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L'histoire du royaume du Pont
Il n'y a pas, à proprement parler, d'histoire du Pont avant la naissance même du royaume pontique. Rappelons toutefois, en quelques mots, ce que l'on sait des événements dont ce pays fut auparavant le théâtre. Si haut que l'on puisse remonter dans le cours des temps, on n'atteint aucune époque où cette contrée paraisse indépendante. Elle fut d'abord soumise, plus ou moins effectivement, à la domination des souverains d'Assyrie; puis elle subit les invasions des Cimmériens et des Scythes ; sujette des Mèdes (L'Iran antique), un moment conquise par le Lydien, Crésus, elle passa, vers le milieu du VIe siècle, sous le joug des Perses. Lorsque Darius donna à l'empire des Achéménides son organisation définitive, les contrées, qui devaient plus tard former le royaume du Pont, furent rattachées à la Cappadoce. Les habitants se montrèrent dévoués aux souverains Perses; Sinope, ville grecque, resta même fidèle à Darius après les premières victoires d'Alexandre; seul le désastre décisif d'Arbèles rompit les liens qui unissaient le Pont aux grands rois. Après la mort d'Alexandre, le pays fit partie de la satrapie macédonienne de Cappadoce; enfin, de 301 à 280, Mithridate de Cius fonda le royaume du Pont, tandis qu'un Cappadocien, Ariarathe, érigeait de même en royaume la Cappadoce méridionale.

Les débuts du royaume pontique

Le créateur du royaume du Pont, Mithridate Ctistès ou le Fondateur, appartenait à une noble famille perse; il avait pour ancêtre l'un des sept conjurés qui portèrent au trône Darius, fils d'Hystaspe. Son grand-père Ariobarzane et son père Mithridate, à la faveur de la décadence du gouvernement des Achéménides, avaient gouverné presque en souverains la Phrygie du Nord ou Phrygie hellespontique; le dernier, disgracié par Alexandre, avait essayé de profiter des troubles et des guerres qui suivirent la mort du conquérant pour recouvrer son ancienne puissance; finalement, il avait été mis à mort par ordre d'Antigone. Menacé du même sort, Mithridate Ctistès avait fui à temps en Paphlagonie. Ce fut de là qu'il partit, après la bataille d'Ipsus, pour grouper autour de lui les Paphlagoniens et les Cappadociens du Nord. Il se rendit maître de toute la côte du Pont-Euxin, depuis Amastris jusqu'à l'embouchure du fleuve Halys et de toute la vallée de l'Iris; enfin, en 280, il prit le titre de roi. Le royaume du Pont était officiellement fondé : les Séleucides ne purent que le reconnaître, comme ils reconnurent les deux Etats de Bithynie et de Cappadoce.

L'histoire du royaume du Pont, depuis sa fondation ,jusqu'à l'avènement de Mithridate Eupator, est fort obscure. On ne sait même pas avec certitude combien de rois se succédèrent sur le trône pendant cette période. Ed. Meyer (Geschichte des Königreichs Pontos; Leipzig, 1879) en compte sept : Mithridate Ier Ctistès ou le Fondateur (302-266), Ariobarzane (266-256), Mithridate Il (256-210?), Mithridate III (210?-190?), Pharnace (190?-170), Mithridate IV Philopator Philadelphe (170-150?), et Mithridate V Evergète (150-121?).  Th. Reinach réduit ce nombre à cinq : Mithridate Ier Ctistès (302-266), Ariobarzane, qui règne une vingtaine d'années; Mithridate II (250?-190), Pharnace (190-169), et Mithridate III Philopator Philadelphe, surnommé Evergète par les Grecs (169-121). 

Quant à l'oeuvre accomplie par ces dynastes orientaux, on n'en saisit dans les documents que quelques bribes éparses. Les premiers successeurs de Mithridate Ctistès se trouvèrent mêlés à la plupart des événements qui troublèrent la paix de l'Asie Mineure pendant le IIIe siècle av. J.-C. Ils furent tantôt alliés avec les Galates, dont plusieurs bandes entrèrent à leur service comme mercenaires, tantôt en lutte avec eux; ils profitèrent des dissensions de famille et des guerres civiles qui éclatèrent dans l'empire des Séleucides pour affermir leur domination dans le Pont proprement dit et étendre leur influence dans les pays limitrophes; enfin, la plupart des colonies grecques de la côte, restées jusque-là indépendantes, tombèrent entre leurs mains.

Au IIe siècle, la situation politique de l'Asie Mineure fut profondément modifiée par l'apparition des Romains. Les Séleucides, après les défaites d'Antiochus le Grand, furent rejetés au delà du Taurus; à l'Ouest et au centre de la péninsule, la plupart des cités importantes et des Etats constitués, Rhodes, Pergame, la Bithynie, la Cappadoce, les chefs paphlagoniens entrèrent de plus en plus dans la clientèle de Rome. Seul le roi du Pont, Pharnace, garda une attitude indépendante. Il essaya même de profiter du désintéressement apparent dont Rome avait fait preuve en ne s'emparant d'aucun territoire asiatique et en ne laissant aucune garnison dans le pays, pour agrandir son royaume. Allié avec les Galates, sûr de la complicité des rois d'Arménie et de Syrie, il enleva la riche cité grecque de Sinope; il menaça Héraclée de Bithynie et ravagea la Paphlagonie. Aussitôt une coalition se forma contre lui, dont l'âme fut le roi de Pergame, Eumène; pendant quatre ans (183-179), l'Asie Mineure subit moins une véritable guerre que des incursions, des razzias réciproques. Pharnace chercha et trouva des alliés non seulement en Asie, mais même au Nord du Pont-Euxin; il semble avoir été soutenu par un chef sarmate, Gatalos, et par les deux colonies grecques de Chersonesos (Crimée) et de Mesembria (sur la côte thrace, au Sud du Danube. Rome n'intervint pas directement dans le conflit; mais, à la prière de ses alliés, elle envoya plusieurs délégations de sénateurs chargés d'examiner la situation surplace. Enfin, en 179, Pharnace épuisé demanda la paix : il rendit tout son butin, évacua les pays qu'il occupait hors des limites de son royaume, déchira les traités qu'il avait signés avec les Galates et promit de n'en plus conclure, paya une indemnité de guerre : de toutes ses conquêtes, il ne garda que Sinope.

Son frère et successeur, Mithridate Philopator Philadelphe, reconnut officiellement la suzeraineté de Rome, dont il se déclara, dès le début de son règne, l'ami et l'allié. Si c'est bien le même prince auquel les Grecs ont donné le surnom d'Evergète, ce fut un des adeptes les plus fervents de l'hellénisme; il prit pour capitale Sinope, s'entoura de confidents et de ministres grecs, fit entrer dans son armée beaucoup de mercenaires grecs, combla de dons et de largesses les temples de Délos et la cité, athénienne. Mithridate Philopator n'abandonna cependant pas la politique de Pharnace; il essaya de se faire donner par Rome, en récompense de ses services, la Grande-Phrygie; il tenta de s'emparer de la Cappadoce. En possession d'une flotte considérable, créée par lui, maître d'une armée nombreuse et solide, il était le prince le plus puissant de l'Asie Mineure, lorsqu'il fut assassiné à Sinope (121-120).

Le règne de Mithridate Eupator

A la mort de Mithridate Philopator Philadelphe Evergète, son fils Mithridate, âgé de onze ans, fut proclamé roi : la mère du jeune prince, Laodice, s'empara du pouvoir; elle essaya même de se débarrasser de son fils par la violence et par le poison. Mithridate déjoua ces tentatives; puis, pour mieux échapper aux dangers qui le menaçaient, il s'enfuit du palais et disparut pendant sept années. Caché dans les gorges et les vallons sauvages des monts Paryadrès, il y mena, nous dit-on, la vie sauvage du chasseur et du proscrit :

 « le jour, fuyant ou poursuivant les bêtes, il les perçait de ses flèches ou les étouffait de ses bras nerveux ; la nuit, refusant l'asile suspect des villages et des chaumières, il dormait inconnu sous le ciel étoilé. Ainsi s'endurcit ce corps de fer, ainsi se trempa cette âme farouche, endurante et méfiante, que les épreuves de son adolescence devaient marquer en bien, comme en mal, d'une empreinte ineffaçable » (Th. Reinach, Mithridate Eupator, p. 54).
En l'année 111, il sortit de sa retraite, reparut à Sinope, fut acclamé par son peuple et prit vraiment possession de la couronne. Il jeta en prison sa mère Laodice, fit périr son frère Mithridate, surnommé Chrestos ou le Bon, et resta seul maître du pouvoir.

Actif, énergique, ambitieux, Mithridate songea sans tarder à agrandir son royaume héréditaire. Un an après son avènement réel, une occasion inespérée s'offrit à lui d'entreprendre une conquête des plus importantes. Les colonies grecques du Bosphore Cimmérien et de la Chersonèse Taurique, entre autres Panticapée et Chersonesos, résistaient avec peine aux attaques des rois scythes de la Crimée; elles étaient même sur le point de succomber, lorsqu'elles sollicitèrent le secours et l'intervention du roi du Pont. Mithridate ne paraît pas avoir beaucoup hésité; dès l'année 110, il envoya en Crimée un de ses conseillers grecs, Diophante, bon diplomate et général habile. En quelques campagnes, les bandes scythes furent vaincues, malgré leur très grande supériorité numérique. Les villes grecques exprimèrent chaleureusement leur reconnaissance envers leur libérateur; elles acceptèrent d'être placées désormais sous le protectorat du roi du Pont : Mithridate fut proclamé roi du Bosphore Cimmérien et prostate ou protecteur de la Chersonèse Taurique. Les résultats matériels de cette entreprise ne furent pas moins considérables que son succès politique : les nouveau sujets de Mithridate lui payèrent un tribut annuel de 90 000 hectolitres de blé et de 200 talents d'argent.

La victoire du jeune roi du Pont eut, en outre, un retentissement considérable : Mithridate apparut comme le sauveur des Grecs opprimés par les barbares; quant aux Scythes et aux Sarmates, qui peuplaient alors les plaines de la Russie méridionale, ils s'empressèrent de se mettre à la solde du vainqueur; désormais ils fournirent à ses armées de nombreux mercenaires. Le renom et la prépondérance de Mithridate se répandirent jusque dans la vallée inférieure du Danube, et même, au Sud du fleuve, jusque dans les montagnes du Rhodope et de l'Haemus.

Maître des rivages septentrionaux du Pont-Euxin (Mer Noire), Mithridate se tourna vers les pays qui en bordent la côte orientale. Il ne posséda jamais le littoral âpre et montagneux, immédiatement dominé par la muraille caucasique, qui se développe du Bosphore Cimmérien à la ville grecque de Dioscurias. Les populations qui vivaient là, ne se soumirent pas à sa domination. Mais il conquit sans peine une région bien plus fertile et bien plus importante, la vallée du Phase ou Colchide, qui se creuse à l'extrémité orientale du Pont-Euxin, entre le Caucase au Nord et les dernières pentes des monts Paryadrès au Sud. La Colchide fut rattachée plus étroitement au Pont que ne l'avaient été la Chersonèse Taurique et le Bosphore; elle devint une satrapie du royaume. Elle fournit en abondance à Mithridate des bois pour ses constructions navales, du lin et du chanvre pour ses cordages; en outre, elle formait le débouché d'une voie commerciale très ancienne qui venait de l'Asie centrale, longeait le rebord septentrional du plateau de l'Iran, traversait l'isthme caucasique et venait aboutir, par la vallée du Phase, dans le bassin méditerranéen. Cette nouvelle acquisition de Mithridate avait donc et par elle-même et par sa situation géographique une haute valeur économique.
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Carte de l'Orient au temps de Mithridate.
 L'Orient au temps de Mithridate. (Cliquez sur la carte pour l'agrandir).
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Quelques années plus tard, Mithridate compléta ces premières conquêtes par l'occupation de la Petite-Arménie, région montagneuse par laquelle le Pont se rattache au massif puissant, d'où sortent le Tigre et l'Euphrate. Le roi de ce pays, Antipater, aima mieux abdiquer en faveur de son voisin que s'exposer à une lutte inégale, dont l'issue ne pouvait être douteuse. La Petite-Arménie fit dès lors partie intégrante du royaume de Mithridate.

Ainsi agrandi de la Chersonèse Taurique, du Bosphore Cimmérien, de la Colchide et de la Petite-Arménie, le Pont se trouvait être, au début du Ier siècle, abstraction faite de la province romaine d'Asie, l'Etat le plus puissant de l'Asie antérieure. Les abondantes ressources agricoles et minérales, que la nature lui avait si libéralement distribuées, étaient bien exploitées; si le nombre des cités n'y était pas très élevé, en revanche, les villages, les bourgades rurales, les hameaux s'y comptaient par milliers dans les riches vallées du Lycos et de l'Iris ; la Colchide avait l'aspect d'un chantier des plus actifs et d'un arsenal rempli; les ports de Sinope, d'Amastris, d'Amisos, de Trapezonte, de Dioscurias, da Panticapée, de Chersonosse jouissaient d'une incomparable prospérité. La civilisation pontique n'était pas moins originale que florissante. Un observateur curieux pouvait franchir, sans sortir des limites du Pont, tous les degrés de la culture humaine. Les tribus des monts Paryadrès étaient toujours sauvages; les Chalybes ou Chaldéens et les Cappadociens restaient arrimés eux aussi à leurs archaïsmes; mais sur la côte et dans quelques grandes villes de l'intérieur, Amasie, Eupatoria, Zéla, Comana, s'était épanouie une civilisation raffinée, mélange bizarre d'éléments cappadociens, d'emprunts faits à la Perse et d'influences helléniques. C'était surtout dans la religion du pays que se traduisait le mieux l'origine complexe de cette civilisation. Le dieu lunaire Men, et la déesse Mê, sans doute analogue à la Grande Mère des dieux de Phrygie (La religion phrygienne), étaient des divinités cappadociennes ; les cultes d'Ormuzd, d'Anaïtis et de Mithra, venus de Perse, étaient célébrés par des mages, vêtus de longues robes blanches et coiffés de la tiare; enfin plusieurs dieux grecs avaient pénétré dans le panthéon pontique, attestant ainsi les comparaisons et les relations établies entre les dieux des trois principales populations qui s'étaient rencontrées dans le pays.

Par ses vertus, par ses vices, par le caractère de son gouvernement, Mithridate résumait en lui ces divers éléments. On peut dire de lui que c'était un sultan oriental teinté d'hellénisme. S'il aimait l'art et la musique grecques, s'il avait constamment près de lui des philosophes et des poètes grecs, d'autre part, il avait une foi crédule qui lui faisait consacrer souvent de longues heures à l'interprétation des songes. S'il était le coureur le plus agile, le cavalier le plus accompli, le chasseur le plus adroit de son temps, s'il gagna dans l'arène plus d'un prix comme conducteur de chars, il s'abandonnait aux excès de princes de l'Orient : il était le plus fort mangeur et le buveur le plus intrépide de son royaume; il possédait un harem nombreux, et l'on a trouvé dans ses papiers plusieurs lettres licencieuses qui ne laissent aucun doute sur sa sensualité. Despote sans frein, méfiant, cruel jusqu'à l'atrocité, vindicatif et perfide, il se distinguait pourtant des autocrates de l'Orient par son indomptable activité. Momnmsen nous semble avoir été trop sévère pour lui, lorsqu'il a dit que son éducation hellénique ne lui allait pas mieux qu'une armure romaine à un Cappadocien. S'il est inférieur aux grands hommes d'Athènes et de Sparte, il domine, et de très haut, les rois d'Arménie, les sultans parthes, et même la plupart des Séleucides et, plus tard, des empereurs romains. S'il n'avait eu quelques vigoureuses qualités d'organisateur, il n'eût pas lutté pendant vingt-cinq ans contre Rome et ses habiles généraux, Sylla, Lucullus et Pompée.

Ce furent ses prétentions sur l'Asie Mineure qui le mirent aux prises avec la République romaine. D'accord avec le roi de Bithynie, Nicomède, Mithridate annexa à son royaume les districts orientaux de la Paphlagonie indépendante et une partie de la Galatie, puis il tourna ses ambitions vers la Cappadoce. Son allié, dans cette circonstance, fut le roi d'Arménie, Tigrane. La Cappadoce fut conquise par Mithridate, qui lui donna pour roi un de ses fils. Mais le Sénat romain commençait à s'inquiéter de ce qui se passait en Asie Mineure : il enjoignit à Mithridate comme à Nicomède de Bithynie d'évacuer tous les pays dont ils s'étaient emparés; l'injonction était faite sur un ton énergique; elle fut obéie (95 av. J.-C.). Deux ans plus tard, une nouvelle tentative de Mithridate et de Tigrane sur la Cappadoce fut déjouée par Sylla, alors propréteur en Cilicie. Mithridate comprit qu'il lui était impossible de réaliser ses projets sans entrer en conflit avec Rome; il se prépara à la guerre. Pendant quelques années encore, il dissimula sa colère et même se soumit ou feignit de se soumettre aux exigences impolitiques du consulaire Manius Aquilius, que le Sénat romain avait envoyé spécialement en Asie Mineure. Enfin, lorsqu'il se sentit prêt, au printemps de l'année 88, il leva le masque et déclara la guerre à Rome.

La première guerre entre Mithridate et les Romains dura quatre ans, de 88 à 84 av. J.-C. Rome subit d'abord de grands désastres. Son allié, le nouveau roi de Bithynie, Nicomède, fut complètement battu; ses deux généraux, Aquilius et Cassius, ne surent pas mieux résister aux troupes pontiques. Partout la défection des vassaux suivit la défaite; Mithridate fut acclamé par tous les Asiatiques; les villes de la province d'Asie lui ouvrirent leurs portes avec enthousiasme. La flotte puissante que Mithridate avait pu constituer, grâce aux ressources que lui fournissaient le Bosphore Cimmérien et la Colchide, lui permit de conquérir la mer Egée après l'Asie Mineure. Aquilius, fait prisonnier dans Mytilène, fut ramené à Pergame, au milieu des insultes de la population; il y mourut, probablement tué par ordre du vainqueur. Le roi du Pont souilla sa victoire : il fit massacrer, en un seul jour, tous les Romains ou Italiens, hommes, femmes, enfants, qui se trouvaient en Asie. Les « Vêpres éphésiennes », ainsi nommées sans doute parce que le signal de la tuerie partit d'Ephèse, firent près de cent mille victimes. Le butin fut énorme; les biens des proscrits, presque tous banquiers ou marchands, furent attribués, soit aux villes asiatiques, soit au trésor royal de Mithridate. Il n'y avait plus un seul Romain en Asie. Enhardi par le triomphe, Mithridate jeta les yeux sur la Grèce d'Europe. Une ambassade, qu'il reçut d'Athènes lui apprit que les Grecs d'Europe n'étaient pas moins disposés que les Asiatiques à secouer le poids de la domination romaine. Quelques semaines plus tard, la mer Egée était, comme le Pont-Euxin, un lac pontique, et toute la Grèce continentale jusqu'à la Thessalie s'était déclarée en faveur de Mithridate. La situation devenait très grave pour Rome.

Ce fut alors qu'à l'issue de la guerre sociale et après des troubles civils où les partis se disputèrent par la violence le choix du général en chef, Sylla se fit décerner le commandement de la guerre d'Orient. Il partit d'Italie au début de l'année 87, et vint débarquer en Epire. L'arrivée des légions romaines dans la Hellade suffit pour faire rentrer dans le devoir la plupart des rebelles de la Grèce d'Europe. Seules l'Attique et l'Eubée restèrent attachées à la cause du roi du Pont. Sylla, après avoir traversé l'Etolie, la Thessalie, la Béotie, mit le siège sous les murs d'Athènes et du Pirée. Les Athéniens résistèrent vaillamment ; ils se moquèrent même de Sylla, l'appelant une « mûre saupoudrée de farine », par allusion à son teint blanc parsemé de taches rouges. Mais la famine ne tarda pas à sévir dans la cité. La résistance des assiégés faiblit, et le 1er mars 86, à minuit, Sylla entra par la brèche dans Athènes. La ville fut livrée en proie à une soldatesque furieuse. Peu de temps après, le Pirée succombait à son tour. Sylla en fit démolir les murailles. Il se porta ensuite en Béotie au-devant d'une armée de 100 000 hommes, que Mithridate envoyait contre lui; il la vainquit près de Chéronée. Aussitôt, le roi du Pont fit passer en Grèce de nouvelles troupes sous le commandement d'un de ses meilleurs généraux, le Grec Dorylaos; ces troupes parvinrent jusqu'en Béotie, mais elles y subirent la défaite décisive d'Orchomène (86).

Mithridate, à ce moment, n'était pas seulement vaincu sur le champ de bataille. L'Asie, qui avait salué avec une joie si enthousiaste ses triomphes de l'année 88, commençait à regretter l'administration romaine. Les despotisme du roi du Pont était plus tyrannique encore que celui des proconsuls, et les exactions de ses gouverneurs plus terribles que celles même des publicains. Après ses victoires de Chéronée et d'Orchomène, Sylla passa en Asie. Il n'eut pas besoin d'y livrer de nouveaux combats. En vain Mithridate voulut mettre à profit l'arrivée en Orient d'un général du parti démocratique, Valerius Flaccus, bientôt remplacé par son légat et meurtrier Fimbria, pour obtenir de meilleures conditions du vainqueur. Sylla, qui savait la situation précaire de Fimbria et qui n'eut pas de peine à lui débaucher presque toutes ses troupes, se montra intraitable à l'égard de Mithridate. Le roi du Pont dut se résigner à la paix de Dardanos, dont les principales clauses avaient été arrêtées, quelques mois auparavant, à Délion en Béotie. Mithridate rendit toutes les conquêtes qu'il avait faites en Europe et en Asie, paya une indemnité de guerre de 2000 talents, livra tous les prisonniers qu'il avait faits, tous les transfuges qui se trouvaient près de lui, et soixante-dix galères (août 85). Sylla resta encore une année en Asie, pour y rétablir la domination romaine, y châtier les peuples et les villes qui avaient pris parti pour Mithridate et y faire un riche butin. Mithridate était retourné dans son royaume, aussitôt après la paix de Dardanos.

Il se préoccupa d'abord de rétablir son autorité légèrement ébranlée en Colchide et dans le Bosphore Cimmérien. Puis il recommença à surveiller de près les affaires d'Asie Mineure. Ce n'est pas qu'il songeât à reprendre la lutte contre les Romains; mais il tenait à ne laisser échapper aucune circonstance favorable. S'il ne lui était plus permis d'agrandir ses Etats par l'annexion de vastes pays, comme la Paphlagonie, la Galatie, la Cappadoce, il voulait du moins accroître son autorité et son influence politique en Asie. Il resserra son alliance avec son gendre, le roi d'Arménie, Tigrane, qui était devenu le souverain le plus puissant de l'Orient: en 77, à l'instigation de Mithridate, Tigrane, qui avait déjà annexé la Syrie, envahit la Cappadoce et la réunit à son royaume. Le roi du Pont noua aussi des relations politiques avec les pirates ciliciens, maîtres de la Méditerranée orientale, avec les Asiatiques sur lesquels le joug de Rome pesait de nouveau très lourdement, même avec Sertorius. En un mot, sans désirer la guerre avec Rome et sans vouloir la déclarer à tout prix, Mithridate pourtant s'y préparait. Elle lui parut inévitable en 74, lorsque le Sénat, après la mort du dernier roi de Bithynie, Nicomède, accepta le testament de ce prince qui léguait son royaume au peuple romain.

Les hostilités s'ouvrirent au printemps de l'année 73. Mithridate envahit la Bithynie, refoula les troupes du proconsul, M. Aurelius Cotta, jusque sous les murs de Chalcédoine, et leur infligea une sanglante défaite. Mais cette victoire fut sans lendemain. Le gouverneur de la Cilicie, Lucullus, investi, en même temps que Cotta, du commandement des armées d'Orient, accourut. Mithridate, qui avait mis le siège devant Cyzique, fut à son tour bloqué par Lucullus; écrasé par les légions, il se réfugia sur ses vaisseaux et, six mois durant, pilla les côtes de la Propontide; une de ses escadres parut même dans la mer Egée. Mithridate n'en fut pas moins réduit, pendant l'année 71, à abandonner même son royaume héréditaire et à s'enfuir chez son gendre Tigrane. Le Pont fut occupé par l'armée de Lucullus (71-70).

Le général romain envoya auprès de Tigrane un ambassadeur chargé de réclamer l'extradition de Mithridate. Tigrane refusa de livrer son allié, devenu son hôte. C'était la guerre. Elle commença au printemps de 69. Lucullus atteignit la capitale de l'Arménie, Tigranocerte, et remporta une grande victoire aux portes mêmes de la ville. Paralysé par l'indiscipline de ses soldats, il ne put achever la conquête; deux ans plus tard, il fut encore vainqueur près de Nisibis, entre le Tigre et l'Euphrate, Mais, surpris dans les régions montagneuses de la Grande-Arménie par un hiver très rigoureux, Lucullus perdit en quelques semaines tout le fruit de ses victoires. Harcelé par ses ennemis, il dut battre en retraite; et s'il put ramener ses légions sans subir de désastre humiliant, il n'en dut pas moins évacuer le Pont, où Mithridate rentra en triomphateur (67). Ce fut pour peu de temps. Lucullus avait mérité, par la sévérité de son administration en Asie, la haine des publicains et de l'ordre équestre. L'échec final de sa campagne contre Tigrane et Mithridate servit de prétexte aux chevaliers pour l'attaquer à Rome. Lucullus fut dépouillé de son commanderaient, et la loi Manilia confia à Pompée la haute direction de toutes les affaires d'Orient.

Pompée arriva en Asie Mineure au printemps de l'année 66 avec des forces considérables; aisément vainqueur du roi du Pont, il se porta de suite contre Tigrane, qu'il réduisit à demander la paix. Tigrane renonça à toutes ses conquêtes d'Asie Mineure et de Syrie, reconnut la suzeraineté de Rome, paya une indemnité de guerre de 6000 talents et mit à prix la tête de Mithridate. Celui-ci, poursuivi, traqué sans cesse par les cavaliers de Pompée, s'enfuit vers le Nord ; il franchit l'Acampsis, traversa la Colchide, gagna Dioscurias, culbuta les barbares du Caucase qui voulaient lui barrer la route du Bosphore Cimmérien et atteignit enfin Panticapée. L'indomptable vieillard ne renonçait pourtant pas à la lutte. Il voulait réunir autour de lui une armée formidable de Scythes et de Sarmates, longer la côte septentrionale du Pont-Euxin, remonter la vallée du Danube, entraîner à sa suite toutes les tribus gauloises qu'il rencontrerait, et fondre par le Nord sur l'Italie épouvantée. Ce projet ne put pas être réalisé. Mithridate fut trahi par son fils Pharnace, que les Romains avaient acheté. Assiégé dans la citadelle de Panticapée, le vieux roi aima mieux se tuer que tomber entre les mains de ses ennemis. Après avoir vu mourir près de lui deux de ses filles et tenté vainement de s'empoisonner, il se fit égorger par un de ses gardes (63 av. J.-C.). Avec Mithridate, le royaume du Pont avait connu l'apogée de son histoire; après sa mort, il disparut.

Histoire du Pont sous la domination romaine

Le vainqueur de Tigrane et de Mithridate, Pompée organisa l'Orient en vertu des pleins pouvoirs qui lui avaient été conférés par la loi Manilia de 66. Les Etats de Mithridate furent divisés en deux parts, qui restèrent séparées pendant toute l'Antiquité romaine. Les districts occidentaux du Pont furent réunis à la Bithynie; ils formèrent avec elle la province de Bithynie et du Pont; pourtant ils ne se confondirent pas absolument avec la Bithynie; sous le nom de Pontus ou Ora Pontica, ils eurent leur capitale, Amastris, leur assemblée provinciale, et leur grand prêtre particulier. Le Pont oriental, depuis le fleuve Halys jusqu'aux frontières de la Colchide et de l'Arménie, fut donné au roi des Galates, Déjotarus; la Colchide, redevenue indépendante en théorie, forma en réalité plusieurs principautés clientes des Romains, enfin le Bosphore Cimmérien fut attribué au fils de Mithridate, Pharnace, et devint un Etat vassal de Rome. La Colchide et le Bosphore ne furent jamais des provinces romaines. Quant au Pont Oriental, une partie, le Pontus Galaticus, qui comprenait les villes d'Amasie et de Comana, fut rattachée par Auguste, en 7 av. J.-C., à la province romaine de Galatie constituée en l'année 25. Le reste, qui s'étendait depuis le fleuve Thermodon jusqu'à la Colchide, forma pendant près d'un siècle (36 av. J.-C.-63 ap. J.-C.) le royaume vassal de Pontus Polemoniacus, ainsi nommé de deux ou trois Polémon, qui le gouvernèrent. 

En 36, Antoine donna le gouvernement de ce pays, avec le titre de roi, à Polémon, fils du rhéteur Zénon de Laodicée, qui avait rendu de grands services à la cause des triumvirs, lorsque Labiénus et les Parthes menaçaient d'envahir l'Asie Mineure. Polémon Ier régna probablement jusque vers l'année 2 ou 1 av. J.-C. Son royaume fut agrandi de la Petite-Arménie et du Bosphore. Sa fortune ne fut pas compromise par la victoire d'Octave à Actium; bien qu'il eût envoyé des secours à Antoine, il sut se concilier les bonnes grâces du vainqueur. Il mourut en combattant contre les populations barbares dé la Sindique. Sa veuve, Pythodoris, hérita du royaume du Pont Polémoniaque. On ignore la date de sa mort. En 39, un roi, du nom de Polémon, régnait sur le Pont Polémoniaque. La plupart des auteurs admettent que ce Polémon n'est autre que le fils aîné de Polémon et de Pythodoris et l'appellent Polémon lI. W. H. Waddington, s'appuyant sur des documents numismatiques, affirme qu'en 39 ce prince était beaucoup trop jeune pour pouvoir être le fils de Polémon Ier, mort en 2 ou 1 av. J.-C.; il voit en lui le petit-fils de ce prince, et croit qu'il faut intercaler entre le règne de Pythodoris et celui de ce Polémon le règne d'un autre prince qu'il nomme Polémon lI. Il y aurait donc eu, d'après cet auteur, trois Polémon : Polémon Ier (36-2 ou 1 av. J.-C.), Polémon II (?-39 ap. J.-C.), Polémon III (39-63). Comme son grand-père, Polémon III régna, au moins pendant quelques années, sur une partie de l'Arménie et sur le Bosphore. Il abdiqua en 63, sur l'invitation de Néron, auquel il légua son royaume, et le Pontus Polemoniacus fut annexé à l'empire romain. Il fut d'abord réuni à la province de Galatie; plus tard, il semble avoir été rattaché à la province de Cappadoce.

Le nom de Pontus figura encore au Bas-Empire dans la nomenclature administrative des Romains; l'une des grandes divisions de la province d'Orient fut le diocèse de Pont, qui dépendait de la préfecture du prétoire d'Orient; ce diocèse renfermait plusieurs provinces, dont deux portaient ce même nom de Pont : le Diospontus ou Helenopontus (Amisos, Sinope, Amasie) et le Pontus Polemoniacus (Comana, Trapezonte). (J. Toutain).

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