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L'histoire de la Prusse
La Prusse au Moyen Âge
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Les Chevaliers teutoniques en Prusse

L'ordre Teutonique avait été constitué en Palestine à titre de troisième grand ordre de chevalerie militaire. Le petit groupe de croisés allemands qui s'étaient formés en confrérie dans un hôpital de Jérusalem avait été, durant le siège de Saint Jean-d'Acre, organisé en ordre religieux semblable à celui des Templiers par Frédéric de Souabe. Voués à sainte Marie, vêtus du manteau blanc à croix noire, leur charte était du 19 novembre 1190, confirmée par bulle du 6 février 1191 (Les Croisades) . La maison mère était à Acre; sous le premier grand maître Heinrich Waldbot, de noblesse rhénane, l'ordre s'enrichit rapidement, grâce aux Hohenstaufen et acquit de beaux domaines en Sicile, en Italie, en Hesse, sur le Rhin. Le grand maître Hermann de Salza, fidèle serviteur de Frédéric II, sentait plus que personne les difficultés que cette attitude créait en Palestine aux chevaliers Teutoniques en butte à l'hostilité des Templiers et des Hospitaliers et mal vus du pape. Il cherchait un autre théâtre à leur activité. Déjà l'ordre avait, sur l'appel d'André de Hongrie, été combattre en Transylvanie les Cumans et fondé les villes de Kreuzburg et Kronstadt. Mais le roi avait gardé pour lui les conquêtes. Aussi, quand des envoyés de Conrad de Mazovie vinrent en Italie offrir au grand-maître les pays de Kulm et Lobau à charge par eux de conquérir la Prusse, il commença par se faire donner par l'empereur, à Rimini (mars 1226), pour lui et son ordre, ces territoires et tous ceux à conquérir sur les Prussiens en toute propriété et souveraineté. 

Il avait déjà rang de prince d'empire. Il s'occupa ensuite de la croisade de Palestine. Puis, au bout de deux ans, il expédia une armée sur la Vistule. Conrad, très menacé alors par les Poméraniens et les Prussiens, acheta l'aide des chevaliers Teutoniques au prix de l'abandon total de Kulm (23 avril 1228). Mais dans une entrevue avec Christian au couvent de Mogila (au Nord de Gnesen), l'évêque fit observer aux nouveaux venus que le pape lui avait déjà donné la Prusse et Kulm à titre de principauté ecclésiastique. Il fallut la paix de San Germano, réconciliant provisoirement le pape et l'empereur, pour arriver à une entente. Le pape Grégoire IX donna mission aux chevaliers Teutoniques d'arracher la Prusse aux païens et, le 12 septembre 1230, confirma la donation de Kulm et de la Prusse en toute souveraineté consentie par le duc de Mazovie. Du côté de l'évêque, on temporisait; Hermann de Salza avait consenti (traité de Lesslau, janvier 1230) à reconnaître sa suzeraineté pour Kulm et la Prusse et à lui payer un tribut pour la propriété du pays de Kulm et de divers domaines que Christian concédait. En janvier 1231, il obtient de l'évêque, par la convention de Rupienice, le tiers des conquêtes en Prusse, l'abandon de la dîme et de la nomination aux églises de l'ordre.

La conquête fut alors entreprise; en 1229, les chevaliers Teutoniques avaient bâti le château de Vogelsang (en face de la ville actuelle Thorn); en 1230, Hermann de Salza envoie Hermann Balk avec 20 maîtres et 200 écuyers; en 1231, ils construisirent la forteresse de Thorn; le pape proclame la croisade; les dominicains la prêchent; les païens de Poméranie sont battus et se soumettent à l'évêque Christian. Mais celui-ci est fait prisonnier par les gens de Samland qui le retiendront de 1231à 1239. Les chevaliers Teutoniques ont le champ libre; ils s'installent tout à fait à Kulm, organisent leur juridiction territoriale (1233). Le pape les soutient et, après leur brillante victoire de la Sirgune, il leur donne à perpétuité Kulm et la Prusse à titre de fief du Saint-Siège (3 août 1234). Les chevaliers de Dobrin, fondés jadis par Christian, fusionnent avec l'ordre Teutonique (avril 1235). A ce moment, la Poméranie est soumise, Marienwerder (1232), Rheden sont bâtis pour la contenir. Le légat pontifical est chargé de créer, en Prusse, trois diocèses, d'accord avec les chevaliers. Cependant la conquête se poursuit; la Pogésanie se soumet; on fonde Elbing autour de laquelle les Hanséates de Lubeck bâtissent une ville (1237); on s'installe à Balga en Warmie. De nombreux colons allemands affluent dans les villes nouvelles, dotées de larges franchises. 

Sans cesse renforcé par de nouveaux croisés, l'ordre Teutonique prend une grande importance. Les Porte-Glaives sollicitent une fusion, d'abord refusée par Hermann de Salza. Les Lituaniens infligent aux premiers, sur le Niémen, un désastre où périt leur grand maître Volkwin (1236) et le pape décide la fusion: les Porte-Glaives renoncent à leur costume et jurent obéissance au grand maître des chevaliers Teutoniques (1237). Que pouvait dès lors l'évêque Christian, enfin libéré? Nul ne lui obéit plus : il s'adresse à Rome (1240). L'enquête traîne en longueur, et le légat fait admettre une transaction assurant aux chevaliers les deux tiers du sol et l'indépendance totale de la juridiction épiscopale (juillet 1243). Le grand maître Gerhard de Malberg est investi par l'anneau, au nom du pape. Réduit au rang d'évêque ordinaire, Christian meurt obscurément. Cependant la crise continue. D'une part, le prince russe, Alexandre Nevski, défait les Allemands sur la glace du lac Peïpous (5 avril 1242); les Koures se soulèvent, les Prussiens s'arment en masse, le duc Svantopolk de Poméranie s'attaque aussi à l'ordre. D'autre part, le légat du pape, Albert d'Armagh, nommé dans ces régions par Innocent IV, veut en prendre la direction; les chevaliers résistent et finissent par l'obliger à s'installer à Riga, tandis qu'il est convenu que les sièges épiscopaux de Kulm, Elbing, Marienwerder seront attribués à des membres de l'ordre (1251). Dès lors l'union des pouvoirs temporel et spirituel entre les mains du grand maître est complète et l'État prussien prend définitivement sa première forme militaire et théocratique.

Cette organisation accomplie, la conquête reprit avec une énergie nouvelle. Le duc de Poméranie avait traité (1248); les insurgés furent écrasés (1253); le pape fit prêcher la croisade dans toute l'Allemagne; tout croisé recevait l'absolution plénière, fut-il excommunié; les partisans de l'empereur, les criminels se réconciliaient ainsi avec Dieu. L'une après l'autre, les tribus prussiennes, isolées, succombèrent malgré leur bravoure; à mesure qu'un canton était soumis, on y érigeait un fort; autour des principaux, les bourgeois allemands construisaient des villes; les cantons de Barten et Galinden sont subjugués. En 1254-1255 a lieu la grande croisade d'Ottokar de Bohème qui amène 60 000 hommes, dévaste le Samland, abat la forêt sacrée de Romova, gagne la bataille de Rudau. Il impose le baptême aux chefs du Samland et fonde sur la Pregel la ville qu'en son nom on baptise Koenisgsberg (auj. Kaliningrad). L'oppression des chevaliers Teutoniques sur les Prussiens asservis devient intolérable et une insurrection générale éclate. A Durben, sur le Niémen, le maître de Livonie est vaincu et tué avec 150 chevaliers par le grand-duc de Lituanie (13 juillet 1260). Dans toute la Prusse, on incendie les bourgs allemands et les églises, tandis que les Lituaniens envahissent la Livonie. Les chefs du mouvement étaient Glande du Samland, Herkus Monte de Natangen, Glappo de Warmie, Auktumo de Pogésanie, Divan de Barten. L'ordre faillit périr malgré les secours de la hanse; Heilsberg, Braunsberg furent pris d'assaut, le maître de Prusse resta sur le champ de bataille de Loebau (1263). Le pape Clément IV décida Ottokar de Bohème à une seconde croisade (1267-1268). Le grand maître Conrad de Thierberg reprit le dessus; l'un après l'autre les chefs prussiens tombèrent; en dernier lieu, Monte (1271). Rodolphe de Habsbourg, devenu empereur, vint coopérer à la conquête. Elle fut assurée par une guerre d'extermination. En Pogésanie tous les hommes furent égorgés, les femmes et les enfants chassés pour faire place nette aux colons allemands; de même, les cantons de Nadrauen (soumis en 1275) et Samland devinrent des déserts. En 1276, le Schalauen est conquis. La résistance se prolongea jusqu'en 1284 en Sudanen, dans la région lacustre, jusqu'à ce que le dernier chef, Skurdo, émigrât avec les survivants en Lituanie. Ce qui fut épargné de la population indigène fut réduit au servage. Les chevaliers teutoniques et quelques membres de l'ancienne aristocratie indigène formèrent la classe des propriétaires fonciers; les immigrants allemands et les Prussiens demeurés fidèles peuplèrent les villes et les villages. Les évêchés furent confiés à des chevaliers, à l'exception de celui d'Ermeland, qui commença à constituer une enclave, relativement autonome dans la Prusse nouvelle. En 1309, le grand maître Siegfried de Feuchtwangen se décide à transporter en Prusse (de Venise où il résidait) la maison mère des chevaliers Teutoniques et fixe sa capitale à Marienburg. L'ordre abandonne ainsi officiellement son but ancien de croisade contre les musulmans et s'absorbe dans sa tâche temporelle.

Le XIVe siècle fut l'époque de splendeur de ce premier État prussien. Il continua de s'agrandir; en 1310, il enlève à la Pologne la rive gauche de la Vistule, l'opulente cité de Dantzig et la Pomérelie avec Dirschau et Schwetz. Avec l'aide de croisés sans cesse renouvelés, se poursuit la lutte contre les Lituaniens païens, qui, pour résister, concentrent leurs forces et arrivent à l'unité politique. De toute l'Europe, les chevaliers d'humeur aventureuse viennent jouir de l'hospitalité des Teutoniques et croiser le fer avec les infidèles. A la tête de l'ordre se succèdent Feuchtwangen (1309-1311), Karl de Beffart (1311-1324), Werner d'Orselen (1324-1330), Luther de Brunswick (1330-1335) que le roi de Pologne vainquit à Ploweze (1334); Dietrich d'Altenburg (1335-1241), Ludolf Koenig de Weitzau (1341-1345), lequel enleva aux Danois l'Estonie (1343), mais fut mis en échec par les Lituaniens; Dusener d'Arffberg (1345-1351), qui remporta sur les Russes et Lituaniens la sanglante victoire de Strebe (1348). Son successeur fut Winrich de Kniprode (1351-1382), le plus illustre des grands maîtres. Il édifia au bord de la Nogat le majestueux château de Marienburg, le plus beau du Moyen âge allemand. Il remporta des succès chèrement payés sur les Lituaniens, surtout la grande bataille de Rudau qui coûta la vie à vingt-six commandeurs et deux cents chevaliers (17 février 1370). Ce fut l'apogée de l'ordre Teutonique, bien que sa plus grande extension territoriale soit un peu postérieure.

Au début du XVe siècle, après l'achat de la Nouvelle-Marche, il étendait sa domination de l'Oder à la Dvina, sur 170 000 km²  renfermant 55 villes, 48 châteaux forts, 2 000 manoirs nobles, 20 000 hameaux. Le grand maître gouvernait avec l'assistance d'un chapitre (qui l'élisait). Il avait cinq hauts fonctionnaires : le grand prieur, le maréchal, l'hospitalier, l'économe, le trésorier en chef. L'ordre se subdivisait en maisons dans chacune desquelles les frères formaient un couvent sous la direction d'un commandeur. Pour entrer dans l'ordre Teutonique, il fallait être Allemand, noble, âgé de plus de quatorze ans. La discipline, sévère d'abord, s'était peu à peu relâchée et n'avait plus rien de monastique. Au-dessous des chevaliers, souverains du pays, étaient les autres classes sociales: noblesse territoriale, bourgeoisie urbaine des riches cités de Dantzig, Koenigsberg, Elbing, Thorn, Kulm, Braunsberg, paysans, serfs. Des divisions surgirent entre les chevaliers eux-mêmes, puis entre ceux-ci et leurs sujets, la noblesse locale, les villes qui réclament une part du gouvernement, l'archevêque de Riga et les évêques jaloux des chevaliers. Dans la Prusse occidentale, les nobles créent la ligue des Lézards (1397).

Le grand danger de ces dissensions et de ces mécontentements venait de ce que l'ordre Teutonique n'avait pu venir à bout de ses adversaires de Lituanie. Jagal ou Jagellon s'était converti au christianisme et on ne pouvait plus contre lui faire appel à des croisés; il fallait armer des mercenaires et pour les payer augmenter les impôts. Par son mariage avec Hedwige (1386), Jagellon unit à la Lituanie la Pologne, hostile aux chevaliers depuis qu'ils l'ont dépouillée de la Vistule maritime. Les dangers se révèlent au temps des grands maîtres Zoellner de Rottenstein (1382-1390), Wallenrod (1391-1393) et Conrad de Jungingen (1393-1407); le premier assiste contre Jagellon son cousin Witold, brûle Vilna (Vilnius); mais Jagellon s'empare de Marienwerder (1384), repousse une nouvelle attaque contre Vilna (1390), se réconcilie avec Witold. L'ordre conserve pourtant la Samogitie et détruit dans l'île de Gothland le repaire des Frères Vitaliens, pirates redoutés (1398). Il achète la Nouvelle-Marche (1402) à l'empereur Sigismond. La crise éclate sous le grand maître Ulrich de Jungingen (1407-1410), qui engage la lutte avec le roi de Pologne par l'invasion du canton de Dobrzyn (à l'Ouest de Plock). La bataille décisive fut livrée au Tannenberg le 15 juillet 1410 : l'armée allemande comptait 80000 hommes; l'armée de Jagellon, davantage. Les Lituaniens furent enfoncés, mais les Polonais prirent le dessus; le grand maître fut tué avec la plupart des commandeurs, 600 chevaliers, 40 000 soldats. La puissance de l'ordre Teutonique était brisée et la prépondérance polonaise assurée pour deux siècles.

L'effet du désastre du Tannenberg fut celui d'un coup de théâtre; évêques et chevaliers Teutoniques se soumirent et jurèrent fidélité au roi de Pologne, les châteaux et les villes ouvrirent leurs portes. En un mois, toute la Prusse sembla conquise. Mais la réaction vint vite. Le commandeur de Schmetz, Henri de Plauen, qui couvrait la Pomérelie avec 4000 hommes, s'enferma dans le château de Marienburg, après avoir brûlé la ville, et résista à toutes les attaques des Polonais. Au bout de deux mois ils se retirèrent; Henri de Planen fut élu grand maître et, le 1er février 1411, le traité de Thorn lui rendait toutes les places occupées en Prusse; il ne cédait que la Samogitie et payait une indemnité de guerre. La situation demeurait critique malgré divers expédients (confiscations, fonte de l'argenterie, altération des monnaies), il fallut imposer aux sujets, même ecclésiastiques, de lourds impôts; les bourgeois de Dantzig résistèrent; la ligue des Lézards conspira les mercenaires non soldés s'ameutèrent. Le grand maître tenta alors de transformer l'État prussien, de faire une part dans le gouvernement aux nobles et aux bourgeois du pays. Il convoqua des États (Landsrath) formés par 20 députés des nobles et 27 des bourgeois, s'engageant à ne pas créer d'impôts, conclure de traité, déclarer de guerre sans leur aveu (28 octobre 1412). Mais les chevaliers Teutoniques n'acceptèrent pas cette restriction de leur autorité et, se soulevant contre la dictature de Henri de Plauen, ils le déposèrent à l'assemblée de Marienhurg (14 octobre 1413); exaspéré, il négocia avec la Pologne et fut jeté en prison. Son frère, le commandeur de Dantzig, passa au service de la Pologne. Le nouveau grand naître, Küchmeister de Sternberg (1413-1422), lutta péniblement contre Les incursions polonaises et abdiqua au profit de Paul de Russdorf (1422-1441). Celui-ci réussit à apaiser les divisions entre chevaliers du Nord et du Sud, remit en liberté Plauen (qui mourut en 1429); mais ne put arrêter une grande invasion des Polonais et des Lituaniens (juillet 1422), et après le sac de Kulm et la vaillante défense de Golub, signa le traité du lac Melno (septembre 1422), par lequel il cédait la Samogitie, le district de Sudauen, la moitié de la Vistule avec ses îles et ses péages depuis le confluent de la Drewenz jusqu'à la limite de la Pomérélie. En 1431, profitant des embarras du roi de Pologne en Lituanie, les Prussiens recommencent la guerre, dévastent effroyablement le royaume ennemi. Mais celui-ci met en mouvement les hussites; commandés par Jean Czapko, ils détruisent Dirschau, Oliva (1433). Jagellon accorde une trêve de douze ans transformée après sa mort en paix perpétuelle (traité de Brzesk, 31 décembre 1435).

La mésintelligence éclate alors entre les chevaliers teutoniques de Prusse et leurs frères de Livonie et d'Allemagne qui ne veulent pas reconnaître le traité et refusent l'obéissance au grand maître. En Prusse même, les villes et la noblesse territoriale se confédèrent et créent la Ligue prussienne (Marienwerder, 14 mars 1440), qui tente de s'emparer du gouvernement.. Un grand maître énergique, Conrad d'Erlichshausen (1441-1449), remet un peu d'ordre, mais sous son neveu et successeur, Louis d'Erlichshausen, (1449-1467), la guerre civile éclate. Contre la Ligue prussienne, il invoque le pape et l'empereur; mais elle fusionne avec les Lézards et résiste; les délégués des ligueurs auprès de l'empereur sont assassinés en Moravie (juin 1453), et l'empereur prononce la dissolution de la Ligue (1er décembre 1453). Celle-ci se tourne vers le roi de Pologne et offre de reconnaître sa souveraineté; Hans de Baysen, chef de la Ligue, notifie au grand maître qu'il cesse de reconnaître son autorité et transfère l'obédience au roi de Pologne. L'insurrection triomphe rapidement; Thorn et la plupart des châteaux sont pris, le roi Casimir de Pologne déclare la guerre à l'ordre Teutonique et l'incorporation de la Prusse à son royaume (6 mars 1454); en mai il reçoit à Thorn l'hommage des États. Une défaite, infligée à Konitz, au duc de Sagan par un nouvel Henri de Plauen, arrête un moment l'invasion (17 septembre 1454). Louis d'Erlichshausen se procure quelque argent par la vente de la Nouvelle-Marche à l'électeur de Brandebourg (1455), et, par de grands sacrifices consentis aux mercenaires, il maintient sa force militaire; mais bientôt n'étant pas soldés, ils tournent casaque, vendent à Casimir pour 436 000 florins les places fortes reçues en gage (15 août 1456). A la Pentecôte suivante, le roi entre à Marienburg, et le grand maître s'enfuit à Koenigsberg, qui devient la capitale de l'ordre Teutonique, et demeurera désormais celle de la Prusse (1457).

La suzeraineté polonaise

La lutte continue confusément au grand détriment du pays; le général polonais lassienski remporte une grande victoire à Zarnowitz (15 septembre 1462), et finalement le grand maître, sans argent, incapable de solder ses troupes, abandonne la résistance. Le traité de Thorn (19 octobre 1466) scelle la ruine de l'ordre Teutonique. Il cède à la Pologne la moitié occidentale de son État, la région de la Vistule : pays de Kulm avec Thorn, pays de Michelau, Pomérélie, avec Dantzig (Gdansk), Dirschau, Stargard, Marienburg, Elbing, etc. La Vistule est entièrement slave et polonaise. La Prusse orientale demeure à l'ordre, sous la suprématie polonaise; le grand maître a rang de prince polonais et lui jure fidélité; il est avec tous ses ressortissants, villes et territoires, incorporé à la Pologne et ne reconnaît nulle autre suzeraineté, sauf celle du pape. Il y avait ceci de particulier dans la situation que le grand maître des chevaliers teutoniques, sujet polonais, se trouvait régir le maître de Livonie, prince territorial indépendant, et le maître d'Allemagne, prince d'Empire.

A partir de ce moment, la principauté théocratique continue de s'affaiblir. Après les grands maîtres Henri de Plauen (1467-1470), Reffle de Richtenberg (1470-1477). Truchsen de Wetzhausen (1477-1489), Jean de Tiefen (1489-1497), occupés par leurs querelles avec les évêques de Samland et d'Ermeland et par de vaines tentatives de réforme, les chevaliers élisent pour grands maîtres des princes allemands : d'abord le duc Frédéric de Saxe (1498-1510), puis Albert de Brandebourg (février 1511), fils du margrave Frédéric d'Anspach et Bayreuth, neveu du roi Sigismond de Pologne. Celui-ci refusa le serment à son oncle, lequel après de longs pourparlers ravagea la Prusse (1519). Le conflit eut une issue imprévue. Albert de Brandebourg aux abois avait obtenu une trêve de quatre ans (1521). La Réforme avait rapidement gagné en Prusse, adoptée et prêchée par l'évêque de Samland, Georg de Polenz. Le grand maître visita Luther (1523), lequel lui conseilla d'abandonner la règle de l'ordre Teutonique, de se marier et de transformer la Prusse en principauté séculière. Cette solution fut enregistrée par la paix de Cracovie avec le roi de Pologne (enregistrée en 1526). Le duché de Prusse, vassal de la Pologne, devint héréditaire dans la descendance des quatre margraves de Brandebourg. La plupart des chevaliers Teutoniques de Prusse s'étaient convertis; les autres se retirèrent dans leurs domaines d'Allemagne, protestant contre la sécularisation et déposant le grand maître, à la place duquel ils élurent le maître d'Allemagne, Walther de Kronberg, qui fixa sa résidence à Mergentheim. Quant à l'État prussien, il commençait une nouvelle existence, dont les débuts furent humbles et tourmentés.

Le Duché de Prusse

Albert de Brandebourg (1525-1568) fit, à titre de duc de Prusse, son entrée solennelle à Koenigsberg (Kaliningrad) le 9 mai, et le 25 mai fut installé officiellement par les plénipotentiaires du roi de Pologne; les évêques de Pomésanie et de Samiand, les représentants des villes lui prêtèrent serment; il reconnut à la noblesse et aux villes des droits constitutionnels. En 1526, il se maria avec Anne-Dorothée de Danemark. Le pape Clément III protesta, l'empereur de même, la Chambre impériale mit Albert au ban de l'Empire (1533); mais ces manifestations furent platoniques. A l'intérieur, le duc était très faible; la noblesse arrachait sans cessé de nouveaux privilèges; en cas de conflit, les États en appelaient la Pologne, laquelle fortifiait sa suzeraineté par ces interventions. Albert s'était entouré de favoris étrangers, dont le plus connu est Paul Skalich; un tribunal polonais condamna à mort et fit décapiter trois de ces conseillers. Cependant le duc put achever la conversion de la Prusse à la Réforme et créa à Koenigsberg une université qui assura le caractère germanique du pays (1544). Il monrut le 20 mars 1568 et eut pour successeur son fils Albert-Frédéric (1569-1618), âgé de quinze ans. En même temps, l'électeur Joachim II de Brandebourg, qui avait épousé Hedwige, fille du roi de Pologne, fit étendre à lui-même et à sa descendance le droit de succession au duché de Prusse, d'abord borné à la lignée franconienne des Hohenzollern. Albert-Frédéric ne put gouverner personnellement que de 1572 à 1577; l'insolence de la noblesse et du clergé luthérien achevèrent de détruire son équilibre mental, et en 1577 l'administration du duché fut confiée au margrave Georges-Frédéric, de la lignée franconienne. Celui-ci fut en lutte avec les États jusqu'à sa mort (1603). L'électeur Joachim-Frédéric de Brandebourg devint alors administrateur de Prusse (1605-1608); ensuite l'électeur Jean-Sigismond, marié depuis 1594 à Anne, fille aînée du pauvre duc Albert-Frédéric, prit la tutelle de son beau-père (1609), puis l'administration de la Prusse (1614). Le 28 août 1618, la mort d'Albert-Frédéric détermina la réunion de la Prusse au Brandebourg et constitua le moderne État prussien. (A.-M. B. ).

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