan le Terrible, ne donne pas de résultats. A l'intérieur, Feodor laisse tout le pouvoir à des favoris, des vremiantchiki, d'abord à ses parents du côté maternel, les Romanov; plus tard à son beau-frère, le boïar Boris Godounov, qui devient une sorte de vice-empereur et, après le meurtre du petit Dimitri, second fils d'Ivan le Terrible, l'héritier du trône, sur lequel il montera en 1598.

La civilisation de la Moscovie

Pendant toute la période moscovite de son histoire, la Russie conserve, à peu de chose près, les mêmes moeurs et les mêmes institutions. Nous sommes renseignés par les annalistes nationaux et surtout par les voyageurs étrangers qui venaient en Russie, les uns, comme les Anglais Chancellor et Fletcher, pour y créer des relations commerciales, les autres, comme Sigismond de Herberstein, en qualité d'ambassadeur, ou, comme l'Allemand Rosen et le Français Margeret, en qualité de mercenaires.

D'une façon générale, on peut dire que tout en Moscovie, pendant ces trois siècles, diffère nettement de ce qui existe dans l'Europe occidentale. Le voyageur européen qui pénètre en Moscovie croit entrer dans un autre monde. Les frontières passées, il ne trouve devant lui que des forêts, des marécages, de larges rivières sans ponts, des villages souvent vides d'habitants - ils s'enfuient à son approche - des villes rares et misérables, des remparts de terre, des palissades, des jardins, des huttes, des bourbiers recouverts de planches, qui sont des rues, des églises grandes comme des chapelles d'Occident, avec des clochers bulbeux qui les font ressembler à des mosquées; ni auberges, ni boutiques; dans un slobode, faubourg semblable aux concessions européennes des villes de Chine, de rares marchands étrangers. Moscou, elle-même, qu'on prend pour une ville immense à la regarder de la colline des Moineaux, n'est en réalité qu'une agglomération de villages, ou l'Européen ne trouvera pas à s'abriter si d'avance le tsar ne lui a octroyé un logement.

Les boïars que l'Européen pourra visiter, vivent, au milieu des huttes de leurs esclaves, dans des maisons petites et basses, dans des pièces garnies de coffres recouverts de coussins, à l'orientale. Ils sont vêtus de longues robes, coiffés de hauts bonnets qui ressemblent à des turbans et ne quittent jamais leur tête. Si par hasard un boïar, pour faire honneur à l'hôte, veut lui présenter sa femme, elle viendra de son appartement, du terem, engoncée dans de lourds vêtements, peinte jusqu'au blanc des yeux ; elle offrira du vin, de l'eau-de-vie, puis disparaîtra. Elle est au bout de ses talents de société.
Quand l'Européen, pour voir le tsar, se rendra au Kremlin, ce Louvre moscovite, avec ses minces murailles de briques et ses tours bariolées, lui paraîtra bien mesquin. Il y errera longtemps, entre de petits palais, de petits monastères, de petites cathédrales, avant d'arriver au palais à facettes, à la salle du trône, étroite et basse, où se presse la foule des boïars, en ajustements somptueux et parfois crasseux : des gardes en caftan blanc bordé de fourrures, la hache d'argent sur l'épaule, font cercle autour du trône où le tsar est assis, ruisselant de pierreries, la tiare en tête, immobile et muet. Si un boïar l'approche, ce sera en se prosternant, en demandant grâce.

 « N'ordonne pas de châtier ton esclave, ordonne-lui de dire un mot. »
Esclaves, les Moscovites paraissent bien l'être, depuis que les sanglantes exécutions d'Ivan le Terrible ont décimé la noblesse. Ils ont le même costume; ils semblent bien avoir les mêmes moeurs que les Persans et les Mongols. Du reste, combien d'Orientaux au milieu d'eux. Ces princes, qui encombrent les abords du trône, et qu'on appelle tsarevitchs de Kazan ou de Sibérie, sont des Asiates baptisés d'hier; telle tsarine est tcherkesse. Le Boris Godounov, qui montera sur le trône en 1598, descend d'un mourza tatar. Et le voyageur européen conclut de tout ce qui s'offre à ses yeux que les Moscovites sont - ainsi que le dira plus tard Leibniz de « doubles Turcs » (Doppeltürken).

En réalité, la Moscovie s'est développée, en partie sous l'influence des Asiatiques, mais bien plus sous l'influence de Byzance. Le cérémonial de la cour, les usages des grandes familles sont tout byzantins. C'est de Byzance qu'est venue, la réclusion des femmes dans ce terem qu'il ne faut pas prendre pour un harem. Le Domostroï (ménagier) du pope Silvestre est, depuis le XVIe siècle, le code des gens bien nés ses prescriptions minutieuses, étroites, parfois bizarres, sont pleines de l'esprit ascétique des moines d'Orient. Les lois elles-mêmes, jadis à peu près identiques à tous les codes barbares des débuts de notre Moyen âge, ont subi l'influence du droit byzantin, et l'autorité autocratique des tsars, c'est celle d'un Basileus de Byzance.

Mais, si grandes qu'aient été les influences de Byzance et d'Orient, elles ne séparent pas tout à fait la Russie de l'Occident. Les rapports ne sont évidemment plus ce qu'ils avaient été du temps de Iaroslav : ils subsistent pourtant. Les princes moscovites ne trouvent plus à contracter d'alliances avec les dynasties d'Occident, et peut-être leur orgueil s'en accommoderait-il mal; mais ils demandent à l'Europe et ils y trouvent des armes et des gens de guerre qui leur serviront à vaincre les barbares d'Orient, à résister aux voisins de Lituanie ou des Provinces baltiques. Depuis le XIVe siècle, il y a un afflux continuel d'aventuriers européens en Moscovie : du XVe au XVIe siècle surtout, le mouvement s'accélère. Sous Ivan III, il vient des Grecs à la suite de Sophie Paléologue : l'un d'eux, un moine du mont Athos, Maxime, classe les livres qui sont au Kremlin, traduit en slavon les livres grecs, et mérite d'être considéré comme l'un des initiateurs de la Renaissance russe. Dans la garde d'Ivan le Terrible, il y a des Occidentaux de toute nationalité; il y en a aussi dans ses armées. C'est à des ingénieurs et des officiers allemands qu'il doit ses succès sur les Kazanais et les Novgorodiens. Il envoie en Europe de grandes missions, comme celle de Hans Schlitte, en 1547, pour recruter ingénieurs, artisans, architectes.
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Ambassade d'Ivan le Terrible.
Ambassade d'Ivan le Terrible en Occident.

Chacune de ses ambassades aux princes d'Occident - et elles sont déjà nombreuses - est chargée de lui ramener de nouveaux Européens. Et les voisins de la Moscovie comprennent si bien le danger qui en résulte pour eux que, coûte que coûte, au risque de provoquer la guerre, comme en 1547, ils interceptent au passage ces recrues de la Moscovie. Toute la politique des Suédois, des Porte-Glaives et des Polonais, consiste à tenir les « barbares » éloignés de la mer Baltique, par laquelle ils pourraient communiquer avec l'Occident. Heureusement, sous Ivan le Terrible, une voie nouvelle s'est ouverte, à l'abri de toutes les atteintes; c'est la route d'Europe à Arkhangelsk, rouverte par les Anglais en 1533 et tout de suite très fréquentée, grâce aux privilèges et aux faveurs que le tsar se hâte d'accorder aux nouveaux venus. Si importants que soient les succès des derniers Rurikovitch - unification de la terre russe, défaite des Mongols, conquête de la Volga, affermissement du pouvoir absolu - aucun d'eux n'a été plus fécond en conséquences historiques que l'ouverture de ces relations suivies et régulières avec l'Occident. On peut déjà prévoir, sous le dernier représentant de la vieille dynastie, la transformation qui fera de la Russie une puissance européenne. (Haumant).

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